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27/02/2002 | SUISSE | N°I.321/01

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 février 2002, I.321/01


«AZA 7»
I 321/01 Mh

Ière Chambre

MM. les juges Schön, Président, Borella, Rüedi,
Lustenberger et Frésard. Greffière : Mme Moser-Szeless

Arrêt du 27 février 2002

dans la cause

Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève,
boulevard du Pont-d'Arve 28, 1205 Genève, recourant,

contre

S.________, intimé, représenté par Maître Maurizio
Locciola, avocat, boulevard Helvétique 27, 1207 Genève,

et

Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI, Genèver>
A.- L'Office cantonal genevois de l'assurance-invali-
dité (ci-après : l'office AI) a, le 22 septembre 1998,
refusé d'allouer ...

«AZA 7»
I 321/01 Mh

Ière Chambre

MM. les juges Schön, Président, Borella, Rüedi,
Lustenberger et Frésard. Greffière : Mme Moser-Szeless

Arrêt du 27 février 2002

dans la cause

Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève,
boulevard du Pont-d'Arve 28, 1205 Genève, recourant,

contre

S.________, intimé, représenté par Maître Maurizio
Locciola, avocat, boulevard Helvétique 27, 1207 Genève,

et

Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI, Genève

A.- L'Office cantonal genevois de l'assurance-invali-
dité (ci-après : l'office AI) a, le 22 septembre 1998,
refusé d'allouer à S.________, ressortissant portugais
domicilié à Genève, les prestations qu'il demandait.
Saisie d'un recours du prénommé contre cette décision,
la Commission cantonale de recours en matière d'AVS-AI-APG
du canton de Genève (ci-après : la commission) l'a annulée
par jugement du 2 juillet 1999 et a renvoyé la cause à
l'office AI pour expertise médicale.

Dans le cadre de cette instruction complémentaire,
l'assuré a été examiné par les médecins du Centre d'obser-
vation médicale de l'assurance-invalidité de Bellinzone
(ci-après : COMAI). En date du 4 novembre 1999, le COMAI a
rendu son rapport, rédigé en italien et accompagné de trois
rapports psychiatrique, orthopédique et neurologique,
également en italien.
Le 14 février 2000, S.________ a requis de l'office AI
une traduction dudit rapport, ce qui lui a été refusé par
courrier du 31 mars 2000. En réponse, l'assuré a précisé
que le refus de traduire le document en question l'empê-
chait de faire valoir son droit d'être entendu, dans la
mesure où, ne comprenant pas l'italien, il ne lui était pas
possible de se déterminer.
Par décision du 8 mai 2000, l'office AI a derechef
rejeté la demande de prestations. Se fondant sur l'exper-
tise du COMAI, il a retenu que S.________ disposait d'une
capacité résiduelle de travail de 75 % dans sa profession
de maçon, ce qui entraînait, par comparaison avec le revenu
obtenu sans invalidité, une perte de gain de «l'ordre de
27 %», insuffisante pour ouvrir le droit à une rente.

B.- Se plaignant notamment d'une violation de son
droit d'être entendu, l'assuré a formé recours contre la
décision du 8 mai 2000 devant la commission. Statuant en la
voie incidente, la juridiction cantonale a, par décision du
23 avril 2001, imparti un délai à l'office AI «afin de
faire procéder à ses frais à la traduction de l'expertise
du COMAI en langue française».

C.- L'office AI interjette recours de droit adminis-
tratif contre cette décision dont il demande l'annulation,
en concluant à ce que la cause soit renvoyée à la commis-
sion pour jugement sur le fond.
S.________ conclut, avec suite de dépens, à la
confirmation de la décision attaquée; il sollicite le
bénéfice de l'assistance judiciaire.

L'Office fédéral des assurances sociales préavise pour
l'admission du recours.
Interpellées par le juge délégué, les parties ont
procédé à un second échange d'écritures et elles ont
chacune maintenu leurs conclusions.

Considérant en droit :

1.- a) La décision déférée au Tribunal fédéral des
assurances, par laquelle les premiers juges ordonnent au
recourant de faire traduire en français, à ses frais, le
rapport d'expertise établi par le COMAI en italien, ne
tranche pas définitivement une question de droit matériel.
Elle ne statue pas davantage sur les droits des parties,
mais porte sur un point de procédure, de sorte qu'il s'agit
d'une décision incidente. Le recours de droit administratif
n'est donc recevable - séparément d'avec le fond - que si
la décision attaquée, entre autres conditions, peut causer
un préjudice irréparable au recourant (art. 97 al. 1 et 128
OJ en corrélation avec les art. 5 al. 2 et 45 PA; ATF
126 V 246 consid. 2a et les références). S'agissant d'un
recours de droit administratif, la jurisprudence admet
cependant qu'il suffit que le recourant ait un intérêt
digne de protection à ce que la décision attaquée soit
immédiatement annulée ou modifiée (ATF 126 V 246 consid. 2a
et les références). Un intérêt de nature juridique n'est
pas exigé; un simple intérêt économique peut aussi être
digne de protection (ATF 125 II 620 consid. 2a, 120 Ib 100
consid. 1c).

