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16/01/2002 | SUISSE | N°4C.249/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 16 janvier 2002, 4C.249/2001


«/2»

4C.249/2001

Ie C O U R C I V I L E
**************************

16 janvier 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz
et Favre, juges. Greffière: Mme Michellod.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

D.________, défendeur et recourant principal, représenté par
Me Jean-Marc Froidevaux, avocat à Genève,

et

X.________ S.A., demanderesse et recourante par voie de
jonction, représentée par Me Marc Henzelin, avocat à Genève;

(contrat de travail; clause de prohibition de concurrence;
peine conventionnelle)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
l...

«/2»

4C.249/2001

Ie C O U R C I V I L E
**************************

16 janvier 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz
et Favre, juges. Greffière: Mme Michellod.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

D.________, défendeur et recourant principal, représenté par
Me Jean-Marc Froidevaux, avocat à Genève,

et

X.________ S.A., demanderesse et recourante par voie de
jonction, représentée par Me Marc Henzelin, avocat à Genève;

(contrat de travail; clause de prohibition de concurrence;
peine conventionnelle)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- X.________ S.A. est une société dont le but est
le placement de personnel fixe ou temporaire dans les domai-
nes de l'électricité, l'électronique, le bâtiment, l'indus-
trie et le commerce; elle a son siège dans le canton de Genè-
ve et elle possède des succursales dans les cantons de Fri-
bourg, Neuchâtel et Vaud.

Par contrat de travail du 14 novembre 1994,
X.________ S.A. a engagé D.________ en qualité de conseiller
en personnel, pour un salaire mensuel brut de 4'300 fr.,
douze fois l'an, à raison de 40 heures par semaine. Ce con-
trat comportait la clause suivante:

"Monsieur D.________ s'engage à ne pas
travailler pour une maison concurrente
dans un délai d'une année après avoir
quitté la société X.________ S.A., et
ceci, dans un rayon de 100 km. Une indem-
nité de 100'000 fr. sera demandée par la
société X.________ S.A. en cas de viola-
tion de cette clause."

D.________ a travaillé environ quatre ans au ser-
vice de X.________ S.A. Il a souffert d'un épisode dépressif
majeur en relation avec son travail en octobre et novembre
1997. Par lettre du 28 janvier 1999, il a résilié son
contrat
pour le 31 mars 1999 en ne fournissant aucun motif. Le 27 fé-
vrier, il s'est vu remettre par son employeur une lettre lui
rappelant notamment son devoir de fidélité et la clause de
prohibition de concurrence qui figurait dans son contrat.

Dès le 16 avril 1999, D.________ a été engagé par
Y.________ S.A., société concurrente établie dans le canton
de Genève.

X.________ S.A. a refusé de remettre à D.________
un certificat de libre engagement à la fin de son contrat
car
elle voulait d'abord connaître le nouveau domaine d'activité
de son ancien employé. Ce n'est que le 26 juin 2000 que
X.________ S.A. lui a remis ce certificat.

B.- Par demande du 21 juin 1999, X.________ S.A. a
saisi la juridiction des prud'hommes du canton de Genève, ré-
clamant à D.________ la somme de 100'000 fr. avec intérêts à
5 % l'an pour violation de la clause contractuelle de prohi-
bition de concurrence.

Par jugement du 24 juillet 2000, le Tribunal des
prud'hommes a considéré que D.________ avait résilié son con-
trat pour un motif imputable à X.________ S.A. et que, par
conséquent, la clause de prohibition de concurrence ne lui
était plus opposable. Le tribunal a débouté X.________ S.A.
de ses conclusions.

Sur appel de la demanderesse, la Cour d'appel de la
juridiction des prud'hommes a réformé le jugement par arrêt
du 14 mars 2001. En substance, elle a considéré que la
clause
de non-concurrence était en elle-même valable et qu'elle
était opposable à D.________; elle ne pouvait toutefois pas
s'étendre géographiquement à la France voisine. La Cour
d'appel a par ailleurs jugé excessif le montant de la peine
conventionnelle et l'a réduit à 10'000 fr. Elle a condamné
D.________ à verser à la demanderesse la somme nette de
10'000 fr. avec intérêts à 5 % l'an dès le 1er juillet 1999.

C.- Le défendeur interjette un recours en réforme
au Tribunal fédéral. Il conclut à la réforme de l'arrêt at-
taqué en ce sens que la demanderesse est déboutée de ses con-
clusions.

