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31/01/2002 | SUISSE | N°2P.218/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 31 janvier 2002, 2P.218/2001


{T 0/2} 2P.218/2001

Arrêt du 31 janvier 2002
IIe Cour de droit public

Les juges fédéraux Wurzburger, président,
Betschart, Hungerbühler, Müller, Merkli,
greffière Rochat.

Groupement X.________, composé de cinq consorts,
recourants, tous les cinq représentés par le Me Richard Calame,
avocat,
Trésor 9 (place des Halles), case postale 2232,
2000 Neuchâtel,

contre

Ville de La Chaux-de-Fonds, Tour Espacité, place Le Corbursier, case
postale,
2301 La Chaux-de-Fonds,
Tribunal administ

ratif du canton de Neuchâtel, case postale 3174, 2001
Neuchâtel 1.

adjudication d'un marché public

(recours ...

{T 0/2} 2P.218/2001

Arrêt du 31 janvier 2002
IIe Cour de droit public

Les juges fédéraux Wurzburger, président,
Betschart, Hungerbühler, Müller, Merkli,
greffière Rochat.

Groupement X.________, composé de cinq consorts,
recourants, tous les cinq représentés par le Me Richard Calame,
avocat,
Trésor 9 (place des Halles), case postale 2232,
2000 Neuchâtel,

contre

Ville de La Chaux-de-Fonds, Tour Espacité, place Le Corbursier, case
postale,
2301 La Chaux-de-Fonds,
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, case postale 3174, 2001
Neuchâtel 1.

adjudication d'un marché public

(recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif du
canton
de Neuchâtel du 9 juillet 2001)

Faits:

A.
Le 8 décembre 1997, le Conseil communal de la Ville de La
Chaux-de-Fonds a
adjugé au Groupement STEP 2300 le marché public concernant les travaux
d'assainissement et d'extension de sa station d'épuration des eaux
pour un
montant de 2'100'000 fr. Deux soumissionnaires évincés, soit le
Groupement
G2IR3 et le Groupement X.________, ont recouru auprès du Tribunal
administratif du canton de Neuchâtel qui, par arrêt du 20 février
1998, a
confirmé la décision de la Ville de La Chaux-de-Fonds. Seul le
Groupement
G2IR3 a ensuite formé un recours de droit public auprès du Tribunal
fédéral.

Par arrêt du 20 novembre 1998 (2P.108/1998, publié aux ATF 125 II 86
ss), le
Tribunal fédéral a admis le recours déposé par le Groupement G2IR3 et
a
constaté l'illicéité de l'arrêt attaqué, pour le motif que la
procédure
d'adjudica tion était entachée d'irrégularités.

B.
Le 7 septembre 1999, le Groupement X.________ a adressé au Conseil
communal
de la Ville de La Chaux-de-Fonds une demande d'indemnisation pour le
dommage
subi en raison de son éviction et a réclamé une somme de 73'711 fr.
correspondant aux dépenses et frais engagés en relation avec la
procédure
d'adjudication.

Le Conseil communal ayant contesté ces prétentions, le Groupement
X.________
a ouvert action devant le Tribunal administratif le 5 mai 2000, en
concluant
à ce que la Ville de La Chaux-de-Fonds soit condamnée à lui payer un
montant
de 77'011 fr. plus intérêt à 5% dès le 24 novembre 1999.

Par arrêt du 9 juillet 2001, le Tribunal administratif a déclaré la
demande
irrecevable. Il a retenu en bref que le soumissionnaire évincé ne
pouvait
élever des prétentions en dommages-intérêts que s'il avait lui-même
recouru
contre la décision d'adjudication et obtenu que son caractère
illicite soit
constaté, de sorte qu'il ne saurait se prévaloir de l'issue favorable
d'une
procédure menée par un concurrent.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, le Groupement
X.________
conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt du
Tribunal
administratif du 9 juillet 2001, pour violation de l'Accord
intercantonal sur
les marchés publics et arbitraire.

Le Tribunal administratif se réfère à son arrêt et conclut au rejet du
recours.

