La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/02/2002 | SUISSE | N°4P.161/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 13 février 2002, 4P.161/2001


«/2»

4P.161/2001

Ie C O U R C I V I L E
************************

13 février 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz
et Favre, juges. Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________, B.________ et C.Z.________, représentés par Me
Hubert Theurillat, avocat à Porrentruy,

contre

l'arrêt rendu le 9 mai 2001 par la Cour civile du Tribunal
cantonal jurassien dans la cause qui oppose les recour

ants
à X.________ Assurances, représentée par Me Pierre Vallat,
avocat à Porrentruy;

(procédure civile; arbitraire
...

«/2»

4P.161/2001

Ie C O U R C I V I L E
************************

13 février 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz
et Favre, juges. Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________, B.________ et C.Z.________, représentés par Me
Hubert Theurillat, avocat à Porrentruy,

contre

l'arrêt rendu le 9 mai 2001 par la Cour civile du Tribunal
cantonal jurassien dans la cause qui oppose les recourants
à X.________ Assurances, représentée par Me Pierre Vallat,
avocat à Porrentruy;

(procédure civile; arbitraire
dans l'appréciation des preuves)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Originaire de Bosnie, M.Z.________ est née le
13 juin 1953. Elle a épousé A.Z.________, né le 1er mai 1948.

Le couple a eu deux enfants, B.________, née le 19
janvier 1977, et C.________, né le 14 juin 1980.

Pendant qu'ils résidaient à Sarajevo, tant
A.Z.________, physicien de formation, que M.Z.________, qui
avait obtenu un diplôme de juriste, travaillaient.

Fuyant la guerre en Bosnie, les Z.________ sont ve-
nus en Suisse le 4 octobre 1993, en tant que requérants
d'asile. Durant leur séjour en Suisse, ils n'ont jamais exer-
cé d'activité lucrative.

Le 19 août 1995, M.Z.________ a été renversée par
un scooter, alors qu'elle se déplaçait à pied dans la ville
où elle habitait. Elle est décédée le lendemain des suites
de
ses blessures. Le motocycliste, domicilié en France, a été
reconnu coupable entre autres d'homicide involontaire.

B.- Le 12 janvier 2000, A.________, B.________ et
C.Z.________ ont ouvert action en justice contre X.________
Assurances (ci-après: X.________), en tant que représentante
du Bureau national d'assurance. Ils ont conclu au paiement
de
1'632'794 fr. avec intérêt à 5 % dès le 19 août 1995, sous
déduction des acomptes versés par l'assurance et du montant
relatif à l'action récursoire des assurances sociales. Par
la
suite, ils ont précisé leurs conclusions, A.Z.________ requé-
rant 468'374 fr. pour perte de soutien et 941'304 fr. à
titre
de préjudice relatif à l'activité ménagère, avec intérêt à

5 % dès le prononcé du jugement, ainsi que 50'000 fr. pour
tort moral, avec intérêt à 5 % dès le 19 août 1995.
B.Z.________ a demandé le versement de 48'204 fr. à titre de
perte de soutien et de 40'000 pour tort moral, alors que son
frère a réclamé 54'912 fr. à titre de perte de soutien et
40'000 fr. pour tort moral, avec intérêt à 5 % dès le pronon-
cé du jugement pour la perte de soutien et dès le 19 août
1995 pour le tort moral.

Dans sa réponse, X.________ a reconnu devoir à
A.Z.________ 100'000 fr. à titre de perte de soutien pour
l'activité ménagère exercée par son épouse et 40'000 pour
tort moral, ainsi que 20'000 pour tort moral à chacun des
deux enfants, sous déduction des acomptes déjà versés et des
montants avancés par les services sociaux.

Par arrêt du 9 mai 2001, la Cour civile du Tribunal
cantonal jurassien a condamné X.________ à payer, à titre de
perte de soutien pour l'activité ménagère de la défunte,
129'443 fr. à A.Z.________, 23'023 fr. à B.Z.________ et
46'675 fr. à C.Z.________, soit 198'941 fr. (recte:
199'141 fr.) au total avec intérêt à 5 % dès le jour du juge-
ment, sous déduction d'un acompte de 60'000 fr. A titre de
tort moral, les juges ont octroyé 40'000 fr. à A.Z.________
et 30'000 fr. à chacun des deux enfants, avec intérêt à 5 %
dès le 19 août 1995. Les prétentions des demandeurs pour
perte de soutien financier ont été rejetées, la cour cantona-
le considérant d'une part qu'il ne pouvait être admis, au de-
gré de certitude requis, que la défunte aurait fourni dans
le
futur un soutien aux demandeurs et, d'autre part, que
A.Z.________ n'était pas parvenu à apporter la preuve qu'il
avait besoin d'être soutenu.

C.- Contre cet arrêt, A.________, B.________ et
C.Z.________. interjettent un recours de droit public au Tri-
bunal fédéral. Se plaignant d'arbitraire, ils concluent à
l'annulation du jugement attaqué.

X.________ propose de rejeter le recours, dans la
mesure de sa recevabilité. Dans ses observations, la cour
cantonale conclut pour sa part au rejet de celui-ci.

