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30/01/2002 | SUISSE | N°4P.222/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 30 janvier 2002, 4P.222/2001


«/2»

4P.222/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

30 janvier 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Carruzzo.

__________

Statuant sur le recours de droit public formé
par

X.________ S.A., représentée par Me Roberto Lei Ravello,
avocat à Lausanne,
contre

la sentence rendue le 11 juillet 2001 par un Tribunal arbi-
tral siégeant à Lausanne et composé de MM. Baptiste Rusconi,
président, Jean H

eim et Paul Marville, arbitres, dans la cau-
se qui oppose la recourante à Y.________ S.A., représentée
par Me Gilles Favre...

«/2»

4P.222/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

30 janvier 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Carruzzo.

__________

Statuant sur le recours de droit public formé
par

X.________ S.A., représentée par Me Roberto Lei Ravello,
avocat à Lausanne,
contre

la sentence rendue le 11 juillet 2001 par un Tribunal arbi-
tral siégeant à Lausanne et composé de MM. Baptiste Rusconi,
président, Jean Heim et Paul Marville, arbitres, dans la cau-
se qui oppose la recourante à Y.________ S.A., représentée
par Me Gilles Favre, avocat à Lausanne;

(arbitrage international; ordre public, droit d'être entendu)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- X.________ S.A. a été constituée à Conakry
(République de Guinée) le 1er octobre 1993. Son but social
comportait l'importation et l'exportation de toutes marchan-
dises, notamment du tabac, en Guinée et à partir de la
Guinée, à des fins commerciales. A l'origine son
actionnariat
se composait de:

- A.________, titulaire de 500 actions
- B.________, titulaire de 500 actions
- C.________, titulaire de 333 actions
- D.________, titulaire de 333 actions
- E.________, titulaire de 334 actions,

ce dernier ayant été nommé Président-Directeur gé-
néral pour une durée indéterminée.

Le 21 avril 1995, une première augmentation du ca-
pital social eut lieu à la suite d'un apport personnel de
A.________, devenu actionnaire majoritaire, titulaire de
1600
actions, soit le 51,61% du capital social. A cette même
date,
A.________ a conféré "pleins pouvoirs" à E.________ et
D.________ pour le représenter et agir en ses lieu et place
dans le cadre du fonctionnement de la société, à l'exclusion
de la vente d'actifs, subordonnée à une autorisation spécia-
le. Le 27 octobre 1997, A.________, devenu titulaire de 4000
actions lors de la seconde augmentation du capital social, a
été désigné Administrateur général.

B.- Le 10 février 1995, Y.________ S.A. et
X.________ S.A., agissant par E.________ et A.________, ont
passé un contrat de concession de vente exclusive des ciga-
rettes de la première par le biais de la seconde, en Guinée,
avec réexportation possible vers d'autres pays de l'Afrique

occidentale. Jusqu'à mi-novembre 1995, Y.________ S.A. a ef-
fectué 22 livraisons. Les factures étaient adressées à la
société belge F.________ SPRL, dominée par A.________, qui
les réglait avant l'expédition. Un autre exemplaire de
chaque
facture était adressé à X.________ S.A. et un troisième ac-
compagnait la marchandise. Jusqu'en juin 1995, Y.________
S.A. a concédé une réduction "free of charge" de 20 % d'es-
compte; en cas de divergence de prix, la facture adressée à
F.________ SPRL était déterminante, ce système de "double
facturation" devant permettre à A.________, resp. F.________
SPRL, de récupérer leurs pertes par la suppression de la réd-
uction dès l'été 1995, et donc l'augmentation du prix
imposée
à X.________ S.A.

Le 20 octobre 1995, A.________ a révoqué les pou-
voirs conférés le 21 avril 1995 à E.________ et D.________,
pour mauvaise exécution du mandat.

Le 17 novembre 1995, sur papier à lettre de
X.________ S.A., E.________, D.________ et C.________ ont
écrit à Y.________ S.A. pour confirmer un entretien
antérieur
emportant résiliation du contrat du 10 février 1995 entre
les
deux sociétés, avec effet immédiat. Les signataires de la
lettre de résiliation ont encore évoqué "les contours de no-
tre collaboration future". Le 20 novembre 1995, Y.________
S.A. a répondu à X.________ S.A. Inc., en s'adressant à son
Président-Directeur général (E.________), qu'elle confirmait
son accord de mettre un terme au contrat, de façon que ce
dernier cesse de produire ses effets à partir du 20 novembre
1995.

