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07/02/2002 | SUISSE | N°1A.169/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 07 février 2002, 1A.169/2001


{T 0/2}
1A.169/2001/col

Arrêt du 7 février 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Reeb, Féraud,
greffier Kurz.

V.________, recourante, représentée par Me X.________, avocat à
Genève,

contre

Instance d'indemnisation LAVI du canton de Genève,
c/o Hospice général, cours de Rive 12, case postale 3360,
1211 Genève 3,
Tribunal administratif du canton de Genève, rue des Chaudronniers 3,
1204> Genève.

(art. 3 et 12 LAVI)

(recours de droit administratif contre l'arrêt rendu le 28 août 2001
par le
Tribunal a...

{T 0/2}
1A.169/2001/col

Arrêt du 7 février 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Reeb, Féraud,
greffier Kurz.

V.________, recourante, représentée par Me X.________, avocat à
Genève,

contre

Instance d'indemnisation LAVI du canton de Genève,
c/o Hospice général, cours de Rive 12, case postale 3360,
1211 Genève 3,
Tribunal administratif du canton de Genève, rue des Chaudronniers 3,
1204
Genève.

(art. 3 et 12 LAVI)

(recours de droit administratif contre l'arrêt rendu le 28 août 2001
par le
Tribunal administratif du canton de Genève)
Faits:

A.
Par arrêt du 12 novembre 1999, la Cour d'assises du canton de Genève a
condamné M.________ à quinze ans de réclusion et quinze ans
d'expulsion de
Suisse, pour l'assassinat de son épouse S.________, commis dans la
nuit du 5
au 6 juin 1998. Statuant sur les conclusions des parties civiles, la
Cour
d'assises a alloué les sommes suivantes, à la charge du condamné:
5000 fr.
d'indemnité pour tort moral et 5000 fr. de dépens à V.________, mère
de la
victime; les mêmes indemnités à H.________, soeur de la victime;
40'000 fr.
d'indemnité de tort moral à chacun des enfants du couple A.________ et
B.________, nés en 1993 et 1997, ainsi qu'une indemnité pour perte de
soutien
de 337'896 fr. et 367'992 fr. Cet arrêt est définitif.

B.
Le 2 juin 2000, V.________ a saisi l'Instance cantonale genevoise
d'indemnisation LAVI (ci-après: l'instance LAVI) d'une requête
tendant à
l'octroi de 17'556,80 fr. pour le dommage matériel (2'848,40 fr. de
frais de
pompes funèbres, 3'600 fr. de loyer pour l'appartement de sa fille,
4'000 fr.
correspondant à une formation de Wellness Trainer interrompue,
6'670,40 fr.
de frais d'installation des enfants chez elle et 438 fr. de frais de
garde de
A.________ immédiatement après le décès de sa mère), 50'000 fr. de
tort moral
et 69'645 fr. d'honoraires de son avocat. Dès le 18 août 1998, ses
petits-enfants avaient été placés chez elle, de sorte qu'elle avait
cessé son
activité professionnelle, renoncé à sa formation et effectué certains
travaux
d'aménagement de son domicile. Son avocat, était intervenu, dès le 29
juin
1998, à raison de 161 heures d'activité. L'assistance judiciaire
avait été
refusée par décision du 15 juillet 1998.
Le 6 juillet 2000, l'instance LAVI lui a accordé une provision de
5'000 fr.
Par ordonnance complémentaire du 29 novembre 2000, elle a alloué
15'000 fr.
de réparation morale, 3'286,40 fr. de frais de pompes funèbres et de
garde,
les autres frais n'étant pas considérés comme résultant directement de
l'infraction. Les frais d'avocat n'avaient pas à être intégralement
pris en
charge dès lors que les autres parties civiles (enfants et soeur de la
victime) étaient également représentées par des avocats. Les
honoraires
présentés étaient disproportionnés, la culpabilité de l'accusé ne
faisant
aucun doute; un montant de 2'000 fr., fixé ex aequo et bono, a été
alloué.

