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15/01/2002 | SUISSE | N°5C.287/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 15 janvier 2002, 5C.287/2001


«/2»
5C.287/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

15 janvier 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, M. Raselli,
Mme Nordmann, Mme Escher et M. Meyer, juges.
Greffier: M. Abrecht.

_________

Dans la cause civile pendante
entre

Epoux A.________, demandeurs et recourants, tous deux repré-
sentés par Me Oliver Rodondi, avocat à Lausanne,

et

Dame B.________, défenderesse et intimée, représentée par Me
Henri Baudraz, avocat à Lausanne;



(déplacement d'une servitude)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Les époux ...

«/2»
5C.287/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

15 janvier 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, M. Raselli,
Mme Nordmann, Mme Escher et M. Meyer, juges.
Greffier: M. Abrecht.

_________

Dans la cause civile pendante
entre

Epoux A.________, demandeurs et recourants, tous deux repré-
sentés par Me Oliver Rodondi, avocat à Lausanne,

et

Dame B.________, défenderesse et intimée, représentée par Me
Henri Baudraz, avocat à Lausanne;

(déplacement d'une servitude)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Les époux A.________ ont acquis le 8 août 1996
en propriété commune de l'hoirie Y.________ la parcelle ins-
crite au Registre foncier du district de Grandson sous aaa
de
la commune de X.________. Cet immeuble est grevé d'une servi-
tude de passage à pied et à char inscrite le 29 décembre
1911
au profit de la parcelle bbb de la même commune, propriété
de
dame B.________.

Les bâtiments sis sur les parcelles bbb et aaa,
construits sur un terrain en pente et aujourd'hui affectés à
l'habitation uniquement, étaient des fermes au moment de
constitution de la servitude. Celle-ci s'exerce actuellement
sur un chemin d'accès qui passe directement devant la maison
que les époux A.________ ont entièrement rénovée et dans la-
quelle ils résident avec leurs trois jeunes enfants.

En 1994, la Commission de classification du syndicat
de X.________ avait envisagé la radiation de la servitude de
passage précitée et l'aménagement d'un nouveau passage en
amont des bâtiments. Dame B.________ s'étant opposée à ce
projet, essentiellement pour des raisons financières, la Com-
mission y avait toutefois renoncé. Des pourparlers engagés
par la suite entre les époux A.________ et dame B.________
pour le déplacement de l'assiette de la servitude n'ont dé-
bouché sur aucun accord.

B.- Le 16 novembre 1996, les époux A.________ ont
saisi le Président du Tribunal du district de Grandson d'une
action dirigée contre dame B.________. Telles que complétées
en cours de procédure, leurs conclusions tendaient à ce que
l'assiette de la servitude de passage soit déplacée à l'ar-
rière de leur propriété, moyennant une indemnité qui serait
fixée à dire de justice, le cas échéant après avis d'expert.

La défenderesse a conclu au rejet de ces conclusions.

C.- Par jugement du 12 octobre 2000, le Président,
se fondant notamment sur l'expertise judiciaire confiée à
l'ingénieur-géomètre R.________ et à l'architecte
F.________,
a dit en substance que la servitude litigieuse était
déplacée
(I) et s'exercerait dorénavant à l'arrière du bâtiments des
demandeurs selon plan annexé (II). Il a subordonné ce dépla-
cement au paiement par les demandeurs d'une indemnité de
39'843 fr. 80 permettant à la défenderesse de réaliser sur
sa
parcelle, dans les quinze mois dès le versement, les travaux
d'aménagement du nouvel accès et d'adaptation de sa maison
(III), les demandeurs aménageant eux-mêmes et à leurs frais
le nouveau passage sur leur parcelle (IV). Il a enfin invité
le Conservateur du Registre foncier a inscrire le moment
venu
la nouvelle assiette de la servitude (V), arrêté les frais
de
justice (VII), condamné la défenderesse à verser de pleins
dépens aux demandeurs (VI) et rejeté toutes autres ou plus
amples conclusions (VIII).

a) Outre les faits exposés sous lettre A supra, ce
jugement retient en substance les faits suivants:

aa) Les demandeurs résident avec leurs trois jeunes
enfants, nés en 1991, 1993 et 1995, dans la ferme sise sur
la
parcelle aaa, qu'ils ont entièrement rénovée. Selon l'ar-
chitecte qui s'est occupé des transformations, le concept
architectural imposait une ouverture du bâtiment au sud. À
l'époque de la constitution de la servitude, les sorties
principales de la partie habitation de cette ferme, où vi-
vaient des enfants, donnaient déjà sur le chemin faisant
l'objet de la servitude. Celle-ci était à l'époque empruntée
quotidiennement par deux ou trois personnes à pied; les bâti-
ments sis sur les parcelles bbb et aaa étaient alors longés
au nord par un chemin, relié à un autre situé en amont.