Le Conseil communal de la Ville de La Chaux-de-Fonds a déposé des
observations et conclut, avec suite de frais, au rejet du recours
dans la
mesure où il est recevable.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le présent recours est dirigé contre une décision finale de dernière
instance
cantonale, qui est fondée sur le droit cantonal (loi sur la
responsabilité)
et ne peut donc être attaquée que par la voie du recours de droit
public
(art. 86, 87 et 84 al. 2 OJ). Le recourant, qui est personnellement
touché
dans ses intérêts juridiquement protégés par le refus du Tribunal
administratif d'entrer en matière sur son action en responsabilité, a
en
outre qualité pour recourir au sens de l'art. 88 OJ. Il y a lieu dès
lors
d'entrer en matière sur le recours qui a été déposé en temps utile et
dans
les formes requises par l'art. 90 al. 1 OJ.

2.
2.1Le recourant se prévaut tout d'abord d'une violation de l'Accord
intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMPu; RS
172.056.4), entré en vigueur le 24 décembre 1996 pour le canton de
Neuchâtel.
Il soutient notamment que même si cet Accord ne contient pas de
disposition
expresse sur les prétentions que peut faire valoir un soumissionnaire
évincé
contre le pouvoir adjudicateur, l'obligation de réparer le préjudice
subi
découle de l'art. 18 al. 2 AIMPu, prévoyant la constatation du
caractère
illicite de la décision d'adjudication, lorsque le contrat est déjà
conclu et
que l'autorité juge le recours bien fondé. Or, en l'espèce, le
caractère
illicite de la décision d'adjudication du 8 décembre 1997 a
clairement été
constaté par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 20 novembre 1998
(ATF 125
II 86 ss). Le recourant estime dès lors que cette constatation
judiciaire
définitive est forcément valable à l'égard de tous les
soumissionnaires qui
ont reçu la décision d'adjudication et leur ouvre le droit à être
indemnisés.
Il en déduit que l'arrêt attaqué se méprend sur la portée du constat
d'illicéité de la décision d'adjudication et privilégie à tort le
caractère
définitif de cette décision à l'égard du Groupement X.________ qui
n'avait
pas recouru auprès du Tribunal fédéral contre l'arrêt du Tribunal
administratif du 20 février 1998.

2.2 Le Tribunal fédéral examine en principe librement
l'interprétation et
l'application des dispositions concordataires faites par les autorités
cantonales (ATF 115 Ia 212 consid. 2a; 112 Ia 75 consid. 1b; 109 Ia
335
consid. 5 p. 339 et les références citées). Cela vaut en particulier
pour ce
qui concerne les règles assurant la régularité de la procédure
d'adjudication
(ATF 125 II 86 consid. 6 p. 98). Il s'impose toutefois une certaine
retenue
lorsqu'il s'agit de tenir compte de circonstances locales ou de
trancher de
pures questions d'appréciation ou des problèmes techniques (ATF 121 I
279
consid. 3d p. 284; 119 Ia 378 consid. 6a p. 383), de sorte que son
pouvoir
d'examen est alors pratiquement limité à l'arbitraire (ATF 125 II 86
consid.
6 p. 98).

