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01/02/2002 | SUISSE | N°4C.189/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 01 février 2002, 4C.189/2001


«/2»

4C.189/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

1er février 2002

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz,
Mme Klett, M. Favre, juges, et M. Pagan, juge suppléant.
Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________, demandeur et recourant, représenté par Me
Jean-Emmanuel Rossel, avocat à Morges,

et

Z.________ AG, défenderesse et intimée, représentée par Me
Michel Rossinelli, avocat à La

usanne;

(contrat de garantie; clause de prorogation de for)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s sui...

«/2»

4C.189/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

1er février 2002

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz,
Mme Klett, M. Favre, juges, et M. Pagan, juge suppléant.
Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________, demandeur et recourant, représenté par Me
Jean-Emmanuel Rossel, avocat à Morges,

et

Z.________ AG, défenderesse et intimée, représentée par Me
Michel Rossinelli, avocat à Lausanne;

(contrat de garantie; clause de prorogation de for)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 30 septembre 1996, Z.________ AG (ci-après:
la banque), établissement dont le siège principal est en
Allemagne, et X.________, ressortissant saoudien, ont signé
un contrat de garantie rédigé en langue anglaise, par lequel
ce dernier s'engageait à garantir tout crédit accordé par la
banque aux sociétés A.________ Ltd et B.________ Ltd, ayant
toutes deux leur siège aux Iles Vierges Britanniques; le mon-
tant de la garantie s'élevait à 4 000 000 US$, plus les in-
térêts et les frais.

L'art. 19 de ce contrat avait la teneur suivante
(traduction):

"La présente garantie est assujettie à la législa-
tion de Singapour et sera interprétée selon celle-
ci. Le(s) Garant(s) se soumet(tent) irrévocablement
à la juridiction non exclusive des Tribunaux de
Singapour, mais la présente Garantie peut être mise
en force devant tout tribunal ou juridiction compé-
tente".

Le 1er octobre 1996, la banque a accordé à
A.________ Ltd et B.________ Ltd un crédit de 4 000 000 US$.
Ces deux sociétés n'ayant pas respecté le plan de rembourse-
ment convenu avec la banque, celle-ci a dénoncé le prêt au
remboursement le 15 juin 1998. Le 6 août 1998, la banque a
fait notifier à X.________ un commandement de payer la somme
de 6'134'000 fr. plus intérêts, auquel le poursuivi a fait
opposition.

Le 17 février 1999, le Président du Tribunal du
district de Nyon a prononcé la mainlevée provisoire de l'op-
position.

Par arrêt du 28 octobre 1999, la Cour des poursui-
tes et faillites du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le re-
cours interjeté contre cette décision de mainlevée.

B.- Le 19 novembre 1999, X.________ a intenté ac-
tion en libération de dette devant le Tribunal civil du dis-
trict de Nyon.

Dans le délai de réponse qui lui était imparti,
Z.________ AG a déposé une requête incidente tendant à ce
que
le demandeur soit éconduit d'instance. Se prévalant de la
susdite clause du contrat de garantie, la banque a produit
un
avis de droit émanant du professeur Y.________, rattaché à
la
Faculté de droit de l'Université nationale de Singapour dont
il résultait ce qui suit:

- en application du droit international privé de
Singapour, l'interprétation d'un accord de prorogation de
for
se fait selon la loi applicable au contrat principal avec le-
quel il forme un tout;

- l'art. 19 du contrat de garantie oblige le ga-
rant, et non le prêteur, à ouvrir exclusivement action à Sin-
gapour;

- la banque n'a pas renoncé à son droit d'obliger
le garant à agir à Singapour;

- le garant peut intenter à Singapour une action
ordinaire qui a les mêmes effets que le jugement négatoire
de
droit suisse.

Le demandeur a conclu au rejet de cette requête in-
cidente.

Par jugement incident du 11 avril 2000, le Prési-
dent du Tribunal du district de Nyon a admis la requête inci-
dente en déclinatoire de la défenderesse et dit que le deman-
deur était éconduit d'instance.

