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14/02/2002 | SUISSE | N°4C.106/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 14 février 2002, 4C.106/2001


«/2»

4C.106/2001

Ie C O U R C I V I L E
************************

14 février 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz
et Favre, juges. Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ S.A., défenderesse et recourante, représentée par
Me Dominique Brandt, avocat à Lausanne,

et

L.________, demandeur et intimé, représenté par Me Paul-
Arthur Treyvaud, avocat à Yverdon-les-Bains;

(contrat de t

ravail; résiliation immédiate)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- En 1993, L.________ ...

«/2»

4C.106/2001

Ie C O U R C I V I L E
************************

14 février 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz
et Favre, juges. Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ S.A., défenderesse et recourante, représentée par
Me Dominique Brandt, avocat à Lausanne,

et

L.________, demandeur et intimé, représenté par Me Paul-
Arthur Treyvaud, avocat à Yverdon-les-Bains;

(contrat de travail; résiliation immédiate)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- En 1993, L.________ a été engagé par la so-
ciété X.________ S.A. en qualité de "responsable du poste de
Directeur Gestion-Finance".

Le délai de congé prévu entre les parties était de
six mois. Dès le 1er janvier 1995, le salaire de L.________
s'est élevé à 174'000 fr. bruts par an.

En cours d'emploi, L.________ a été prié par son
employeur de faire enlever des ordinateurs se trouvant dans
l'entreprise les jeux livrés avec le programme standard. Il
a
donné l'ordre au responsable de l'informatique de la société
d'y procéder en avril 1996 environ.

Par lettre du 26 décembre 1997, X.________ S.A. a
signifié à L.________ qu'elle mettait fin à son contrat de
travail pour justes motifs et avec effet immédiat. A l'appui
de cette résiliation, elle reprochait à L.________ d'avoir
subtilisé des cadeaux de fin d'année adressés à des employés
et d'avoir passé des heures entières à effectuer des jeux de
cartes sur son ordinateur.

Il a été retenu que X.________ S.A. n'avait jamais
notifié préalablement d'avertissement à L.________.

Le 6 janvier 1998, celui-ci a contesté sa résilia-
tion avec effet immédiat.

B.- Par demande déposée le 3 avril 1998 devant la
Cour civile du Tribunal cantonal vaudois, L.________ a
requis

la condamnation de X.________ S.A. à lui verser la somme de
87'000 fr. plus intérêt à 5 % dès le 1er mars 1998.

Par jugement du 5 mai 2000, la Cour civile a décla-
ré que X.________ S.A. devait payer 87'000 fr. avec intérêt
à
5 % l'an dès le 1er mars 1998 à L.________, sous déduction
des charges sociales. Les juges ont relevé en substance que,
s'il résultait de l'administration des preuves que
L.________
avait vraisemblablement mis à plusieurs reprises des paquets
dans le coffre de sa voiture, il n'était pas établi qu'il
s'agissait de cadeaux qui ne lui étaient pas destinés. En
revanche, il a été admis que L.________ avait joué aux
cartes
sur son ordinateur pendant ses heures de travail. Tout en
relevant qu'un tel comportement n'était pas adéquat de la
part d'un directeur, la cour cantonale a considéré que ce
manquement n'était pas suffisamment grave pour justifier une
résiliation avec effet immédiat, sans avertissement préala-
ble.

C.- Contre le jugement du 5 mai 2000, X.________
S.A. (la défenderesse) a interjeté un recours en réforme au
Tribunal fédéral, en concluant au rejet des prétentions for-
mées par L.________ à son encontre, avec suite de dépens.

L.________ (le demandeur) propose, pour sa part, le
rejet du recours avec suite de frais et dépens.