C.
Par arrêt du 28 août 2001, le Tribunal administratif genevois a
partiellement
admis le recours formé par V.________ contre cette décision. Les frais
d'installation des enfants chez leur grand-mère étaient directement
liés à
l'infraction. L'intervention de l'avocat était nécessaire, s'agissant
d'assister une partie civile en assises. Il paraissait toutefois
équitable de
calculer les frais d'avocat sur la base du tarif relatif à
l'assistance
judiciaire (125 fr. de l'heure pour un collaborateur, 150 fr. pour un
chef
d'étude et 65 fr. pour un stagiaire), soit 21'583 fr. au total. Le
montant du
dommage indemnisable (frais d'installation, de pompes funèbres, de
garde et
frais d'avocat) s'élevait au total à 31'540,30 fr. Appliquant la
formule
prévue à l'art. 3 al. 3 OAVI, compte tenu des revenus de la
requérante et de
son époux, le Tribunal administratif a fixé l'indemnité à 25'766,96
fr.
S'agissant du tort moral, le montant de 15'000 fr. correspondait à ce
qui
avait été alloué dans des cas analogues. Une indemnité de procédure
de 1'500
fr. a encore été allouée pour la procédure de recours, à la charge de
l'Etat
de Genève.

D.
V.________ forme un recours de droit administratif contre cet arrêt.
Elle
demande au Tribunal fédéral de l'annuler et, statuant à nouveau, de
condamner
le canton de Genève à lui verser 35'384,70 fr. pour ses honoraires
d'avocat,
1713,60 fr. de participation aux honoraires d'avocat pour la
procédure devant
l'instance LAVI et 50'000 fr. pour son tort moral, avec intérêts. Elle
demande la confirmation de l'arrêt pour le surplus, et une indemnité
de
dépens.

E.
La cour cantonale persiste dans les considérants et le dispositif de
son
arrêt. L'instance LAVI et l'Office fédéral de la justice (OFJ) ont
présenté
des observations, sans prendre de conclusions formelles.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La démarche de la recourante tend à l'obtention d'une indemnité, pour
son
dommage matériel et pour tort moral, fondée sur la LAVI, et il n'est
pas
contesté que cette loi est applicable. En particulier, la recourante
est
assimilée à la victime conformément à l'art. 2 al. 2 LAVI. Dirigé
contre une
décision (art. 5 PA) ne relevant pas des exceptions prévues aux art.
99 ss OJ
(ATF 122 II 315 consid. 1 p. 317, 121 II 116 consid. 1 p. 117) et
émanant de
l'autorité cantonale de recours prévue à l'art. 17 LAVI, le recours
de droit
administratif est recevable (ATF 125 II 169 consid. 1 p. 171 et les
arrêts
cités).

2.
La recourante se plaint d'une constatation inexacte des faits
pertinents, en
relation avec une violation des art. 3 al. 4 et 12 LAVI. Elle ne
conteste pas
l'application du tarif de l'assistance judiciaire pour le calcul de
ses frais
d'avocat indemnisables. Toutefois, la cour cantonale avait appliqué
le tarif
prévu pour les collaborateurs (125 fr. de l'heure), alors que son
mandataire
est associé depuis 1994 et devait être indemnisé à raison de 150 fr.
de
l'heure. Elle soutient également qu'étant seule victime au sens de la
LAVI,
il n'y avait pas lieu de prendre en compte le revenu de son époux
dans le
calcul de l'indemnité selon l'art. 3 al. 3 OAVI, et il convenait par
conséquent de l'indemniser pleinement, soit à hauteur de 35'384,70
fr. La
cour cantonale n'aurait d'ailleurs pas tenu compte du fait que
l'époux de la
recourante était au chômage dès le 1er août 2001 et ne percevait plus
que
1'712,45 fr. par mois.

2.1 L'art. 3 al. 3 LAVI dispose que les centres de consultation
fournissent
en tout temps une aide immédiate, au besoin pendant une période assez
longue.
L'art. 3 al. 4 LAVI prévoit que les prestations sont gratuites, les
centres
de consultation prenant en outre à leur charge d'autres frais,
notamment
d'avocat, "dans la mesure où la situation personnelle de la victime le
justifie". Selon la jurisprudence, la LAVI assume ainsi une fonction
subsidiaire à celle de l'assistance judiciaire. Lorsque cette
dernière est
octroyée à la victime, l'intervention étatique au sens de l'art. 3
al. 4 LAVI
ne se justifie plus. En revanche, lorsque la victime n'obtient pas
l'assistance judiciaire totale selon le droit cantonal, il appartient
au
centre de consultation d'examiner si sa situation personnelle
justifie le
remboursement des frais d'avocat. Le refus de l'assistance judiciaire
cantonale ne dispense donc pas d'examiner si les conditions posées
par la
LAVI sont réunies (ATF 121 II 209 consid. 3b p. 212).

