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18/01/2002 | SUISSE | N°6S.684/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 18 janvier 2002, 6S.684/2001


«/2»
6S.684/2001/ROD

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

18 janvier 2002

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président, M. Kolly
et M. Karlen, Juges. Greffière: Mme Angéloz.
___________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par
X.________

contre

l'arrêt rendu le 18 octobre 2001 par la Cour pénale du
Tribunal cantonal jurassien dans la cause qui oppose le
recourant à Y.________, représenté par Me Alain
Schwe

ingruber, avocat à Delémont, et au Procureur général
du canton du J u r a;

(infraction à la loi fédérale contre l...

«/2»
6S.684/2001/ROD

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

18 janvier 2002

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président, M. Kolly
et M. Karlen, Juges. Greffière: Mme Angéloz.
___________

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par
X.________

contre

l'arrêt rendu le 18 octobre 2001 par la Cour pénale du
Tribunal cantonal jurassien dans la cause qui oppose le
recourant à Y.________, représenté par Me Alain
Schweingruber, avocat à Delémont, et au Procureur général
du canton du J u r a;

(infraction à la loi fédérale contre la concurrence
déloyale; délai de plainte)

Vu les pièces du dossier, d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Y.________, ingénieur, avait chargé
X.________, architecte, d'établir des plans en vue
d'obtenir des subventions fédérales pour un projet de
construction. Dans le courant de l'année 1996, il a sol-
licité et obtenu du bureau d'architecture X.________ les
soumissions des entreprises ainsi que divers documents
concernant le projet de construction.

En septembre 1997, le bureau d'architecture a cons-
taté que le chantier avait été ouvert. X.________ a alors
adressé, le 15 octobre 1997, à la Société coopérative
d'habitation Z.________, gérée par Y.________, une lettre
recommandée, dans laquelle il relevait notamment avoir
constaté que les travaux avaient commencé sans qu'il en
ait été averti et que des projets, plans d'exécution et
soumissions du bureau d'architecture étaient utilisés,
sans autorisation de ce dernier, et, de plus, sans avoir
été payés.

Le 1er septembre 1998, X.________ a déposé plainte
pénale contre Y.________, qui a été renvoyé en jugement
sous la prévention d'infraction à la loi fédérale contre
la concurrence déloyale (LCD; RS 241), pour avoir ex-
ploité indûment le résultat d'un travail qui lui avait
été confié par le bureau d'architecture X.________ (art.
5a et 23 LCD).

B.- Par jugement du 11 juin 2001, le Juge pénal
du Tribunal de première instance jurassien a refusé de
suivre à la procédure, considérant que la plainte était
tardive.

Sur appel du plaignant, ce jugement a été confirmé
par arrêt du 18 octobre 2001 de la Cour pénale du Tribu-
nal cantonal jurassien.

C.- X.________ se pourvoit en nullité au Tribunal
fédéral. Invoquant une violation de l'art. 29 CP en
relation avec les art. 5 et 23 LCD, il conclut à
l'annulation de l'arrêt attaqué.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recourant reproche à la cour cantonale
d'avoir considéré à tort sa plainte comme tardive pour
avoir méconnu que le délai de plainte de trois mois de
l'art. 29 CP commençait à courir du jour où il avait su
que l'intimé n'avait pas l'intention de le rémunérer, ce
qu'il n'aurait appris que lors d'une audience de conci-
liation civile du 4 juin 1998, et non pas lorsqu'il avait
constaté, en automne 1997, que celui-ci utilisait le
résultat de son travail sans l'avoir payé.

a) Selon l'art. 29 CP, le lésé dispose d'un délai
de trois mois pour déposer plainte. Ce délai commence
à courir du jour où l'ayant droit a connaissance de
l'auteur et - l'art. 29 CP ne le dit pas expressément
mais cela va de soi - de l'acte délictueux, c'est-à-dire
des éléments constitutifs de l'infraction. Cette con-
naissance doit être suffisante pour permettre à l'ayant
droit de considérer qu'il aurait de fortes chances de
succès en poursuivant l'auteur, sans s'exposer au risque
d'être attaqué pour dénonciation calomnieuse ou diffa-
mation; de simples soupçons ne suffisent pas, mais il

n'est pas nécessaire que l'ayant droit dispose déjà de
moyens de preuve (ATF 121 IV 272 consid. 2a p. 275; 101
IV 113 consid. 1b p. 116 et les arrêts cités).

