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12/02/2002 | SUISSE | N°4C.130/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 février 2002, 4C.130/2001


«/2»

4C.130/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

12 février 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

C.________, défendeur et recourant, représenté par Me
Jean-Pierre Moser, avocat à Lausanne,

et

1. dame N.________, demanderesse et intimée,
2. J.________, demandeur et intimé,
3. T.________, demandeur et intimé,

tous tro

is représentés par Me Laurent Trivelli, avocat à
Lausanne;

(société anonyme; responsabilité des administrateurs; suren-
detteme...

«/2»

4C.130/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

12 février 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

C.________, défendeur et recourant, représenté par Me
Jean-Pierre Moser, avocat à Lausanne,

et

1. dame N.________, demanderesse et intimée,
2. J.________, demandeur et intimé,
3. T.________, demandeur et intimé,

tous trois représentés par Me Laurent Trivelli, avocat à
Lausanne;

(société anonyme; responsabilité des administrateurs; suren-
dettement)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 24 avril 1985, dame N.________ et
J.________, copropriétaires chacun pour moitié d'un bien-
fonds, ont conclu un contrat d'entreprise avec la société
X.________ S.A., qui s'occupait de la construction de villas
à ossature en bois.

Pour la réalisation de l'ouvrage, la société a fait
appel à T.________, en tant qu'entrepreneur sous-traitant.

La faillite de la société X.________ S.A. a été
prononcée le 12 janvier 1993.

Dame N.________ et J.________ ont produit dans la
faillite une créance de 86 603 fr. T.________ a produit de
son côté une créance de 31 673 fr.90. Ces productions ont
été
admises à l'état de collocation.

Par actes du 13 avril 1994, l'administration de la
faillite a autorisé dame N.________, J.________ et
T.________
à faire valoir, en lieu et place de la masse, les droits de
celle-ci contre les personnes chargées de l'administration,
de la gestion ou du contrôle de la société faillie.

La liquidation de la faillite, en la forme sommai-
re, s'est soldée par un découvert de 723 914 fr.20.

B.- Par demande déposée devant la Cour civile du
Tribunal cantonal vaudois le 22 décembre 1994, dame
N.________, J.________ et T.________, agissant solidairement
entre eux et en qualité de cessionnaires de la masse en fail-
lite de X.________ S.A., ont conclu au paiement par l'unique

administrateur de la société, C.________, de la somme de
200 000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 12 janvier 1993.

Il a été établi que les comptes annuels 1987 et
1988 ont été clos avec du retard, n'ont pas été révisés et
n'ont pas été soumis à l'approbation d'une assemblée généra-
le. Pour les exercices 1989 à 1992, l'administrateur n'a pas
fait dresser les comptes annuels avant l'ouverture de la
faillite.

Selon l'expertise judiciaire ordonnée en cours de
procédure, des comptes correctement établis auraient montré
que la société se trouvait déjà surendettée en 1987 et 1988,
mais il n'y a à ce stade aucun rapport de causalité avec le
dommage, parce que la société est dans l'intervalle revenue
à
meilleure fortune. En revanche, des comptes correctement éta-
blis (comprenant en particulier une provision pour les
procès
pendants) auraient montré, à la fin de l'exercice 1991, que
la société était surendettée de 166 642 fr. et que le bilan
devait être déposé. La cour cantonale a retenu qu'en
omettant
de le faire à ce moment-là, l'administrateur avait causé à
la
société un dommage équivalant au moins aux 200 000 fr. récla-
més par les demandeurs, étant rappelé que le découvert total
de la faillite s'est élevé à 723 914 fr.20.

En conséquence, la Cour civile, par jugement du 24
juillet 2000, a condamné C.________ à payer aux demandeurs,
solidairement entre eux, la somme de 200 000 fr. avec inté-
rêts à 5% l'an dès le 12 janvier 1993.

C.- C.________ recourt en réforme au Tribunal fédé-
ral contre le jugement précité. Invoquant une violation des
art. 8 CC, 670 et 725 CO, il conclut à la réforme de la déci-
sion attaquée en ce sens que les conclusions des demandeurs
sont rejetées.