2.3 Contrairement à ce que prétend le recourant, l'Accord
intercantonal sur
les marchés publics ne contient aucune disposition sur l'obligation
de la
collectivité publique de réparer le dommage subi par le
soumissionnaire
évincé en cas de violation des règles de la procédure d'adjudication.
Il
présuppose cependant l'existence d'une réglementation pour dédommager
ce
dernier, dans la mesure où l'art. 18 al. 2 AIMPu permet de faire
constater le
caractère illicite de la décision d'adjudication (Evelyne Clerc,
L'ouverture
des marchés publics: Effectivité et protection juridique, Fribourg
1997 p.
588 et 604 ch. 3). Toutefois, le paragraphe 34 des Directives
d'exécution de
l'Accord intercantonal sur les marchés publics, édictées en 1995 par
les
représentants des cantons, a repris la règle contenue à l'art. XX ch.
7
lettre c de l'Accord sur les marchés publics conclu à Marrakech le 15
avril
1994 et entré en vigueur pour la Suisse le 1er janvier 1996 (AMP; RS
0.632.231.422). Il prévoit que l'adjudicateur, soit la collectivité
publique,
répond des dommages causés par une disposition qu'il a prise et dont
l'illégalité a été constatée par les instances de recours (al. 1).
Cette
responsabilité reste limitée à la réparation des dépenses engagées
par le
soumissionnaire en relation avec la procédure d'adjudication et de
recours
(al. 2; voir aussi Evelyne Clerc, op. cit. p. 613); pour le reste, le
droit
cantonal sur la responsabilité est applicable à l'adjudicateur (al.
3). Les
Directives précitées ne font cependant pas partie de l'Accord
intercantonal
sur les marchés publics; elles n'ont donc pas un caractère
contraignant et ne
valent qu'à titre de recommandations, tant qu'elles n'ont pas été
expressément reprises par le législateur cantonal (Peter Galli/Daniel
Lehmann/Peter Rechsteiner, Das öffentliche Beschaffungswesen in der
Schweiz,
Zurich 1996, n. 601). De même, la loi fédérale sur le marché
intérieur du 6
octobre 1995 (LMI; RS 943.02), dont l'art. 9 al. 3 permet de
constater que la
décision attaquée est contraire au droit fédéral pour faciliter une
éventuelle demande de dommages-intérêts (voir arrêt 2P. 274/1999 du 2
mars
2000, publié in SJ 2000 I p. 546, consid. 1c), ne contient pas de
réglementation propre sur la réparation du dommage. La Confédération
ne
dispose ainsi d'aucune compétence pour imposer aux cantons des
prescriptions
en la matière, de sorte que la responsabilité pour les dommages
résultant
d'une décision illicite est régie exclusivement par le droit cantonal
(voir
Message concernant la loi fédérale sur le marché intérieur du 23
novembre
1994, FF 1995 I p. 1255; Attilio Gadola, Rechtschutz und andere
Formen des
Überwachung der Vorschriften über das öffentliche Beschaffungswesen,
PJA
8/1996, n. 4.2.3. p. 977; Robert Wolf, Neues Submissionsrecht für
Kantone und
Gemeinden, PBG aktuell 1996, p. 17: Thomas Cottier/Manfred Wagner,
Das neue
Bundesgesetz über den Binnenmarkt (BGBM), PJA 12/1995 p. 1590; Karl
Weber,
Das neue Binnenmarktgesetz, RSDA 4/1996 p. 174).

2.4En l'espèce, il n'est pas contesté que la loi cantonale
neuchâteloise sur
les marchés public du 23 mars 1999 (LCMP) n'est pas applicable au
présent
litige qui est régi par l'ancien droit (voir art. 48 LCMP,
prescrivant que la
loi s'applique aux procédures pour lesquelles l'appel d'offres a été
effectué
après son entrée en vigueur, soit après le 1er octobre 1999). Dans ces
conditions, le recourant ne peut pas déduire un droit à
l'indemnisation de la
règle sur les dommages intérêts contenue à l'art. 46 LCMP, qui pose le
principe de la réparation du dommage causé par le pouvoir
adjudicateur en
prenant une décision jugée illicite (al. 1), mais limite sa
responsabilité
aux dépenses engagées par le recourant en relation avec la procédure
d'adjudication (al. 2); par conséquent, il ne saurait davantage se
prévaloir
du paragraphe 34 des Directives d'exécution de l'Accord intercantonal
sur les
marchés publics. Quant à l'art. XX ch. 7 lettre c AMP, il n'est pas
applicable aux marchés publics concernant une commune (ATF 125 II 86
consid.
1a p. 90 et les références citées; Galli/Lehmann/Rechsteiner, op.
cit. n. 6).
La protection du recourant ne peut dès lors découler que des règles
ordinaires sur la responsabilité de l'Etat, soit de la loi
neuchâteloise sur
la responsabilité des collectivités publiques et de leurs agents du
26 juin
1989 (en abrégé: la loi sur la responsabilité). Le recours doit ainsi
être
rejeté en tant qu'il porte sur une violation de l'Accord
intercantonal sur
les marchés publics.

3.
3.1L'art. 5 de la loi sur la responsabilité pose le principe de la
responsabilité de la collectivité publique pour le dommage causé sans
droit à
un tiers (al. 1). Il précise toutefois que cette responsabilité est
exclue
pour les dommages résultant de décisions ou de jugements ayant acquis
force
de chose jugée (al. 2) et que les décisions et jugements modifiés
après
recours n'entraînent la responsabilité de la collectivité publique
que s'ils
sont arbitraires (al. 3).

