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24/01/2002 | SUISSE | N°6S.544/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 24 janvier 2002, 6S.544/2001


«/2»
6S.544/2001/otd

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
********************************************

24 janvier 2002

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président,
MM. Schneider, Wiprächtiger, Kolly et Karlen, Juges.
Greffière: Mme Krauskopf.

_________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

L.________, représenté par Me Jean-Pierre Garbade, avocat
à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 23 juillet 2001 par la Chambre pénale de
la Cour de justice ge

nevoise dans la cause qui oppose le
recourant au Procureur général du canton de G e n è v e;

(violation de domicile)

...

«/2»
6S.544/2001/otd

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
********************************************

24 janvier 2002

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président,
MM. Schneider, Wiprächtiger, Kolly et Karlen, Juges.
Greffière: Mme Krauskopf.

_________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

L.________, représenté par Me Jean-Pierre Garbade, avocat
à Genève,

contre

l'arrêt rendu le 23 juillet 2001 par la Chambre pénale de
la Cour de justice genevoise dans la cause qui oppose le
recourant au Procureur général du canton de G e n è v e;

(violation de domicile)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- GPR Gérance, Placements & Réalisations SA
(ci-après: GPR) a déposé plainte pénale le 10 février
1997 en raison de l'occupation illicite des locaux desti-
nés à l'habitation et sous sa gérance, sis au n° 10 de la
rue de la Ferme à Genève. Selon un rapport de police du
26 mai 1997, L.________ se trouvait sur les lieux lors du
contrôle de police effectué à une date antérieure au rap-
port, non précisée dans l'arrêt cantonal.

Le 10 décembre 1998, A.________ a acquis, à
l'occasion d'enchères forcées, l'immeuble géré par GPR.
Il déposa plainte pénale auprès du Procureur général pour
violation de domicile le 11 décembre 1998, précisant
qu'il comptait procéder à des travaux de rénovation dès
le 19 janvier 1999. La brigade des squatters de la police
avisa les occupants qu'ils devaient libérer les locaux,
au plus tard pour le 5 janvier 1999. Dans un communiqué
de presse, les squatters annoncèrent début janvier qu'ils
allaient s'opposer à l'évacuation. Ils avaient par ail-
leurs barré à cet effet l'accès de portes et de fenêtres.
La libération des locaux eut lieu le 4 janvier 1999. Lors
de celle-ci, la police trouva L.________ à l'extérieur de
l'immeuble, suspendu à une corde tendue depuis le 4ème
étage.

A la suite d'une plainte pénale déposée par le
Crédit Suisse First Boston (ci-après: Crédit Suisse) le 5
février 1999 pour violation de domicile, la police se
rendit le 30 mars 1999 dans les locaux occupés de la ban-

que se trouvant au 5, rue Guillaume Tell à Genève. Inter-
pellé par la police, L.________ reconnut qu'il occupait
une chambre dans cet immeuble.

L.________, né en 1978, est étudiant et domici-
lié chez sa mère.

B.- Par ordonnance de condamnation du Procureur
général du 8 février 2000, L.________ fut condamné à 30
jours d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans et à
une amende de 500.- francs pour violation de domicile et
soustraction d'énergie. Statuant sur opposition, le Tri-
bunal de police a retenu que les conditions de la pour-
suite pénale pour soustraction d'énergie n'étaient pas
réalisées et a réduit la peine infligée à L.________ à 20
jours d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans. Lors
de l'audience du Tribunal de police, le Crédit Suisse
avait déclaré étendre sa plainte pour toute la durée de
l'occupation illicite.

Sur appel, le jugement entrepris fut confirmé
par la Chambre pénale de la Cour de justice.

C.- L.________ se pourvoit en nullité. Il con-
clut à l'annulation de l'arrêt cantonal et à son acquit-
tement, avec suite de frais et dépens. Il sollicite éga-
lement l'assistance juridique. Ne paraissant pas être
dans le besoin au sens de l'art. 152 al. 1 OJ, il a été
invité à effectuer une avance de frais de 2000.- francs.
Suite à la demande de reconsidération formée par le re-
courant, la Cour de céans a réduit dans sa décision inci-
dente du 16 octobre 2001 le montant de l'avance de frais
à 1'000.- francs.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t

1.- Selon l'art. 272 al. 1 PPF [RS 312.0], dans
sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2001, le
pourvoi en nullité doit être exercé dans les trente jours
dès réception de l'expédition intégrale de la décision,
par le dépôt d'un mémoire directement auprès du Tribunal
fédéral, et non plus comme par le passé auprès de
l'instance ayant statué. En l'occurrence, le pourvoi en
nullité a été déposé auprès de l'autorité ayant statué,
mais transmis au Tribunal fédéral avant l'échéance du
délai de trente jours, de sorte qu'il est recevable sous
cet angle (art. 32 al. 4 OJ).

