La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/03/2002 | SUISSE | N°1P.543/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 01 mars 2002, 1P.543/2001


{T 0/2}
1P.543/2001/dxc

Arrêt du 1er mars 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Féraud, Fonjallaz,
greffier Thélin.

X.________, recourant, représenté par Me Stéphane Cappi, avocat, rue
des
Petits-Epineys 2, 1920 Martigny,

contre

Ministère public du canton du Valais, Palais de Justice, 1950 Sion 2,
Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour d'appel pénale II, Palais
de
Justice, 1950 Sion 2

.

imputation des frais judiciaires pénaux

(recours de droit public contre le jugement du Tribunal cantonal du
ca...

{T 0/2}
1P.543/2001/dxc

Arrêt du 1er mars 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Féraud, Fonjallaz,
greffier Thélin.

X.________, recourant, représenté par Me Stéphane Cappi, avocat, rue
des
Petits-Epineys 2, 1920 Martigny,

contre

Ministère public du canton du Valais, Palais de Justice, 1950 Sion 2,
Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour d'appel pénale II, Palais
de
Justice, 1950 Sion 2.

imputation des frais judiciaires pénaux

(recours de droit public contre le jugement du Tribunal cantonal du
canton du
Valais du 20 juillet 2001)
Faits:

A.
Dès 1984, X.________ a exploité, sous son propre nom, une entreprise
de
transports par camions.

En 1988 et 1989, il a participé à la fondation de deux sociétés
anonymes
actives dans le même domaine, soit Y.________ SA et Z.________ SA. La
deuxième est devenue actionnaire unique de la première, et leurs
activités
ont été gérées en commun; sa faillite a été prononcée le 14 novembre
1989,
après huit mois d'exploitation, avec un découvert proche de 1'400'000
fr.
Y.________ SA a également été déclarée en faillite, le 8 mars 1990,
avec un
découvert d'environ 180'000 fr.

B.
Sur dénonciation de l'Office des faillites de Sion, une enquête
pénale fut
ouverte contre X.________ et quatre autres membres du conseil
d'administration de Z.________ SA, tous prévenus de diverses
infractions en
rapport avec la faillite de cette société. X.________ fut également
inculpé
d'escroquerie, pour avoir incité diverses personnes à souscrire des
actions
lors d'une augmentation du capital, alors qu'il connaissait,
prétendument, la
ruine imminente de la société. Une autre enquête, consécutive à la
faillite
d'Y.________ SA, fut aussi ouverte dans le canton de Vaud, puis, après
dessaisissement des autorités de ce canton, jointe à la procédure
déjà en
cours en Valais.

Une expertise, puis une expertise complémentaire furent ordonnées afin
d'élucider diverses questions financières et comptables.

Par arrêt du 30 octobre 1997, le Juge d'instruction pénale du Valais
central
a renvoyé X.________ devant le Tribunal d'arrondissement pour le
district de
Sion, accusé de banqueroute frauduleuse, faux dans les titres et
escroquerie.
En raison de la prescription, le Ministère public avait renoncé aux
accusations de banqueroute simple, violation de l'obligation de tenir
une
comptabilité, avantages accordés à certains créanciers, abus de
confiance et
détournement des cotisations AVS et de prévoyance professionnelle. Le
Juge
d'instruction a prononcé un non-lieu en faveur des autres inculpés,
au motif
que les délits de banqueroute simple et de détournement des
cotisations AVS
et de prévoyance professionnelle, qui leur étaient seuls imputés,
étaient
prescrits. Chacun de ces quatre prévenus était condamné à payer 1/12
des
frais d'instruction; le solde correspondant à 8/12, soit 23'000 fr.,
devait
suivre le sort de la cause à juger par le Tribunal d'arrondissement.