b) Dans le cas particulier, l'exigence d'un intérêt
digne de protection est remplie, dans la mesure où le
recourant pourrait être amené à faire traduire le rapport
d'expertise médicale en question. Cela supposerait le

recours éventuel à un traducteur spécialisé dans le domaine
médical et serait donc susceptible d'occasionner des frais
assez importants, dès lors que ledit rapport comporte
quatorze pages et trois annexes, de deux à trois pages
chacune. La situation est à cet égard différente de celle
qui prévalait dans un arrêt non publié B. du 28 septembre
1988, I 239/88, où il s'agissait, pour la Caisse suisse de
compensation de produire une prise de position en allemand.
En tant qu'organisme trilingue, elle pouvait donner suite
sans difficulté à cette injonction, de sorte que l'exis-
tence d'un dommage irréparable avait été niée.

2.- a) Dans un arrêt rendu le 10 août 2001, publié aux
ATF 127 V 219, le Tribunal fédéral des assurances, se fon-
dant sur la garantie constitutionnelle de la non-discrimi-
nation du fait notamment de la langue (art. 8 al. 2 Cst.)
et la liberté de la langue (art. 18 Cst.), a jugé que, sauf
exception justifiée pour des raisons objectives, il y a
lieu en principe de donner suite à la demande d'un assuré
de désigner un Centre d'observation médicale où l'on
s'exprime dans l'une des langues officielles de la
Confédération qu'il maîtrise. A défaut, l'intéressé a le
droit non seulement d'être assisté par un interprète lors
des examens médicaux mais encore d'obtenir gratuitement une
traduction du rapport d'expertise du COMAI (ATF 127 V 226
consid. 2b/bb).

b) En l'espèce, le problème se présente différemment
dès lors que c'est la juridiction cantonale qui, dans sa
décision incidente, a ordonné au recourant de fournir une
traduction en français d'un rapport du COMAI. Il faut donc
se placer du point de vue des relations entre l'autorité
judiciaire et le justiciable; sous cet angle, la portée du
principe de la liberté de la langue est nuancée par les
principes constitutionnels de la langue officielle et de la
territorialité des langues (art. 70 al. 2 Cst.).

aa) D'après la jurisprudence rendue sous l'empire de
la Constitution de 1874, la liberté de la langue faisait
partie des libertés non écrites de la Constitution fédé-
rale. Elle garantit l'usage de la langue maternelle, ou
d'une autre langue proche, voire de toute langue de son
choix. Lorsque cette langue est en même temps une langue
nationale, son emploi était en outre protégé par l'art. 116
al. 1 aCst. Dans les rapports avec les autorités toutefois,
la liberté de la langue est limitée par le principe de la
langue officielle. En effet, sous réserve de dispositions
particulières (par exemple les art. 5 par. 2 et 6 par. 3
let. a CEDH), il n'existe en principe aucun droit à
communiquer avec les autorités dans une autre langue que la
langue officielle. Celle-ci est elle-même liée au principe
de la territorialité, au sens où elle correspond normale-
ment à la langue qui est parlée dans le territoire concer-
né. Ces principes ont été formalisés dans la Constitution
de 1999, notamment aux art. 18 et 70 (sur ces divers
points : ATF 127 V 225 consid. 3b/aa et les références
citées).

bb) Le principe de la territorialité des langues a
pour conséquence que les parties doivent s'adresser aux
autorités judiciaires cantonales dans la langue officielle
du canton (ATF 108 V 208; RDAT 1993 II no 78 p. 215; Marco
Borghi, Langues nationales et langues officielles, in :
Daniel Thürer/Jean-François Aubert/Jörg-Paul Müller [éd.],
Droit constitutionnel suisse, Zurich 2001, § 37 ch. 39; en
ce qui concerne la procédure administrative dans le domaine
de l'assurance-invalidité : Stéphane Blanc, La procédure
administrative en assurance-invalidité, thèse Fribourg,
1999, p. 125 sv.). Selon la jurisprudence, dans les rela-
tions avec ses autorités, les cantons peuvent imposer leur
langue officielle comme langue judiciaire et exiger la
traduction des actes de procédure rédigés dans une autre
langue, fût-elle l'une des langues officielles de la
Confédération (SJ 1998 p. 312 consid. 3 et les références).