Les intimés proposent le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Interjeté par la partie qui a succombé dans
ses conclusions libératoires et dirigé contre un jugement fi-
nal rendu en dernière instance cantonale par un tribunal su-
périeur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont
la valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. (art. 46
OJ), le recours en réforme est en principe recevable, puis-
qu'il a été formé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) dans les
formes requises (art. 55 OJ).

b) Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Il ne permet en
revanche
pas d'invoquer la violation directe d'un droit de rang cons-
titutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la violation du
droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts ci-
tés).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus
dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédé-
rales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu à rectification de constatations reposant sur une inad-
vertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille complé-
ter les constatations de l'autorité cantonale parce que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 ibidem). Dans
la
mesure où une partie recourante présente un état de fait qui
s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se
prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui
viennent
d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte
(ATF 127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de

griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de
moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le re-
cours n'est pas ouvert pour se plaindre de l'appréciation
des
preuves et des constatations de fait qui en découlent (ATF
126 III 189 consid. 2a; 125 III 78 consid. 3a).

Si le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent en prendre de
nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ), il n'est lié ni
par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par
ceux de la décision cantonale, de sorte qu'il peut apprécier
librement la qualification juridique des faits constatés
(art. 63 al. 3 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59
consid. 2a).

2.- a) Les actions et omissions à raison desquelles
les administrateurs sont recherchés en responsabilité sont
soumises à l'ancien droit de la société anonyme si elles
sont
intervenues avant le 1er juillet 1992 (ATF 122 III 488 con-
sid. 3a). Cette question est toutefois sans incidence concrè-
te, puisque - comme on le verra - les principes fondamentaux
applicables en l'espèce n'ont pas changé.

b) L'administrateur est tenu d'accomplir sa mission
avec diligence (art. 722 al. 1 aCO, art. 717 al. 1 CO). Il
doit établir ou faire établir les comptes annuels (art. 722
al. 3 aCO, art. 662 al. 1 CO). Il doit convoquer l'assemblée
générale dans les six mois qui suivent la clôture de l'exer-
cice, notamment pour lui soumettre les comptes (art. 699 al.
2 et 698 al. 2 ch. 3 aCO, art. 699 al. 2 et 698 al. 2 ch. 3
et 4 CO). Ce délai a d'abord été considéré comme impératif
(ATF 107 II 246 consid. 1), avant que la jurisprudence n'as-
souplisse sa position (arrêt non publié du 28 janvier 1993
dans la cause 4C.315/1992 consid. 4b, qui se réfère à Bürgi,
Commentaire zurichois, n. 36 ad art. 699 aCO). S'il se
révèle
que les dettes sociales ne sont plus couvertes, l'administra-

teur doit en principe en aviser le juge (art. 725 al. 2 et 3
aCO, art. 725 al. 2 CO). L'administrateur est responsable à
l'égard de la société du dommage qu'il lui cause en manquant
intentionnellement ou par négligence à ses devoirs (art. 754
al. 1 aCO, art. 754 al. 1 CO).

Les dispositions légales sur l'obligation de dres-
ser les comptes annuels et d'aviser le juge en cas de suren-
dettement sont conçues non seulement dans l'intérêt des ac-
tionnaires ou des créanciers, mais aussi dans l'intérêt de
la
société elle-même; en conséquence, leur violation cause un
dommage direct à la société, et seulement un dommage
indirect
aux créanciers (ATF 125 III 86 consid. 3b). Après la failli-
te, seule la masse en faillite peut agir contre l'administra-
teur pour réclamer réparation du dommage causé à la société;
un créancier ne peut agir que sur la base d'un mandat procé-
dural, c'est-à-dire en qualité de cessionnaire des droits de
la masse (art. 260 LP; art. 756 al. 2 aCO, art. 757 al. 2
CO;
ATF 122 III 166 consid. 3a, 195 consid. 9a, 488 consid. 3b).
Le cessionnaire peut alors réclamer réparation de tout le
dommage causé directement à la société et indirectement à
ses
créanciers (ATF 122 III 195 consid. 9a).

c) Selon l'état de fait contenu dans la décision
attaquée - qui lie le Tribunal fédéral saisi d'un recours en
réforme (art. 63 al. 2 OJ) -, l'administrateur n'a pas fait
établir les comptes annuels dans le semestre qui a suivi la
clôture de l'exercice et ceci pour tous les exercices de
1989
à 1992. Il a ainsi manqué à son devoir de dresser ou faire
dresser les comptes. On ne voit pas ce qui l'empêchait de
procéder correctement, de sorte que ces omissions lui sont
imputables à faute.