Statuant sur le recours en réforme du demandeur par
arrêt du 29 novembre 2000, la Chambre des recours du
Tribunal
cantonal vaudois a confirmé le jugement incident du 11 avril
2000. En substance, l'autorité cantonale a considéré que
l'admissibilité de la clause de prorogation de for devait
être examinée à la lumière de l'art. 5 de la loi fédérale du
18 décembre 1987 sur le droit international privé (RS 291;
LDIP). Comme l'art. 83 al. 2 LP, qui prévoit le for de l'ac-
tion en libération de dette, est de droit dispositif, la
clause d'élection de for convenue doit être reconnue comme
valable au regard du droit suisse. De l'avis des juges can-
tonaux, la prorogation de for adoptée doit être soumise au
droit de Singapour, car il s'agit d'une clause d'un contrat
régi par ce même droit étranger. A propos du sens et de la
portée de l'art. 19 du contrat de garantie, ils se sont ral-
liés à l'interprétation du professeur Y.________, qui a con-
sidéré que cette norme instituait une élection de for exclu-
sive uniquement à l'égard du garant, ce qui n'était pas in-
compatible avec l'ordre public suisse (art. 17 LDIP). Enfin,
le fait que la banque ait entrepris une procédure de pour-
suite en Suisse n'emportait pas renonciation au droit de
contraindre le garant à respecter son obligation d'agir à
Singapour, d'autant que le demandeur aurait pu ouvrir en
temps utile action en libération de dette au for de Singa-
pour.

C.- X.________ exerce un recours en réforme au
Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal. Invoquant une vio-
lation de l'art. 5 LDIP, il requiert qu'il soit prononcé que
"la requête d'éconduction d'instance de la Z.________ AG est
rejetée".

L'intimée propose le rejet du recours et la confir-
mation de l'arrêt déféré.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Le Tribunal fédéral examine d'office et li-
brement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF
127 I 92 consid. 1; 127 II 198 consid. 2; 127 III 433
consid.
1).

b) Dans l'arrêt attaqué, rendu en dernière instance
cantonale, la cour cantonale a admis l'exception d'incompé-
tence (déclinatoire) invoquée par la défenderesse et a inva-
lidé l'instance introduite par le demandeur. Il n'importe
qu'une telle décision soit qualifiée de finale au sens de
l'art. 48 al. 1 OJ (cf. ATF 115 II 237 consid. 1b; Bernard
Corboz, Le recours en réforme au Tribunal fédéral in: SJ
2000
II p. 11) ou de décision incidente prise séparément du fond
comme l'entend l'art. 49 al. 1 OJ (cf. ATF 122 III 139 con-
sid. 1; Poudret, COJ II, n. 1.2 ad art. 49 OJ, p. 327 s.),
car le recours en réforme est ouvert dans les deux cas de fi-
gure. En effet, dès l'instant où le recourant prétend que
l'autorité cantonale a transgressé l'art. 5 LDIP, il invoque
la violation d'une prescription de droit fédéral sur la com-
pétence internationale au sens de l'art. 49 al. 1 OJ (ATF
126
III 327 consid. 1c p. 329; 123 III 414 consid. 2), de sorte
que son recours en réforme est recevable en vertu de cette
dernière disposition.

c) Interjeté par la partie qui n'a pas pu faire va-
loir ses conclusions tendant à la constatation de l'inexis-
tence ou de l'inexigibilité de la créance en poursuite lors
de la rédaction du commandement de payer dans le cadre d'une
contestation civile dont la valeur litigieuse dépasse très

largement 8000 fr. (art. 46 OJ), le recours en réforme est
donc en principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps
utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art.
55
OJ).

d) Si le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà
des conclusions des parties, il n'est lié ni par les motifs
qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par ceux de la dé-
cision cantonale, de sorte qu'il peut apprécier librement la
qualification juridique des faits constatés (art. 63 al. 3
OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).

2.- Le recourant fait valoir que l'intimée, qui a
agi par une poursuite et une mainlevée en Suisse, a
elle-même
choisi la compétence des tribunaux suisses. A en croire le
demandeur, la clause d'élection de for ancrée à l'art. 19 du
contrat de garantie, laquelle est régie par l'art. 5 LDIP,
devrait être interprétée selon le droit suisse, et non selon
le droit de Singapour. Cette clause, qui spécifie qu'elle
n'est pas exclusive, n'empêcherait pas les plaideurs d'agir
devant tous les tribunaux compétents; elle signifierait seu-
lement que les parties ne pourraient pas soulever le déclina-
toire si les tribunaux de Singapour étaient saisis. Or, la
défenderesse, qui avait la possibilité d'agir en garantie à
Singapour, a opté pour le dépôt d'une requête de mainlevée
en
Suisse, si bien qu'elle ne pourrait pas revenir sur son
choix
sans violer les règles de la bonne foi. Le recourant se réfè-
re encore à un arrêt de la Chambre des recours, qui a admis
que la procédure de mainlevée crée un for en Suisse pour
l'action en libération de dette, même si un for impératif
est
prévu à l'étranger par le droit conventionnel européen.
D'après le demandeur, à considérer ce précédent, il devrait
a
fortiori en être de même lorsqu'aucun for impératif n'entre
en considération, mais qu'une clause attributive de juridic-
tion non exclusive a été convenue.

