La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/01/2002 | SUISSE | N°1P.670/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 janvier 2002, 1P.670/2001


Rapport

Juge délégué(e):
Greffier/ère:

{T 0/2}
1P.670/2001/viz

PROJET

Arrêt du 23 janvier 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Catenazzi, Fonjallaz,
greffier Kurz.

A.________, recourant,
représenté par Me Stéphane Boillat, avocat, place du Marché 5, 2610
St-Imier,

contre

Etat de Neuchâtel, représenté par son Conseil d'Etat, Château, 2001
Neuchâtel, et son

Ministère public, rue du Pommier 3, case postale
2672, 2001
Neuchâtel,
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel,
rue du Pommier 1, c...

Rapport

Juge délégué(e):
Greffier/ère:

{T 0/2}
1P.670/2001/viz

PROJET

Arrêt du 23 janvier 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Catenazzi, Fonjallaz,
greffier Kurz.

A.________, recourant,
représenté par Me Stéphane Boillat, avocat, place du Marché 5, 2610
St-Imier,

contre

Etat de Neuchâtel, représenté par son Conseil d'Etat, Château, 2001
Neuchâtel, et son Ministère public, rue du Pommier 3, case postale
2672, 2001
Neuchâtel,
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel,
rue du Pommier 1, case postale 3174, 2001 Neuchâtel.

indemnité pour détention injustifiée

(recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif du
canton
de Neuchâtel du 12 septembre 2001)
Faits:

A.
A. ________ a été arrêté et placé en détention préventive par le Juge
d'instruction de Neuchâtel le 25 avril 1996, sous l'inculpation de
meurtre et
contrainte - éventuellement en tant qu'instigateur - et instigation à
avortement. Il avait été accusé par sa femme de l'avoir contrainte à
subir un
accouchement prématuré après 33 semaines de grossesse, et d'avoir
fait tuer
le nouveau-né. Il a été pourvu d'un défenseur d'office du 10 mai au 27
septembre 1996, et a ensuite pris un avocat de choix. Sa libération
sous
caution est intervenue le 24 octobre 1996. L'accusation a été étendue
par la
suite au crime d'assassinat.
Le 27 mars 2000, la Chambre d'accusation du canton de Neuchâtel a
prononcé un
non-lieu s'agissant des infractions d'assassinat et de meurtre. Le
prévenu a
été renvoyé en jugement sous l'accusation d'avortement sans le
consentement
de la personne enceinte.
Par jugement du 6 juin 2000, le Tribunal de police du district de
Neuchâtel
l'a acquitté de ce chef d'accusation.

B.
Le 11 août 2000, A.________ a saisi le Tribunal administratif du
canton de
Neuchâtel d'une demande d'indemnité pour détention injustifiée, de
17'400 fr.
pour sa perte de gain, de 46'140 fr. pour tort moral et de 18'146,30
fr. de
frais de défense correspondant aux honoraires de son avocat de choix;
il
demandait en outre d'être dispensé, en cas de retour à meilleure
fortune,
d'avoir à rembourser les 5'823,35 fr. d'indemnité allouée à son avocat
d'office, soit un total de 87'509,65 fr. avec intérêts.
Par arrêt du 19 décembre 2000, le Tribunal administratif a alloué
17'400 fr.
d'indemnité pour la perte de gain et 15'000 fr. pour le tort moral.
Sur ce
dernier point, les prétentions du requérant étaient excessives car le
droit
cantonal n'admettait l'indemnisation qu'à raison de la détention (en
l'occurrence, 241 jours), et non pour l'ensemble de la procédure.
L'activité
de l'avocat de choix a été indemnisé pour la période du 11 septembre
au 22
octobre 1996 (soit jusqu'à la mise en liberté), pour un montant de
3'000 fr.
La dispense de rembourser l'indemnité de l'avocat d'office a été
accordée.

C.
Après une démarche infructueuse auprès du Département cantonal des
finances
et des affaires sociales, A.________ s'est derechef adressé au
Tribunal
administratif pour réclamer, sur la base de l'art. 11 de la loi
neuchâteloise
sur la responsabilité des collectivités publiques et de leurs agents
(Lresp/NE), le solde des honoraires de son avocat de choix non
couvert par
l'indemnité de 3000 fr. précédemment accordée.