Dans sa réponse, la demanderesse conclut au rejet
du recours. Elle forme également un recours joint, concluant
à la réforme de l'arrêt attaqué en ce sens que le défendeur
est condamné à lui verser la somme de 100'000 fr. avec inté-
rêts à 5 % l'an dès le 1er juillet 1999. Invité à déposer
une
réponse, le défendeur conclut au déboutement de la demande-
resse.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral. En revanche, il ne permet pas d'invoquer
la
violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art.
43
al. 1 OJ) ou la violation du droit cantonal (ATF 127 III 248
consid. 2c et les arrêts cités). Le recourant ne peut
prendre
de conclusions nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement juridique sur la base des
faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des
dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été vio-
lées, qu'il faille rectifier des constatations reposant sur
une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter
les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci
n'a pas tenu compte de faits pertinents et régulièrement al-
légués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts
cités).

Dans la mesure où le recourant présente un état de
fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision
attaquée,
sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui
viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir
compte. Il ne peut être présenté de griefs contre les cons-
tatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nou-

veaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). L'appréciation des preuves
à
laquelle s'est livrée l'autorité cantonale ne peut donc être
remise en question. Ces principes s'appliquent par analogie
à
la réponse et au recours joint (art. 59 al. 3 OJ).

Dans son examen du recours, le Tribunal fédéral ne
peut aller au-delà des conclusions des parties; en revanche,
il n'est lié ni par les motifs que les parties invoquent
(art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation juridique de la
cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 127 III 248 consid.
2c). Il peut donc admettre un recours pour d'autres motifs
que ceux invoqués par le recourant et peut également rejeter
un recours en adoptant une autre argumentation juridique que
celle retenue par la cour cantonale (Corboz, Le recours en
réforme au Tribunal fédéral, in SJ 2000 II p. 59).

2.- a) Le défendeur invoque les art. 2 et 27 CC. Il
estime que la Cour d'appel aurait dû se demander dans quelle
mesure le comportement de la demanderesse était licite au
sens des articles précités.

Le défendeur rappelle les principes légaux qui li-
mitent l'étendue d'une clause de non-concurrence mais n'expo-
se pas en quoi la clause figurant dans son contrat les viole-
rait. Il ne remet notamment pas en question l'analyse de
l'autorité cantonale sur ce point.

Le défendeur estime en revanche qu'en refusant de
lui remettre d'emblée un certificat de libre engagement, la
demanderesse l'a déterminé à violer la clause de non-concur-
rence. Or la partie qui contraint l'autre à violer une obli-
gation en choisissant d'avoir elle-même un comportement con-
traire au droit n'agit pas de bonne foi au sens de l'art. 2
CC et ne mérite aucune protection de la loi.

b) La cour cantonale a retenu que le contrat de
travail avait pris fin le 31 mars 1999, l'employé étant libé-
ré de l'obligation de venir travailler dès la mi-février
1999. La demanderesse ne lui a cependant pas remis de certi-
ficat de libre engagement avant le 28 juin 2000, malgré une
condamnation en ce sens prononcée par la juridiction des
prud'hommes le 8 juillet 1999.

En principe, lorsqu'un frontalier change d'emploi,
l'employeur lui remet un certificat de libre engagement afin
qu'il puisse trouver un emploi dans le même secteur ou dans
un autre secteur d'activité. Sans un tel certificat, un fron-
talier ayant plus de cinq ans d'activité à Genève ne peut
pas
obtenir de l'Office cantonal de la population (OCP) l'autori-
sation de changer d'emploi. Néanmoins, lorsqu'un tel certifi-
cat ne lui est pas remis par son ancien employeur, le fronta-
lier peut demander une attestation au Tribunal des prud'hom-
mes permettant la délivrance par l'OCP d'une autorisation
provisoire pour un nouvel emploi dans le même secteur ou
dans
un autre secteur d'activité.