Parallèlement à son recours au Tribunal fédéral,
X.________ S.A. a déposé un recours en nullité auprès de la
Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois, qui a été
rejeté par arrêt du 24 avril 2001.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le jugement entrepris revêt le caractère d'une
décision finale qui ne peut faire l'objet d'un recours ordi-
naire de droit cantonal, soit d'un recours ayant effet sus-
pensif et dévolutif (cf. ATF 120 II 93 consid. 1b p. 94 s.).
Par conséquent, la voie du recours en réforme au Tribunal fé-
déral est ouverte (art. 48 al. 1 OJ), parallèlement à celle
d'un éventuel recours extraordinaire de droit cantonal
(Messmer/Imboden, Die eigenössischen Rechtsmittel in Zivil-
sachen, Zurich 1992, no 64), qui a été en l'occurrence
déposé
par la défenderesse. Comme celui-ci a été rejeté par le tri-
bunal cantonal, il n'y a plus de raison de surseoir au pré-
sent arrêt (art. 57 al. 1 OJ).

2.- La défenderesse invoque en premier lieu une
violation de l'art. 8 CC.

Selon cette disposition, chaque partie doit, si la
loi ne prescrit le contraire, prouver les faits qu'elle allè-
gue pour en déduire son droit. Cette règle s'applique à
toute
prétention fondée sur le droit fédéral. Elle répartit le far-
deau de la preuve et détermine qui doit assumer les consé-
quences de l'échec de la preuve (ATF 127 III 519 consid. 2a
p. 522; 125 III 78 consid. 3b). L'art. 8 CC ne dicte cepen-
dant pas comment le juge doit former sa conviction (ATF 127
III 248 consid. 3a et les arrêts cités). Ainsi, lorsque l'ap-
préciation des preuves convainc le juge qu'une allégation de
fait a été prouvée ou réfutée, la question de la répartition
du fardeau de la preuve ne se pose plus et le grief de viola-
tion de l'art. 8 CC devient sans objet (ATF 122 III 219 con-
sid. 3c p. 223 s.; 119 II 114 consid. 4c p. 117; 118 II 142
consid. 3a p. 147). Seul le moyen tiré d'une appréciation ar-
bitraire des preuves, à invoquer impérativement dans un re-

cours de droit public, est alors recevable (cf. ATF 127 III
519 consid. 2a p. 522; 119 III 60 consid. 2c p. 63; 117 II
387 consid. 2e ).

La défenderesse semble perdre de vue ces principes.
Sous le couvert de l'art. 8 CC, elle reproche à la cour can-
tonale d'avoir retenu que, s'il était vraisemblable que le
demandeur avait mis à plusieurs reprises des paquets dans le
coffre de sa voiture, il n'était en revanche pas établi
qu'il
s'agissait de cadeaux qui ne lui étaient pas adressés person-
nellement. Ce faisant, elle s'en prend de manière caractéri-
sée à l'appréciation des preuves à laquelle se sont livrés
les juges cantonaux, ce qui n'est pas admissible dans le ca-
dre d'un recours en réforme.

En outre, s'agissant de justes motifs de licencie-
ment immédiat, l'employeur qui entend s'en prévaloir doit
démontrer leur existence (Rehbinder, Commentaire bernois,
art. 337 CO no 2 p. 123; Brunner/Bühler/Waeber, Commentaire
du contrat de travail, 2e éd. Lausanne 1996, art. 337 CO no
13). C'était donc bien à la défenderesse de rendre vraisem-
blable que le directeur s'était approprié des cadeaux qui ne
lui étaient pas destinés. En rappelant ce principe
concernant
la corbeille garnie emportée par le demandeur, la cour canto-
nale n'a fait qu'appliquer l'art. 8 CC, n'en déplaise à la
défenderesse.

Les critiques relatives à la violation de l'art. 8
CC sont donc tantôt sans objet, tantôt manifestement dépour-
vues de tout fondement.