C.
Ce tribunal a jugé X.________ le 28 juin 1999. Sur la base des
rapports
d'expertise, il a constaté que les comptabilités de l'entreprise
individuelle
et des deux sociétés anonymes n'avaient été tenues que de façon
gravement
lacunaire, en violation flagrante des usages à observer dans ce
domaine, de
sorte qu'il était impossible de vérifier la justification des
prélèvements
suspects opérés par l'accusé. Compte tenu que cette situation rendait
tout
aussi impossible de démentir les justifications alléguées par lui, il
devait
être libéré, au bénéfice du doute, de l'accusation de banqueroute
frauduleuse. La comptabilité lacunaire constituait, certes, un titre
faux,
mais l'intention de porter atteinte aux intérêts d'autrui n'était pas
établie, de sorte que l'accusation de faux dans les titres ne pouvait
pas non
plus être retenue. Enfin, l'accusé n'avait pas trompé ses partenaires
en leur
promettant des bénéfices futurs, donc hypothétiques, s'ils
souscrivaient les
actions qu'il leur proposait; l'accusation d'escroquerie devait, par
conséquent, être aussi abandonnée.

Bien qu'acquitté, l'accusé fut condamné à supporter la totalité des
frais
judiciaires, en raison de sa responsabilité prépondérante dans la
tenue de la
comptabilité, de la négligence grave dont il avait fait preuve dans
cette
tâche, et du fait que les frais comprenaient surtout le coût des
expertises
ordonnées, précisément, dans le but de rétablir la situation
comptable des
sociétés. Les frais ainsi imputés étaient composés du solde des frais
d'instruction, par 23'000 fr., et de ceux du jugement, par 800 fr.

D.
X.________ a déféré ce prononcé au Tribunal cantonal du canton du
Valais; il
concluait à sa libération de toute charge de frais et à l'allocation
de
dépens pour le procès pénal. Son appel a été partiellement admis, le
jugement
étant réformé en conséquence, au motif que la cause pénale n'aurait
pas dû
être renvoyée devant le Tribunal d'arrondissement et que les frais du
jugement n'étaient donc pas en rapport de causalité adéquate avec le
comportement illicite et fautif imputable au prévenu. Celui-ci ne
devait
supporter que le solde des frais d'instruction, soit 23'000 fr., et
il devait
recevoir, à la charge du fisc, des dépens pour le jugement; ces dépens
étaient taxés à 2'400 fr. Le Tribunal cantonal a également procédé à
la
taxation et à la répartition des frais et dépens d'appel, en prenant
en
considération que l'appelant obtenait partiellement gain de cause.
Son arrêt
est daté du 20 juillet 2001.

E.
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ requiert
le
Tribunal fédéral d'annuler ce prononcé. Il tient sa condamnation à
supporter
les frais d'instruction pour arbitraire et contraire à la présomption
d'innocence. Il conteste également le montant des dépens alloués pour
le
jugement, qu'il considère comme manifestement insuffisant au regard de
l'activité fournie par son défenseur.

Invités à répondre, le Ministère public et le Tribunal cantonal ont
renoncé à
déposer des observations.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Selon l'art. 207 ch. 2 CPP val., le prévenu acquitté peut être
condamné aux
frais s'il a, par sa faute, donné lieu à la poursuite pénale ou l'a
rendue
plus difficile. Sur la base de cette disposition, les frais
d'instruction ont
été imputés au recourant à concurrence de 23'000 fr.

1.1 En tant que le juge fonde sa décision sur le comportement du
prévenu
acquitté, le refus d'une indemnité demandée par celui-ci, pour
réparation du
préjudice causé par le procès pénal, ou sa condamnation à supporter
les frais
de ce procès, sont des mesures étroitement analogues; elles doivent
l'une et
l'autre respecter les principes exposés ci-après, qui, selon la
jurisprudence, dérivent des droits fondamentaux garantis au prévenu
(ATF 112
Ib 446 consid. 4c p. 456). La présomption d'innocence consacrée par
les art.
32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH interdit de prendre une décision
défavorable
au prévenu acquitté en laissant entendre que celui-ci semble coupable
de
l'infraction qui lui était reprochée. En outre, la condamnation aux
frais ou
le refus de l'indemnité ne sont tenus pour compatibles avec
l'interdiction de
l'arbitraire (art. 9 Cst.) que si l'intéressé a provoqué l'ouverture
de la
procédure pénale dirigée contre lui, ou s'il en a entravé le cours; à
cet
égard, dans le cas ordinaire d'un prévenu capable de discernement,
seul un
comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en
relation
de causalité avec les frais imputés, peut être déterminant (ATF 116
Ia 162;
voir aussi ATF 119 Ia 332; 114 Ia 299; CourEDH Leutscher c. Pays-Bas
du 26
mars 1996, Rec. 1996 p. 427, ch. 29 et ss). Le juge doit se référer
aux
principes généraux de la responsabilité délictuelle (ATF 116 Ia 162
consid.
2c p. 169) et fonder son prononcé sur des faits incontestés ou déjà
clairement établis (ATF 112 Ia 371 consid. 2a in fine p. 374).