En l'espèce, le défendeur, qui souhaitait reprendre
son ancien métier de menuisier à Genève, a contacté d'autres
menuisiers au début de l'année 1999 pour créer une
entreprise
ou travailler comme salarié; ces démarches ont toutefois
échoué en raison de l'absence d'un certificat de libre enga-
gement émanant de X.________ S.A. En avril 1999, le
défendeur
a présenté à l'OCP une demande de changement d'emploi pour
travailler auprès de Y.________ S.A., ainsi qu'une attesta-
tion du Tribunal des prud'hommes. Une autorisation
provisoire
lui a été accordée puis a été renouvelée plusieurs fois. Une
autorisation définitive lui a été accordée le 10 juillet
2000, sur la base du certificat de libre engagement délivré
le 26 juin 2000 par X.________ S.A. Selon le fonctionnaire
de
l'OCP qui a témoigné devant la Cour d'appel,
l'administration

aurait procédé de la même manière si le défendeur avait pré-
senté une demande pour une activité différente.

c) Selon l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un
droit n'est pas protégé par la loi. Cette disposition sanc-
tionne les actes qui sont conciliables avec la norme légale
correspondante ou avec une clause contractuelle fondée sur
l'autonomie privée, mais qui violent objectivement le stan-
dard de loyauté qui résulte des règles de la bonne foi, et
qui déçoivent de la sorte la confiance des sujets de droit
dans le comportement loyal et matériellement équitable de
chacun (ATF 125 III 257 consid. 2).

Il est établi que le défendeur a violé la clause
contractuelle de non-concurrence en travaillant dès le mois
d'avril 1999 pour la société Y.________ S.A. Dès lors, l'ac-
tion en paiement de la demanderesse ne peut être qualifiée
d'abusive que si son comportement était contraire aux règles
de la bonne foi. Le refus de la demanderesse de remettre
d'emblée un certificat de libre engagement au défendeur
était
certes blâmable, mais il n'a pas été établi qu'elle l'avait
refusé dans le but de le contraindre à violer la clause de
non-concurrence. Par ailleurs, si l'absence de ce certificat
semble avoir fait échoué les pourparlers que le défendeur
avait engagés avec des menuisiers, il a cependant obtenu de
la juridiction des prud'hommes une attestation qui lui
aurait
permis de solliciter auprès de l'OCP une autorisation provi-
soire pour travailler comme menuisier. Le fait qu'il ait
ignoré cette possibilité ne saurait être imputé à la demande-
resse. L'action en paiement de cette dernière n'est donc pas
abusive au sens de l'art. 2 al. 2 CC.

3.- a) Le défendeur soutient ensuite qu'en écartant
le certificat médical attestant un épisode dépressif en octo-
bre et novembre 1997, la cour cantonale a violé l'art. 340c
al. 2 CO.

Selon cette disposition, la prohibition de faire
concurrence cesse, notamment, si le travailleur résilie le
contrat pour un motif justifié imputable à l'employeur.
Selon
la jurisprudence, un motif peut raisonnablement justifier
une
résiliation au sens de l'art. 340c al. 2 CO sans constituer
pour autant un motif de résiliation avec effet immédiat
selon
l'art. 337 CO (ATF 110 II 172 consid. 2a p. 174; 92 II 31
consid. 3).

b) En l'espèce, la cour cantonale a retenu, de ma-
nière à lier le Tribunal fédéral, que le défendeur avait été
traité en octobre et novembre 1997 pour un épisode dépressif
majeur en relation avec son travail. La cour cantonale n'a
donc pas écarté le certificat médical délivré par le Dr.
Z.________ le 1er février 2000, contrairement à ce que sou-
tient le défendeur. Elle a en revanche considéré qu'il
n'était pas établi que cette dépression ait été en relation
de causalité avec le congé donné par le défendeur le 28 jan-
vier 1999. Les arguments de ce dernier tendant à démontrer
le
contraire sont irrecevables puisqu'ils touchent l'apprécia-
tion des preuves.

Pour le surplus, c'est à juste titre que la cour
cantonale a jugé que l'art. 340c al. 2 CP était inapplicable
et que la clause de prohibition de concurrence était opposa-
ble au défendeur.

Le recours du défendeur sera ainsi rejeté.

4.- La cour cantonale a estimé que l'étendue géo-
graphique de 100 km prévue par la clause de non-concurrence
était justifiée en ce qui concernait la Suisse romande mais
excessive en ce qui concernait la France voisine puisque la
demanderesse n'y avait aucune activité commerciale.

a) Dans son recours joint, la demanderesse estime
que le raisonnement de la cour cantonale concernant
l'étendue
géographique de la clause est superflu puisque le défendeur
a
été engagé par une entreprise concurrente se situant sur le
canton de Genève.

La demanderesse n'invoque pas de violation du droit
fédéral de sorte que sa critique est irrecevable.

b) Dans sa réponse au recours joint, le défendeur
ne se borne pas à répondre à l'argument de la validité terri-
toriale de la clause de prohibition de concurrence. Il sou-
tient en outre que cette clause est excessive quant à sa du-
rée et au genre d'affaires prohibées.

