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22/01/2002 | SUISSE | N°4C.336/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 22 janvier 2002, 4C.336/2001


«/2»

4C.336/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

22 janvier 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

1. A.________, appelé en cause et recourant,
représenté par Me Bruno Mégevand, avocat à Genève,
2. B.________, appelé en cause et recourant, représenté
par Me Alireza Moghaddam, avocat à Genève,

et

dame C.________, défenderesse

et intimée, représentée par Me
Alain Marti, avocat à Genève,

et

D.________ et E.________, demandeurs, qui ne sont pas en
...

«/2»

4C.336/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

22 janvier 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

1. A.________, appelé en cause et recourant,
représenté par Me Bruno Mégevand, avocat à Genève,
2. B.________, appelé en cause et recourant, représenté
par Me Alireza Moghaddam, avocat à Genève,

et

dame C.________, défenderesse et intimée, représentée par Me
Alain Marti, avocat à Genève,

et

D.________ et E.________, demandeurs, qui ne sont pas en
cause devant le Tribunal fédéral;

(responsabilité de l'avocat; dommage)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Dame C.________, née en 1931, est une personne
fortunée - son patrimoine était estimé en 1996 à
3 416 849 fr. -, mais qui vit modestement dans un petit ap-
partement à Genève.

Selon une procuration du 8 mai 1996, dame
C.________ a confié la défense de ses intérêts, en relation
avec la gestion de son patrimoine mobilier et immobilier, à
l'avocat B.________; celui-ci était employé de l'avocat
A.________, mais son statut au sein du cabinet d'avocats
lui
permettait d'avoir des clients personnels.

Dans le cadre de ce mandat, l'avocat B.________ a
suggéré à sa cliente de construire sur un terrain dont elle
était propriétaire économique à Z.________ (Genève). Dans ce
but, il l'a mise en contact avec les architectes D.________
et E.________.

Diverses options furent envisagées et la cliente a
assisté elle-même à six réunions dans les locaux des archi-
tectes; des documents, des plans et des maquettes ont été
établis. Le 20 janvier 1997, l'avocat B.________ a écrit à
l'architecte E.________ qu'il pouvait déposer une demande
d'autorisation de construire.

Au mois d'avril 1997, dame C.________ a fait savoir
à l'avocat et aux architectes qu'elle ne voulait rien cons-
truire sur ce terrain. Par lettre manuscrite du 2 octobre
1997, elle a écrit ce qui suit aux architectes: "Je vous
prie
de bien vouloir me faire parvenir vos honoraires concernant
les plans et maquettes que vous avez faits, sujet W.________
à Z.________".

La note présentée par les architectes n'a pas été
payée.

B.- Le 31 août 1998, les architectes D.________ et
E.________ ont déposé devant les tribunaux genevois une de-
mande en paiement dirigée contre dame C.________, concluant
à
ce que cette dernière soit condamnée à leur payer, avec inté-
rêts, la somme de 63 900 fr. à titre d'honoraires et la
somme
de 3180 fr. à titre de frais et débours.

Le 2 mars 1999, dame C.________ a appelé en cause
les avocats B.________ et A.________, concluant à ce qu'ils
soient condamnés conjointement et solidairement à la relever
de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre
elle; elle a soutenu qu'elle avait été mal conseillée par
ces
avocats.

Par jugement du 2 novembre 2000, le Tribunal de
première instance du canton de Genève a admis la demande for-
mée par les architectes et a rejeté les conclusions prises
par dame C.________ contre les avocats.

Saisie d'un appel formé par dame C.________, la
Chambre civile de la Cour de justice de Genève, par arrêt du
14 septembre 2001, a confirmé que la défenderesse devait les
honoraires et frais réclamés par les demandeurs. Elle a esti-
mé également que l'avocat consulté, B.________, n'avait pas
violé son devoir de diligence et de fidélité en relation
avec
cette affaire. Néanmoins, la cour cantonale a condamné les
deux avocats, solidairement entre eux, "à relever" dame
C.________ de la condamnation prononcée contre elle, en con-
sidérant qu'ils étaient débiteurs à son égard de 100 000 fr.
pour une autre cause, en raison des circonstances suivantes.