3.- Il convient en premier lieu de se demander si
la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 concernant la
compétence judiciaire et l'exécution des décisions en
matière
civile et commerciale (RS 0.275.11; ci-après: Convention de
Lugano ou CL) est applicable en l'espèce. Les règles de com-
pétence de la Convention de Lugano l'emportent en effet sur
les règles de compétence nationale, et ainsi singulièrement
sur celles de la LDIP (art. 1 al. 2 LDIP; ATF 124 III 134
consid. 2b aa/bbb p. 139; 119 II 391 consid. 2 p. 392).

L'art. 17 al. 1 in initio CL, qui a trait à l'élec-
tion de for, s'applique si les parties, dont l'une au moins
a
son domicile sur le territoire d'un Etat contractant, sont
convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un Etat
contractant
pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion
d'un rapport de droit déterminé.

In casu, la Convention de Lugano est applicable au
regard du domicile dans le canton de Vaud du demandeur et du
siège principal en Allemagne de la défenderesse, puisque les
parties ont l'une et l'autre leur domicile dans un Etat si-
gnataire de la Convention (Yves Donzallaz, La Convention de
Lugano, vol. I, n. 1101, p. 419/420).

Toutefois, à teneur de l'art. 17 CL, encore faut-il
que le tribunal élu se trouve sur le territoire d'un Etat
contractant (ATF 125 III 108 consid. 3e; Andreas Bucher/
Andrea Bonomi, Droit international privé, Bâle 2001, n. 99,
p. 26; Hélène Gaudemet-Tallon, Les Conventions de Bruxelles
et de Lugano, 2e édition, n. 110, p. 80), car le traité ne
saurait déployer d'effets à l'endroit d'Etats qui n'en sont
pas signataires (art. 60 CL; Donzallaz, op. cit., vol. I, n.
704, p. 294).

Dans la mesure où les parties sont convenues de
porter leurs différends devant les tribunaux de Singapour,
cette condition n'est évidemment pas réalisée.

Il n'y a donc pas de règles de compétence à prendre
en considération sur la base de la Convention de Lugano.

4.- Il est de jurisprudence que le tribunal saisi
doit examiner selon son propre droit (lex fori) s'il doit dé-
cliner sa compétence en faveur d'un tribunal étranger (ATF
122 III 439 consid. 3a; 119 II 177 consid. 3d in fine; cf.
not. Paul Volken, in: IPRG Kommentar, n. 34 ad art. 5 LDIP;
Andreas Bucher, Droit international privé suisse, tome I/1,
Partie générale-Conflits de juridictions, n. 171, p. 65).

Partant, comme le demandeur a saisi le Tribunal
civil du district de Nyon, c'est selon le droit suisse qu'il
convient de contrôler si les plaideurs ont entendu d'une
quelconque manière déroger à la compétence de cette autorité
judiciaire au bénéfice des tribunaux de Singapour, solution
qui a été retenue par l'autorité cantonale.

5.- L'application de la Loi fédérale du 24 mars
2000 sur les fors en matière civile (RS 272; LFors), entrée
en vigueur le 1er janvier 2001, ne saurait entrer en ligne
de compte. Sans même examiner la question du droit inter-
temporel, il appert d'emblée que la loi en question, qui
régit la compétence à raison du lieu en matière civile, ne
s'applique pas lorsque le litige est de nature
internationale
(art. 1 al. 1 LFors a contrario). Or, la présente querelle a
manifestement un caractère international, puisqu'elle divise
un Saoudien domicilié en Suisse d'avec une banque ayant son
siège en Allemagne à propos de l'exécution d'un contrat sou-
mis au droit de Singapour.

La validité de la convention attributive de juri-
diction conclue entre les parties doit ainsi être vérifiée à
la lumière de l'art. 5 LDIP.