En avril 1996, E.________, D.________ et C.________
ont constitué L.________ S. à r.l. à Conakry, qui a passé un
contrat de représentation et de distribution avec Y.________
S.A., le 14 août 1996, pour la commercialisation de ses pro-
duits en République de Guinée.

C.- Diverses procédures ont opposé les parties en
Guinée, portant sur la validité de la résiliation du contrat
du 10 février 1995, l'augmentation du capital social du 21
avril 1995, la propriété de véhicules et différentes
demandes
de dommages-intérêts. Dans ce contexte, la Cour d'Appel de
Conakry a rendu un arrêt le 29 août 1997, devenu définitif
et
exécutoire suite à la décision du 19 février 1999 de la Cour
suprême de Guinée. Selon cet arrêt, la demande de rachat,
par
A.________, des actions de ses autres partenaires, à l'ex-
ception de B.________, a été rejetée; ces derniers (soit les
frères C.________, D.________, E.________) ont par contre
été
condamnés à payer à A.________ les sommes de resp.
FRG 755'123'473.--, et 150'000'000.--. De plus, la résilia-
tion était nulle.

En Suisse, A.________ a fait notifier à Y.________
S.A. un commandement de payer d'un montant de 7 500 000 fr.
au titre de ses responsabilités délictuelle et contractuelle
pour les dommages liés au contrat conclu le 10 février 1995
"entre Y.________ SA et L. Int. SA". Il a été frappé d'oppo-
sition le 22 octobre 1996. Le 10 novembre 1997, X.________
S.A. a requis des mesures provisionnelles et préprovision-
nelles urgentes de la Cour civile du Tribunal cantonal du
canton de Vaud visant, en substance, à interdire à
Y.________
S.A. toute activité commerciale à destination de la Guinée-
Conakry et de divers pays limitrophes, en dehors de ses re-
lations avec elle-même, invoquant le contrat d'exclusivité
du
10 février 1995. Par ordonnance du 27 novembre 1997, le Juge
instructeur a rejeté la requête.

Se fondant sur l'article 18 du contrat du 10 fé-
vrier 1995, X.________ S.A. a engagé la procédure arbitrale
en désignant comme arbitre Me Paul Marville, Y.________ S.A.
choisissant pour sa part Me Jean Heim; Me Baptiste Rusconi a
accepté la présidence du Tribunal arbitral. Le 20 octobre
1999, le Président de la Cour civile du Tribunal cantonal du

canton de Vaud a rejeté la requête en récusation déposée par
X.________ S.A. contre Me Jean Heim. Le Tribunal arbitral a
limité, dans un premier temps, sa procédure à l'ensemble des
questions de fait et de droit, à l'exception du calcul du
dommage allégué par la demanderesse, réservé le cas échéant
pour une sentence complémentaire.

La demanderesse a conclu à ce que la responsabilité
de la défenderesse soit admise quant à la résiliation injus-
tifiée du contrat de représentation et de distribution exclu-
sive du 10 février 1995 et qu'elle soit astreinte à l'indem-
niser de l'intégralité du préjudice résultant de ce chef. El-
le a aussi conclu à la reconnaissance de l'arrêt définitif
et
exécutoire prononcé le 29 août 1997 par la Cour d'Appel de
Conakry. La défenderesse a conclu préjudiciellement à l'ap-
port d'une procuration signée de E.________, et principale-
ment au rejet de la demande.

Le Tribunal arbitral a rendu sa sentence le 11
juillet 2001. Il a rejeté les conclusions de la demanderesse
et admis celles, libératoires, de la défenderesse. Il a mis
à
la charge de celle-là les frais de la procédure arbitrale
ainsi que les dépens. Il a retenu pour l'essentiel que la de-
manderesse, dotée de la personnalité morale, existait aussi
bien à l'ouverture de l'instance arbitrale, le 10 novembre
1997, qu'au moment du dépôt des conclusions finales, le 28
avril 2000. A.________, administrateur général de la société
depuis le 27 octobre 1997, avait le pouvoir de la
représenter
à l'égard des tiers et donc d'ouvrir l'instance arbitrale,
le
10 novembre 1997.