D. Par arrêt du 12 septembre 2001, le Tribunal administratif a rejeté
la
demande. Sous réserve d'un préjudice véritablement spécial et grave,
le
prévenu libéré ne pouvait prétendre, sur la base de la Lresp/NE, à une
indemnité supplémentaire par rapport à ce qui est accordé en vertu des
dispositions de procédure pénale sur l'indemnisation du prévenu
libéré. Les
frais de défense ne constituaient pas un dommage particulier. Si le
requérant
n'avait pas renoncé à l'assistance judiciaire, son avocat aurait pu
prétendre
à une indemnité de quelque 11'000 fr. En indemnisant les honoraires de
l'avocat de choix, il y aurait inégalité de traitement avec le prévenu
bénéficiant de l'assistance judiciaire, celui-ci devant rembourser
l'état en
cas de meilleure fortune.

E. A.________ forme un recours de droit public contre ce dernier
arrêt. Il en
demande l'annulation, ainsi que le renvoi de la cause au Tribunal
administratif pour nouvelle décision.
Le Tribunal administratif se réfère à son arrêt. Le Conseil d'Etat du
canton
de Neuchâtel conclut au rejet du recours. Le Ministère public a
renoncé à se
déterminer.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public est formé en temps utile contre un arrêt
final
rendu en dernière instance cantonale. Le recourant, dont la démarche
tend à
l'obtention d'une indemnité fondée sur la responsabilité de l'Etat,
prévue
par le droit cantonal, a qualité pour agir au sens de l'art. 88 OJ.

2.
Le recourant invoque l'art. 7 Lresp/NE, selon lequel la collectivité
ne
répond du dommage résultant des actes licites de ses agents que si la
loi le
prévoit ou si l'équité l'exige. Si le droit neuchâtelois ne prévoit
pas
l'indemnisation du dommage occasionné au prévenu en dehors de la
détention
préventive, l'équité l'exigerait en revanche. Le recourant se fonde
sur une
interprétation historique de la Lresp/NE, pour en déduire que la
mention de
l'équité aurait une portée autonome et imposerait la réparation de
tout le
préjudice résultant de la procédure pénale. En l'espèce, les
accusations
étaient lourdes, la procédure a duré plus de quatre ans, il
s'agissait d'un
cas de défense obligatoire et le recourant disposait de revenus
modestes,
autant de circonstances qui, selon le recourant, imposeraient une
indemnisation en équité de ses frais d'avocat de choix.

2.1 Selon la cour cantonale, la Lresp/NE ne permet pas d'accorder
plus que ce
à quoi le prévenu libéré peut prétendre selon l'art. 271 du code de
procédure
pénale neuchâtelois (CPP/NE). Toutefois, dans le dessein d'atténuer
les
rigueurs de ce système, il est possible d'envisager une indemnisation
supplémentaire, dans le cadre du vaste pouvoir d'appréciation conféré
au
juge, lorsque le dommage subi est véritablement « spécial et grave ».
En
l'occurrence, les frais liés à la défense obligatoire n'ont rien de
particulier puisqu'ils concernent tous les prévenus détenus depuis
plus de
trois mois. Par ailleurs, en renonçant à son avocat d'office, le
recourant ne
pouvait pas ignorer qu'il encourait les frais liés à l'intervention
d'un
mandataire de choix.

2.2 L'interprétation restrictive de la cour cantonale est
essentiellement
fondée sur des considérations d'égalité de traitement et de cohésion
du
système d'indemnisation, que le recourant ne remet pas en cause. La
recevabilité du recours apparaît donc douteuse au regard des
exigences de
l'art. 90 al. 1 let. b OJ. La solution adoptée n'a d'ailleurs rien
d'arbitraire: les dispositions du code de procédure pénale relatives à
l'indemnisation du prévenu libéré constituent, par rapport au droit
de la
responsabilité de l'état, une lex specialis expressément visée à
l'art. 7
Lresp/NE. Or, le prévenu acquitté ne peut, en vertu de l'art. 271
1ère phrase
CPP/NE, être indemnisé que pour le préjudice causé par l'incarcération
proprement dite, à l'exclusion des autres actes de procédure pour
lesquels
l'auteur de la loi de procédure pénale a entendu exclure toute
indemnisation,
y compris pour des motifs d'équité. La Lresp/NE prévoit certes un tel
motif,
mais uniquement en cas de lacune véritable de la loi et non, comme en
l'espèce, lorsqu'il s'agit d'une restriction manifestement voulue par
le
législateur.