En avril 1996, dame C.________ s'est rendue chez
l'avocat A.________ en compagnie de F.________, qui travail-

lait pour X.________ S.A.; cette société fiduciaire s'occu-
pait de la gestion du patrimoine de la défenderesse.
L'avocat
étant absent, ils ont été reçus par le collaborateur
B.________. Celui-ci a préparé, à leur demande, une conven-
tion, signée le 18 avril 1996, qui prévoyait que dame
C.________ consentait à prêter à F.________ personnellement
la somme de 100 000 fr. sans intérêts et pour une durée in-
déterminée, remboursable moyennant un préavis de 12 mois
pour
la fin d'un mois. Il n'y a aucune trace que ce prêt ait été
remboursé.

La cour cantonale a considéré que l'avocat
B.________ n'avait pas agi correctement dans cette affaire
et
que son employeur avait manqué à son devoir de surveillance.

C.- A.________ interjette parallèlement un recours
de droit public et un recours en réforme au Tribunal fédéral
contre l'arrêt cantonal. Pour sa part, B.________ exerce un
recours en réforme contre le même arrêt. Les recours en ré-
forme tendent à l'annulation de l'arrêt attaqué en tant
qu'il
a condamné les avocats et au rejet des conclusions prises
contre ces derniers par dame C.________.

Répondant par une seule écriture aux deux recours
en réforme, l'intimée déclare qu'elle a pris connaissance
avec "surprise" de l'arrêt cantonal, que les motifs de cet
arrêt ne sont pas ceux qu'elle avait invoqués et qu'elle "ne
peut pas y souscrire". Estimant qu'une substitution de
motifs
serait possible, elle conclut au rejet des recours en
réforme
et à la confirmation de l'arrêt attaqué.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Aux termes de l'art. 57 al. 5 OJ, il est
sursis en règle générale à l'arrêt sur le recours en réforme
jusqu'à droit connu sur le recours de droit public. La juris-
prudence déroge toutefois à cet ordre de priorité dans des
situations particulières, qui justifient l'examen préalable
du recours en réforme. Il en va notamment ainsi lorsque la
décision sur le recours de droit public n'a aucune incidence
sur le sort du recours en réforme (ATF 123 III 213 consid.
1;
122 I 81 consid. 1; 120 Ia 377 consid. 1), ce qui sera notam-
ment le cas lorsque le recours en réforme apparaît irreceva-
ble (ATF 117 II 630 consid. 1a) ou, inversement, si le re-
cours en réforme paraît devoir être admis même sur la base
des constatations de fait retenues par l'autorité cantonale
et critiquées dans le recours de droit public (ATF 120 Ia
377
consid. 1; 117 II 630 consid. 1a).

In casu, le recours de droit public formé par l'ap-
pelé en cause A.________ concerne exclusivement l'établisse-
ment des faits en relation avec le dommage. Comme dans son
recours en réforme, il prétend que la cour cantonale a mécon-
nu la notion juridique du dommage, il paraît expédient de
trancher préalablement cette question, qui concerne les con-
ditions mêmes de la responsabilité de l'intéressé.

b) Les griefs invoqués dans les recours en réforme
sont étroitement liés et concernent l'admission par surprise
d'une créance en dommages-intérêts de 100 000 fr. de la dé-
fenderesse à l'encontre des appelés en cause. Par souci
d'économie de procédure, il convient de joindre les deux re-
cours en réforme et de les traiter dans un seul arrêt (ATF
124 III 382 consid. 1a).

2.- a) Interjetés par des parties condamnées à
paiement et dirigés contre un jugement final rendu en derniè-
re instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al.
1 OJ) sur une contestation civile dont la valeur litigieuse
atteint le seuil de 8000 fr. (art. 46 OJ), les recours en ré-
forme sont en principe recevables, puisqu'ils ont été formés
en temps utile dans les formes requises.

b) Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Il ne permet en
revanche
pas d'invoquer la violation directe d'un droit de rang cons-
titutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la violation du
droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts ci-
tés).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus
dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédé-
rales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu à rectification de constatations reposant sur une inad-
vertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille complé-
ter les constatations de l'autorité cantonale parce que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 ibidem). Dans
la
mesure où une partie recourante présente un état de fait qui
s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se
prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui
viennent
d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte
(ATF 127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de
griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de
moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le re-
cours n'est pas ouvert pour se plaindre de l'appréciation
des
preuves et des constatations de fait qui en découlent (ATF
126 III 189 consid. 2a; 125 III 78 consid. 3a).

Si le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent en prendre de
nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ), il n'est lié ni
par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par
ceux de la décision cantonale, de sorte qu'il peut apprécier
librement la qualification juridique des faits constatés
(art. 63 al. 3 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59
consid. 2a).

