La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/01/2002 | SUISSE | N°1P.730/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 31 janvier 2002, 1P.730/2001


{T 0/2}
1P.730/2001/col

Arrêt du 31 janvier 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Catenazzi, Fonjallaz,
greffier Parmelin.

X.________, recourant, représenté par Me Marc Lironi, avocat,
boulevard
Georges-Favon 19, case postale 5121, 1211 Genève 11,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève, Isabelle Cuendet, place du
Bourg-de-Four 1, case postale 3344, 1211 Genève 3,
Collège des juges d'instr

uction du canton de Genève, place du
Bourg-de-Four
1, case postale 3344, 1211 Genève 3.

art. 9 et 29 al. 2 Cst....

{T 0/2}
1P.730/2001/col

Arrêt du 31 janvier 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Catenazzi, Fonjallaz,
greffier Parmelin.

X.________, recourant, représenté par Me Marc Lironi, avocat,
boulevard
Georges-Favon 19, case postale 5121, 1211 Genève 11,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève, Isabelle Cuendet, place du
Bourg-de-Four 1, case postale 3344, 1211 Genève 3,
Collège des juges d'instruction du canton de Genève, place du
Bourg-de-Four
1, case postale 3344, 1211 Genève 3.

art. 9 et 29 al. 2 Cst. (récusation)

(recours de droit public contre la décision du Collège des juges
d'instruction du canton de Genève du 3 octobre 2001)
Faits:

A.
Le Juge d'instruction Isabelle Cuendet instruit depuis le 11 mai 2001
une
enquête pénale contre X.________ pour viol et actes d'ordre sexuel
commis sur
une personne incapable de discernement ou de résistance, à la suite
d'une
plainte déposée par Y.________.
Le 3 septembre 2001, X.________ a demandé la récusation de ce
magistrat qu'il
accusait de faire cause commune avec la plaignante et d'avoir
manifesté de la
haine à son encontre comme à celui de son mandataire, au sens de
l'art. 91
let. i de la loi genevoise sur l'organisation judiciaire (CPP gen.).
Par lettres du 12 septembre 2001, non transmises au requérant ou à son
conseil, la Présidente du Collège des juges d'instruction a invité le
juge
d'instruction visé par la demande de récusation et le Ministère
public du
canton de Genève à déposer leurs observations en leur indiquant que la
décision serait prise lors de la séance dudit collège du 3 octobre
2001. Le
Juge d'instruction Isabelle Cuendet s'est déterminé le 21 septembre
2001 en
concluant au rejet de la requête de récusation; il contestait les
allégations
de X.________ et dénonçait le comportement agressif de l'inculpé et,
plus
particulièrement, du conseil de ce dernier à son endroit et à celui
de la
partie civile. Le Ministère public du canton de Genève, par courrier
du 26
septembre 2001, a aussi proposé le rejet de la requête.
Considérant que les allégations du requérant n'étaient pas établies,
le
Collège des juges d'instruction a rejeté la demande de récusation au
terme
d'une décision rendue le 3 octobre 2001 et communiquée à X.________
le 26
octobre 2001.
En réponse à une lettre du mandataire du prévenu du 15 novembre 2001,
la
Présidente du Collège des juges d'instruction a précisé, par courrier
du 20
novembre 2001, que l'accès au dossier de la procédure de récusation
n'était
pas libre et qu'il fallait un motif valable pour le consulter, en
soulignant
que tel était le cas durant le délai de recours, si le requérant
manifestait
expressément son intention de recourir.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler la décision du Collège des juges
d'instruction du
3 octobre 2001, qu'il tient pour contraire aux art. 9 et 29 al. 2
Cst, de
constater que les conditions d'une récusation du Juge d'instruction
Isabelle
Cuendet sont satisfaites et d'ordonner celle-ci. Il voit une
violation de son
droit d'être entendu dans le fait que les observations du magistrat
visé par
la demande de récusation ne lui ont pas été communiquées avant que le
Collège
des juges d'instruction ne statue et qu'il n'a pas été en mesure de
consulter
ces pièces avant de déposer son recours de droit public. Il persiste,
au
surplus, dans l'argumentation déjà soumise en instance cantonale et
requiert
l'assistance judiciaire.
Invités à répondre, le Juge d'instruction Isabelle Cuendet et le
Collège des
juges d'instruction proposent le rejet du recours.