Les critères ainsi définis n'interdisent pas au juge de constater,
sans
violer la présomption d'innocence, que le comportement du prévenu
acquitté
constitue objectivement tout ou partie des éléments constitutifs de
l'infraction qui lui était reprochée, alors que toutes les conditions
de la
punissabilité ne sont pas remplies (ATF 116 Ia 162 consid. 2d/bb p.
173/174,
109 Ia 160 consid. 4b in fine p. 165). D'une façon générale, le juge
peut
prendre en considération toute règle juridique, appartenant au droit
fédéral
ou cantonal, public, privé ou pénal, écrit ou non écrit, pour
déterminer si
le comportement en cause est propre à justifier l'imputation des
frais ou le
refus d'une indemnité (ATF 116 Ia 162 consid. 2c p. 169 in medio).

1.2 Le Tribunal d'arrondissement a valablement constaté, sur la base
des
rapports d'expertise, que la comptabilité des trois entreprises
concernées
n'avait été tenue que de façon gravement lacunaire, et que cela
rendait
impossible d'élucider la justification de certaines des opérations
effectuées
par le prévenu. Un comportement illicite de ce dernier, contraire aux
art.
957 et ss CO, était ainsi établi. Conformément à la jurisprudence
précitée,
cela peut être retenu sans violation de la présomption d'innocence,
alors
même que la prescription de l'action pénale, pour les infractions
correspondantes réprimées par les art. 166 ou 325 CP, était échue.
Dans la
présente procédure, le recourant expose longuement qu'une partie des
documents comptables avaient disparu dans un incendie, et que ceux
restants
ont été plusieurs fois déplacés avant leur examen par l'expert
judiciaire;
or, ces circonstances ont été discutées dans le rapport
complémentaire, et
elles ne mettent pas sérieusement en doute que la comptabilité n'ait
été
tenue que de façon incomplète, ni que cette carence eût son origine
dans un
comportement négligeant du principal exploitant des trois
entreprises. Par
exemple, il a été constaté que pour l'année 1989, il n'a été établi
qu'une
seule comptabilité pour les deux sociétés.

On doit présumer que si l'Office des faillites avait pu prendre
connaissance
de livres de comptabilité complets et conformes aux usages
commerciaux, il
n'aurait eu aucun motif de soupçonner un comportement répréhensible
dans la
gestion de ces entreprises, et il n'aurait donc pas adressé de
dénonciation
au Juge d'instruction pénale. La violation de l'obligation de tenir
de tels
livres se trouve ainsi à l'origine de la poursuite pénale et, en
particulier,
des missions d'expertise qui étaient nécessaires, notamment, pour
suppléer
les lacunes de la comptabilité. Seule l'inculpation d'escroquerie,
provoquée
par des actionnaires déçus dans leur espoir d'un placement fructueux,
ne se
trouve peut-être pas en rapport de causalité avec cette violation,
mais, quoi
qu'il en soit, cette inculpation ne paraît pas avoir joué un rôle
suffisamment important, dans l'enquête, pour qu'il s'imposât d'opérer
une
réduction des frais mis à la charge du prévenu.

Celui-ci fait également valoir, à l'appui du recours de droit public,
qu'il
n'était pas seul responsable de la gestion des sociétés anonymes.
D'après le
cahier des charges adopté par le conseil d'administration, il lui
incombait,
notamment, d'établir le budget et le bilan de l'entreprise, et seul un
apprenti employé de commerce, également administrateur mais dépourvu
de toute
expérience, était chargé de diverses tâches en rapport avec la
comptabilité;
dans ces conditions, il est donc légitime d'attribuer à X.________ une
responsabilité prépondérante en ce qui concerne la tenue complète et
régulière des comptes. Pour le surplus, la responsabilité propre des
autres
administrateurs n'a pas été méconnue; au contraire, chacun d'eux a été
condamné à supporter 1/12 des frais d'enquête, de sorte que le
recourant
n'est pas seul chargé de ces frais.