L'alinéa premier de cette disposition a la teneur
suivante:

"En matière patrimoniale, les parties peuvent con-
venir du tribunal appelé à trancher un différend né
ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit dé-
terminé. La convention peut être passée par écrit,
télégramme, télex, télécopieur ou tout autre moyen
de communication qui permet d'en établir la preuve
par un texte. Sauf stipulation contraire, l'élec-
tion de for est exclusive".

a) L'élection de for est sans effet chaque fois
qu'elle entre en conflit avec une disposition de la LDIP qui
retient une compétence impérative (Bucher/Bonomi, op. cit.,
n. 101, p. 26; Andreas Bucher, op. cit., n. 147, p. 57).

La LDIP ne consacre aucun for impératif en Suisse
pour l'action en libération de dette (cf. art. 1 al. 1 let.
a
LDIP et art. 30a LP). Au demeurant, à supposer que la compé-
tence pour connaître d'une telle action en matière interna-
tionale soit encore réglée par l'art. 83 al. 2 LP après l'en-
trée en vigueur de la LDIP - ce qui paraît douteux (cf.
Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite
pour dettes et la faillite, vol. 1, n. 86 ad art. 30a LP, p.
516 et la référence doctrinale) - le for indiqué par la
norme

susrappelée est de droit dispositif (ATF 87 III 23 consid. 2
p. 26/27 et les arrêts cités; Gilliéron, op. cit., vol. 1,
n.
90 ad art. 83 LP, p. 1312). Une prorogation de for, au sens
de l'art. 5 LDIP, est donc admissible en cette matière.

b) Il n'est pas douteux que l'élection de for liti-
gieuse, qui porte sur les prétentions découlant d'un contrat
où une obligation de garantie à concurrence de

4 000 000 US$ est stipulée, concerne une "matière patrimonia-
le" comme l'entend l'art. 5 LDIP.

c) La définition de la forme écrite figurant à
l'art. 5 al. 1 LDIP est une notion autonome de droit interna-
tional privé. Il en résulte notamment que la prorogation de
for n'a pas besoin d'être complétée par une signature, ni
d'être rédigée ou mise en évidence de manière particulière
(Bucher/Bonomi, op. cit., n. 102 ss, spéc. n. 104, p. 27;
François Knoepfler/Philippe Schweizer, Droit international
privé suisse, 2e éd., n. 613. p. 269).

La clause d'élection de for adoptée par les plai-
deurs, qui résulte de l'art. 19 du contrat de garantie du 30
septembre 1996, satisfait manifestement à cette exigence for-
melle.

d) Les différends futurs visés par la convention
attributive de juridiction doivent résulter concrètement
d'un
rapport de droit déterminé. Autrement dit, la portée de l'en-
gagement des parties doit être clairement circonscrite, afin
que celles-ci soient retenues de se lier d'une manière exces-
sive et imprévisible (arrêt du Tribunal fédéral du 28 juin
1994, consid. 2a, publié in: SJ 1995 p. 179; Bucher, op.
cit., n. 173, p. 65).

Dans le cas présent, la clause de prorogation de
for acceptée par les plaideurs régit tous les litiges qui
sont en relation avec le contrat de garantie conclu par les
intéressés. Son objet est ainsi suffisamment déterminé.

e) Le for prorogé doit pouvoir être identifié,
l'indication d'un lieu ou d'un arrondissement étant suffisan-
te à cet égard (cf. Bucher, op. cit., n. 175, p. 66).

En l'espèce, du moment que le for choisi est dési-
gné comme étant les "Tribunaux de Singapour", cela ne laisse
planer aucun doute sur le tribunal élu.

f) aa) L'art. 5 al. 1 in fine LDIP présume que le
tribunal désigné bénéficie d'une compétence exclusive. Les
parties peuvent toutefois convenir de diverses manières de
renoncer à l'exclusivité du for prorogé. Elles peuvent, par
exemple, décider conjointement que la prorogation n'exclut
pas la compétence des tribunaux désignés par les règles lé-
gales de conflit de juridictions Knoepfler/Schweizer, op.
cit., n. 614, p. 270; Paul Volken in: IPRG Kommentar, n. 27
ad art. 5 LDIP) ou réserver la prorogation de for à l'action
de l'une des parties contractantes (Bucher/Bonomi, op. cit.,
n. 117, p. 31).