2.2 En l'espèce, la recourante n'a pas requis la couverture de ses
frais
d'avocat à titre de prestation du centre de consultation (art. 3 al.
4 LAVI),
mais en tant que poste du dommage résultant de l'infraction (art. 11
ss
LAVI). La distinction entre les prestations allouées au titre de
l'art. 3
LAVI et l'indemnisation prévue aux art. 11 ss LAVI n'est pas aisée.
Cette
distinction a pourtant une incidence sur le canton débiteur de la
prestation,
et sur les facteurs de calcul (art. 13 LAVI), et la victime n'est en
principe
pas libre de choisir sur quelle base elle compte obtenir l'aide de
l'Etat.
Les prestations prévues à l'art. 3 LAVI ont pour but de diminuer les
conséquences de l'infraction, du point de vue psychique ou financier,
alors
que l'indemnisation se rapporte aux conséquences qui ne sont plus
susceptibles d'améliorations (cf. Gomm, Einzelfragen bei der
Ausrichtung von
Entschädigung und Genugtuung nach dem Opferhilfegesetz, Solothurner
Festgabe
zum Schweizerischen Juristentag 1998, p. 673-690, 675/676 et les
exemples
cités). L'intervention d'un avocat, afin de faire valoir des
prétentions
contre des tiers, peut être couverte au titre de l'aide immédiate ou
à plus
long terme, ou faire l'objet d'une avance sur l'indemnisation
prévisible,
selon la nature de l'intervention (op. cit. p. 676-677). Si, comme le
relève
la cour cantonale, les frais de défense de la victime, avant, pendant
ou
après le procès pénal, constituent des éléments du dommage résultant
de
l'infraction dans la mesure où la victime intervient dans la
procédure pénale
afin de sauvegarder ses prétentions (arrêt du 7 août 2000 dans la
cause D.,
SJ 2001 I 153, ATF 117 II 101 consid. 4 p. 106), ils sont
prioritairement
visés à l'art. 3 LAVI au titre de l'aide juridique (al. 2 let. a) et
peuvent
être pris à la charge des centres de consultation (al. 4).

2.3 L'indemnisation répond à des conditions différentes de la
couverture des
frais d'avocats au sens de l'art. 3 al. 4 LAVI. Cette dernière doit
être
justifiée par la « situation personnelle » de la victime, ce qui
implique un
besoin particulier, sur le vu notamment de la situation patrimoniale
de
l'intéressé et des chances de succès de ses démarches. En revanche,
l'indemnisation de la victime sur la base de l'art.11 al. 1 couvre en
principe l'intégralité du dommage qui résulte de l'infraction, pour
autant
que les conditions de revenu des art. 12 al. 1 et 13 soient réunies.
Dès lors
que la LAVI a prévu un mode de prise en charge des frais d'avocat à
son art.
3, lui-même déjà subsidiaire à l'assistance judiciaire cantonale, on
peut se
demander si la victime peut encore prétendre une indemnisation à ce
titre.
Dans ce cas, il ne serait guère conforme au système de la loi
d'accorder à la
victime le paiement de ses frais d'avocat sur la base de l'art. 12
LAVI,
alors que cela ne serait pas justifié par « sa situation personnelle
» au
sens de l'art. 3 al. 4 LAVI. Si la victime n'est pas certaine de
pouvoir
supporter le paiement de ses frais d'avocat, en particulier si
l'assistance
judiciaire lui est, comme en l'espèce, refusée, elle doit en principe
s'adresser immédiatement au centre de consultation, afin que cette
question
soit résolue d'emblée; cela lui permet d'éviter d'engager des frais
dont la
couverture n'est pas assurée. Par ailleurs, si les frais encourus
dans une
procédure pénale constituent un élément du dommage (ATF 101 consid. 3
p.
104), c'est dans la mesure seulement où ils ne sont pas compris dans
les
dépens, même tarifés, qui peuvent être alloués selon le droit
cantonal (arrêt
précité du 7 août 2000 dans la cause D., SJ 2001 I 153). On pourrait
se
demander si cette pratique est aussi applicable en matière
d'indemnisation
fondée sur la LAVI.
Ces questions peuvent en définitive demeurer indécises car, qu'elle
ait été
accordée à un titre ou à un autre, l'indemnité fixée par la cour
cantonale ne
viole pas le droit fédéral.