C.
Par ordonnance du 16 novembre 2001, le Président de la Ire Cour de
droit
public a rejeté la demande de mesures provisionnelles présentée par
X.________ tendant à la suspension de l'enquête jusqu'à droit connu
sur le
recours de droit public.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté en temps utile contre une décision incidente sur une
demande de
récusation, prise en dernière instance cantonale (cf. art. 99 al. 4
LOJ
gen.), qui ne peut être attaquée que par la voie du recours de droit
public
et qui touche le recourant dans ses intérêts juridiquement protégés,
le
recours est recevable au regard des art. 84 ss OJ et, en particulier,
de
l'art. 87 al. 1 OJ (cf. ATF 126 I 203).
Sous réserve d'exceptions non réalisées en l'espèce, le recours de
droit
public n'a qu'un effet cassatoire (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 127
II 1
consid. 2b in fine p. 5; 126 I 213 consid. 1e p. 216/217; 126 III 534
consid.
1b p. 536 et les arrêts cités). Les conclusions de X.________ sont
dès lors
irrecevables dans la mesure où elles tendent à l'admission de la
demande de
récusation ou à une constatation du bien-fondé de cette requête.

2.
Dans un argument de nature formelle qu'il convient d'examiner en
premier
lieu, le recourant se plaint à un double titre d'une atteinte à son
droit
d'être entendu. Il n'invoque pas la violation du droit cantonal de
procédure,
de sorte que le mérite de son grief doit être tranché librement à la
lumière
de l'art. 29 al. 2 Cst. (ATF 126 I 15 consid. 2a p. 16 et les arrêts
cités).

2.1 Tel qu'il est garanti par cette disposition, le droit d'être
entendu
inclut le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à
son
détriment, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer
sur la
décision, d'avoir accès au dossier, de participer à l'administration
des
preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos
(ATF 126
V 130 consid. 2 p. 131/132; cf. pour la jurisprudence rendue sous
l'empire de
l'art. 4 aCst., ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 16; 124 I 49 consid. 3a
p. 51
et les arrêts cités). De façon générale, la notion de procès équitable
consacrée aux art. 29 al. 1 Cst. et 6 § 1 CEDH implique en principe
le droit
pour les parties de prendre connaissance de toute pièce ou observation
présentée aux juges et de la discuter (arrêt de la CourEDH du 28 juin
2001
dans la cause F.R. c. Suisse, in JAAC n° 129 p. 1347 § 36 p. 1352).
Pour la
Cour européenne des droits de l'homme, peu importe l'effet réel de
telles
déterminations sur la décision prise lorsque celles-ci émanent d'un
tribunal
indépendant, qui de plus connaît parfaitement le dossier au fond,
tant il
paraît peu vraisemblable que l'instance appelée à statuer ne leur ait
pas
prêté attention; c'est aux parties de juger si les observations
litigieuses
appellent un commentaire. Il y va notamment de la confiance des
justiciables
dans le fonctionnement de la justice: elle se fonde notamment sur
l'assurance
d'avoir pu s'exprimer sur toute pièce du dossier (arrêt précité in
JAAC 2001
n° 129 p. 1347 §§ 37 et 39 p. 1353; arrêt de la CourEDH du 18 février
1997
dans la cause Nideröst-Huber c. Suisse, in JAAC 1997 n° 108 p. 955 §§
27 et
29 p. 959).
Ces arrêts doivent être pris en compte dans la jurisprudence du
Tribunal
fédéral relative à l'art. 29 al. 2 Cst. et, en particulier, au regard
de
celle rendue sous l'empire de l'art. 4 aCst. selon laquelle on ne
saurait
déduire du droit d'être entendu une obligation générale de
transmettre dans
tous les cas au recourant la réponse de l'autorité dont la décision
est
attaquée (ATF 114 Ia 84 consid. 3 p. 87, 307 consid. 4b p. 314; 101
Ia 298
consid. 4a p. 304). Ainsi, l'autorité de recours a l'obligation de
communiquer aux autres parties les écritures de l'autorité intimée non
seulement lorsque ces déterminations contiennent des éléments
nouveaux et
importants, au sujet desquels le recourant n'a pas pu prendre
position, mais
aussi lorsque l'autorité inférieure fait valoir des motifs matériels
sur la
question litigieuse et conclut au rejet du recours.