Préjudiciellement, le Tribunal arbitral a rejeté la
requête dépendante en reconnaissance et exécution de l'arrêt
de la Cour d'Appel de Conakry du 29 août 1997, en raison du
défaut d'identité de parties comme de prétentions.

Le contrat de concession de vente exclusive noué
entre les parties était complété par des relations contrac-
tuelles tripartites, dans lesquelles la société belge
F.________ SPRL, dirigée par A.________, apparaissait en
qualité de codébitrice solidaire de la demanderesse à
l'égard
de la défenderesse, à des conditions de paiement privilé-
giées. Ce rapport tripartite, évoquant l'assignation des
art.
466 ss CO, allait au-delà de celle-ci en ce que la défende-
resse, qui avait une position d'assignataire, détenait aussi
une créance propre aux rapports de base envers l'assignée,
soit F.________ SPRL. Comme E.________ avait le pouvoir de
représenter la demanderesse, en sa qualité de Président-
Directeur général, la validité de sa lettre de résiliation
du
17 novembre 1995 ne pouvait être contestée, pas davantage
que
la réponse concordante de la défenderesse, du 20 novembre
1995, acceptant l'offre de résilier le contrat du 10 février
1995, qui était ainsi valablement dénoncé. La révocation des
pleins pouvoirs conférés par A.________ aux trois
frères C.________, E.________, E.________ se rapportait à la
représentation de celui-là par ceux-ci au sein de la
société,
mais n'affectait pas leur capacité de gérer et de
représenter
cette dernière, conformément aux statuts. La résiliation du
contrat du 10 février 1995 étant valable, les prétentions de
dommages-intérêts élevées par la demanderesse devaient dès
lors être écartées avec suite de frais et dépens.

D.- Agissant par la voie du recours de droit pu-
blic, la demanderesse conclut à l'annulation des ch. I, III,
IV et V du dispositif de la sentence arbitrale. Elle invoque
la violation de l'ordre public et un déni de justice formel,
les arbitres n'ayant pas sanctionné le caractère abusif de
la
résiliation du contrat du 10 février 1995, dans des circons-
tances heurtant le principe de la bonne foi. La résiliation
de ce contrat équivalait à la liquidation de la
demanderesse,
ce qui lésait les intérêts de A.________ et de F.________

SPRL, lesquels avaient "une véritable identité économique"
avec celle-ci.

La défenderesse et intimée conclut au rejet du re-
cours, dans la mesure où il est recevable.

Le Tribunal arbitral a renoncé à se déterminer et
s'est référé aux considérants de sa sentence.

C o n i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et libre-
ment la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF
127
I 92 consid. 1 p. 93; 127 IV 148 consid. 1a; 166 consid. 1;
126 III 485 consid. 1 p. 486).

a) Selon l'art. 85 let. c OJ, le recours de droit
public au Tribunal fédéral est ouvert contre une sentence
arbitrale en vertu des art. 190 ss LDIP. Il convient donc
d'examiner en premier lieu si les conditions prévues par ces
dispositions sont réunies.

La clause compromissoire, faisant l'objet de l'art.
18 du contrat du 10 février 1995, fixe le siège du Tribunal
arbitral en Suisse (à Lausanne) et l'une des deux parties au
moins (en l'occurrence la recourante) n'avait au moment de
la
conclusion de cette convention d'arbitrage, ni son siège ni
sa résidence habituelle en Suisse; les art. 190 ss LDIP sont
donc applicables, étant observé que les parties n'en ont pas
exclu l'application par écrit en convenant de se soumettre
exclusivement aux règles de la procédure cantonale en
matière
d'arbitrage (art. 176 al. 2 LDIP).

Le recours au Tribunal fédéral prévu par l'art. 191
al. 1 LDIP est ouvert, les parties n'ayant ni choisi le re-
cours à l'autorité cantonale (art. 191 al. 2 LDIP), ni exclu
conventionnellement tout recours contre la sentence (art.
192
al. 1 LDIP).

Le recours ne peut être formé que pour l'un des mo-
tifs énumérés de manière exhaustive à l'art. 190 al. 2 LDIP
(ATF 127 III 279 consid. 1a p. 282; 119 II 380 consid. 3c p.
383).

