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28/02/2002 | SUISSE | N°I.191/01

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 28 février 2002, I.191/01


«AZA 7»
I 191/01 Mh

IVe Chambre

Mme et MM. les juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et
Ferrari. Greffière : Mme Berset

Arrêt du 28 février 2002

dans la cause

A.________, recourant, représenté par Maître Jean-Luc
Colombini, avocat, rue Saint-Pierre 2, 1003 Lausanne,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud,
avenue Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé,

et

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

A.- A.________ a travaillé

en qualité de tricoteur au
service de la société X.________ SA, à B.________, du
3 avril 1978 au 4 septembre 1996. A cette date, i...

«AZA 7»
I 191/01 Mh

IVe Chambre

Mme et MM. les juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et
Ferrari. Greffière : Mme Berset

Arrêt du 28 février 2002

dans la cause

A.________, recourant, représenté par Maître Jean-Luc
Colombini, avocat, rue Saint-Pierre 2, 1003 Lausanne,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud,
avenue Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé,

et

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

A.- A.________ a travaillé en qualité de tricoteur au
service de la société X.________ SA, à B.________, du
3 avril 1978 au 4 septembre 1996. A cette date, il a cessé
d'exercer toute activité lucrative en raison de lombalgies.
Il a été liciencé avec effet au 31 octobre 1996.

Le 27 août 1997, il a sollicité l'octroi de mesures de
reclassement professionnel de l'assurance-invalidité, et
subsidiairement le versement d'une rente. Il a été examiné
par divers médecins. Après avoir confié une expertise au
docteur C.________, spécialiste en rhumatologie (rapport du
20 juin 1997), l'Office de l'assurance-invalidité du canton
de Vaud (Office AI) a rendu une décision, le 1er octobre
1998, par laquelle il a rejeté la demande de prestations,
motif pris que l'assuré ne présente pas d'atteinte à la
santé invalidante.

B.- Saisi d'un recours de A.________, le Tribunal
cantonal des assurances du canton de Vaud a, sur requête de
l'assuré, confié une expertise au docteur D.________,
spécialiste en psychiatrie et psychothérapie (rapport du
15 mars 2000).
Par jugement du 17 novembre 2000, il a rejeté le
recours de l'assuré.

C.- A.________ interjette recours de droit adminis-
tratif contre ce jugement, dont il requiert l'annulation,
en concluant, sous suite de frais et dépens, principale-
ment, à l'octroi d'une rente entière ou d'une demi-rente
d'invalidité. Subsidiairement, il sollicite le renvoi de la
cause à la cour cantonale pour instruction complémentaire
et nouveau jugement.
L'Office AI conclut au rejet du recours. De son côté,
l'Office fédéral des assurances sociales ne s'est pas
déterminé.

Considérant en droit :

1.- En procédure fédérale, le litige porte sur le
droit du recourant à une rente d'invalidité.

Le jugement cantonal du 17 novembre 2000 expose de
manière exacte et complète les dispositions légales et les
principes jurisprudentiels applicables en matière d'évalua-
tion de l'invalidité. Il suffit donc d'y renvoyer.

2.- En principe, le juge ne s'écarte pas sans motifs
impératifs des conclusions d'une expertise médicale judi-
ciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre
ses connaissances spéciales à la disposition de la justice
afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de
fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une
raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que
celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexper-
tise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de
manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécia-
listes émettent des opinions contraires aptes à mettre
sérieusement en doute la pertinence des déductions de
l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une inter-
prétation divergente des conclusions de ce dernier par le
juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la
forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 352 s.v.
consid. 3b/aa et les références; VSI 2000 p. 154 con-
sid. 2b).

3.- a) Dans un récent arrêt (cf. VSI 2000 p. 152), le
Tribunal fédéral des assurances a défini, en se fondant
principalement sur une étude de Mosimann (Somatoforme
Störungen : Gerichte und [psychiatrische] Gutachten, in
RSAS 1999, p. 1 ss et 105 ss), la tâche du médecin ou de
l'expert, lorsque celui-ci doit se prononcer sur le carac-
tère invalidant des troubles somatoformes douloureux. Selon
cette jurisprudence, l'expert doit, sur le plan psychiatri-
que, poser un diagnostic dans le cadre d'une classification
reconnue et se prononcer sur le degré de gravité de l'af-
fection. Il doit évaluer le caractère exigible de la re-