2.2 En l'espèce, le recourant soutient que le Collège des juges
d'instruction
lui aurait tu l'existence des observations déposées par le juge
d'instruction
visé par la demande de récusation, alors qu'il aurait fondé sa
décision sur
cette pièce, et que la présidente dudit collège lui aurait refusé la
communication de ces observations avant le dépôt du recours de droit
public.
Certes, X.________ s'est abstenu de requérir la consultation du
dossier alors
qu'il devait savoir, vu la teneur de l'art. 99 al. 1 LOJ gen., que le
Juge
d'instruction Isabelle Cuendet allait être invité à déposer des
observations.
Cependant, il n'a pas été informé des modalités de la procédure; il
n'a en
particulier pas été avisé du jour de la prise de décision, pas plus
qu'il n'a
reçu copie des lettres de la Présidente du Collège des juges
d'instruction du
12 septembre 2001, ce qui rendait l'exercice du droit de consulter le
dossier
suffisamment difficile pour que l'on ne puisse admettre que le
recourant
ferait valoir abusivement une violation de son droit d'être entendu.
De plus,
une demande visant à consulter le dossier se serait vraisemblablement
heurtée
à un refus du Collège des juges d'instruction; en effet, selon la
lettre de
la présidente de celui-ci du 20 novembre 2001, cette autorité déduit
du
caractère non contradictoire de la procédure de récusation que
l'accès au
dossier de cette procédure n'est pas libre, mais qu'il faut un motif
valable
pour le consulter, tel étant le cas si le requérant mentionnait
expressément,
pendant le délai de recours, vouloir recourir. Or, une telle pratique
est
manifestement contraire à la jurisprudence telle que précisée
ci-dessus, en
particulier lorsque, comme en l'espèce, le juge d'instruction
interpellé se
détermine relativement longuement et de façon détaillée sur les
reproches qui
lui sont faits, décrit le comportement du requérant ainsi que de
celui de son
conseil durant la procédure en des termes assez sévères et, enfin,
conclut au
rejet de la demande de récusation. Au surplus, on ne saurait
prétendre que le
vice pourrait être réparé devant le Tribunal fédéral par la
consultation du
dossier dans le délai du recours de droit public, vu la nature
extraordinaire
de cette voie de droit (cf. ATF 126 I 68 consid. 2 p. 72).
Cela étant, il appartenait à la Présidente du Collège des juges
d'instruction
de communiquer d'office au recourant les observations du Juge
d'instruction
Isabelle Cuendet et du Ministère public du canton de Genève et de lui
permettre de se déterminer à leur propos avant de statuer. Ces
exigences vont
certes au-delà de l'art. 99 al. 1 LOJ gen., lequel prévoit que les
membres du
Collège statuent sur la demande de récusation après avoir pris
connaissance
des observations du Ministère public et du juge concerné, sans
procéder à
d'autres actes de procédure. Le droit cantonal doit cependant
s'incliner
devant le droit constitutionnel et conventionnel et permettre
l'exercice du
droit d'être entendu dans le respect des exigences d'un procès
équitable au
sens des art. 29 al. 1 Cst. et 6 § 1 CEDH. A cet égard, la solution
retenue
précédemment dans des arrêts non publiés W. du 15 mai 1987 et B. du
29 août
1997 ne peut plus être maintenue.

En statuant sur la demande de récusation sans permettre au recourant
d'exercer, le cas échéant, son droit de consulter le dossier et de
répliquer,
le Collège des juges d'instruction a violé l'art. 29 al. 2 Cst. Eu
égard à la
nature formelle du droit d'être entendu, la décision attaquée doit
être
annulée pour ce motif, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le
bien-fondé de
la requête de récusation.

3.
Le recours doit par conséquent être admis, dans la mesure où il est
recevable. Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire (art. 156 al. 2
OJ). La
République et canton de Genève versera toutefois au recourant,
assisté d'un
avocat, une indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 1 et 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable et la décision
attaquée est annulée.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
La République et canton de Genève versera au recourant une indemnité
de 1'500
fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant,
au Juge
d'instruction du canton de Genève Isabelle Cuendet et au Collège des
juges
d'instruction du canton de Genève.

Lausanne, le 31 janvier 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.730/2001
Date de la décision : 31/01/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-01-31;1p.730.2001 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award