3.
Le système d'indemnisation instauré par la LAVI ne tend pas à assurer
à la
victime une réparation intégrale et inconditionnelle du dommage
qu'elle a
subi du fait de l'infraction. La création d'une limite de revenu
(art. 13 al.
1 LAVI et 3 OAVI) ainsi que d'un montant maximum de l'indemnité de
100'000
fr. (art. 13 al. 3 LAVI et 4 al. 1 OAVI) démontrent que
l'indemnisation
fondée sur cette loi n'a pas été voulue pleine et entière (ATF 125 II
169
consid. 2b/bb p. 173-174). Par ailleurs, même s'il existe des
différences
tenant à la nature juridique de l'indemnisation et à l'identité de son
débiteur, les principes dégagés en droit de la responsabilité civile
peuvent
trouver application (ATF 125 II 169 consid. 2b p. 173).

3.1 La cour cantonale a rappelé, dans sa décision, la jurisprudence
relative
à l'art. 3 al. 4 LAVI, en rapport avec l'assistance judiciaire. Elle a
toutefois indemnisé la recourante en application de l'art. 12 LAVI,
puisqu'elle a intégré les frais d'avocat dans le dommage indemnisable
à ce
titre, à côté des frais d'installation, de pompes funèbres et de
garde, et
leur a appliqué la formule prévue, à cet effet, à l'art. 3 al. 3
OAVI. On ne
comprend toutefois pas pourquoi, tout en estimant que l'assistance
d'un
avocat était « parfaitement justifiée et légitime », compte tenu du
traumatisme psychique que la recourante a subi et de la complexité de
la
procédure pénale, la cour cantonale a considéré qu'il était «
équitable » de
calculer les frais d'avocat en appliquant le tarif relatif à
l'indemnisation
du défenseur d'office. Cela peut paraître adéquat lorsqu'il s'agit de
la
prise en charge des frais d'avocat par le centre de consultation
(art. 3 al.
4 LAVI), car comme cela est rappelé ci-dessus, cette mesure peut
venir se
substituer à l'assistance judiciaire. S'agissant en revanche de
l'indemnisation du préjudice économique de la recourante, la note

d'honoraires représentait a priori le montant du dommage à prendre
intégralement en considération dans le calcul de l'indemnité, selon
l'art. 13
al. 1 LAVI.

3.2 La recourante ne critique toutefois pas le calcul de ses frais
d'avocat
sur la base du tarif de l'assistance judiciaire. Elle se borne à
relever que
son avocat n'est pas collaborateur, mais associé, de sorte que le
tarif
horaire devait être non pas de 125 fr., mais de 150 fr. Le dommage
relatif à
ses frais d'avocat serait de 25'427,90 fr. (soit 161,15 heures à 150
fr.,
19,35 heures d'avocat stagiaire à 65 fr. et 232 fr. de frais), et non
de
21'583,50 fr. En dépit de cette différence de montant, le résultat
auquel a
abouti la cour cantonale ne viole pas le droit fédéral. En effet,
parmi les
principes de droit civil qui peuvent être appliqués au calcul de
l'indemnité,
figure celui de la limitation du dommage (art. 44 al. 1 CO). Ce
principe est
partiellement repris à l'art. 13 al. 2 LAVI, qui prévoit la réduction
de
l'indemnité lorsque la victime a contribué, par un comportement
fautif, à
créer ou à aggraver le dommage. Par ailleurs, comme cela est relevé
ci-dessus, l'indemnisation des frais d'avocat ne devrait en tout cas
pas
permettre d'obtenir plus que ce qui aurait été alloué à la victime en
vertu
de l'art. 3 al. 4 LAVI, ce qui implique que l'on prenne en compte les
besoins
de celle-ci. L'instance d'indemnisation ne saurait par conséquent
indemniser
que l'activité strictement nécessaire à la défense des droits de la
victime,
à l'exclusion de toutes démarches inutiles ou superflues. S'agissant
de
l'assistance à une partie civile, le mandataire doit ainsi tenter de
maintenir son intervention dans un rapport raisonnable avec les
prétentions
que son client peut faire valoir.