2.3 Bien que rigoureuse, la solution adoptée en droit neuchâtelois
n'en est
pas moins conforme au droit supérieur. Qu'elle soit fondée sur la
responsabilité de l'état ou sur les normes spécifiques de procédure
pénale,
l'indemnisation du prévenu ensuite d'une détention en soi licite mais
qui se
révèle injustifiée, n'est imposée ni par le droit constitutionnel, ni
par le
droit conventionnel (ATF 119 Ia 221 consid. 6 p. 230). Il est dès lors
loisible aux cantons de n'allouer de ce chef que des prestations
réduites, en
recourant le cas échéant à des critères schématiques (arrêt du 12
novembre
1997 dans la cause A. publié in SJ 1998 p. 333). Il peuvent ainsi
limiter
l'indemnité à un montant maximum, ou, comme en l'espèce, à des postes
déterminés.
La cour cantonale pouvait donc considérer, à juste titre, qu'une
l'indemnisation complémentaire, pour des motifs d'équité, n'est
envisageable
que dans des cas tout-à-fait exceptionnels.

2.4 Le recourant soutient qu'il aurait subi un dommage « spécial et
grave »,
en raison de la durée de la procédure, de la gravité de l'accusation
et de sa
situation financière modeste. Il invoque également le principe de la
bonne
foi, en relevant qu'il se trouvait dans un cas de défense
obligatoire. Ayant
choisi un nouveau défenseur, il devait renoncer à l'assistance
judiciaire.
Les conditions de cette dernière n'étaient par ailleurs probablement
plus
réunies puisqu'il percevait un revenu dès son élargissement. Même en
cas
d'octroi de l'assistance judiciaire, le recourant aurait eu
l'obligation de
rembourser à l'état les montants versés, en cas de retour à meilleure
fortune. Il serait par conséquent contraire à la bonne foi et
arbitraire
d'obliger le prévenu à s'assurer une défense professionnelle et de lui
refuser ensuite toute indemnisation de ce chef.

2.5 La situation n'est toutefois guère différente pour les frais de
défense
que pour l'ensemble des autres dommages, matériels ou moraux, causés
par une
procédure pénale injustifiée: dans tous les cas, l'administré se
trouve dans
une situation imposée par l'état et en subit un préjudice que
celui-ci n'est
en principe pas tenu de réparer. Les frais liés à l'intervention de
l'avocat
ne sont donc en rien extraordinaires. Leur montant - déduction faite
de
l'indemnité de 3000 fr. déjà allouée - ne l'est pas non plus, et le
recourant
ne parvient pas à démontrer que le changement d'avocat, qui a
entraîné la
perte du droit à l'assistance judiciaire, était nécessaire à sa
défense, ni
qu'il aurait de toute façon perdu ce droit dès le moment où il a à
nouveau
exercé une activité rémunérée, compte tenu notamment d'un revenu net
mensuel
de 2'900 fr. indiqué par le recourant lui-même. La cour cantonale
pouvait
considérer qu'en conservant l'assistance judiciaire, le recourant
aurait pu
réduire son dommage de « quelques milliers de francs ». En niant le
caractère
exceptionnel du préjudice subi par le recourant, elle n'est pas
tombée dans
l'arbitraire.
Elle n'a pas non plus violé le principe de la bonne foi: dans un tel
contexte, l'obligation de prendre un avocat et le refus d'indemniser
cette
dépense ne constitue pas un acte contradictoire de l'autorité. Cette
dernière
s'est au contraire montrée cohérente, dans l'optique du système
légal, en
n'indemnisant l'activité de l'avocat que pour la période durant
laquelle le
recourant se trouvait en détention.

2.6 Le recourant invoque enfin le droit à l'assistance judiciaire
gratuite,
tel qu'il découle de l'art. 29 al. 3 Cst. Dans la mesure où il ne
recoupe pas
les griefs examinés ci-dessus, l'argument est manifestement mal
fondé: le
recourant a délibérément renoncé à l'assistance qui lui avait été
accordée en
début de procédure, préférant l'intervention d'un avocat de choix. Le
droit à
l'assistance judiciaire doit être exercé par celui qui y prétend dans
les
formes prévues à cet effet, et ne saurait justifier l'indemnisation
d'un
avocat de choix.

3.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être
rejeté,
dans la mesure où il est recevable. Un émolument judiciaire est mis à
la
charge du recourant qui succombe, conformément à l'art. 156 al. 1 OJ.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

Le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 1000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant,
au
Conseil d'Etat, au Ministère public et au Tribunal administratif du
canton de
Neuchâtel.

Lausanne, le 23 janvier 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le greffier:
Le président: Le greffier:
Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.670/2001
Date de la décision : 23/01/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-01-23;1p.670.2001 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award