On peut douter de la recevabilité de cette argumen-
tation puisque le défendeur profite de la réponse au recours
joint pour soutenir que la clause de prohibition de concur-
rence est excessive au sens de l'art. 340a CO. Il a certes
soulevé ce grief dans son recours principal mais de manière
insuffisamment motivée (cf. supra, consid. 2a). Cette ques-

tion peut toutefois rester ouverte, les griefs du défendeur
étant infondés ou irrecevables.

Tout d'abord, il convient de préciser qu'une clause
de prohibition de concurrence excessive au sens de l'art.
340a al. 1 CO n'est pas nulle; elle est simplement
réductible
(art. 340a al. 2 et 20 al. 2 CO).

S'agissant de l'étendue territoriale, le défendeur
soutient que la clause ne pouvait concerner que les cantons
de Vaud et de Genève. Il a été retenu que le défendeur avait
travaillé pour une entreprise concurrente située à Genève.
Son grief, à supposer qu'il soit fondé, ne modifierait donc
en rien le dispositif de l'arrêt attaqué; il est, pour ce
motif, irrecevable. Il en va de même en ce qui concerne la

durée de la clause puisque le défendeur l'a violée 16 jours
après la fin de son contrat avec la demanderesse. Il importe
dès lors peu de savoir si le juge devait réduire d'un an à
six mois la durée de cette clause.

Enfin, en ce qui concerne la limitation du genre
d'affaires prohibées, le défendeur estime que la clause ne
devait interdire qu'une activité de conseiller en placement
dans le secteur du bois.

La cour cantonale a estimé que la clause de non-
concurrence n'était pas excessive, c'est-à-dire qu'elle ne
compromettait pas l'avenir économique du travailleur contrai-
rement à l'équité. Selon l'art. 340a al. 2 CO, le juge
statue
selon sa libre appréciation. Dans ces cas, le Tribunal fédé-
ral ne revoit qu'avec réserve la décision prise en dernière
instance cantonale et n'intervient que si celle-ci s'écarte
sans raison des règles établies par la jurisprudence et la
doctrine en matière de libre appréciation, ou lorsqu'elle
s'appuie sur des faits qui, dans le cas particulier, ne de-
vaient jouer aucun rôle ou encore lorsqu'elle n'a pas tenu
compte d'éléments qui auraient absolument dû être pris en
considération; le Tribunal fédéral sanctionne en outre les
décisions prises en vertu d'un pouvoir d'appréciation lors-
qu'elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou
à
une iniquité choquante (ATF 127 III 153 consid. 1a).

Tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, comme
l'a mentionné la cour cantonale, la clause de
non-concurrence
se limitait à la concurrence directe ce qui laissait au dé-
fendeur la faculté d'exercer une activité dans un autre do-
maine comme celui de la menuiserie.

5.- La demanderesse invoque enfin une violation de
l'art. 163 al. 3 CO. Elle soutient qu'au vu des circonstan-

ces, le montant de la peine conventionnelle n'était pas ex-
cessif.

a) La loi prévoit que si les parties ont inséré une
clause pénale dans leur contrat, elles fixent librement le
montant de la peine conventionnelle. Toutefois, le juge doit
réduire les peines qu'il estime excessives (art. 163 al. 1
et
3 CO). Il dispose à cet effet d'un pouvoir d'appréciation
qu'il applique selon les règles du droit et de l'équité
(art.
4 CC).

L'art. 163 al. 3 CO doit être appliqué avec retenue
puisque les parties peuvent choisir librement le montant de
la peine conventionnelle et doivent respecter leurs obliga-
tions contractuelles. Une intervention du juge ne se
justifie
que si le montant convenu est si élevé que, dépassant toute
mesure raisonnable, il est incompatible avec les règles du
droit et de l'équité. Une réduction de la peine convention-
nelle se justifie en particulier si l'on discerne une dis-
proportion choquante entre son montant et l'intérêt du créan-
cier à en toucher l'intégralité (ATF 114 II 264 consid. 1a).