Si dans le canton de Neuchâtel par exemple, la juris-
prudence cantonale considère que l'exigence du dépôt d'une
traduction littérale et rigoureuse en langue française ne
se justifie pas dans des cas simples (RJN 1991 p. 230), il
n'en va pas de même à Genève où tout document soumis au
juge doit être rédigé dans la langue officielle ou accom-
pagné d'une traduction dans cette langue; cette règle vaut
pour tous les écrits émanant directement du juge ou des
parties, ainsi que pour les pièces qu'elles produisent
(Bertossa/Gaillard/Guyet, Commentaire de la loi de
procédure civile genevoise, nos 2 et 3 ad art. 9;
Bauer/Lévy, L'exception de traduction de pièces, in: SJ
1982 p. 50; voir aussi l'art. 9 de la loi genevoise de
procédure civile du 10 avril 1987 [LPC/GE; RSGE E 3 05]).
Quoi qu'il en soit, l'importance de l'expertise ordon-
née par l'office AI comme moyen probatoire est telle que
l'assuré a dans tous les cas le droit d'en recevoir une
copie et d'exprimer son opinion sur la façon dont elle a
été conduite et sur les faits et conclusions établis (ATF
127 V 223 consid. 1b; Blanc, op. cit., p. 143). Il s'agit
d'une pièce essentielle du dossier, qui est de nature à
sceller le sort de la procédure. Il est donc parfaitement
admissible, au regard du principe de la territorialité, que
la juridiction cantonale en exige une traduction dans la
langue officielle du canton, en l'occurrence la langue
française (cf. art. 9 LPC/GE).

c) Quant aux arguments soulevés par le recourant, ils
n'apparaissent pas déterminants. Il en va ainsi de l'argu-
mentation selon laquelle l'avocat de l'intimé parlerait
parfaitement l'italien, ce que celui-ci conteste d'ail-
leurs. L'emploi de la langue officielle est un principe qui
est dans l'intérêt du plaideur tout autant que dans celui
du tribunal. Au demeurant, une partie n'abuse pas de son
droit si elle requiert la traduction des pièces rédigées

dans une langue qu'elle connaît parfaitement (arrêt du
Tribunal fédéral du 25 juin 1991 [5P.65/1991] en la cause
B.SA consid. 4a non publié dans la SJ 1991 p. 611, cité
dans la SJ 1998 p. 312 consid. 3). Cette jurisprudence
s'impose à plus forte raison quand c'est le mandataire qui
connaît ou est censé connaître la langue en question. On ne
saurait de surcroît exiger d'un avocat qu'il établisse à
l'intention de son client une traduction littérale d'un
rapport d'expertise médicale. D'autre part, le médecin
traitant ou un autre médecin consulté par l'assuré à son
lieu de domicile doit, au besoin, être en mesure de prendre
position sur le rapport d'expertise, afin que l'intéressé
soit à même d'exercer utilement ses droits.
Enfin, les considérations d'ordre pratique avancées
par le recourant, relatives à l'existence d'un seul COMAI
en Suisse romande et au nombre croissant des demandes
d'expertises pluridisciplinaires, ne justifient pas de
s'écarter du principe, indiscutable, selon lequel les
parties doivent s'adresser aux autorités dans la langue
officielle du canton.

d) Il suit de ce qui précède que le recours est mal
fondé. Dès lors, il appartiendra aux premiers juges
d'impartir au recourant un nouveau délai pour produire une
copie du rapport d'expertise du COMAI du 4 novembre 1999,
accompagnée d'une traduction française.

3.- S'agissant d'une décision incidente dans un litige
qui concerne, au fond, l'octroi ou le refus de prestations
d'assurance, la procédure est gratuite (art. 134 OJ). En
outre, l'intimé, qui obtient gain de cause, a droit à des
dépens (art. 135 OJ en corrélation avec l'art. 159 OJ). La
demande d'assistance judiciaire est dès lors sans objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e :

I. Le recours est rejeté.

II. Il n'est pas perçu de frais de justice.

III. L'office cantonal genevois de l'assurance-invalidité
versera à l'intimé la somme de 2500 fr. (y compris la
taxe sur la valeur ajoutée) à titre de dépens pour la
procédure fédérale.

IV. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à la
Commission cantonale de recours en matière d'assu-
rance-vieillesse, survivants et invalidité du canton
de Genève et à l'Office fédéral des assurances
sociales.

Lucerne, le 27 février 2002

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la Ière Chambre :

La Greffière :


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.321/01
Date de la décision : 27/02/2002
Cour des assurances sociales

Analyses

Art. 8 al. 2, art. 18 et 70 al. 2 Cst.: Traduction du rapport d'expertise d'un Centre d'observation médicale de l'assurance-invalidité (COMAI) dans la langue officielle du canton. Au regard du principe de la territorialité de la langue (art. 70 al. 2 Cst.), il est parfaitement admissible que la juridiction cantonale de recours exige de l'office AI une traduction d'un rapport d'expertise du COMAI (rédigé en l'occurrence en italien) dans la langue officielle du canton (le français).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-02-27;i.321.01 ?
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