Partant, il convient de déterminer le contenu maté-
riel de la convention attributive de juridiction adoptée in
casu par les parties.

bb) L'art. 5 LDIP ne prescrit pas quel droit maté-
riel doit gouverner l'interprétation de cette clause. Selon
certains auteurs, on peut s'inspirer par analogie des prin-
cipes énoncés à l'art. 178 al. 2 LDIP en matière d'arbitrage
international et appliquer, à choix, la loi du for, la loi
applicable au fond du rapport litigieux (lex causae) ou la
loi choisie pour la prorogation (Hans Reiser, Gerichtsstands-
vereinbarungen nach dem IPR-Gesetz, thèse Zurich 1989, p. 66
à 70; Knoepfler/Schweizer, op. cit., n. 613, p. 269; Markus
Hess, Commentaire bâlois, n. 77 à 79 ad art. 5 LDIP; Bernard
Dutoit, Commentaire de la loi fédérale du 18 décembre 1987,
3e éd., n. 2 ad art. 5 LDIP; contra Bucher, op. cit., n. 169
et 170, p. 64, qui opine, à tout le moins dans le domaine
contractuel, pour le droit applicable au litige visé par la
prorogation). Le Tribunal fédéral n'a pas tranché la ques-
tion; après avoir fait état de la controverse doctrinale, il

a admis que l'application de la loi du for du tribunal saisi
- en l'occurrence le droit suisse - ne pouvait pas être qua-
lifiée d'arbitraire (ATF 122 III 439 consid. 3b in fine).

Dans le cas présent, ce point souffre de rester
indécis. En effet, d'une part, les parties, qui ont certes
assujetti le contrat de garantie au droit de Singapour,
n'ont
pas précisé dans leur prorogation de for à quel droit elles
entendaient la soumettre. D'autre part, que l'on fasse appli-
cation du droit de Singapour (lex causae) pour interpréter
la
clause d'élection de for, ainsi que l'a admis l'autorité can-
tonale, ou que l'on interprète cette clause selon le droit
suisse, le résultat de l'interprétation, comme on le verra
ci-dessous, ne diffère pas.

cc) En droit suisse, lorsqu'il est confronté à un
litige sur l'interprétation d'une clause contractuelle, le
juge doit tout d'abord s'efforcer de déterminer la commune
et
réelle intention des parties, sans s'arrêter aux expressions
ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit
par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la con-
vention (art. 18 al. 1 CO; ATF 127 III 444 consid. 1b). Si
la
volonté réelle des parties ne peut pas être établie ou si el-
le est divergente, le juge doit interpréter les déclarations
faites selon la théorie de la confiance. Il doit donc recher-
cher comment une déclaration ou une attitude pouvait être
comprise de bonne foi en fonction de l'ensemble des circons-
tances (cf. ATF 127 III 444 consid. 1b; 126 III 59 consid.
5b, 375 consid. 2e/aa p. 380).

En l'occurrence, faute de constatations sur la vo-
lonté réelle des plaideurs, il y a lieu d'interpréter la
clause attributive de juridiction en vertu de la théorie de
la confiance.

A teneur de l'art. 19, 2e phrase in initio, du con-
trat du 30 septembre 1996, le garant, soit le recourant, dé-
clare se soumettre "irrévocablement à la juridiction non ex-
clusive des tribunaux de Singapour". Selon le sens ordinaire
des mots, irrévocablement signifie d'une manière définitive
(cf. Le Grand Robert de la langue française, tome V, p.
749).
De bonne foi, le demandeur devait donc comprendre qu'il ac-
ceptait définitivement, sans pouvoir revenir sur sa
décision,
la compétence des tribunaux de Singapour pour tout différend
afférent au contrat de garantie. La mention que la juridic-
tion des autorités judiciaires de Singapour était "non exclu-
sive" ne pouvait raisonnablement concerner que le bénéficiai-
re de la garantie, puisque seul celui-ci était à même de
"mettre en force" la garantie au sens de l'art. 19, 2e
phrase
in fine, c'est-à-dire d'y faire appel, devant n'importe quel-
le instance judiciaire compétente. En d'autres termes,
l'attribution de compétence convenue revêtait un caractère
unilatéral, en ce sens que le for prorogé n'était exclusif
que pour le demandeur, alors que le bénéficiaire de la garan-
tie - in casu la défenderesse - conservait la faculté de sai-
sir, en plus des tribunaux de Singapour, tout autre tribunal
compétent.