S'agissant des éléments de l'infraction dont l'ayant
droit doit avoir connaissance, le Tribunal fédéral a con-
sidéré, dans les ATF 79 IV 58 et 80 IV 1 consid. 1 p. 3,
qu'il suffisait que cette connaissance porte sur les
éléments objectifs de l'infraction en cause; à l'appui,
il a observé que le droit de plainte est accordé à une
personne privée à raison de la lésion qu'elle a subie,
que cette lésion existe dès que les éléments objectifs de
l'infraction sont réalisés et qu'il est donc normal que
le lésé porte plainte dès qu'il a connaissance de l'exis-
tence de ces éléments; il a ajouté qu'en général le lésé
n'est d'ailleurs pas à même de constater aisément les
éléments subjectifs de l'infraction et ne peut, le plus
souvent, qu'apprécier les indices qu'il possède à cet
égard, de sorte qu'il doit en définitive s'en remettre au
juge pour la constatation de ces éléments. Dans l'ATF 101
IV 113, le Tribunal fédéral s'est demandé si la connais-
sance de l'acte délictueux que doit avoir l'ayant droit
impliquait la seule connaissance des éléments objectifs
de cet acte, comme l'avait posé la jurisprudence, ou
aussi celle de ses éléments subjectifs, comme le soute-
nait une partie de la doctrine; il a toutefois laissé
la question indécise, dès lors que, dans le cas d'espèce,
il n'était pas allégué qu'il y aurait eu connaissance
d'éléments subjectifs de l'infraction postérieurement à
celle des éléments objectifs (ATF 101 IV 113 consid. 1b
p. 116). Ultérieurement, dans un cas de violation d'une
obligation d'entretien, il a toutefois admis que le délai
de plainte ne commençait à courir qu'à la condition que
l'ayant droit sache ou du moins puisse savoir, c'est-à-
dire dispose d'indices concrets en ce sens, que l'omis-
sion de verser les contributions dues a cessé d'être

fautive, par exemple en raison d'une incapacité de tra-
vail (ATF 121 IV 272 consid. 2 p. 275 s.).

En doctrine, Trechsel est d'avis que le délai de
plainte de l'art. 29 CP ne commence à courir que du jour
où le lésé a eu connaissance des éléments non seulement
objectifs mais aussi subjectifs de l'infraction; prenant
l'exemple des dommages à la propriété, il observe que
cette infraction n'est punissable que si elle a été
commise intentionnellement (cf. Trechsel, Kurzkommentar,
2ème éd. Zurich 1997, art. 29 CP n° 3). De son côté,
Schultz relève qu'il est douteux que la connaissance des
éléments objectifs de l'infraction suffise lorsqu'un com-
portement n'est punissable que s'il est intentionnel (cf.
Schultz, Einführung in den Allgemeinen Teil des Straf-
rechts, vol. I, 4ème éd. Berne 1982, p. 239). Se référant
à l'ATF 121 IV 272 précité, Rehberg et Donatsch en dé-
duisent que l'ayant droit doit avoir eu connaissance de
l'ensemble des éléments, tant objectifs que subjectifs,
de l'infraction, ce qu'ils ne critiquent pas (cf.
Rehberg/Donatsch, Strafrecht I, 7ème éd. Zurich 2001,
p. 334 note 27).

En l'espèce, il n'y a toutefois pas lieu d'examiner
la question plus avant, dès lors que le recourant, ainsi
qu'on le verra (cf. infra, let. e), a de toute manière
aussi eu connaissance de l'élément subjectif de l'infrac-
tion en cause.

b) L'intimé avait été renvoyé en jugement sous la
prévention d'infraction à la LCD au sens des art. 23 et
5a de cette loi.

L'art. 23 LCD sanctionne, sur plainte, le compor-
tement de celui qui, intentionnellement, se sera rendu

coupable de concurrence déloyale au sens des articles 3,
4, 5 ou 6 LCD.

Selon l'art. 5a LCD, agit de façon déloyale celui
qui exploite de façon indue le résultat d'un travail qui
lui a été confié, par exemple des offres, des calculs ou
des plans. Cette disposition présente une certaine ana-
logie avec l'abus de confiance prévu par l'art. 138 ch. 1
al. 2 CP. Elle suppose, d'une part, que le résultat d'un
travail ait été confié à l'auteur et, d'autre part, que
celui-ci l'ait utilisé contrairement aux accords passés,
qu'il l'ait détourné de la destination convenue. Le ca-
ractère déloyal de l'acte réside dans la trahison de la
confiance donnée (cf. arrêt 4C.399/1998 du 18 mars 1999
consid. 2b, publié in sic! 3 1999 300 consid. 2b). Sui-
vant les relations contractuelles, le résultat d'un tra-
vail peut être remis à une personne pour qu'elle en dis-
pose; tel est le cas en principe si le destinataire a
commandé la prestation et la rémunère. Il est cependant
aussi possible que le résultat d'un travail soit seule-
ment confié à une personne pour que celle-ci fournisse
elle-même une prestation moyennant rémunération; dans ce
cas, il se crée un rapport de confiance et la loyauté
oblige le destinataire à ne pas détourner les informa-
tions reçues de l'usage convenu (cf. arrêt 4C.399/1998
précité, consid. 2b).