bb) La servitude s'exerce actuellement sur un chemin
d'accès qui passe directement devant la maison des deman-
deurs. Son tracé emprunte le dégagement naturel de cet immeu-
ble, au sud et de plain-pied avec les pièces à vivre
(séjour,
cuisine, salle à manger et entrée), et empiète sur ce qui
est
utilisé comme terrasse du logement. Ce chemin, qui permet
l'accès au sud du bâtiment de la défenderesse, est très é-
troit. Il est bordé par un mur en aval du passage.

cc) La défenderesse habite depuis 1962 dans l'immeu-
ble sis sur la parcelle bbb, où elle vit seule depuis le dé-
cès de son mari. Elle passe quotidiennement en voiture
devant
la maison des demandeurs et décharge ses commissions, qui
comprennent des aliments ou accessoires pour ses animaux
(chiens et chats) et son jardin, à l'avant de sa maison et
ne
gare jamais son véhicule derrière celle-ci. Afin de quitter
son garage avec sa voiture, elle doit effectuer des manoeu-
vres qui empiètent sur le terrain des demandeurs. En hiver,
elle dégage elle-même le passage avec une pelle, le déneige-
ment mécanique du chemin par les services communaux n'étant
pas possible en raison de l'état du mur de soutènement.

dd) La servitude actuelle présente quelques commodi-
tés pour le fonds dominant, en raison de son tracé
rectiligne
et relativement plat. Sa largeur est toutefois réduite au
niveau de l'ancien four à pain de l'immeuble des demandeurs.
De plus, son usage est fortement restreint dès lors que le
mur de soutènement ne supporte que des charges limitées et
menace de s'écrouler. Outre ce danger, un risque de
collision
avec les habitants du fonds servant existe lors du passage
d'un véhicule devant les sorties de l'immeuble des deman-
deurs. La servitude ne correspond pas aux normes et concep-
tions actuelles d'un droit de passage, qui veulent que les
accès et entrées se situent à l'arrière des constructions et
les espaces privatifs de dégagement en aval. Par ailleurs,
elle devrait offrir une largeur minimale de 3 mètres utiles

sur tout son tracé, sans conflit avec les entrées des immeu-
bles adjacents, et permettre le rebroussement aisé d'un véhi-
cule ou au moins d'un petit utilitaire sur le fonds dominant.

ee) Un accès par l'arrière serait indéniablement
moins commode pour la défenderesse. En effet, son logement
est organisé de manière à utiliser au mieux l'accès sud à la
maison, qui est de plain-pied avec le rez-de-chaussée. À ce
niveau sont situées une vaste entrée, une cuisine habitable,
une salle de bain et une pièce d'environ 12 m², sommairement
meublée; s'y ajoutent une remise contiguë au garage, une
pièce vétuste hébergeant des chats, une cave servant de
chaufferie et un ancien "boiton" hébergeant des chiens. À
l'étage sont situés un petit hall, la chambre à coucher de
la
défenderesse et un très vaste séjour d'environ 70 m², avec
un
coin bureau, une grande cheminée de salon ainsi qu'une por-
te-fenêtre donnant de plain-pied à l'arrière de
l'habitation.
Le reste du bâtiment, côté est, est toujours dans sa configu-
ration de grange avec un très grand volume sous toiture qui
passe par-dessus les pièces habitables. Il bénéficie d'un
accès direct depuis le chemin au nord de l'immeuble.

La défenderesse vit sur ces deux niveaux. Elle passe
toutefois ses journées principalement au rez-de-chaussée,
l'étage étant mal isolé. L'escalier reliant les niveaux est
très raide; bien que droit, il est dangereux à la descente,
notamment pour une personne âgée ou lors du transport de
matériel ou de sacs à provision.