Il résulte de cette interprétation normative fondée
sur le droit suisse que les parties n'ont entendu déroger à
l'exclusivité présumée du for prorogé qu'au profit de l'inti-
mée. L'autorité cantonale est parvenue à la même solution en
faisant application du droit de Singapour.

g) L'art. 3 LDIP prévoit un for de nécessité en
Suisse lorsqu'il est impossible d'agir à l'étranger, parce
que, par exemple, l'Etat étranger, dont les tribunaux sont
compétents en vertu du droit international privé suisse pour
connaître de l'action qui entre en ligne de compte, ne con-
naît pas ce type d'action (cf. à propos de l'action en libé-

ration de dette, Gilliéron, op. cit., n. 86 ad art. 30a LP,
p. 516).

Sur ce point, l'autorité cantonale a retenu, en se
référant à l'avis de droit du professeur Y.________, que le
garant, soit le demandeur, aurait pu engager à Singapour une
action ordinaire qui avait les mêmes effets que l'action en
libération de dette du droit suisse. Le contrôle du droit
étranger est exclu en instance de réforme dans les contesta-
tions patrimoniales (art. 43a al. 2 OJ a contrario).
Partant,
il y a lieu d'admettre qu'aucun for de nécessité en Suisse
n'entre présentement en considération.

6.- Les deux arguments que fait valoir le recou-
rant pour battre en brèche le raisonnement développé ci-
dessus ne résistent pas à l'examen.

a) Le demandeur prétend que la défenderesse, qui a
agi par la voie de la mainlevée devant le Président du Tribu-
nal du district de Nyon, ne pourrait plus se prévaloir ulté-
rieurement, dans la même procédure, de l'incompétence du Tri-
bunal civil de ce district, à moins de violer les règles de
la bonne foi.

En matière patrimoniale, la passivité du défendeur
qui procède au fond sans faire de réserve peut être
assimilée
à une prorogation de for tacite (art. 6 LDIP).

En l'occurrence, il est établi que la défenderesse
a soulevé le déclinatoire dans le délai de réponse, avant
d'avoir procédé au fond sur l'action en libération de dette
déposée par le demandeur. Quoi qu'en pense le recourant, il
est sans importance que l'intimée, avant le dépôt de sa re-
quête incidente, ait requis devant un juge suisse l'annula-
tion de l'opposition formée par le demandeur au commandement
de payer qui lui avait été notifié. Comme seule importe la

volonté du défendeur de procéder au fond, l'acte que
celui-ci
peut accomplir avant qu'une action soit dirigée à son encon-
tre ne saurait valoir acceptation tacite d'un quelconque
for.
La jurisprudence que le Tribunal fédéral a rendue en ce sens
au sujet de la renonciation au for du domicile consacré par
l'art. 59 aCst. (cf. ATF 87 I 53 consid. 4 p. 58) est appli-
cable par analogie, à considérer la grande similitude des si-
tuations en présence.

Partant, l'intimée, en déposant une requête de
mainlevée provisoire de l'opposition le 18 septembre 1998
(art. 64 al. 2 OJ) devant le Président du tribunal de dis-
trict précité, n'a aucunement accepté la compétence du Tribu-
nal civil du district de Nyon devant lequel le recourant a
agi en libération de dette le 19 novembre 1999, soit
quatorze
mois plus tard. Dans ces conditions, c'est bien devant le ju-
ge étranger désigné par la prorogation de for convenue que
le
demandeur devait agir pour obliger l'intimée, en sa qualité
de créancière, à faire la preuve de son droit.

b) Le recourant fait grand cas d'un arrêt rendu par
la Chambre des recours le 15 mars 1995 (affaire I.________
c/
D.________). Ce précédent ne lui est pourtant d'aucun se-
cours. Il a trait en effet à un litige qui, contrairement à
la présente querelle, entrait dans le champ d'application de
la Convention de Lugano et qui, au demeurant, portait sur un
contrat de bail à loyer ne contenant aucune clause
d'élection
de for.

7.- En définitive, le recours doit être rejeté pu-
rement et simplement (et non dans la mesure de sa recevabili-
té), l'arrêt attaqué étant confirmé. Le dispositif envoyé
aux
conseils des parties le 7 février 2002 doit donc être
corrigé
sur ce point. Vu l'issue de la querelle, les frais et dépens
doivent être mis à la charge du recourant qui succombe (art.
156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 25 000 fr. à la
charge du recourant;

3. Dit que le recourant versera à l'intimée une in-
demnité de 25 000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre des recours du Tribunal
cantonal du canton de Vaud.

_________

Lausanne, le 1er février 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.189/2001
Date de la décision : 01/02/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-02-01;4c.189.2001 ?
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