L'infraction en cause est donc objectivement réali-
sée lorsque l'auteur utilise le résultat d'un travail qui
lui a été confié contrairement à ce qui a été convenu,
notamment sans fournir la contre-prestation prévue. Sur
le plan subjectif, l'auteur doit avoir agi intentionnel-
lement, c'est-à-dire avec conscience et volonté, le dol
éventuel étant suffisant (ATF 117 IV 193 consid. 2
p. 198).

c) Il découle de ce qui précède que, pour l'infrac-
tion en cause, le délai de plainte commence à courir du
jour où l'ayant droit a su ou pu savoir que celui auquel
il l'avait confié a, intentionnellement, utilisé le ré-
sultat de son travail contrairement à ce qui avait été
convenu, notamment sans fournir la contre-prestation
prévue.

d) Sur la base des déclarations du recourant, l'ar-
rêt attaqué retient que l'intimé était en droit d'utili-
ser les documents (dossiers techniques, plans, soumis-
sions, etc.) élaborés et remis par le recourant à la
condition de les rémunérer et qu'il y avait donc acte de
concurrence déloyale dès le moment où l'intimé, en com-
mençant le chantier, utilisait ces documents sans les
avoir payés. Il en déduit que, lorsqu'il a passé à côté
du chantier et constaté que la construction, qui était
déjà avancée, avait commencé, en septembre 1997, le
recourant disposait de tous les éléments objectifs pour
déposer plainte, de sorte que sa plainte du 1er septembre
1998 était tardive.

L'arrêt attaqué admet ainsi que la plainte a été
déposée plus de trois mois après que le recourant, en
septembre 1997, a eu connaissance de tous les éléments
objectifs de l'infraction. Cela n'est à juste titre pas
contesté, dès lors qu'il n'a pas été retenu en fait que
l'intimé aurait continué à utiliser les documents en
question après septembre 1997, respectivement après le
1er juin 1998.

e) Il résulte des faits retenus que, par lettre
recommandée du 15 octobre 1997, le recourant, a indiqué à
l'intimé qu'il avait constaté que celui-ci utilisait les
documents qu'il lui avait remis sans autorisation et sans
les avoir payés et qu'il y avait dès lors "volonté mani-

feste de votre part de rupture du contrat consécutif à
notre commande du 20 avril 1995", ajoutant que, malgré
plusieurs rappels, une facture de 203.000 francs du
31 décembre 1994 n'était toujours pas payée, nonobstant
l'ouverture du crédit de construction. Le recourant, qui
ne le conteste d'ailleurs pas, savait donc, à ce moment-
là, que l'intimé utilisait les documents qu'il avait
élaborés et qu'il lui avait confiés, sans les avoir
payés, contrairement à ce qui avait été convenu. Même en
admettant que, comme il le prétend, il ignorait cependant
que c'est intentionnellement que l'intimé ne l'avait pas
payé et que sa lettre recommandée visait à rappeler à ce
dernier ses obligations contractuelles, le fait que cette
lettre, comme il l'admet, est "restée sans la moindre
réponse" lui démontrait clairement qu'il ne s'agissait
pas d'un simple oubli de la part de l'intimé. Dans les
semaines qui ont suivi l'envoi de cette lettre, mais au
plus tard à la fin 1997, le recourant, qui avait déjà
connaissance depuis le mois de septembre des éléments
objectifs de l'infraction, a donc également eu connais-
sance de l'élément subjectif de celle-ci. Sa plainte du
1er septembre 1998 est donc manifestement tardive. En
tant qu'il l'admet, l'arrêt attaqué ne viole donc pas le
droit fédéral.

2.- Le pourvoi doit ainsi être rejeté.

Le recourant, qui succombe, supportera les frais
(art. 278 al. 1 PPF).

Il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité à
l'intimé, qui n'a pas été amené à intervenir dans la
procédure devant le Tribunal fédéral (art. 278 al. 3
PPF).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l ,

1. Rejette le pourvoi.

2. Met à la charge du recourant un émolument
judiciaire de 2000 francs.

3. Dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité.

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties, au Procureur général du canton du
Jura et à la Cour pénale du Tribunal cantonal jurassien.
____________

Lausanne, le 18 janvier 2002

Au nom de la Cour de cassation pénale
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.684/2001
Date de la décision : 18/01/2002
Cour de cassation pénale

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-01-18;6s.684.2001 ?
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