Comme la voie du recours de droit public doit être
suivie en matière d'arbitrage international, la procédure de-
vant le Tribunal fédéral est régie par les art. 84 ss OJ, en
vertu de l'art. 191 al. 1, 2ème phrase, LDIP.

b) La recourante est personnellement touchée par la
décision attaquée, qui rejette ses conclusions en paiement
contre l'intimée, de sorte qu'elle a un intérêt personnel,
actuel et juridiquement protégé à ce que cette décision
n'ait
pas été rendue en violation des garanties découlant de
l'art.
190 al. 2 LDIP. Elle a qualité pour recourir selon l'art. 88
OJ. Interjeté en temps utile et dans la forme prévue par la
loi, le recours est en principe recevable (art. 89 al. 1 OJ,
art. 90 al. 1 OJ).

c) Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal
fédéral n'examine que les griefs admissibles qui ont été in-
voqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (ATF
127 I 38 consid. 3c; 127 III 279 consid. 1c et les arrêts ci-
tés). La recourante devait donc indiquer quelles hypothèses
de l'art. 190 al. 2 LDIP étaient à ses yeux réalisées et, en
partant de la sentence attaquée, montrer de façon circonstan-
ciée en quoi consisterait la violation du principe invoqué.
La recevabilité de ces moyens est subordonnée au respect de

cette condition, qui sera examinée ci-après au regard de cha-
cun des griefs soulevés.

d) La recourante avait conclu, devant le Tribunal
arbitral, à la reconnaissance de l'arrêt rendu le 29 août
1997 par la Cour d'Appel de Conakry. La juridiction
arbitrale
a traité cette question à titre préjudiciel (art. 29 al. 3
LDIP), avant de rejeter la demande pour défaut d'identité de
parties et de prétentions, la recourante n'apparaissant pas,
de plus, revêtir les qualités d'un intéressé au sens de
l'art. 28 LDIP. Cette dernière ne critique pas cet
aspect de
la sentence arbitrale devant le Tribunal fédéral, de sorte
que la reconnaissance du jugement étranger ne fait pas
partie
de l'objet du litige. Les considérations que la recourante
émet au sujet du jugement de la Cour d'Appel de Conakry vien-
nent à l'appui de son argumentation, selon laquelle la rési-
liation du contrat du 10 février 1995 serait abusive et con-
traire aux règles de la bonne foi, violant par là l'ordre pu-
blic. La recevabilité de ces moyens sera examinée plus spéci-
fiquement lors de l'examen des griefs fondés sur l'art. 190
al. 2 let. e LDIP.

2.- De manière peu systématique, la recourante re-
proche au Tribunal arbitral la violation de l'ordre public,
ainsi qu'un déni de justice formel, en ce qu'il a admis que
les frères C.________, D.________, E.________ pouvaient
l'engager valablement envers l'intimée et qu'il n'a pas
retenu que la résiliation du contrat du 10 février 1995, à
leur initiative, était abusive et violait le principe de la
bonne foi. Ce dernier aurait également été méconnu par le
refus de prendre en considération la communauté d'intérêts
entre la recourante d'une part, F.________ SPRL et
A.________
d'autre part.

a) Conformément à la volonté du législateur, l'art.
190 al. 2 let. e LDIP restreint l'examen, en matière d'arbi-

trage international, à la question de la compatibilité avec
l'ordre public; une sentence rendue dans ce domaine ne sera
donc pas annulée pour le seul motif qu'elle prend appui sur
des constatations de fait arbitraires (ATF 121 III 331 con-
sid. 3a) ou qu'elle aboutit à une solution juridique insou-
tenable; elle ne pourra être attaquée avec succès que si
elle
est incompatible avec l'ordre public; selon la jurisprudence
une sentence est contraire à l'ordre public lorsqu'elle
viole
des principes juridiques fondamentaux au point de ne plus
être conciliable avec l'ordre juridique et le système de va-
leurs déterminants; au nombre de ces principes figurent, no-
tamment, la fidélité contractuelle ("pacta sunt servanda"),
le respect des règles de la bonne foi, l'interdiction de
l'abus de droit, la prohibition des mesures discriminatoires
ou spoliatrices ainsi que la protection des personnes civile-
ment incapables (ATF 120 II 155 consid. 6a p. 166; 117 II
604
consid. 3 p. 606).