En tous les cas, cette appréciation doit se faire
en fonction des circonstances d'espèce (ATF 103 II 108).
Sont
notamment des critères pertinents: le type et la durée du
contrat (ATF 38 II 102), la gravité de la faute du débiteur
et de la violation de la clause pénale (ATF 103 II 135; 91
II
383), l'intérêt du créancier au respect de la clause pénale
(ATF 103 II 135), la situation économique des parties (ATF
95
II 539), un éventuel lien de dépendance existant entre elles
ainsi que leur expérience respective des affaires (ATF 114
II
264 consid. 1a). La gravité de la faute est également à éva-
luer en fonction du dommage survenu. Toutefois, l'absence de
dommage effectif ou le fait que le dommage causé soit infé-
rieur au montant de la peine conventionnelle ne suffit pas à
rendre celle-ci excessive (ATF 114 II 264 consid. 1b).

b) La demanderesse conteste la pertinence des élé-
ments pris en considération par l'autorité cantonale, notam-
ment la réduction de la portée de la clause de non-concur-
rence selon l'art. 340a CO.

Il est vrai que la cour cantonale cite ce critère
parmi ceux que le juge peut prendre en considération. Rien
n'indique cependant qu'elle l'a pris en compte au moment
d'évaluer la peine conventionnelle. Cela ne ressort en tout
cas pas de son raisonnement.

La demanderesse précise que le défendeur gagnait,
lorsqu'il a résilié son contrat, un salaire brut de 5'750
fr.
et non de 4'300 fr., comme retenu par la cour cantonale.
Dans
sa réponse, le défendeur affirme que son salaire se montait
à
4'750 fr., se référant au jugement du 8 juillet 1999 qui men-
tionne un salaire de 4'300 fr.; ce salaire correspondant au
salaire fixé dans le contrat du 14 novembre 1994.

Il apparaît effectivement que le directeur de la
demanderesse, M. A.________, a indiqué, lors de son audition
du 13 décembre 2000, que le dernier salaire brut mensuel du
défendeur se montait à 5'750 fr. La question de savoir si la
cour cantonale a commis une inadvertance manifeste au sens
de
l'art. 63 al. 2 OJ en ne retenant pas ce témoignage peut res-
ter ouverte.

La demanderesse soutient que le défendeur n'a pas
cherché un poste en France voisine alors que la clause de
non-concurrence ne s'y opposait pas (puisqu'elle était exces-
sive sur ce point), qu'il a démissionné alors qu'il n'avait
pas de nouvel emploi et qu'il n'a pas démontré avoir procédé
à des démarches intensives pour trouver du travail. Elle sem-
ble convaincue qu'il avait soigneusement préparé son départ
et elle déduit du fait qu'il a trouvé du travail deux semai-
nes après la fin de son contrat, que ses efforts pour ne pas

violer la clause de non-concurrence se sont terminés très
tôt. Il n'y avait dès lors pas lieu de réduire le montant de
la peine conventionnelle.

La demanderesse affirme en outre que le défendeur a
emmené avec lui entre dix et vingt travailleurs temporaires
lorsqu'il a démissionné, ce qui l'a contraint à fermer son
secteur bois. Elle chiffre sa perte financière à plus de
200'000 fr. et considère de ce fait que le montant de la pei-
ne conventionnelle est tout à fait raisonnable.

La demanderesse insiste enfin sur le fait que le
défendeur a violé la clause de non-concurrence en toute con-
naissance de cause puisqu'il avait été expressément rendu at-
tentif, lors de sa démission, à son contenu.

c) Le défendeur répond qu'étant donné la mise en
demeure de la demanderesse visant à ce qu'il respecte la
clause de non-concurrence et le rayon de 100 km stipulés par
cette clause, toute recherche d'emploi en France voisine
était exclue. Il ajoute que si la demanderesse a renoncé à
exploiter le secteur bois après son départ, il n'a pas été
établi que cette décision était liée à la violation de la
clause de non-concurrence. Il considère enfin que doivent
être pris en considération l'épisode dépressif dont il a
souffert en octobre et novembre 1997 ainsi que le refus de
la
demanderesse de lui remettre d'emblée un certificat de libre
engagement.

d) La cour cantonale a tenu le montant de
100'000 fr. pour excessif en considérant notamment qu'il re-
présentait deux ans de salaire brut du défendeur. Même si
l'on tenait compte du salaire mentionné par le témoin
A.________, la peine conventionnelle représenterait encore
un
an et demi de salaire brut. La cour cantonale a en outre
constaté que les modalités de paiement imposées par la de-

manderesse auraient dû se prolonger sur plus de huit ans,
laissant au défendeur, sur toute cette période, un revenu
mensuel brut de 3'766 fr.

Ces deux éléments révèlent à eux seuls une dispro-
portion choquante entre la situation économique du travail-
leur et le montant de la peine conventionnelle.