Si les comptes avaient été établis correctement et
en temps utile, il a été retenu qu'ils auraient révélé que
la
société était surendettée. Déterminer quelle est la
situation

financière d'une société à un moment donné relève des consta-
tations de fait qui lient le Tribunal fédéral. L'administra-
teur aurait été ainsi amené à aviser le juge, qui aurait pro-
noncé la faillite. La violation fautive du devoir de dresser
annuellement les comptes a donc induit une violation du de-
voir d'aviser le juge, violation qui procède de la même né-
gligence.

Lorsqu'une société est déficitaire, retarder le
prononcé de la faillite a généralement pour conséquence, se-
lon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie,
d'augmenter le découvert. La causalité adéquate entre la vio-
lation fautive du devoir et la survenance du dommage a donc
été admise sans violer le droit fédéral (sur la notion de
causalité adéquate: cf. ATF 123 III 110 consid. 3a et les ré-
férences; sur le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral: cf.
ATF 123 III 110 consid. 2; 116 II 519 consid. 4a).

La cour cantonale a retenu qu'en omettant fautive-
ment d'aviser le juge après la clôture de l'exercice 1991,
le
recourant avait causé à la société un préjudice d'au moins
200 000 fr. L'existence et la quotité du dommage relèvent
des
constatations de fait qui lient le Tribunal fédéral saisi
d'un recours en réforme (ATF 127 III 73 consid. 3c, 453 con-
sid. 5c; 126 III 388 consid. 8a). Il en va de même du
constat
de la causalité naturelle (ATF 127 III 453 consid. 5d; 123
III 110 consid. 2).

Comme les intimés agissent en tant que cessionnai-
res des droits de la masse et font ainsi valoir la créance
de
la société, on ne voit pas en quoi la condamnation à
paiement
du défendeur violerait le droit fédéral.

d) Le recourant reproche à la cour cantonale de
n'avoir pas correctement "reconstitu(é) l'état de fait dont

l'administrateur diligent devait tenir compte au moment de
provisionner des pertes éventuelles".

Déterminer l'état financier d'une société à un mo-
ment donné, savoir ce que le recourant connaissait à ce mo-
ment (cf. ATF 124 III 182 consid. 3) et dire quelles étaient
les données disponibles à cette époque pour saisir la situa-
tion sont des questions de fait, qui ne peuvent être réexami-
nées dans un recours en réforme (cf. Corboz, Le recours en
réforme au Tribunal fédéral in: SJ 2000 II p. 61 ss). L'ex-
pert judiciaire s'est efforcé de reconstituer la situation
et
s'est prononcé sur les provisions qui lui paraissaient néces-
saires pour les procès en cours, compte tenu des principes
généralement admis dans le commerce (cf. art. 959 CO).
Savoir
si l'expert est crédible est une pure question
d'appréciation
des preuves, qui - comme on l'a vu - n'est pas susceptible
d'un recours en réforme. Dès lors que la cour cantonale a
été
convaincue par les données fournies par l'expert, il ne sau-
rait être question d'une violation de l'art. 8 CC; en effet,
cette disposition ne régit pas sur quelles bases et comment
le juge peut parvenir à une conviction (ATF 127 III 248 con-
sid. 3a, 519 consid. 2a; 122 III 219 consid. 3c et les
arrêts
cités).

S'agissant du problème des provisions, le recourant
n'est pas parvenu à indiquer - comme l'exige l'art. 55 al. 1
let. c OJ - quelles sont les règles de droit fédéral violées
par la décision attaquée et en quoi consiste cette
violation.
Sa seule référence à l'art. 670 al. 2 aCO est insuffisante
pour constater une violation du droit fédéral, en l'absence
de tout point d'appui dans l'état de fait déterminant.

3.- Il suit de là que le recours doit être rejeté,
le jugement attaqué devant être confirmé. Les frais et
dépens
seront mis à la charge du recourant qui succombe (art. 156
al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme le jugement atta-
qué;

2. Met un émolument judiciaire de 6000 fr. à la
charge du recourant;

3. Dit que le recourant versera aux intimés, soli-
dairement entre eux, une indemnité de 6000 fr. à titre de dé-
pens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois.

__________

Lausanne, le 12 février 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.130/2001
Date de la décision : 12/02/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-02-12;4c.130.2001 ?
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