3.- a) En l'absence de tout recours au Tribunal
fédéral, la créance des demandeurs contre l'intimée a été dé-
finitivement admise par l'arrêt cantonal et il n'y a pas
lieu
d'y revenir.

Comme les recourants ont été condamnés à "relever"
l'intimée de cette condamnation, il paraît utile, à des fins
de clarification, de préciser l'objet et la nature de cette
créance.

L'intimée a été mise en contact avec des architec-
tes. Comme elle s'est rendue à plusieurs reprises dans leur
bureau, elle n'ignorait pas qu'ils exerçaient cette activité
à titre professionnel. Selon les constatations cantonales -
qui lient le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme
(art. 63 al. 2 OJ) -, les architectes, en préparant des
plans
et maquettes et en sollicitant une autorisation de construi-
re, ont fourni des prestations qui dépassaient manifestement
une simple offre de service. Il a été constaté que l'intimée
était une personne capable de discernement et parfaitement
en
mesure - comme elle l'a fait par la suite - de mettre fin à
une relation.

Le principe de la confiance permet d'imputer à une
partie le sens objectif de son comportement, même si
celui-ci
ne correspond pas à sa volonté intime (ATF 127 III 279 con-
sid. 2c/ee p. 287 et les références doctrinales).

En se rendant régulièrement aux rendez-vous et en
suivant avec intérêt sans aucune protestation les travaux ef-
fectués pour elle par les architectes, l'intimée a adopté un
comportement dont on pouvait inférer, selon le principe de
la
confiance, qu'elle acceptait de leur confier cette tâche.

Il faut donc en déduire qu'un contrat a été conclu.
Les développements de la cour cantonale sur la culpa in con-
trahendo et sur la responsabilité fondée sur la confiance
n'ont pas leur place ici. Comme il n'était pas encore ques-
tion de réaliser les travaux, la tâche confiée aux architec-
tes relève plutôt du contrat d'entreprise (sur la qualifica-
tion du contrat d'architecte: cf. arrêt du Tribunal fédéral
du 14 juin 2001 dans la cause 4C. 61/2001, destiné à la pu-
blication, consid. 2a; 114 II 53 consid. 2b; 110 II 380 con-
sid. 2; 109 II 462 consid. 3c et 3d).

L'usage veut que des services fournis à titre pro-
fessionnel soient rémunérés (cf. ATF 82 IV 145 consid. 2a).
L'intimée était consciente de cet état de fait et l'a mani-
festement accepté, puisqu'elle a demandé l'envoi de la note
d'honoraires après la rupture des relations contractuelles.

Faute de convention plus précise, le prix doit être
fixé conformément à l'art. 374 CO. Comme les parties ne s'y
sont pas expressément référées, la norme SIA n'est pas néces-
sairement déterminante (ATF 117 II 282 consid. 4b). Il n'en
demeure pas moins que les architectes avaient droit à une ré-
munération usuelle et on ne voit pas en quoi le fait de
s'inspirer de la norme SIA, en l'absence d'autres éléments
de
preuve, violerait le droit fédéral (cf. Tercier, Les
contrats
spéciaux, 2ème éd., n° 3645, p. 447; Engel, Contrats de
droit
suisse, 2ème éd., p. 457).

Il ne ressort pas des constatations souveraines de
l'autorité cantonale que les architectes se seraient écartés

des instructions reçues ou qu'ils auraient fourni des presta-
tions qui n'entraient pas dans le cadre de la mission con-
fiée, telle qu'ils pouvaient la comprendre de bonne foi.

Il faut encore rappeler que l'intimée avait accordé
un large pouvoir de représentation à l'avocat, de sorte
qu'elle est également liée - conformément à l'art. 32 al. 1
CO - par les instructions données en son nom par celui-ci à
l'architecte.

b) L'intimée a soutenu que les avocats devaient
être condamnés à payer les frais et honoraires des architec-
tes, parce qu'ils l'avaient mal conseillée.

Selon les constatations cantonales, l'intimée avait
chargé l'avocat B.________ personnellement de s'occuper de
ses affaires et c'est lui seul qui a suivi les travaux des
architectes. Un contrat de mandat (art. 394 al. 1 CO) a
ainsi
été conclu entre la défenderesse et l'avocat B.________. Il
en résulte que l'avocat A.________ n'était pas partie à
cette
convention et que toute responsabilité
de sa part dans ce
contexte, notamment comme employeur, est d'emblée exclue.