La conclusion tendant à l'acquittement est irre-
cevable; le pourvoi a en effet un caractère cassatoire et
non réformatoire (art. 277ter al. 1 PPF).

2.- Le recourant reproche en premier lieu à la
cour cantonale d'avoir étendu à tort les effets de la
plainte pénale de GPR à sa personne, dès lors qu'il n'au-
rait commencé à occuper l'immeuble géré par GPR seulement
après le dépôt de la plainte pénale. Il fait valoir que
GPR n'a pas manifesté son intention d'étendre sa plainte
pénale au-delà du 10 février 1997, laquelle ne saurait
donc déployer d'effets à son encontre.

a) La plainte pénale au sens des art. 28 ss CP
est une déclaration de volonté inconditionnelle par la-
quelle le lésé demande l'introduction d'une poursuite
pénale. Elle constitue ainsi une simple condition de
l'ouverture de l'action pénale (ATF 98 IV 143 consid. 2
p. 146). La violation de domicile est un délit continu
(Dauerdelikt), poursuivable aussi longtemps que l'auteur
n'a pas quitté les lieux qu'il occupe sans droit, de

sorte que le délai de plainte (de trois mois; art. 29 CP)
ne commence à courir que lorsque l'auteur a quitté les
lieux (ATF 118 IV 167 consid. 1c p. 172). En l'occur-
rence, la plainte a manifestement été déposée avant
l'échéance du délai.

La plainte pénale est déposée à raison d'un état
de fait délictueux déterminé, dans le cas de la violation
de domicile à raison de l'occupation d'un lieu contre la
volonté de l'ayant droit. Une fois l'action pénale ou-
verte, l'autorité pénale est saisie "in rem" et non "in
personam" (Dominique Poncet, Le nouveau code de procédure
pénale genevois annoté, Genève 1978, p. 194; Gérard Pi-
querez, Traité de procédure pénale bernoise et juras-
sienne, tome I, Neuchâtel 1983, p. 453). La plainte pé-
nale déposée valablement contre inconnu ou contre l'un
(ou certains) des participants vaut aussi contre tous
ceux qui, ne serait-ce que durant un certain laps de
temps, ont pris part à l'infraction (ATF 110 IV 87 con-
sid. 1c p. 90; cf. également ATF 80 IV 209 consid. 2 p.
212). Lorsqu'une plainte pénale est déposée alors que le
délit continu est toujours en cours de réalisation, les
effets de la plainte s'étendent en principe aussi aux
faits dénoncés qui perdurent après le dépôt de la
plainte. La plainte vaut alors également à l'égard de
tout participant qui viendrait, postérieurement au dépôt
de plainte, prendre part au délit continu (cf. dans le
même sens Schönke/Schröder, Strafgesetzbuch, Kommentar,
26ème éd., Munich 2001, § 77 n. 45 s.).

b) Dans le cas d'espèce, rien n'indique que le
plaignant ait voulu limiter sa plainte ni dans le temps
ni d'ailleurs à certaines personnes. L'arrêt querellé ne
précise pas si le recourant se trouvait dans les locaux
occupés illicitement au moment du dépôt de la plainte. Il

retient cependant que sa présence sur les lieux a été
constatée dans le rapport de police établi trois mois
plus tard. De toute manière, le recourant ne conteste pas
que pendant un certain laps de temps en tout cas il a oc-
cupé les locaux contre la volonté de l'ayant droit. Il a
donc pris part à l'infraction dénoncée dans la plainte,
qui couvre aussi son comportement. Fût-elle établie, la
circonstance que la durée de son activité délictueuse ait
été plus brève que celle des autres participants ne chan-
gerait rien au fait qu'il a commis l'infraction. L'élé-
ment invoqué demeurerait donc sans incidence sur le ver-
dict de culpabilité; il jouerait tout au plus un rôle
pour apprécier l'importance de sa faute, donc pour la
fixation de la peine.