L'imputation du montant de 23'000 fr., sur la base de l'art. 207 ch.
2 CPP
val., échappe ainsi aux griefs du recours.

2.
L'arrêt attaqué met à la charge du fisc les frais du jugement par le
Tribunal
d'arrondissement, à la différence de ceux de l'enquête conduite par
le Juge
d'instruction. Cette décision entraîne, pour l'Etat, l'obligation de
payer
aussi les dépens correspondants, au tarif ordinaire de l'avocat du
prévenu
(art. 210 ch. 1 CPP val.).

Ces dépens ont été taxés à 2'400 fr., alors que l'avocat avait déposé
un
décompte où il faisait état, sans autres précisions, de frais de
photocopies
par 840 fr., et d'honoraires par 8'000 fr.

Les dépens sont arrêtés globalement et comprennent, outre une
indemnité de
partie qui n'est pas revendiquée en l'espèce, les débours et les
honoraires
de l'avocat (art. 3 al. 1 et 3 de la loi fixant le tarif des frais et
dépens
devant les autorités judiciaires et administratives, ci-après LTar,
du 14 mai
1998). Les honoraires sont fixés entre le minimum et le maximum
prévus par la
loi, TVA comprise, d'après la nature et l'importance de la cause, ses
difficultés, l'ampleur du travail, le temps utilement consacré par
l'avocat
et la situation financière de la partie (art. 26 al. 1 et 3 LTar).
Dans des
circonstances particulières, les honoraires peuvent être taxés
au-dessus ou,
au contraire, au-dessous des limites légales (art. 28 al. 1 et 2
LTar). Les
honoraires sont
ainsi compris, en principe, entre 1'000 et 8'000 fr.
pour la
procédure devant le Tribunal d'arrondissement (art. 36 let. f LTar).
Ces
dispositions de la loi du 14 mai 1998 sont applicables aussi aux
procédures
pendantes lors de son entrée en vigueur (art. 47 al. 2 LTar).

L'avocat a dû préparer les débats sur la base d'un dossier
volumineux, qu'il
ne connaissait pas encore car le prévenu avait été assisté, au stade
de
l'enquête, par un autre défenseur. Les faits présentaient une
complexité
indéniable, bien qu'elle ne fût pas exceptionnelle. A l'issue de
débats qui
ont duré environ quatre heures, l'avocat a obtenu l'acquittement,
soit un
résultat très favorable, alors que le Ministère public persistait
dans les
griefs de l'acte d'accusation et réclamait une peine de quatorze mois
d'emprisonnement, avec sursis. Contrairement à l'opinion des juges
d'appel,
il ne se justifie pas de d'exclure de l'activité utilement consacrée
à la
cause les questions préliminaires soulevées à l'ouverture des débats,
alors
même qu'elles n'ont guère influencé la suite du procès.

Dans ces conditions, il apparaît invraisemblable que le montant de
2'400 fr.,
TVA et débours compris, puisse constituer une couverture adéquate des
frais
d'avocat que le recourant doit réellement supporter pour la procédure
devant
le Tribunal d'arrondissement; au contraire, ce plaideur est fondé à se
plaindre d'une sous-estimation manifeste de ces frais, constitutive
d'une
application arbitraire des dispositions légales précitées. Le recours
de
droit public doit donc être admis pour ce motif. Il convient de
relever,
toutefois, que le montant de 8'000 fr. articulé par l'avocat était,
lui,
manifestement exagéré.

3.
Compte tenu que le recourant succombe sur l'un des chefs de la
contestation
et obtient gain de cause sur l'autre, il se justifie de mettre à sa
charge un
émolument judiciaire réduit et de lui allouer des dépens, également
réduits,
à la charge du canton du Valais.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis et le jugement attaqué est annulé.

2.
Le recourant acquittera un émolument judiciaire de 2'000 fr.

3.
Le canton du Valais versera une indemnité de 1'000 fr. au recourant,
à titre
de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant,
au
Ministère public et au Tribunal cantonal du canton du Valais.

Lausanne, le 1er mars 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse:

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.543/2001
Date de la décision : 01/03/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-03-01;1p.543.2001 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award