ff) Selon les experts, le déplacement de la servitu-
de à l'arrière du bâtiment des demandeurs est techniquement
possible et souhaitable. Suffisamment large et plat, le che-
min pourrait être déneigé par le véhicule qui opère pour la
commune. Le déneigement ne serait toutefois pas aisé en rai-
son de la quantité de neige déversée à cet endroit depuis le
chemin communal situé en amont. Contrairement au passage

actuel, le nouveau passage pourrait être utilisé par tous
types de véhicules et résisterait à de lourdes charges; en
outre, la sécurité de tous les usagers et voisins en serait
accrue, et un accès par le nord permettrait une meilleure
utilisation des volumes existants dans l'immeuble de la dé-
fenderesse. Toutefois, un accès par l'arrière constituerait
indéniablement, du point de vue de la défenderesse, une dimi-
nution de la commodité de l'accès actuel. Des mesures cons-
tructives seraient ainsi nécessaires pour compenser cet in-
convénient.

gg) L'architecte S.________ mandaté par les deman-
deurs a émis quatre propositions de déplacement de la servi-
tude au nord des bâtiments, impliquant en particulier les
travaux nécessaires à la création d'un garage - ainsi que
d'une surface de manoeuvre et d'une place de stationnement
supplémentaire - sur le côté nord-est du bâtiment de la dé-
fenderesse, en utilisant l'appentis existant. En complément
à
ces travaux, l'architecte proposait une liaison jusqu'à l'en-
trée actuelle du logement (au rez-de-chaussée donnant sur le
sud) par un escalier extérieur couvert (variante 1, devisée
à
31'130 fr.), un accès au logement par un escalier interne du
garage au rez-de-chaussée (variante 2, devisée à 34'326
fr.),
la création d'un tambour d'entrée dans la partie rurale,
l'accès à l'appartement se faisant par l'étage (variante
3.1,
devisée à 36'792 fr.), ou enfin l'aménagement d'une porte
directe de l'extérieur sur le hall du premier étage
(variante
3.2, devisée à 30'212 fr.).

De l'avis des experts, ces quatre variantes sont
réalisables et ne posent pas de problème technique particu-
lier. Toutefois, la variante 1 ne se justifie pas, car un
escalier extérieur, même couvert, ne peut constituer en
hiver
un accès équivalent à l'accès actuel. La variante 2
nécessite
pour sa part la création d'une porte indépendante permettant
aux visiteurs d'accéder à l'entrée inférieure sans passer
par

le garage. Quant à la variante 3, elle ne se justifie que si
un nouvel escalier intérieur est aménagé; ses coûts se monte-
raient, TVA non comprise et sans compter le coût du nouvel
escalier intérieur, à 33'500 fr. pour la variante 3.2.

b) aa) En droit, le premier juge a considéré que les
demandeurs ne pouvaient exiger le déplacement de la
servitude
litigieuse sur la base de l'art. 742 CC, car la condition
selon laquelle la servitude déplacée ne devait pas s'exercer
moins commodément n'était pas réalisée. En revanche, il a
estimé pouvoir appliquer l'art. 736 al. 2 CC, qui permet
selon la jurisprudence d'obtenir, contre une indemnité qui
peut notamment prendre la forme de l'attribution d'un
nouveau
passage, la radiation d'une servitude dont la charge s'est à
ce point accrue, depuis sa constitution, que l'intérêt du
propriétaire du fonds dominant au maintien de la servitude
est devenu proportionnellement ténu, à la condition que l'ag-
gravation de la charge ne soit pas imputable au propriétaire
du fonds servant.

bb) Le premier juge a retenu que la charge imposée
au fonds servant s'était sensiblement accrue depuis la cons-
titution de la servitude litigieuse. En effet, à l'instar du
bâtiment de la défenderesse, celui des demandeurs n'avait
plus d'affectation agricole et se trouvait actuellement dans
le périmètre de la zone village. Transformé en un logement
familial doté d'un confort moderne, cet immeuble avait un
dégagement naturel, imposé par le concept architectural,
vers
le sud, où se trouvaient le séjour, la cuisine, la salle à
manger et l'entrée, ainsi qu'une terrasse de plain-pied. Les
demandeurs subissaient donc une limitation importante de
l'usage de leur bien-fonds par l'empiétement du passage sur
la terrasse qu'ils avaient aménagée. Les modifications appor-
tées à l'immeuble avaient créé un lien plus étroit entre
l'intérieur et l'extérieur de la maison, et il existait un
risque accru d'accident pour les enfants des demandeurs,

d'autant plus que la voiture avait remplacé le char depuis
la
constitution de la servitude. Les demandeurs ne pouvaient se
voir reprocher d'avoir créé eux-mêmes une charge accrue de
la
servitude sur leur bien-fonds en raison de la transformation
de leur immeuble: L'augmentation de la charge résultait en
effet de causes objectives, liées au recul des exploitations
agricoles, à l'évolution du mode de vie et au fait que l'usa-
ge actuel voulait que les accès et entrées se trouvent à
l'arrière des constructions et que les espaces privatifs de
dégagement soient situés en aval.