Ce qui précède vaut mutatis mutandis dans la me-
sure où le recourant reproche à la dernière instance can-
tonale d'avoir étendu les effets de la plainte du Crédit
Suisse à sa personne.

3.- En prolongement de son premier grief, le re-
courant estime que A.________ ne pouvait pas reprendre à
son compte la plainte pénale de GPR; en d'autres termes,
A.________ n'aurait pas valablement déposé plainte pé-
nale.

a) Selon l'art. 28 CP, toute personne lésée peut
porter plainte. Le lésé au sens de l'art. 28 CP est celui
dont le bien juridique est directement atteint par l'in-
fraction. L'interprétation de l'infraction en cause per-
mettra seule de déterminer quel est le titulaire du bien
juridique protégé (ATF 118 IV 209, consid. 2 p. 211). La
violation de domicile est un délit contre la liberté.
Plus particulièrement, le bien protégé est la liberté du
domicile qui comprend la faculté de régner sur des lieux

déterminés sans être troublé et d'y manifester librement
sa propre volonté. La liberté du domicile appartient donc
à celui qui a le pouvoir de disposer des lieux que ce
soit en vertu d'un droit réel ou personnel ou encore d'un
rapport de droit public (ATF 118 IV 167 consid. 1c p.
172; 112 IV 31 consid. 3 p. 33). Il convient ainsi d'exa-
miner dans le cas d'espèce si A.________ disposait d'un
droit réel ou personnel sur l'immeuble occupé.

En principe, le transfert de propriété s'opère
au moment de l'inscription au grand livre (Steinauer, Les
droits réels, tome I, Fribourg 1990, n. 713). Toutefois,
lorsque l'acquisition a eu lieu par voie d'exécution for-
cée, le transfert de propriété intervient au moment de
l'adjudication (art. 656 CC; art. 66 al. 1 ORFI [RS
281.42]; Steinauer, Les droits réels, tome II, n° 1586).

b) Selon les constatations de faits cantonales,
A.________ a acquis l'immeuble à l'occasion d'enchères
forcées en date du 10 décembre 1998. Dès cette date, il
avait qualité de lésé au sens de l'art. 28 CP et, par-
tant, était habilité à porter plainte.

Quant à la question de savoir si A.________ a
accompli les démarches nécessaires pour se conformer aux
exigences de forme auxquelles la plainte pénale doit sa-
tisfaire, elle relève du droit cantonal, dont la viola-
tion directe ne peut être invoquée dans un pourvoi en
nullité (art. 269 PPF; ATF 123 IV 202 consid. 1 p. 204
s.; ATF 118 IV 167 consid. 1 p. 169).

4.- Le recourant soutient encore qu'il n'a com-
mis aucune violation de domicile à l'encontre de
A.________ dès lors que celui-ci n'aurait pas manifesté
aux squatters son intention de les voir quitter l'immeu-
ble avant la date de l'évacuation.

a) La violation de domicile peut revêtir deux
formes: soit l'auteur pénètre dans les lieux contre la
volonté de l'ayant droit, soit il y demeure au mépris de
l'injonction de sortir à lui adressée par l'ayant droit.
S'agissant de la première hypothèse, l'infraction est
consommée dès que l'auteur s'introduit contre la volonté
de l'ayant droit dans le domaine clos (ATF 87 IV 122).
La Cour de céans a précisé qu'il y a intrusion illicite
lorsque l'auteur pénètre dans un local sans autorisation
de celui qui a le pouvoir d'en disposer (ATF 108 IV 33
consid. 5c). La volonté de l'ayant droit d'autoriser
l'accès peut être manifestée oralement, par écrit, par
geste ou résulter des circonstances. Dans ce dernier cas,
il faut examiner si la volonté de l'ayant droit était
suffisamment reconnaissable en fonction des circonstances
(Bernard Corboz, Les principales infractions, vol. I,
Berne 1997, p. 258). La seconde hypothèse de l'article
186 CP vise le cas où l'auteur est déjà dans les lieux et
n'y a pas pénétré contre la volonté de l'ayant droit.
L'infraction est alors commise lorsque, malgré l'ordre
intimé par l'ayant droit à l'auteur, ce dernier ne quitte
pas les lieux (Bernard Corboz, op. cit., p. 255).

b) Le recourant admet avoir occupé pendant un
certain laps de temps un appartement de l'immeuble sis au
n° 10, rue de la Ferme, avant l'acquisition de ce dernier
par A.________, et y être demeuré jusqu'au 4 janvier
1999. A juste titre, il ne prétend pas que le premier
propriétaire, représenté par GPR, aurait donné son accord