3.3 Or il apparaît que, si l'intervention d'un mandataire
professionnel est
incontestablement légitime, s'agissant d'un procès en assises pour une
infraction grave, l'accusé contestant au surplus toute culpabilité,
l'activité du mandataire apparaît manifestement exagérée au regard du
but
poursuivi par l'intervention de la partie civile en procédure. Compte
tenu de
la présence des autres parties à la procédure, soit en particulier du
Procureur général et des enfants de la victime directe, assistés d'un
avocat,
on ne voit pas en quoi la présence systématique de l'avocat de la
recourante
à quelque 34 audiences d'instruction, ou devant la Chambre
d'accusation,
était nécessaire à la défense des droits de sa cliente, dont
l'intervention
tient en définitive principalement à l'allocation de ses conclusions
civiles.
S'étant vu refuser l'assistance judiciaire, et ayant renoncé à
demander
l'aide du centre de consultation, la recourante - et son avocat - ne
pouvaient pas ignorer que la prise en charge des frais de défense
était loin
d'être assurée. On pouvait donc attendre de l'avocat une intervention
plus
mesurée, limitée aux actes nécessaires à la défense de sa cliente. En
appliquant le tarif de l'assistance judiciaire, la cour cantonale a
ainsi
pratiqué une modération de fait des honoraires, qui n'est guère
critiquable
dans son résultat. Dès lors que les prétentions de la recourante
s'élevaient
à 50'000 fr. de tort moral et quelque 17'500 fr. pour son dommage
matériel,
les honoraires de son avocat, pour près de 70'000 fr., apparaissent
manifestement exagérés, et le montant de 21'583,50 fr. finalement
alloué
semble dans un rapport plus raisonnable avec, notamment, les
difficultés de
la cause et le résultat obtenu. Pour le surplus, dès lors que
l'application
du tarif de l'assistance judiciaire n'est pas déterminante,
l'argumentation
de la recourante, fondée sur la distinction entre la rémunération du
chef
d'étude et celle du collaborateur, tombe à faux. Le grief doit par
conséquent
être écarté.

4.
La recourante estime qu'étant seule requérante de l'indemnisation, il
n'y
avait pas lieu de tenir compte du revenu de son époux au sens de
l'art. 3
OAVI. Il ne serait pas juste que l'indemnité allouée à une victime
puisse
varier en fonction de la situation de son mari. Son propre revenu
annuel
étant d'environ 10'000 fr., c'est l'intégralité de son dommage qui
devrait
être couverte. Si le revenu du couple devait malgré tout être pris en
compte,
la cour cantonale aurait méconnu que dès le mois d'août 2001, son
époux
n'avait plus aucun revenu.