3.2 En l'espèce, le Tribunal administratif a estimé que le recourant
ne
saurait bénéficier des effets de l'arrêt du Tribunal fédéral du 20
novembre
1998, constatant le caractère illicite de la décision d'adjudication
de la
Ville de La Chaux-de-Fonds, alors qu'il avait lui-même renoncé à
recourir
contre l'arrêt du Tribunal administratif du 20 février 1998; cet arrêt
l'ayant débouté dans la procédure cantonale, il était entré en force
en ce
qui le concerne. De son côté, le recourant soutient qu'il suffit
qu'un seul
soumissionnaire évincé ait fait constater le caractère illicite de la
décision d'adjudication pour que les autres puissent se prévaloir de
cette
constatation; la juridiction cantonale aurait donc retenu
arbitrairement
qu'il s'agissait d'une décision entrée en force au sens de l'art. 5
al. 2 de
la loi sur la responsabilité.

3.3 Selon la jurisprudence, l'arbitraire prohibé par l'art. 9 Cst. ne
résulte
pas du seul fait qu'une autre solution que celle retenue par
l'autorité
cantonale pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait
préférable;
le Tribunal fédéral ne s'écarte de la décision de l'autorité
cantonale de
dernière instance que si elle apparaît insoutenable, en contradiction
manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs
ou en
violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que les
motifs de la
décision attaquée soient insoutenables, encore faut-il que celle-ci
soit
arbitraire dans son résultat (ATF 127 I 54 consid. 2b p.56; 125 I 166
consid.
2a p. 168; 125 II 129 consid. 5b p. 134).

3.4 Si l'opinion du recourant peut certes être soutenue du point de
vue
dogmatique, l'interprétation contraire du Tribunal administratif n'est
cependant pas arbitraire au sens de la jurisprudence précitée.
L'ensemble de
la doctrine considère en effet que la demande de dommages-intérêts
implique
d'abord que l'illicéité de la décision d'adjudication ait été
constatée avec
succès (Galli/Lehmann/Rechsteiner, op. cit. n. 558; Markus
Metz/Gerhard
Schmid, Rechtsgrundlagen des öffentlichen Beschaffungswesens, in ZBl
1998 p.
75/76; Wolf, op. cit. p. 16; Gadola, op. cit. p. 974); elle
sous-entend que
le demandeur a recouru lui-même pour obtenir la constatation de cette
illicéité. La voie de l'action en responsabilité
apparaît ainsi comme
subsidiaire par rapport à la voie du recours, ce qui signifie qu'il
n'y a pas
place pour une responsabilité de l'Etat en présence d'une décision
entrée en
force, non attaquée par un recours (Etienne Poltier, Les marchés
publics:
premières expériences vaudoises, RDAF 2000 I p. 327). D'une manière
générale,
le lésé perd donc son droit d'intenter une action en
dommages-intérêts s'il
ne fait pas d'abord usage de tous les moyens de droit à sa
disposition (Jost
Gross, Schweizerisches Staats- haftungsrecht, 2ème édition Berne
2001, n.
10.4 p.353/354). L'art. 12 de la loi fédérale du 14 mars 1958 sur la
responsabilité de la Confédération, des membres de ses autorités et
de ses
fonctionnaires (LRCF; RS 170.32) pose d'ailleurs la même règle que
l'art 5
al. 2 de la loi sur la responsabilité du canton de Neuchâtel (ATF 119
Ib 208
consid. 3c p. 212).

Il en résulte que le soumissionnaire évincé qui entend demander
réparation à
la collectivité publique pour le dommage que lui a causé une décision
d'adjudication ne peut pas se contenter d'attendre que l'un de ses
concurrents fasse constater le caractère illicite de cette décision
par
l'autorité de recours. Le Tribunal administratif pouvait dès lors
retenir
sans arbitraire que dans la mesure où le recourant n'avait pas
attaqué son
arrêt du 20 février 1998 confirmant la décision d'adjudication de la
collectivité intimée, il ne pouvait pas non plus ouvrir une action en
responsabilité.

4.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté, avec suite de
frais à
la charge solidaire des membres du Groupement X.________ (art. 156
al. 1 et 7
OJ). La collectivité publique intimée ayant procédé sans l'aide d'un
mandataire professionnel, il n'y a pas lieu de lui allouer une
indemnité à
titre de dépens (art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à la charge des membres
du
Groupement X.________, solidairement entre eux.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des
recourants, à la
Ville de La Chaux-de-Fonds et au Tribunal administratif du canton de
Neuchâtel.

Lausanne, le 31 janvier 2002

ROC/elo
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2P.218/2001
Date de la décision : 31/01/2002
2e cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-01-31;2p.218.2001 ?
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