3.- En second lieu, la défenderesse reproche à la
cour cantonale d'avoir méconnu l'art. 337 CO.

a) Selon l'art. 337 al. 1 1ère phrase CO, l'em-
ployeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le
contrat en tout temps pour de justes motifs. Doivent notam-
ment être considérées comme tels toutes les circonstances
qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas
d'exiger de celui qui a donné le congé la continuation des
rapports de travail (cf. art. 337 al. 2 CO). La
jurisprudence
a plusieurs fois rappelé que la résiliation pour justes mo-
tifs est une mesure exceptionnelle qui doit être admise de
manière restrictive (ATF 127 III 153 consid. 1a, 310 con-
sid. 3, 351 consid. 4a et les références citées). Les faits
invoqués à l'appui d'un renvoi immédiat doivent avoir entraî-
né la perte du rapport de confiance qui constitue le fonde-
ment du contrat de travail; seul un manquement particulière-
ment grave du travailleur justifie son licenciement
immédiat;
si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une
résiliation immédiate que s'il a été répété malgré un aver-
tissement; par manquement du travailleur on entend la viola-
tion d'une obligation découlant du contrat de travail (ATF
127 III 310 consid. 3, 351 consid. 4a p. 353 s. et les
arrêts
cités).

Le juge apprécie librement s'il existe de justes
motifs (art. 337 al. 3 CO). Il applique les règles du droit
et de l'équité (art. 4 CC). A cet effet, il prendra en consi-
dération tous les éléments du cas particulier, notamment la
position et la responsabilité du travailleur, le type et la
durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l'im-
portance des manquements (ATF 127 III 310 consid. 3, 351 con-
sid. 4a p. 354). Comme dans tous les cas où le juge statue
en
équité, le Tribunal fédéral revoit avec réserve la décision
prise en instance cantonale. Il intervient lorsque celle-ci
s'écarte sans raison des règles établies par la doctrine et
la jurisprudence en matière de libre appréciation, lorsqu'el-
le s'appuie sur des faits qui, dans le cas particulier, ne
devaient jouer aucun rôle, ou, à l'inverse, lorsqu'elle n'a

pas tenu compte d'éléments qui auraient absolument dû être
pris en considération; il sanctionnera en outre les
décisions
rendues en vertu d'un pouvoir d'appréciation lorsqu'elles
aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une ini-
quité choquante (ATF 127 III 153 consid. 1a p. 155, 310 con-
sid. 2, 351 consid. 4a in fine; 123 III 246 consid. 6a).

b) Avec raison, la défenderesse ne remet pas en
cause le refus de la cour cantonale de prendre en considéra-
tion, sous l'angle de l'art. 337 CO, les reproches faits au
demandeur s'agissant des cadeaux qu'il se serait appropriés.
En effet, les éléments retenus par la cour cantonale, d'une
manière qui lie le Tribunal fédéral en instance de réforme
(art. 63 al. 2 OJ), excluent le bien-fondé de ce motif de ré-
siliation immédiate.

En revanche, la défenderesse s'en prend à la posi-
tion de la cour cantonale concernant la seconde critique
qu'elle avait faite à son employé à l'appui de son licencie-
ment immédiat. A ce sujet, les juges ont considéré comme éta-
bli que le demandeur jouait aux cartes sur son ordinateur du-
rant les heures de travail, sans pouvoir déterminer combien
de temps il passait à cette activité. Le litige revient donc
à examiner si les juges ont abusé de leur pouvoir d'apprécia-
tion en considérant que ce comportement ne justifiait pas
une
résiliation immédiate, faute d'avertissement préalable.

c) En consacrant une partie de son temps de travail
à des activités récréatives au détriment de ses tâches pro-
fessionnelles, le demandeur a adopté un attitude contraire à
l'art. 321a al. 1 CO, qui commande au salarié de sauvegarder
fidèlement les intérêts légitimes de son employeur. On peut
également admettre qu'en laissant ou en réinstallant des
jeux
sur son propre ordinateur, alors que son employeur l'avait
prié de les faire enlever sur tous les postes de travail de

l'entreprise, celui-ci a également contrevenu à l'art. 321d
al. 2 CO, d'après lequel le travailleur doit observer, selon
les règles de la bonne foi, les directives générales et les
instructions particulières qui lui ont été données (obliga-
tion d'obéissance; ATF 127 III 153 consid. 2a). Il s'agit
typiquement de manquements de moindre gravité qui, en prin-
cipe, ne justifient un licenciement immédiat que s'ils sont
précédés d'un avertissement (cf. Rehbinder, op. cit., art.
337 CO no 2 p. 123).