4.1 Selon l'art. 13 LAVI, l'indemnité est fixée en fonction du
montant du
dommage et des revenus de la victime. Le législateur a fixé, pour la
réparation du dommage matériel, une limite de revenu au-delà de
laquelle
aucune indemnité n'est versée; il a recouru pour cela à une limite
"connue et
éprouvée dans la pratique", soit le plafond fixé à l'art. 3b de la loi
fédérale sur les prestations complémentaires (LPC, RS 831.30; cf.
également
l'art. 2 OAVI, RO 1997 p. 2824). L'indemnité ne couvre intégralement
le
dommage que pour le cas où les revenus de la victime ne dépassent pas
la
limite supérieure fixée à l'art. 3b al. 1 let. a LPC (cf. art. 3 al.
1 OAVI);
dans les autres cas (revenus supérieurs à la limite LPC et inférieurs
au
plafond LAVI), la réparation n'est que partielle (art. 13 al. 1 LAVI,
art. 3
al. 3 OAVI); enfin, aucune indemnité n'est allouée lorsque les revenus
déterminants de la victime dépassent le quadruple du montant LPC
(plafond
LAVI, art. 3 al. 2 OAVI; ATF 125 II 169 consid. 2b/bb p. 173-174).
L'art. 2
OAVI prévoit que les revenus déterminants sont calculés selon l'art.
3c LPC.
Les art. 3b et 3c LPC sont fondés sur le principe d'une
différenciation entre
les personnes seules et les couples (art. 3b let. a ch. 1 et 2, 3c
al. 1 let.
a et c). Ce principe est expressément posé à l'art. 3a al. 4 LPC,
selon
lequel les dépenses reconnues et les revenus déterminants des
conjoints
doivent être additionnés (cf. également l'art. 1b OPC). Même si la
LAVI et
son ordonnance d'exécution ne renvoient pas expressément à cette
dernière
disposition, il apparaît évident que le législateur s'est inspiré du
système
dans son ensemble et il serait incohérent de ne pas additionner les
revenus
de personnes faisant ménage commun, partant du principe que
d'ordinaire, ce
sont les deux membres du couple qui supportent ensemble le dommage
(Gomm,
Stein, Zehntner, Kommentar zum OHG, Bern 1995, p. 181 n°7).

4.2 La recourante reproche au Tribunal administratif de ne pas avoir
tenu
compte de la situation financière réelle de son ménage au moment où
il a
statué, soit au mois d'août 2001. Lors de la comparution personnelle
du 13
juin 2001, elle avait annoncé un revenu de 10'328,40 fr. pour
elle-même et de
54'000 fr. pour son époux. Toutefois, le contrat de travail de ce
dernier
avait été résilié au 31 juillet 2001, ce que la recourante avait
communiqué
le 5 juillet 2001. Au moment où le Tribunal administratif a statué,
le revenu
de l'époux de la recourante était limité à 1'712,45 fr. d'allocation
de
chômage mensuelle. Il y aurait sur ce point constatation inexacte et
incomplète des faits, ainsi qu'un abus du pouvoir d'appréciation.

4.2.1 Selon l'art. 12 al. 1 in fine LAVI, les revenus déterminants
sont ceux
qu'aura probablement la victime après l'infraction. La notion de
revenu
probable comporte nécessairement une part d'incertitude, la loi ne
précisant
d'ailleurs pas à quel moment l'autorité d'indemnisation doit se
placer pour
estimer ce revenu. Sauf circonstances spéciales, c'est la situation
existant
au moment où elle statue qui est déterminante, l'autorité étant
tenue, selon
l'art. 16 al. 2 LAVI, d'apprécier les faits d'office. Le Tribunal
administratif était lui aussi tenu, en vertu du plein pouvoir
d'examen prévu
à l'art. 17 LAVI, de prendre en considération les explications de la
recourante, ainsi que d'éventuels changements intervenus entre-temps.
Il
ressort toutefois du dossier que la situation patrimoniale des époux
n'était
guère explicite. Le 13 juin 2001, la recourante a exposé que son mari
était
au chômage partiel, qu'il avait repris une activité à 70% mais avait
été
licencié au 30 juin 2001, voire au 31 juillet suivant, et qu'il
percevait
alors un gain mensuel net de 4'500 fr. par mois, indemnité de chômage
comprise. Le 5 juillet 2001, elle a transmis au Tribunal
administratif un
bordereau complémentaire comprenant notamment un décompte de la
caisse de
chômage vaudoise du 7 mai 2001. Ce document n'indique pas ce qui
pourrait
être perçu dès le 1er août 2001 par l'époux de la recourante. Selon
les
indications figurant dans le recours de droit administratif, celui-ci
se
serait installé en tant qu'indépendant dans l'import-export et le
courtage de
produits biologiques; il n'aurait réalisé aucun revenu depuis son
installation.