Parallèlement à leur recours de droit public,
A.Z.________ et ses deux enfants ont également déposé un re-
cours en réforme au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 9 mai
2001.

Par décision du 18 juillet 2001, la Cour de céans a
admis la requête d'assistance judiciaire déposée par
A.________, B.________ et C.Z.________; Me Hubert Theurillat
a été désigné comme avocat d'office des recourants.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Il n'y a pas lieu de déroger en l'espèce au
principe de l'art. 57 al. 5 OJ (cf. ATF 123 III 213 consid.
1; 122 I 81 consid. 1; 120 Ia 377 consid. 1). Il sera donc
tout d'abord statué sur le recours de droit public.

2.- a) Interjeté en temps utile (art. 32 al. 2 et
89 al. 1 OJ), le présent recours est en principe recevable
(cf. art. 84 ss OJ).

b) Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal
fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel in-
voqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (ATF
127 I 38 consid. 3c p. 43, III 279 consid. 1c p. 282 et les
arrêts cités). Il base son arrêt sur les faits constatés
dans

la décision attaquée, à moins que le recourant ne démontre
que la cour cantonale a retenu ou omis certaines circonstan-
ces déterminantes de manière arbitraire (ATF 118 Ia 20 con-
sid. 5a).

3.- Les recourants invoquent une violation des
art. 8 et 9 Cst., mais se plaignent exclusivement d'arbitrai-
re, sans faire référence à une quelconque inégalité de trai-
tement contraire à l'art. 8 Cst. Leur grief ne sera donc exa-
miné que sous l'angle de l'art. 9 Cst.

a) Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé
par l'art. 9 Cst., ne résulte pas du seul fait qu'une autre
solution que celle retenue par l'autorité cantonale pourrait
entrer en considération ou même qu'elle serait préférable;
le
Tribunal fédéral ne s'écarte de la décision attaquée que
lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle vio-
le gravement une norme ou un principe juridique clair et in-
discuté ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le
sentiment de la justice et de l'équité (ATF 127 I 60 consid.
5a p. 70; 126 III 438 consid. 3 p. 440). Pour qu'une
décision
soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que
la
motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la
décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 127 I
38 consid. 2a p. 41, 54 consid. 2b p. 56; 125 I 166 consid.
2a).

S'agissant plus précisément de l'appréciation des
preuves et des constatations de fait, il y a arbitraire lors-
que l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sé-
rieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision,
lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa por-
tée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments re-
cueillis, elle en tire des constatations insoutenables.

Il appartient au recourant d'établir la réalisation
de ces conditions en tentant de démontrer, par une argumenta-
tion précise, que la décision incriminée est insoutenable
(art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495;
110 Ia 1 consid. 2a).

Enfin, le recours de droit public n'étant pas un
appel, le Tribunal fédéral n'a pas à substituer sa propre ap-
préciation à celle de l'autorité cantonale; son rôle se limi-
te à examiner si le raisonnement adopté par celle-ci doit
être qualifié d'arbitraire.

b) Les recourants reprochent en premier lieu à la
cour cantonale d'avoir procédé à une appréciation insoute-
nable des preuves, en retenant qu'il ne pouvait être admis,
au degré de certitude requis, que la victime leur aurait
fourni un soutien si elle n'était pas décédée.

aa) Pour parvenir à cette conclusion, les juges ont
constaté que, lorsqu'ils résidaient à Sarajevo, les époux
Z.________ travaillaient, alors que, depuis leur arrivée en
Suisse, ils n'avaient jamais exercé d'activité lucrative.
Ils
ont souligné que le couple n'était en principe pas autorisé
à
travailler en Suisse, mais que la pratique adoptée par les
autorités jurassiennes permettait des dérogations. Tout en
retenant comme peu vraisemblable que la défunte ait pu exer-
cer un emploi lui permettant d'utiliser le diplôme de
juriste
obtenu à Sarajevo, la cour cantonale a souligné que les re-
courants n'avaient pas allégué que celle-ci aurait sollicité
une autorisation lui permettant d'exercer une autre
activité,
ni qu'ils auraient tenté de prouver qu'elle aurait cherché
du
travail. Enfin, il était hasardeux d'envisager ce qu'aurait
été la situation de la famille en cas de retour en Bosnie.

bb) Lorsqu'ils s'en prennent à ce raisonnement, les
recourants semblent perdre de vue qu'ils s'adressent à une

autorité de recours: sous réserve de quelques reproches pré-
cis, ils se contentent de discuter les faits comme en premiè-
re instance, en opposant leur propre appréciation à celle de
la cour cantonale, mais sans démontrer en quoi celle-ci se-
rait insoutenable. Une telle argumentation, typiquement ap-
pellatoire, n'est pas admissible dans un recours de droit pu-
blic (cf. supra let. a in fine). Seules les critiques émises
répondant aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ seront
donc examinées.

cc) Les recourants prétendent que l'appréciation de
la cour cantonale est en contradiction manifeste avec l'état
de fait tel qu'il ressort du dossier. Se fondant sur le
procès-verbal de l'audience du 7 novembre 2000 et sur une
communication du 27 février 1995 du Chef de Service des Arts
et Métiers et du Travail de la République et Canton du Jura,
ils affirment en substance et à plusieurs reprises que le
couple avait l'intention de travailler en Suisse et que la
défunte avait toujours cherché à s'intégrer et à trouver un
emploi. Plusieurs requêtes auraient ainsi été formulées en
ce
sens auprès des autorités, mais sans que le couple ait
obtenu
d'autorisation de travailler.