prise par l'assuré d'une activité lucrative. Ce pronostic
tiendra compte de divers critères, tels une structure de la
personnalité présentant des traits prémorbides, une comor-
bidité psychiatrique, des affections corporelles chroni-
ques, une perte d'intégration sociale, un éventuel profit
tiré de la maladie, le caractère chronique de celle-ci sans
rémission durable, une durée de plusieurs années de la
maladie avec des symptômes stables ou en évolution, l'échec
de traitements conformes aux règles de l'art. Le cumul des
critères précités fonde un pronostic défavorable. Enfin,
l'expert doit s'exprimer sur le cadre psycho-social de la
personne examinée. Au demeurant, la recommandation de refus
d'une rente doit également reposer sur différents critères.
Au nombre de ceux-ci figurent la divergence entre les
douleurs décrites et le comportement observé, l'allégation
d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent
vagues, l'absence de demande de soins, les grandes diver-
gences entre les informations fournies par le patient et
celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes
très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que
l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement
psycho-social intact (VSI 2000 p. 155 consid. 2c).

b) En ce qui concerne les facteurs psychosociaux ou
socioculturels et leur rôle en matière d'invalidité, le
Tribunal fédéral des assurances, dans un arrêt B. du 5 oc-
tobre 2001 (I 724/99, destiné à la publication), a précisé
sa jurisprudence relative aux atteintes à la santé psychi-
que. Dans chaque cas d'invalidité, il doit y avoir un
diagnostic médical pertinent d'après lequel, à dire de
spécialiste, la capacité de travail (et de gain) est dimi-
nuée de manière importante. Plus les facteurs psychosociaux
et socioculturels sont au premier plan dans l'anamnèse,
plus il est essentiel que le diagnostic médical précise
s'il y a atteinte à la santé psychique qui équivaut à une
maladie. Si le diagnostic médical retient une atteinte à la

santé psychique entraînant une diminution de la capacité de
travail (et de gain), les facteurs socioculturels sont
relégués à l'arrière-plan.

4.- Les premiers juges ont considéré que les troubles
psychiques diagnostiqués par le docteur D.________ dans son
rapport du 15 mars 2000 ne pouvaient être qualifiés
d'atteintes à la santé ayant valeur de maladie. Ils ont
retenu que le trouble douloureux, en particulier, n'était
pas associé à une comorbidité psychiatrique grave : les
atteintes présentées par l'assuré résultaient essentiel-
lement de sa personnalité narcissique, de son sentiment
d'infériorité et de ses difficultés d'adaptation et avaient
été favorisées par le licenciement, la situation familiale
et la personnalité de l'assuré.
Le recourant conteste cette appréciation et soutient
au contraire que le rapport de l'expert judiciaire a
entière valeur probante, de sorte qu'il présente une
incapacité de travail de 50 % dans une profession adaptée.

5.- a) Dans son rapport d'expertise du 5 mars 2000, le
docteur D.________ a posé son diagnostic au regard des
critères du Manuel diagnostique et statistique des troubles
mentaux DSM IV édité par l'Association des psychiatres
américains (American Psychiatric Association), qui pré-
conise l'évaluation multiaxiale. Dans ce système chacun des
cinq axes de base se rapporte à une classe d'information
différente (axe I : syndromes cliniques; axe II : troubles
du développement et de la personnalité; axe III : troubles
et affections physiques; axe IV : sévérité des facteurs de
stress psychosociaux; axe V : évaluation globale du fonc-
tionnement). Sauf indication expresse contraire, le diag-
nostic principal - soit celui qui correspond à l'affection
responsable au premier chef de l'évaluation - est celui de
l'axe I (et non celui de l'axe II).
En l'espèce, le docteur D.________ a diagnostiqué, sur
l'axe I, un trouble douloureux associé à la fois à des