S'agissant de la difficulté du défendeur à trouver
un nouvel emploi compatible avec la clause de non-concurren-
ce, la cour cantonale a constaté qu'il se trouvait dans l'er-
reur sur les possibilités légales de changer de secteur d'ac-
tivité. A cet égard, elle a estimé que le refus obstiné de
la
demanderesse de remettre au défendeur le certificat auquel
il
avait droit l'avait conforté dans cette erreur, que la deman-
deresse avait, de fait, notablement limité le champ de re-
cherche du défendeur et l'avait de même contraint à demeurer
dans l'activité de placement qui était la sienne.

Lorsque la demanderesse reproche au défendeur de ne
pas avoir cherché du travail en France voisine, son grief
frise la témérité. Le défendeur ayant été sommé de respecter
la clause de non-concurrence et celle-ci prévoyant un rayon
de 100 km autour de Genève, le défendeur n'avait pas plus la
possibilité de travailler en France voisine qu'en Suisse ro-
mande. Il a également été constaté que le nouveau salaire du
défendeur était à peine supérieur au dernier salaire réalisé
chez la demanderesse (4'766 fr.; 4'300 fr.). Si l'on tient
compte du salaire allégué par le témoin A.________, le nou-
veau salaire du défendeur était même inférieur de 984 fr.
par
mois au dernier salaire réalisé chez la demanderesse
(4'766.-; 5'750.-).

Ces éléments diminuent de manière significative la
gravité de la faute du défendeur. En outre, il n'a pas été
retenu qu'il avait, par son départ, entraîné fautivement le

départ d'autres employés, ni qu'il avait soigneusement prépa-
ré son engagement dans une entreprise concurrente. Au con-
traire, la cour cantonale a retenu qu'il avait effectué plu-
sieurs démarches au début 1999 pour pouvoir travailler en
tant que menuisier salarié ou indépendant et que celles-ci
avaient échoué en raison de l'absence du certificat exigé
par
l'OCP. Par contre, contrairement à ce que soutient le défen-
deur, l'état dépressif dont il a souffert en 1997 n'est pas
un critère pertinent, dès lors que la cour cantonale n'a pas
retenu de lien de causalité entre cet épisode et le congé
donné en 1999.

Enfin, s'agissant du dommage allégué par la deman-
deresse, la cour cantonale a considéré qu'il n'était pas éta-
bli; il s'agit d'une constatation de fait qui lie le
Tribunal
fédéral. Certes, l'absence de dommage ne suffit pas à rendre
abusif le montant de 100'000 fr. convenu entre les parties,
mais il fait partie des circonstances concrètes du cas qui
permettent d'évaluer l'intérêt du créancier à toucher l'en-
tier de la peine conventionnelle.

e) Au vu de tous ces éléments, la cour cantonale
n'a pas violé le droit fédéral en qualifiant d'excessif le
montant de 100'000 fr. prévu par la clause pénale figurant
dans le contrat du 14 novembre 1994. Quant à l'ampleur de la
réduction de la peine conventionnelle, elle relève du
pouvoir
d'appréciation du juge du fait. A cet égard, le montant de
10'000 fr. paraît proportionné et équitable.

Le recours joint déposé par la demanderesse sera
par conséquent rejeté et l'arrêt attaqué confirmé.

6.- La procédure fédérale a trait à un différend
résultant d'un contrat de travail; elle n'est pas gratuite
puisque la valeur litigieuse déterminante, calculée au
moment

du dépôt de la demande, dépasse le plafond de 30'000 fr.
fixé
à l'art. 343 al. 2 CO dans sa nouvelle teneur entrée en vi-
gueur le 1er juin 2001 (RO 2001 p. 2048) et applicable aux
procédures déjà pendantes à cette date.

Chacune des parties succombe sur son recours et
doit en principe en supporter les frais et dépens (art. 156
al. 1 et 159 al. 1 OJ). Il faut cependant tenir compte équi-
tablement du fait que les conclusions de la demanderesse por-
taient sur une valeur nettement supérieure à celles du défen-
deur. Les dépens devant être compensés, seule la différence
sera mise à la charge de la demanderesse.

Par ces motifs

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours principal ainsi que le re-
cours joint et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 2'000 fr. à la
charge du défendeur;

3. Met un émolument judiciaire de 4'500 fr. à la
charge de la demanderesse;

4. Dit que la demanderesse versera au défendeur une
indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens;

5. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour d'appel de la juridiction
des
prud'hommes du canton de Genève.

_________

Lausanne, le 16 janvier 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.249/2001
Date de la décision : 16/01/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-01-16;4c.249.2001 ?
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