Il ne ressort pas des observations de l'intimée que
l'état de fait aurait été arrêté en violation du droit fédé-
ral; il n'est donc pas question de le compléter et le raison-
nement doit être mené sur la base de celui-ci.

Il n'a pas été constaté que l'avocat se soit écarté
des instructions données par sa mandante. Il n'apparaît pas
non plus qu'il lui ait donné un renseignement faux ou des
conseils gravement inadéquats. Contrairement à ce que sou-
tient l'intimée, on ne peut pas dire qu'il est d'emblée dé-
raisonnable de la part d'une personne relativement âgée et
fortunée de vouloir consacrer une part importante de ses
biens à améliorer son train de vie. L'avocat, en tant que

mandataire, doit aller à la rencontre de la volonté de son
client (cf. art. 394 al. 1 et 397 al. 1 CO); il ne lui appar-
tient pas, à la différence d'un tuteur, d'essayer à tout
prix
de sauvegarder un patrimoine même en s'opposant à la volonté
de son propriétaire. Il ressort des constatations cantonales
que l'intimée était capable de discernement et en mesure
d'exprimer sa volonté; elle manifestait clairement de l'inté-
rêt pour les projets qui lui étaient présentés, soit qu'elle
ait envisagé de les réaliser, soit qu'il lui ait plu d'y rê-
ver. On ne voit pas que l'avocat ait enfreint ses
obligations
contractuelles en ne s'opposant pas à l'avancement du
projet,
alors que sa cliente avait apparemment le désir et les
moyens
financiers d'améliorer son niveau de vie et d'assumer les
frais envisagés.

Partant, les autorités cantonales n'ont pas violé
le droit fédéral en concluant que l'avocat n'avait pas
manqué
à son devoir d'exécuter avec soin la mission qui lui était
confiée et de sauvegarder fidèlement les intérêts légitimes
de son cocontractant (art. 321a al. 1 CO applicable par le
renvoi de l'art. 398 al. 1 CO).

c) La cour cantonale a cependant estimé que les
avocats étaient débiteurs de l'intimée pour une autre cause
(l'affaire du prêt) et qu'ils devaient pour ce motif être
condamnés à payer les architectes.

Il apparaît d'emblée que les deux créances retenues
sont sans rapport l'une avec l'autre et que la cour
cantonale
a organisé une assignation au sens de l'art. 466 CO (sur cet-
te notion: cf. ATF 121 III 109 consid. 2). En effet, elle a
prévu que les avocats (en tant qu'assignés) devaient verser
une certaine somme d'argent aux architectes (en tant qu'assi-
gnataires) pour le compte de l'intimée (apparaissant en tant
qu'assignante), étant observé que les assignés étaient consi-

dérés comme débiteurs de l'assignante (cf. art. 466 et 468
al. 2 CO).

Il ne résulte cependant pas des conclusions prises
par l'intimée, telles qu'elles sont reproduites dans l'arrêt
cantonal d'une manière qui lie le Tribunal fédéral, que
celle-ci ait voulu une telle assignation en invoquant cette
créance-là contre les avocats. Il n'appartenait évidemment
pas à la cour cantonale de se substituer à l'intimée et
d'instituer pour elle, sans sa volonté, un tel mécanisme.

La cour cantonale aurait pu, si l'intimée avait
conclu dans ce sens, condamner les avocats à verser une cer-
taine somme à cette dernière de ce chef. Le terme "relever"
employé dans le dispositif signifie toutefois que les
avocats
doivent libérer l'intimée de son obligation et non pas la
rembourser.

d) L'arrêt cantonal est particulièrement obscur
quant à la détermination des parties au mandat qui a conduit
à l'élaboration du contrat de prêt sans intérêts.

Il semble que l'avocat A.________ était le conseil
habituel de la société X.________ S.A. Celle-ci n'est toute-
fois pas partie au prêt et on ne voit pas en quoi elle est
concernée par celui-ci. A supposer même qu'elle soit lésée
par ce prêt, une éventuelle créance de sa part serait ici
sans pertinence, puisque le présent litige ne concerne pas
cette société.

Il semble que l'intimée (en tant que prêteuse) et
l'emprunteur se soient rendus ensemble chez l'avocat
A.________ et qu'ils aient donc eu l'intention de lui
confier
un mandat conjointement (cf. art. 403 al. 1 CO). L'avocat
A.________ était manifestement le conseil choisi et l'avocat

B.________ n'est intervenu qu'en qualité d'employé du pre-
mier.