facteurs psychologiques et à une affection médicale
d'intensité légère à moyenne chronique (307.89) et un
d'état dépressif majeur récurrent d'intensité légère
subclinique (296.30). Sur l'axe II, il a posé le diagnostic
de personnalité obsessionnelle (301.4) et évitante
(301.82), sur l'axe III, celui de lombosciatalgies et, sur
l'axe IV, celui de licenciement, conflit professionnel.
Tout en relevant que l'état dépressif subclinique ne
justifiait pas en soi une quelconque diminution de la
capacité de travail de l'assuré, l'expert a considéré que
les autres troubles diagnostiqués rendaient ce dernier
totalement incapable de travailler dans son ancienne
profession et a fixé à 50 % sa capacité de travail dans une
activité légère adaptée.
En conclusion, d'après l'expert, les troubles psychia-
triques de l'axe I associés à un trouble de la personnalité
sont responsables à raison de 50 % de la diminution de la
capacité de travail de l'assuré. Pour les autres 50 %, il y
a amplification des symptômes en raison de problèmes extra-
médicaux (âge, situation financière).
Il convient d'attacher entière force probante aux
conclusions de l'expertise judiciaire qui répondent en tous
points aux exigences de la jurisprudence (ATF 125 V 352
consid. 3a) et ne sont contredites par aucun élément du
dossier (ATF 125 V 352 sv. consid. 3b/aa).

b) Compte tenu du diagnostic et des conclusions du
docteur D.________, il y a lieu de retenir que le recourant
présente, à titre d'affection principale, des troubles
psychiques qui sont de nature à réduire sa capacité de
travail de 50 %, dans une profession adaptée. A cet égard,
il ressort en effet du rapport de l'expert judiciaire que
sont réalisés la plupart des divers critères cités plus
haut pour justifier le fait que la reprise d'une activité
lucrative complète n'est pas exigible de sa part. C'est
ainsi que le trouble de la personnalité de l'assuré repré-
sente probablement le facteur majeur de chronification des

troubles douloureux. L'assuré semble s'être focalisé sur sa
symptomatologie somatique, probablement en craignant un
échec dans la recherche d'un emploi ou même dans les possi-
bilités d'acquérir une nouvelle formation professionnelle,
compte tenu des limitations intellectuelles qui semblent
être avérées depuis longtemps. Par ailleurs, selon les
constatations mêmes de l'expert, la lecture attentive du
dossier et l'examen clinique ne permettent pas de retenir
une exagération grossière de ses symptômes ou une simula-
tion. L'expert a également précisé que les difficultés
psychiques n'étaient ni de nature socio-culturelle, ni de
nature ethnique ou familiale et que des problèmes extra-
médicaux, tels que l'âge et la situation financière de
l'assuré n'avaient pas été pris en considération dans
l'évaluation à 50 % de l'incapacité de travail du recou-
rant.
Ces constatations médicales sont suffisantes pour
qu'on puisse se convaincre, en accord avec les critères
dégagés par la jurisprudence citée au consid. 3, du
caractère invalidant du trouble douloureux associé au
trouble de la personnalité.

c) Dans ces circonstances, il y a lieu de retenir que
le recourant présente une incapacité de travail de 50 %
dans une activité adaptée telle que celle décrite par le
docteur D.________. En l'absence d'autres données
médicales, les premiers juges se sont à tort écartés du
rapport de l'expert judiciaire pour y substituer leur
propre appréciation.
Le jugement attaqué doit dès lors être annulé. La
cause sera renvoyée à l'office intimé pour qu'il détermine
quelles sont les activités exigibles de la part du recou-
rant, qu'il fixe son taux d'invalidité par comparaison des
revenus, qu'il détermine, le cas échéant, le montant de la
rente à laquelle il a droit et qu'il rende une nouvelle
décision.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e :

I. Le recours est admis. Le jugement du Tribunal des
assurances du canton de Vaud du 17 novembre 2000 et la
décision de l'Office de l'assurance-invalidité pour le
canton de Vaud du 1er octobre 1998 sont annulés.

II. La cause est renvoyée à l'office intimé pour instruc-
tion complémentaire au sens des considérants et
nouvelle décision.

III. Il n'est pas perçu de frais de justice.

IV. L'office intimé versera au recourant la somme de
2500 fr. à titre de dépens pour l'instance fédérale.

V. Le Tribunal des assurances du canton de Vaud statuera
sur les dépens pour la procédure de première instance,
au regard de l'issue du procès de dernière instance.

VI. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au
Tribunal des assurances du canton de Vaud et à
l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 28 février 2002

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
La Présidente de la IVe Chambre :

La Greffière :


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.191/01
Date de la décision : 28/02/2002
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-02-28;i.191.01 ?
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