Il faut souligner à cet égard que l'ordre public,
au sens de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, ne constitue qu'une
simple clause de réserve ou d'incompatibilité, ce qui signi-
fie qu'il a uniquement une fonction protectrice (ordre
public
négatif) et qu'il ne produit aucun effet normatif sur les
rapports juridiques litigieux (ATF 120 II 155 consid. 6a p.
166 s. et les références). Au demeurant, la sentence
attaquée
ne sera annulée que si le résultat auquel elle aboutit est i-
ncompatible avec l'ordre public; il ne suffit donc pas que
ces motifs le soient, il faut encore pouvoir tirer la même
conclusion à l'égard de son dispositif (ATF 120 II 155 con-
sid. 6a p. 167; 117 II 604 consid. 3 p. 606).

b) Saisi d'un recours pour violation de l'ordre pu-
blic au sens de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, le Tribunal fé-
déral n'a pas à réexaminer l'appréciation des preuves et des
constatations de fait qui en découlent. Il n'a pas à recher-
cher si le Tribunal arbitral a fait de saines déductions sur

la base de moyens de preuve pertinents (arrêt non publié du
25 juillet 1990, consid. 2b, reproduit in SJ 1991 p. 14); mê-
me une constatation de fait manifestement fausse ne suffit
pas pour violer l'ordre public (ATF 121 III 331 consid. 3a;
116 II 634 consid. 4a p. 637).

Le Tribunal fédéral n'a pas davantage à rechercher
si l'arbitre a interprété correctement une clause contrac-
tuelle, qu'il s'agisse de déterminer la volonté réelle ou la
volonté hypothétique des parties (ATF 116 II 634 consid. 4b
p. 638; arrêt précité in SJ 1991 p. 14).

Le Tribunal fédéral n'a pas non plus à rechercher
si l'arbitre a correctement appliqué le droit; même une vio-
lation claire de la loi ne suffit pas pour violer l'ordre pu-
blic (ATF 116 II 634 consid. 4a p. 637).

3.- a) Il résulte de ces principes qu'il n'appar-
tient pas au Tribunal fédéral d'examiner les rapports qui
prévalaient entre les actionnaires de la recourante, pour vé-
rifier si les organes qui la représentaient en novembre 1995
étaient régulièrement désignés, ou étaient encore régulière-
ment en fonction, en vertu du droit guinéen applicable à cet-
te question. En réalité, la recourante ne peut demander au
Tribunal fédéral une nouvelle appréciation de la preuve des
pouvoirs de représentation de ses organes à l'égard des
tiers, notamment en ce qui concerne E.________, son Prési-
dent-Directeur général, au motif que la Cour d'Appel de Cona-
kry a définitivement constaté la nullité de la résiliation
du
contrat du 10 février 1995, intervenue sans aucune décision
de son assemblée générale. La question de savoir si le Pré-
sident-Directeur général devait expressément soumettre à
l'approbation de l'assemblée générale la résiliation du con-
trat constituant le but principal de la société dépend en
l'espèce du droit guinéen, et le fait que ce dernier admette
des solutions différentes des art. 698 et 718 CO ne permet

pas de retenir une violation de l'ordre public suisse (cf.
ATF 126 III 534 consid. 2c p. 538 et l'arrêt cité).

b) Sous l'angle de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, la
recourante invoque le caractère abusif de la résiliation du
contrat du 10 février 1995, intervenue en violation du prin-
cipe de la bonne foi. L'échange de courriers des 17 et 20 no-
vembre 1995, soit l'offre de résiliation par la recourante
et
son acceptation par l'intimée, serait la conclusion des dé-
marches dolosives d'organes non autorisés de celle-là avec
celle-ci. En substance, connaissant la relation tripartite
impliquant F.________ SPRL et le rôle déterminant joué par
son ayant droit, simultanément actionnaire majoritaire de la
recourante, l'intimée n'aurait pu concevoir et accepter la
résiliation du contrat du 10 février 1995 sans en informer
ce
dernier et sans tenir compte de son avis.