4.2.2 La notion de revenu probable ne se recoupe ni avec celle de
revenu
effectif, ni avec celle de « revenu qu'on peut raisonnablement
attendre » de
la victime (cf. l'art. 28 al. 2 de la loi sur l'assurance-invalidité
- LAI,
RS 831.20); l'autorité doit essayer de déterminer le revenu le plus
vraisemblable après l'infraction, sur la base des éléments dont elle
dispose.
En l'espèce, l'époux de la recourante était certes au chômage depuis
le 1er
août 2001, mais rien ne permet de penser - et la recourante n'avance
aucun
argument en faveur de cette thèse - que cet état soit destiné à
durer. Le
mari de la recourante a repris une activité lucrative et, même s'il
n'en tire
actuellement aucun revenu, on peut raisonnablement penser que cette
activité
pourra permettre de réaliser un gain proche de celui qu'il retirait
de son
activité précédente. Le montant du salaire perçu jusqu'au mois de
juillet
2001 constitue la seule indication utile, et on ne saurait par
conséquent
reprocher à la cour cantonale de s'y être tenue. Sur ce point
également, il
n'y a pas violation du droit fédéral.

5.
La recourante critique le montant qui lui a été alloué en réparation
du tort
moral. Elle évoque les exemples cités par Hutte/Ducksch (Die
Genugtuung, 3ème
éd. Zurich 1996), dans lesquels des sommes supérieures ont été
allouées:
25'000 fr. à la mère d'une fille de vingt ans tuée par son père,
30'000 fr. à
chacun des parents d'un fils tué par balle au cours d'une dispute,
35'000 fr.
à chacun des parents d'un enfant de treize ans tué après avoir été
victime
d'abus sexuels, 40'000 fr. à chaque parent d'un enfant de dix-sept ans
assassiné à coups de couteau, 50'000 fr. à chaque parent d'un fils de
vingt-six ans assassiné de plusieurs coups de feux et dépouillé de
ses biens.
Elle se réfère également à un précédent arrêt du Tribunal
administratif
confirmant l'allocation de 30'000 fr. à un enfant âgé de trois ans au
moment
de l'assassinat de son père. Sur le vu de ces exemples, rien ne
justifierait,
selon la recourante, le montant de 15'000 fr. qui lui a été alloué.

5.1 Selon l'art. 12 al. 2 LAVI, une somme peut être versée à la
victime à
titre de réparation morale, indépendamment de son revenu, lorsqu'elle
a subi
une atteinte grave et que des circonstances particulières le
justifient. En
prévoyant l'octroi d'une réparation morale à la victime, le
législateur est
allé sciemment au-delà des exigences de la Constitution (cf. ATF 121
II 369
consid. 2 p. 372). Il a considéré que cet aspect de l'indemnisation
participait de l'aide prévue à l'art. 64ter 1ère phrase Cst.
(actuellement
l'art. 124 Cst.), et pouvait donc être octroyée indépendamment de la
situation matérielle de la victime (FF 1990 II p. 916). Si la
définition de
l'art. 12 al. 2 LAVI correspond dans une large mesure aux critères
prévus aux
art. 47 et 49 CO (ATF 123 II 210 consid. 3b p. 214), les différences
quant au
débiteur de la réparation morale et quant à sa nature juridique
peuvent, là
aussi, conduire à des différences dans le système de la réparation
(ATF 121
II 369 consid. 3c/aa p. 373). Certes, pour des raisons pratiques
évoquées par
le Tribunal fédéral (ATF 123 II 210 consid. 3b/dd p. 216), on ne
saurait
perdre totalement de vue l'intérêt d'une certaine cohérence, à cet
égard,
entre le régime de la LAVI et celui du droit civil. C'est toutefois à
l'autorité d'indemnisation qu'il appartient, dans le cadre de son
large
pouvoir d'appréciation, de décider si, et dans quelle mesure les
"circonstances particulières" justifient l'application des critères
du droit
civil. En mettant en place le système d'indemnisation prévu par la
LAVI, par
l'usage d'une formulation potestative et le recours à une notion
juridique
indéterminée, le législateur avait comme intention de combler les
lacunes du
droit positif, afin d'éviter que la victime supporte seule son
dommage. En
définitive, le versement d'une indemnité LAVI pour tort moral se
rapproche
d'une allocation ex aequo et bono, et justifie que l'on tienne compte
de la
situation dans son ensemble. Le large pouvoir d'appréciation reconnu à
l'autorité d'indemnisation n'a comme principales limites que le
respect de
l'égalité de traitement et l'interdiction de l'arbitraire (ATF 125 II
169
consid 2b p. 173 ss; Gomm/Stein/Zehnter, op. cit. p. 184-185 n° 26).

