La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/03/2002 | SUISSE | N°5P.471/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 05 mars 2002, 5P.471/2001


«/2»
5P.471/2001

IIe C O U R C I V I L E
*************************

5 mars 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, M. Meyer et
Mme Hohl, juges. Greffier: M. Ponti.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________, représentée par Me Dominique Poncet et Me Alain
Macaluso, avocats à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 13 décembre 2001 par la Cour de justice du
canton de Genève dans la cause qui oppose la recourante à
Y.________, représenté par Me Jean

-Charles Sommer, avocat à
Genève;

(art. 9 Cst.; mainlevée d'opposition)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent...

«/2»
5P.471/2001

IIe C O U R C I V I L E
*************************

5 mars 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, M. Meyer et
Mme Hohl, juges. Greffier: M. Ponti.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________, représentée par Me Dominique Poncet et Me Alain
Macaluso, avocats à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 13 décembre 2001 par la Cour de justice du
canton de Genève dans la cause qui oppose la recourante à
Y.________, représenté par Me Jean-Charles Sommer, avocat à
Genève;

(art. 9 Cst.; mainlevée d'opposition)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par contrat d'entreprise du 22 janvier/16 fé-
vrier 2001, X.________ a chargé Y.________ de construire la
structure du "Salon de Mars" 2001, salon d'antiquités et
d'objets d'art qui devait avoir lieu du 31 mars au 8 avril
2001 sur le site de Palexpo à Genève. Aux termes de ce con-
trat, Y.________ s'est engagé à réaliser l'ensemble de la
construction, l'aménagement et la décoration des stands, ain-
si que des parties communes de l'exposition et des voies de
circulation, pour un prix forfaitaire de 9 millions de
francs
français (FF), payable à raison de 50% à la commande, de 40%
au 15 avril 2001 et de 10% au 1er mai 2001.

B.- Le 30 mars 2001, la veille de l'ouverture du sa-
lon, constatant que Y.________ n'avait pas nettoyé le chan-
tier, X.________ a dû faire appel à deux entreprises de net-
toyage, qui lui ont facturé pour leur intervention 3'641 fr.
15. Par la suite, X.________ a reproché à Y.________ d'avoir
mal exécuté les travaux; le 4 avril 2001, elle a adressé une
première lettre à Y.________, invoquant une violation du con-
trat en raison des nombreux et graves défauts affectant l'ou-
vrage livré, défauts qui ont d'ailleurs engendré plusieurs
réclamations de la part des exposants.

Le 6 avril 2001, l'association a fait dresser par Me
T.________, huissier judiciaire, un constat général des tra-
vaux effectués par Y.________; selon les constatations de
l'huissier, "l'ensemble du travail est mal exécuté ainsi que
les travaux de finitions. Le tout donne un aspect négligé
qui
n'est pas en rapport avec la qualité que l'on peut attendre
pour un tel salon" (cf. p. 4 du procès-verbal).

Sur la base de ces constatations, X.________ a refu-
sé de verser le solde du prix convenu (4,5 millions de FF),
en se réservant pour le surplus d'actionner Y.________ en
paiement de dommages-intérêts lorsque l'ampleur du préjudice
serait complètement connue.

C.- Le 29 mai 2001, Y.________ a fait notifier à
X.________ un commandement de payer pour les sommes de
845'280 fr., plus intérêts à 5% l'an dès le 15 avril 2001,
et
de 211'320 fr., plus intérêts à 5% dès le 1er mai 2001. La
poursuivie a formé opposition totale. Par jugement du 13
août
2001, le Tribunal de première instance de Genève a refusé la
mainlevée provisoire. Statuant le 13 décembre 2001 sur l'ap-
pel formé par la poursuivante, la Cour de justice l'a en re-
vanche prononcée. En substance, la cour cantonale a retenu
que, bien que X.________ ait rendu vraisemblable l'existence
de défauts de l'ouvrage livré, elle n'a pas pu démontrer que
la créance qu'elle peut faire valoir de ce chef correspond
au
solde du prix de l'ouvrage, c'est-à-dire à la moitié de ce
prix.

D.- Agissant par la voie du recours de droit public
au Tribunal fédéral pour violation de l'art. 9 Cst.,
X.________ conclut à l'annulation de cet arrêt.