En matière contractuelle, les déclarations des par-
ties doivent s'apprécier selon le principe de la confiance,
en raison des devoirs de comportement réciproques découlant
du principe de la bonne foi (ATF 120 II 331 consid. 3a et
les
références). Les mêmes notions s'appliquent en matière pré-
contractuelle, où chaque partie est tenue de négocier sérieu-
sement conformément à ses véritables intentions; de plus, il
lui appartient de renseigner l'autre partie, dans une certai-
ne mesure, sur les circonstances propres à influencer sa dé-
cision de conclure le contrat, resp. de le conclure à des
conditions déterminées (ATF 121 III 350 consid. 6c p. 354;
120 II 331 consid. 5a p. 335 s.; 116 II 695 consid. 3 p.
698). Il n'existe pas un devoir général de renseigner
l'autre
partie sur tous les éléments essentiels du contrat. Nul
n'est
tenu d'être plus circonspect, dans l'intérêt de son adversai-
re, que celui-ci ne l'est lui-même ou ne peut l'être (ATF
102
II 81 consid. 2 p. 84); le devoir d'information ne concerne
pas les circonstances que l'autre partie est censée
connaître
elle-même. Mais il incombe à chacun de ne pas donner de faux

renseignements et d'éviter de provoquer un vice du consente-
ment par inadvertance, laisser-aller ou ambiguïté. Plus géné-
ralement, le principe de la bonne foi exige que les parties
se comportent réciproquement de manière loyale, chacune de-
vant s'abstenir de toute attitude propre à tromper l'autre,
et ne devant tirer aucun avantage des conséquences d'une in-
correction ou d'une insuffisance de sa part.

c) Dans le cas particulier, le Tribunal arbitral a
retenu que l'intimée, connaissant la "mésentente grave" dans
l'actionnariat de la recourante, pouvait légitimement se ré-
férer à ce qui lui était proposé par les organes de
celle-ci,
qui la représentaient valablement, au vu des inscriptions au
Registre des sociétés de Guinée. Suivant l'opinion du juge
d'appui, dans son ordonnance de mesures provisionnelles du
13
février 1998, le Tribunal arbitral a par ailleurs relevé que
la révocation des "pleins pouvoirs" accordés aux trois
frères
C.________, D.________, E.________ n'avait pas d'incidence
sur le pouvoir de représenter la recourante, conformément à
ses statuts, et ne concernait que l'autorisation de repré-
senter A.________ dans le cadre du fonctionnement de la so-
ciété, même si cette situation pouvait affecter les attri-
butions du Président-Directeur général, du gérant et du
vice-gérant. Le Tribunal arbitral a estimé qu'en raison du
manque de transparence à l'égard de A.________, la résilia-
tion du contrat d'exclusivité du 10 février 1995 établissait
une "connivence (...) objective" entre les organes de la re-
courante et l'intimée, au préjudice indirect de
l'actionnaire
majoritaire de celle-là. Toutefois, ces circonstances ne per-
mettaient pas encore de déclarer nulle la résiliation des 17
et 20 novembre 1995, en raison de ses conséquences sur les
intérêts de tiers.

L'argumentation de la recourante revient ici à cri-
tiquer l'appréciation des preuves (singulièrement sur les
pouvoirs du Président-Directeur général de la représenter et

sur le rôle de son actionnaire majoritaire), ainsi que la
bonne application du droit de fond, en préconisant un devoir
d'information des tiers à la relation contractuelle, que ne
suppose pas le principe de la bonne foi tel qu'il a été rap-
pelé ci-dessus. Or, ces éléments ne peuvent être réexaminés
dans un recours fondé sur l'art. 190 al. 2 let. e LDIP.

4.- La recourante n'invoque pas expressément la
violation du principe de la fidélité contractuelle ("pacta
sunt servanda"), qui, au même titre que la bonne foi, fait
partie des principes juridiques fondamentaux et du système
de
valeurs relevant de l'ordre public et bénéficiant de sa fonc-
tion protectrice. Cependant, en se plaignant d'une résilia-
tion abusive du contrat du 10 février 1995, la recourante
reproche implicitement à l'intimée de se soustraire à ses ob-
ligations, ce qui ressortirait du nouveau contrat similaire
passé avec une autre société guinéenne, à laquelle ses ac-
tionnaires minoritaires participent en tant qu'associés.