à l'occupation des appartements du 10, rue de la Ferme.
L'occupation des lieux s'est donc faite contre la volonté
du premier propriétaire (première hypothèse de l'art. 186
CP). Contrairement à ce que soutient le recourant, le
changement de propriétaire n'a pas rendu licite l'occupa-
tion illicite. Certes, ce changement a opéré une modifi-
cation en la personne de l'ayant droit. Il n'a toutefois
pas conféré aux occupants de titre juridique qui leur
donnerait un droit de jouissance des lieux. L'on ne sau-
rait inférer du changement de propriétaire une sorte
d'autorisation implicite du nouveau propriétaire à ce que
les squatters demeurent dans les lieux. A.________ a au
demeurant immédiatement manifesté son désaccord en dépo-
sant plainte le 11 décembre 1998 et la police a très ra-
pidement informé les squatters de l'évacuation prochaine
de l'immeuble.

Pour le surplus, il est évident que le fait que
la police ait fixé la date d'évacuation de l'immeuble au
5 janvier 1999, ne signifie nullement que A.________ ac-
ceptait que les squatters restent dans son immeuble jus-
qu'à cette date.

5.- Le recourant se prévaut d'une "erreur de
fait ou de droit". Il allègue avoir cru que son comporte-
ment illicite cessait de l'être dès l'acquisition de
l'immeuble par un nouveau propriétaire, citant à l'appui
un jugement du Tribunal de police rendu le 15 décembre
1998. Ce jugement aurait largement circulé dans le milieu
des squatters. Il fait également valoir que la pratique,
selon lui notoire, du Procureur général de Genève de
n'ordonner l'évacuation d'immeubles occupés illicitement
que si une autorisation de démolir et de construire
est

entrée en force était de nature à l'induire en erreur sur
le caractère illicite de l'occupation jusqu'à la date de
l'évacuation.

a) Sous réserve d'une inadvertance manifeste, la
Cour de cassation est liée par les constatations de fait
de l'autorité cantonale (art. 277bis al. 1 PPF). Le re-
courant ne peut pas présenter de griefs contre les cons-
tatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve
nouveaux (art. 273 al. 1 let. b PPF).

b) Il ne ressort pas de l'arrêt cantonal attaqué
que le recourant aurait invoqué une quelconque erreur ni
qu'une erreur aurait été constatée. Il n'est par ailleurs
pas établi non plus si et à quelle date le recourant au-
rait eu connaissance du jugement motivé du Tribunal de
police du 15 décembre 1998. En tant que le recourant
fonde son grief sur des faits non constatés par l'arrêt
cantonal, celui-ci est irrecevable.

Quant à la pratique, fût-elle notoire, du Procu-
reur général de retarder l'évacuation d'immeubles squat-
tés jusqu'à la décision définitive de démolir et de cons-
truire, il est évident qu'elle est sans influence sur le
caractère illicite de l'occupation.

6.- Le pourvoi doit ainsi être rejeté dans la
mesure où il est recevable.

Le recourant, qui succombe, supportera les frais
de la procédure (art. 278 al. 1 PPF).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l,

1. Rejette le pourvoi dans la mesure où il est
recevable.

2. Met à la charge du recourant un émolument ju-
diciaire de 1'000 francs.

3. Communique le présent arrêt en copie aux par-
ties, au Procureur général du canton de Genève et à la
Chambre pénale de la Cour de justice genevoise.

__________

Lausanne, le 24 janvier 2002
KFF/otd

Au nom de la Cour de cassation pénale
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.544/2001
Date de la décision : 24/01/2002
Cour de cassation pénale

Analyses

Art. 28 et 186 CP; violation de domicile; portée de la plainte pénale. En cas de délit continu, les effets de la plainte pénale s'étendent en principe également aux faits dénoncés qui perdurent après le dépôt de la plainte. La plainte vaut ainsi également à l'égard de tout participant prenant, postérieurement au dépôt de la plainte, part au délit continu (consid. 2). Rappel de la notion de lésé (art. 28 CP; consid. 3). Le changement de propriétaire d'un immeuble ne rend pas licite une occupation illicite (consid. 4). Les modalités de l'évacuation n'influent pas sur le caractère illicite d'une occupation (consid. 5).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-01-24;6s.544.2001 ?
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