L'intimée propose principalement l'irrecevabilité du
recours, subsidiairement son rejet dans la mesure où il est
recevable. L'autorité cantonale se réfère aux considérants
de
sa décision.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Invoquant l'avis de Gilliéron (Commentaire de
la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite,

vol. I, Lausanne 1999, n. 116 ss ad art. 82 LP; dans le même
sens: Peter, Fragen zur provisorischen Rechtsöffnung, RSJ
95/1999, p. 135/136), l'intimée fait valoir que le recours
est irrecevable, car il est dirigé contre une décision inci-
dente qui ne cause aucun préjudice irréparable au sens de
l'art. 87 al. 2 OJ.

Cette argumentation est vaine. Il n'y a aucun motif
de revenir en l'espèce sur une jurisprudence constante
depuis
1968 (ATF 94 I 365; Braconi, Les voies de recours au
Tribunal
fédéral dans les contestations de droit des poursuites, in:
FS 75 Jahre Konferenz der Betreibungs- und Konkursbeamten
der
Schweiz, p. 253 n. 35 et les arrêts cités) et régulièrement
confirmée par la cour de céans (p. ex.: arrêts non publiés
5P.333/2001 consid. 2; 5P.38/2001, consid. 1; 5P.138/2000,
consid. 1a).

Interjeté en temps utile contre une décision qui
accorde en dernière instance cantonale la mainlevée provi-
soire de l'opposition (ATF 120 Ia 256 consid. 1a, 116 III 70
consid. 1 et les arrêts cités), le recours est donc
recevable
au regard des art. 86 al. 1, 87 et 89 al. 1 OJ.

b) Saisi d'un recours de droit public pour arbitrai-
re, le Tribunal fédéral ne procède pas à un libre examen de
toutes les circonstances de la cause et ne rend pas un arrêt
au fond, qui se substituerait à la décision attaquée. Il se
borne à contrôler si l'autorité cantonale a observé les prin-
cipes que la jurisprudence a déduits de l'art. 9 Cst (art. 4
aCst.). Son examen ne porte d'ailleurs que sur les moyens in-
voqués par le recourant et motivés conformément aux
exigences
de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (ATF 125 I 71 consid. 1c p. 76,
492 consid. 1b p. 495; 122 I 70 consid. 1c p. 73; 119 Ia 197
consid. 1d p. 201 et les arrêts cités).

2.- La recourante invoque l'interdiction de l'arbi-
traire; à son avis, la Cour cantonale, qui a d'abord admis
l'existence de défauts susceptibles de conduire à une réduc-
tion du prix de l'ouvrage, mais qui a néanmoins prononcé la
mainlevée pour la totalité du solde du prix, aurait tiré de
ses constatations de fait une conclusion insoutenable et con-
tradictoire. Elle fait également grief à l'autorité
cantonale
d'avoir appliqué de manière arbitraire l'art. 82 LP.

a) Selon la jurisprudence, l'arbitraire - prohibé
par l'art. 9 Cst. - ne résulte pas du seul fait qu'une autre
solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle se-
rait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la déci-
sion attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insou-
tenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la
situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un
principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte
de
manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité;
pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire,
il
ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable,
il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans
son
résultat (ATF 126 I 168 consid. 3a; 125 I 166 consid. 2a;
124
I 247 consid. 5 p. 250; 124 V 137 consid. 2b).

b) Aux termes de l'art. 82 al. 1 LP, le créancier
dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette
constatée par acte authentique ou sous seing privé peut re-
quérir la mainlevée provisoire. Constitue une reconnaissance
de dette, au sens de cette disposition, l'acte authentique
ou
sous seing privé signé par le poursuivi d'où ressort sa vo-
lonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition,
une
somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable, et
échue; cette volonté peut découler du rapprochement de plu-
sieurs pièces, autant que les éléments nécessaires en résul-
tent (ATF 122 III 125 consid. 2 in limine et les références
citées).

Selon l'art. 82 al. 2 LP, le juge, en présence d'une
reconnaissance de dette au sens de l'al. 1 de cette disposi-
tion, prononce la mainlevée provisoire si le débiteur ne
rend
pas immédiatement vraisemblable sa libération. Le poursuivi
peut notamment rendre vraisemblable l'inexistence de la
dette
en soulevant toutes les exceptions qui peuvent être fondées
sur le rapport juridique à la base de la reconnaissance
(Daniel Staehelin, Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbe-
treibung und Konkurs, SchKG I, Bâle 1998, n. 90 ad art. 82
LP
et la jurisprudence citée). S'agissant d'un contrat d'entre-
prise, le poursuivi peut notamment soulever comme moyen libé-
ratoire l'existence de défauts de l'ouvrage (Gilliéron, op.
cit., n. 81 ad art. 82 LP, p. 1282 et références citées).