L'avocat B.________, en tant qu'employé du manda-
taire, ne pourrait donc avoir engagé sa responsabilité à
l'égard de l'intimée que sur la base de l'art. 41 CO. En re-
vanche, l'avocat A.________ est responsable en tant que man-
dataire à l'égard de l'intimée (cf. art. 398 al. 1 et 2 CO;
pour son auxiliaire, il répond selon l'art. 101 al. 1 CO).

Arrivé à ce stade du raisonnement, on constate que
l'argumentation juridique de l'autorité cantonale est incom-
préhensible.

La cour cantonale indique qu'il a été allégué que
l'intimée souhaitait gratifier l'emprunteur, pour le récom-
penser des services rendus. Contrairement aux exigences de
l'art. 51 al. 1 let. c OJ, la cour cantonale ne mentionne
pas
le résultat de l'administration des preuves sur cet allégué.
Il apparaît toutefois que les juges l'aient admis,
puisqu'ils
ne reprochent pas aux avocats d'avoir fait perdre des inté-
rêts à l'intimée. Il est par ailleurs constant que la défen-
deresse a elle-même signé ce contrat, dont le texte est sim-
ple et clair.

On cherche vainement comment l'avocat A.________
pourrait avoir violé ses obligations contractuelles ou l'avo-
cat B.________ commis un acte illicite en rédigeant un con-
trat conformément à la volonté réelle des comandants (la
prêteuse et l'emprunteur). On ne voit pas ce qui empêchait
l'intimée de faire une libéralité à une personne qui s'était
occupée de ses affaires en lui accordant un prêt sans inté-
rêts.

La Cour de justice semble voir un dommage dans le
montant du prêt, soit 100 000 fr. Il ressort cependant de

l'état de fait que ce montant était bien conforme à la volon-
té des parties.

La cour cantonale n'a pas constaté que le prêt ait
été dénoncé au remboursement et que l'emprunteur se soit ré-
vélé insolvable. La prêteuse dispose donc toujours de sa
créance à l'encontre de l'emprunteur, de sorte que la passa-
tion de ce contrat ne lui a causé aucun préjudice. Il est
donc manifeste que la cour cantonale a méconnu la notion ju-
ridique du dommage (à ce propos, cf. ATF 127 III 73 consid.
4a, 403 consid. 4; 126 III 388 consid. 11a et les référen-
ces). Il s'agit là d'une violation du droit fédéral qui doit
être rectifiée par la voie du recours en réforme (cf. ATF
127
III 73 consid. 3c; 120 II 296 consid. 3b).

Même si l'emprunteur se révélait insolvable, il
faudrait encore établir une relation de causalité adéquate
entre une violation du devoir de diligence incombant au man-
dataire et la survenance de ce dommage. Ni les constatations
cantonales, ni les observations de l'intimée ne permettent
de
l'envisager.

4.- Il suit de là que les recours en réforme se-
ront admis; l'arrêt attaqué sera réformé en ce sens que les
chiffres 4 et 5 de son dispositif sont annulés, les conclu-
sions prises par l'intimée à l'endroit des recourants étant
rejetées.

Vu l'issue de la querelle, l'intimée paiera la to-
talité des frais de justice et versera une indemnité à titre
de dépens à chacun des appelés en cause (art. 156 al. 1 et
159 al. 1 OJ). La cause sera retournée à l'autorité
cantonale
pour nouvelle décision sur les frais et dépens d'instance
cantonale (art. 159 al. 6 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet les recours en réforme et réforme l'arrêt
attaqué en ce sens que les chiffres 4 et 5 de son dispositif
sont annulés;

2. Dit que les conclusions prises par la défende-
resse à l'encontre des appelés en cause sont rejetées;

3. Met un émolument judiciaire de 6000 fr. à la
charge de la défenderesse;

4. Dit que la défenderesse versera à l'appelé en
cause A.________ une indemnité de 6000 fr. à titre de dépens;

Dit que la défenderesse versera à l'appelé en cause
B.________ une indemnité de 4000 fr. à titre de dépens;

5. Renvoie la cause à la cour cantonale pour nou-
velle décision sur les frais et dépens d'instance cantonale;

6. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

___________

Lausanne, le 22 janvier 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.336/2001
Date de la décision : 22/01/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-01-22;4c.336.2001 ?
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