A supposer que le grief implicite de violation du
principe de la fidélité contractuelle soit recevable au re-
gard de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. ATF 115 Ia 12 consid.
2b), il doit être écarté.

Selon la jurisprudence il ne peut y avoir violation
du principe "pacta sunt servanda" que dans les cas où le
juge
reconnaît l'existence d'un contrat, mais refuse d'en
ordonner
le respect en se fondant sur des considérations non détermi-
nantes ou sur des textes légaux non applicables ou, inverse-
ment lorsqu'il nie l'existence d'un contrat et néanmoins ad-
met une obligation contractuelle (ATF 120 II 155 consid.
6c/cc p. 171; 116 II 634 consid. 4b p. 638).

En l'occurrence, le Tribunal arbitral, qui a admis
la résiliation conventionnelle du contrat du 10 février 1995
et reconnu la fin des obligations réciproques des parties,

n'a pas mis à la charge de celles-ci une quelconque obliga-
tion contractuelle. Dans l'acception très restreinte du prin-
cipe "pacta sunt servanda", envisagée sous l'angle de
l'ordre
public auquel se réfère l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, aucune
violation ne peut être constatée en l'espèce, le Tribunal ar-
bitral n'ayant pas appliqué une disposition contractuelle en
se mettant en contradiction avec le résultat de son interpré-
tation, qui retient l'extinction valable des rapports conven-
tionnels entre les parties.

5.- La recourante invoque en dernier lieu la viola-
tion de son droit d'être entendue, en ce que le Tribunal ar-
bitral aurait reconnu à tort que les frères C.________,
D.________, E.________ étaient légitimés à offrir la résilia-
tion du contrat du 10 février 1995 en son nom.

a) La recevabilité de ce grief est douteuse. Selon
l'art. 190 al. 2 let. d LDIP, une sentence arbitrale peut
être attaquée "lorsque l'égalité des parties ou leur droit
d'être entendues en procédure contradictoire n'a pas été res-
pecté"; ce motif de recours sanctionne les seuls principes
impératifs de procédure prévus par l'art. 182 al. 3 LDIP, no-
tamment celui du droit d'être entendu proprement dit, dont
le
contenu n'est pas différent de celui consacré à l'art. 29
al.
2 Cst. (ATF 119 II 386 consid. 1b p. 388; 117 II 346 consid.
1a p. 347, relatif à la jurisprudence rendue sous l'empire
de
l'art. 4 aCst.). La violation d'autres règles de procédure,
notamment du règlement d'arbitrage choisi par les parties,
ne
suffit pas, du moins lorsqu'elle ne conduit ni à une inégali-
té entre les parties, ni à une violation de leur droit
d'être
entendues, ni à une atteinte à l'ordre public (ATF 117 II
346
consid. 1a p. 347).

b) En l'espèce, la recourante ne se plaint pas
d'une atteinte à ses droits de partie devant le Tribunal ar-
bitral, mais reproche à ce dernier d'avoir retenu, sur la
foi

des pièces produites, que les frères C.________, D.________,
E.________ étaient légitimement habilités à la représenter
dans le cadre de la résiliation du contrat d'exclusivité du
10 février 1995. Ce faisant, la recourante confond l'appré-
ciation des preuves avec la garantie du droit d'être
entendu,
étant précisé que l'appréciation anticipée de celles-ci ne
constitue pas une atteinte à ce dernier, selon la jurispru-
dence déduite de l'art. 4 aCst., qui conserve toute sa
valeur
sous l'empire du nouveau droit (ATF 124 I 241 consid. 2 p.
242; 124 V 180 consid. 1a et les arrêts cités; Bernard
Corboz, Le recours au Tribunal fédéral en matière

d'arbitrage
international, in SJ 2002 II p. 23).

En conséquence, le grief de violation de l'art. 190
al. 2 let. d LDIP doit être rejeté, dans la mesure où il est
recevable.

6.- Vu l'issue du recours, la recourante devra
payer les frais de la procédure fédérale (art. 156 al. 1 OJ)
et indemniser l'intimée (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable;

2. Met un émolument judiciaire de 80 000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimée une
indemnité de 100 000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et au président du Tribunal arbitral.

__________

Lausanne, le 30 janvier 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.222/2001
Date de la décision : 30/01/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-01-30;4p.222.2001 ?
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