c) L'arrêt attaqué admet explicitement que la recou-
rante a rendu vraisemblable que l'ouvrage livré par l'entre-
preneur était affecté de certains défauts (cf. p. 6 en haut
de l'arrêt attaqué); les juges cantonaux ont toutefois pro-
noncé la mainlevée provisoire de l'opposition pour la tota-
lité du solde réclamé en jugeant que la poursuivie n'a pas
rendu vraisemblable que la moins-value de l'ouvrage défec-
tueux, et donc son droit à une éventuelle réduction du prix
(art. 368 al 2 CO), correspond à la moitié du prix total.
L'argumentation de la Cour cantonale repose d'une part sur
le
fait que, malgré l'insatisfaction de l'organisateur et de
plusieurs exposants, le "Salon de Mars 2001" a eu lieu régu-
lièrement du 31 mars au 8 avril 2001, avec la structure li-
vrée par Y.________, et que, d'autre part, le seul poste de
dommage que la recourante a pu chiffrer (les frais de net-
toyage du chantier) représente un montant négligeable (3'641
fr. 15) par rapport au solde du prix dû à l'intimée
(1'056'600 fr.)

aa) Ce raisonnement n'apparaît pas insoutenable ni
arbitraire. Abstraction faite de la querelle qui oppose les
parties sur la tardiveté ou non de l'avis des défauts - qui

échappe à la compétence du juge de la mainlevée -, force est
de constater que les allégations de la recourante et les
moyens de preuve produits, même s'ils rendent vraisemblable
l'existence de certains défauts et donc, en principe, d'un
moyen libératoire, ne permettent pas de déterminer la
quotité
d'une éventuelle prétention en réduction du prix que la
recourante entend faire valoir sur la base de l'art. 368 CO.
A juste titre, la cour cantonale a retenu que des défauts
pour plus de 1'000'000 fr. sont invraisemblables en l'espèce

et que, même à partir du constat général dressé par l'huis-
sier judiciaire, il est extrêmement difficile de se faire
une
idée précise de l'ampleur des défauts et du montant d'une
éventuelle réduction du prix de l'ouvrage. Il est d'ailleurs
incontestable que, malgré tout, la recourante a pu faire usa-
ge de la structure fournie par l'entrepreneur, la manifesta-
tion organisée s'étant déroulée régulièrement dans les
délais
prévus, et même, selon certaines sources, avec succès. Dans
ces circonstances, on ne saurait faire grief à la Cour de
justice d'avoir interprété de façon arbitraire l'art. 82 LP
:
en cas de défauts de moindre importance, qui peuvent donner
lieu à une réduction du prix ou à une réparation de
l'ouvrage
(art. 368 al 2 CO), il n'est pas insoutenable d'admettre que
le débiteur ne peut pas se limiter à rendre vraisemblable
l'existence de défauts, mais doit encore chiffrer les préten-
tions qu'il tire de ce moyen libératoire selon l'art. 82 al.
2 LP. La mainlevée de l'opposition pourra alors être pronon-
cée, mais seulement à concurrence de ce montant (Daniel
Staehelin, op. cit., n. 128 ad art. 82 LP).

bb) Il n'est, en outre, pas arbitraire de juger que
la poursuivie ne peut raisonnablement faire échec à une re-
quête de mainlevée pour un montant qui dépasse 1 million de
fr. sur la base de deux factures de seulement 3'641 fr. 15;
ces factures sont d'ailleurs contestées par l'intimée, qui
reproche à la recourante d'avoir empêché qu'elle exécute ses
travaux de finition et de nettoyage avant l'ouverture du sa-

lon (cf. n. 7, p. 6, de la réponse au recours de droit pu-
blic). Sur ce point, la solution retenue par l'autorité can-
tonale ne peut pas être considérée comme arbitraire, à
savoir
comme manifestement insoutenable ou en contradiction flagran-
te avec le dossier ou la norme juridique de l'art. 82 LP.

3.- En conclusion, le recours doit être rejeté, avec
suite de frais et dépens à la charge de la recourante (art.
156 al. 1 et 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours.

2. Met à la charge de la recourante:
a) un émolument judiciaire de 8000 fr.,
b) une indemnité de 5000 fr. à payer
à l'intimée à titre de dépens.

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour de justice du canton de Ge-
nève.

Lausanne, le 5 mars 2002
PIT/frs
Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président, Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5P.471/2001
Date de la décision : 05/03/2002
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-05;5p.471.2001 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award