5.2 Il y a lieu d'admettre que le montant qui a été alloué à la
recourante se
situe dans les « fourchettes » inférieures de la pratique relative à
l'indemnisation morale. L'OFJ indique que, dans le cadre de
l'indemnisation
des victimes de l'attentat de Louxor, une indemnité située entre
20'000 et
30'000 fr. a été allouée aux parents des victimes. Cela étant, la
recourante

perd de vue que, selon les principes rappelés ci-dessus,
l'indemnisation LAVI
découle d'un devoir d'assistance de l'Etat, et non d'une obligation
d'indemniser résultant de la responsabilité de celui-ci (ATF 125 II
554
consid. 2a p. 555/556, 123 II 425 consid. 4c p. 431). Cette aide est
donc non
seulement subsidiaire, mais aussi moins étendue que la réparation
fondée sur
le droit civil. Dans l'optique d'une compensation partielle, le
montant de
15'000 fr. alloué à la recourante ne procède pas d'un excès ou d'un
abus du
pouvoir d'appréciation. Dans un arrêt non publié du 17 janvier 2000
dans la
cause W. X., le Tribunal fédéral a confirmé une indemnité de 25'000
fr.
allouée pour tort moral à la mère de la victime, en retenant comme
facteur
d'augmentation, outre les circonstances du décès, les conséquences
psychologiques pour la requérante et le comportement odieux de
l'auteur - qui
n'avait pas été arrêté - après son acte, le fait que la victime était
enceinte. Cette dernière circonstance constitue une différence
importante
avec le cas d'espèce, comme l'est aussi le fait qu'en l'espèce, le
responsable ait été arrêté, puis condamné, ce qui procure déjà à la
victime
une certaine manière de satisfaction morale dont il y a lieu de tenir
compte.
L'arrêt attaqué doit être confirmé sur ce point également.

6.
La recourante reproche enfin au Tribunal administratif d'avoir annulé
l'indemnité de 7'000 fr. allouée par l'instance d'indemnisation,
laquelle
comprenait 1'713,60 fr. de participation aux honoraires d'avocat pour
la
procédure LAVI. Il aurait omis d'inclure cette somme dans le montant
de
25'766,96 fr. d'indemnité, sans motiver cette suppression. La
recourante
demande que cette somme soit ajoutée à son indemnité.

6.1 S'agissant des règles relatives à la procédure d'indemnisation,
la LAVI
ne fait que poser les principes de rapidité, de simplicité et de
gratuité.
L'autorité de recours unique instituée à l'art. 17 LAVI doit en outre
disposer d'un plein pouvoir d'examen. La loi fédérale ne prévoit en
revanche
pas d'indemnité pour la procédure d'indemnisation proprement dite, et
c'est
donc uniquement sur la base du droit cantonal de procédure que peut
être
allouée une telle indemnité. Le Tribunal administratif a d'ailleurs
indemnisé
la recourante pour la procédure de recours cantonale, sous la forme
d'une
allocation de dépens à la charge de l'Etat de Genève. Le grief
ressortit donc
bien plutôt au recours de droit public et il eût appartenu à la
recourante,
conformément à l'art. 90 al. 1 let. b OJ, d'indiquer quelle norme de
procédure cantonale imposait l'allocation d'une indemnité pour son
avocat
devant l'instance d'indemnisation. Dans son recours cantonal, la
recourante
concluait d'ailleurs à l'annulation de la décision précédente et à
l'allocation de diverses indemnités, sans demander la confirmation de
l'indemnité de procédure. Elle ne saurait par conséquent reprocher au
Tribunal administratif de s'en être tenu au cadre des conclusions
dont il
était saisi.

7.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit administratif doit
être
rejeté. Conformément à l'art. 16 al. 1 LAVI, il est renoncé à la
perception
de l'émolument judiciaire. Il n'est pas alloué de dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit administratif est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire, ni alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la
recourante, à
l'instance d'indemnisation LAVI et au Tribunal administratif du
canton de
Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice.

Lausanne, le 7 février 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.169/2001
Date de la décision : 07/02/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-02-07;1a.169.2001 ?
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