A cet égard, la défenderesse soutient qu'il conve-
nait de se montrer particulièrement strict en raison de la
position hiérarchique élevée du demandeur dans la société et
du fait que le délai ordinaire de congé avait été fixé à six
mois par les parties.

Il est vrai que les justes motifs de résiliation
immédiate doivent être appréciés d'autant plus sévèrement
qu'ils émanent d'un employé dirigeant et non d'un
travailleur
subalterne (ATF 104 II 28 consid. 1 p. 30). Cet élément n'a
cependant pas échappé à la cour cantonale, qui en a fait men-
tion. La durée résiduelle du contrat de travail peut égale-
ment entrer en considération lors de l'examen des justes mo-
tifs (cf. lorsque celle-ci est courte: Rehbinder, op. cit.,
art. 337 CO no 2 p. 125; Streiff/von Kaenel, Leitfaden zum
Arbeitsvertragsrecht, 5e éd. Zurich 1992, art. 337 CO no 16;
Brunner/Bühler/Waeber, op. cit., art. 337 CO no 12). Cepen-
dant, le fait pour l'employeur de s'être lié durant une pé-
riode relativement longue, par un contrat de durée
déterminée
ou par un délai de congé dépassant la durée minimale légale
(cf. art. 335c al. 2 CO), ne lui permet pas de déroger au ca-
ractère exceptionnel de l'art. 337 CO, en se prévalant d'une
acception large du juste motif de résiliation immédiate pour
se libérer de ses obligations contractuelles. En tous les
cas, ni la fonction de directeur occupée par le demandeur,
ni
le délai ordinaire de congé de six mois, ne sont des circons-

tances qui, dans le cas d'espèce, seraient de nature à faire
apparaître les manquements retenus à la charge de cet
employé
comme si graves, qu'ils auraient justifié de mettre fin immé-
diatement au contrat sans avertissement préalable.

Or, il a été constaté, dans le jugement entrepris,
que le directeur n'avait reçu aucun avertissement avant que
son employeur ne lui signifie son congé. La défenderesse ten-
te en vain de suppléer à cette absence de mise en garde en
se
prévalant du fait qu'elle avait donné l'ordre au demandeur
de
faire enlever les jeux se trouvant sur tous les ordinateurs
de l'entreprise. Cette injonction, formulée plus d'un an
avant le licenciement, ne saurait en elle-même constituer un
avertissement au sens où l'entend la jurisprudence (cf. ATF
127 III 153 consid. 1b et c), pas plus qu'elle ne
permettrait
à l'employeur de s'en dispenser.

Dans ces circonstances, la cour cantonale, en n'ad-
mettant pas le licenciement immédiat pour juste motif faute

d'avertissement préalable, a fait une application correcte
de
l'art. 337 CO. Le recours doit ainsi être rejeté et le juge-
ment attaqué confirmé.

4.- Comme la valeur litigieuse, selon la préten-
tion du demandeur à l'ouverture de l'action (ATF 115 II 30
consid. 5b p. 41; 100 II 358 consid. a), dépasse 30'000 fr.,
la procédure n'est pas gratuite (art. 343 al. 2 et 3 CO; RO
2001 p. 1048 s.).

Les frais et dépens seront par conséquent mis à la
charge de la défenderesse, qui succombe (art. 156 al. 1 et
159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme le jugement at-
taqué;

2. Met un émolument judiciaire de 4'500 fr. à la
charge de la défenderesse;

3. Dit que la défenderesse versera au demandeur une
indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois.

__________

Lausanne, le 14 février 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.106/2001
Date de la décision : 14/02/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-02-14;4c.106.2001 ?
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