Il se trouve qu'en dépit de ce que soutiennent les
recourants, les pièces précitées ne vont pas à l'encontre de
l'appréciation de la cour cantonale. Ainsi, le procès-verbal
d'audience du 7 novembre 2000 n'apporte aucun élément supplé-
mentaire, dans la mesure où il ne fait que retranscrire les
propos de A.Z.________ selon lesquels son épouse et lui
avaient l'intention de travailler en Suisse, mais qu'ils en
ont été empêchés par leur statut. Quant à la communication
du
27 février 1995, son contenu atteste effectivement que les
réfugiés entrés en Suisse à partir du 1er janvier 1993
n'avaient alors pas l'autorisation de travailler. Toutefois,
les recourants se gardent bien d'indiquer que ce même docu-
ment mentionne également que, de cas en cas, l'autorité com-

pétente pouvait permettre à un requérant d'asile ne
répondant
pas aux conditions de prendre un emploi.

Quant aux démarches que la défunte aurait effec-
tuées en vue d'exercer une activité rémunérée dont se préva-
lent les recourants, ceux-ci se contentent d'affirmations,
sans mentionner de document ou de témoignage propres à en
démontrer la réalité et qui auraient été arbitrairement écar-
tés, ce que n'ont pas manqué de souligner tant l'intimée que
la cour cantonale dans leurs observations.

Dans ces circonstances, on ne voit manifestement
pas en quoi les juges auraient pu se mettre en contradiction
avec les pièces du dossier en relevant qu'il n'était pas éta-
bli que la défunte aurait sollicité une autorisation pour
exercer une activité ou qu'elle aurait cherché un emploi.

Par conséquent, il y a lieu de s'en tenir aux seuls
éléments de fait ressortant de l'arrêt entrepris (cf. supra
consid. 2b) pour déterminer si l'on peut reprocher à la cour
cantonale une appréciation arbitraire. Or, ceux-ci ne font
pas apparaître la conclusion de la cour cantonale, selon la-
quelle il ne pouvait être admis avec une certitude
suffisante
que la victime aurait fourni un soutien financier à sa famil-
le si elle n'était pas décédée, comme insoutenable, ce qui
suffit à exclure une violation de l'art. 9 Cst., même si une
autre appréciation eut été également concevable, voire même
préférable (cf. ATF 126 III 438 consid. 3 in fine et l'arrêt
cité).

c) En second lieu, les recourants invoquent l'arbi-
traire en relation avec le refus de la cour cantonale d'ad-
mettre que A.Z.________ aurait eu besoin d'un soutien finan-
cier.
La nécessité d'être soutenu suppose avant tout que
le ou la défunt(e) ait fourni, avec un certain degré de vrai-

semblance, une aide financière à la personne concernée. On
vient de voir que la cour cantonale l'a nié, sans tomber
dans
l'arbitraire. Savoir si, de surcroît, l'époux aurait ou non
eu besoin d'être soutenu n'est donc pas de nature à influen-
cer le résultat du jugement entrepris. Par conséquent, il
n'y
a pas lieu d'examiner si, sur ce point, les juges ont adopté
un raisonnement conforme à l'art. 9 Cst., puisque l'arbitrai-
re dans la motivation ne suffit pas à annuler une décision
(cf. supra let. a).

Dans ces circonstances, le recours de droit public
doit être rejeté.

4.- Compte tenu de l'issue du litige, il y a lieu
de mettre les frais judiciaires à la charge des recourants,
solidairement entre eux (art. 156 al. 1 et 7 OJ). Ceux-ci
ayant obtenu l'assistance judiciaire, les frais seront sup-
portés par la Caisse du Tribunal fédéral (art. 152 al. 1
OJ),
laquelle versera également des honoraires à l'avocat

d'office
des recourants (art. 152 al. 2 OJ), le tout sous réserve de
remboursement ultérieur (art. 152 al. 3 OJ).

Quant aux dépens de l'intimée, ils seront supportés
par les recourants, à titre solidaire (art. 152 al. 1 a con-
trario, 159 al. 1 et 5 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours;

2. Met un émolument judiciaire de 8'000 fr. à la
charge des recourants, solidairement entre eux. Celui-ci
sera
supporté par la Caisse du Tribunal fédéral;

3. Dit que les recourants, débiteurs solidaires,
verseront à l'intimée une indemnité de 10'000 fr. à titre de
dépens;

4. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera à
Me Hubert Theurillat une indemnité de 10'000 fr. à titre
d'honoraires d'avocat d'office;

5. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal
jurassien.
__________

Lausanne, le 13 février 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.161/2001
Date de la décision : 13/02/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-02-13;4p.161.2001 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award