Le premier juge a certes retenu qu'un passage au
nord serait un peu moins commode pour la défenderesse en ce
qui concernait le tracé, et qu'il lui imposerait d'emprunter
un escalier pour se rendre au rez-de-chaussée de sa maison,
notamment à la cuisine, endroit où elle se tenait le plus
souvent; en outre, un tel passage supposerait des travaux
d'aménagement, ce dernier inconvénient étant toutefois provi-
soire s'agissant des nuisances du chantier lui-même. Toute-
fois, un nouvel accès par le nord, plus court que le tracé
actuel, serait plus avantageux; il offrirait une largeur
convenable et son usage ne serait pas restreint aux
véhicules
légers. Le déneigement du chemin pourrait ainsi être
effectué
mécaniquement par la commune. Le risque d'effondrement du
passage actuel serait en outre évité. Le nouvel aménagement
du couvert à voitures permettrait par ailleurs le départ des
véhicules dans les limites territoriales
de la servitude,
limites qui n'étaient pas respectées actuellement du fait
des
manoeuvres que la défenderesse devait effectuer pour quitter
le couvert à voitures actuel au sud de son bâtiment. Ainsi,
mis dans la balance avec l'accroissement de la charge de la
servitude pour le fonds servant, l'intérêt de la
défenderesse
au maintien du passage actuel au sud du bâtiment des deman-
deurs était ténu. Il s'imposait donc de prévoir le déplace-
ment au nord de l'assiette de la servitude.

cc) Le premier juge a estimé que la variante la plus
adaptée était celle qui prévoyait, en plus des réalisations
communes à toutes les propositions, une porte directe de
l'extérieur sur le premier étage du logement, soit la varian-
te 3.2; pour des raisons de commodité évidentes, il fallait
y
ajouter l'aménagement d'un escalier intérieur plus pratica-
ble, ce qui faciliterait notamment l'acheminement dans la
cuisine des marchandises déchargées de la voiture. Cette
solution pouvait être chiffrée, TVA non comprise, à 33'500
fr. (estimation des experts) plus 3'564 fr. (estimation de
l'architecte S.________) pour l'escalier intérieur, soit à
un
total de 39'843 fr. 80, TVA à 7,5% comprise. Le premier juge
a subordonné le déplacement de la servitude au versement
d'un
tel montant par les demandeurs, ainsi qu'à l'exécution des
travaux d'aménagement du nouvel accès et de la maison de la
défenderesse, laquelle restait libre de choisir une solution
différente de celle retenue. Ces travaux devraient être mis
à
l'enquête, réalisés et achevés dans un délai de 15 mois dès
le versement intégral de l'indemnité. À cette échéance, la
servitude serait déplacée quel que soit l'avancement des
travaux, sauf refus des autorités compétentes de délivrer
les
permis de construire nécessaires.

D.- Par arrêt du 11 avril 2001, la Chambre des re-
cours du Tribunal cantonal du canton de Vaud a admis le re-
cours interjeté par la défenderesse contre ce jugement et
réformé celui-ci dans le sens du rejet des conclusions de la
demande.

a) À l'instar du premier juge, la cour cantonale,
qui a déclaré faire sien dans son entier l'état de fait du
jugement de première instance, a considéré que les
conditions
d'un déplacement de la servitude sur la base de l'art. 742
CC
n'étaient pas réunies en l'espèce (arrêt attaqué, consid. 4a
et b p. 16-17).

b) Après avoir rappelé l'évolution de la jurispru-
dence et de la doctrine relatives à l'application de l'art.
736 al. 2 CC (arrêt attaqué, consid. 4c p. 17-20), les juges
cantonaux ont estimé que l'intérêt du fonds dominant à béné-
ficier du droit de passage au sud de son habitation n'était
pas moindre aujourd'hui qu'à l'époque où la servitude avait
été constituée. En effet, si le passage n'était plus nécessi-
té par les activités agricoles, la propriétaire avait tou-
jours impérativement besoin de cet accès du fait de l'organi-
sation de son logement, qui était agencé de manière à utili-
ser l'accès sud au rez-de-chaussée, où la défenderesse pas-
sait la majeure partie de sa journée. Le déplacement de la
servitude au nord impliquerait le percement d'une porte au
nord et l'installation d'un nouvel escalier intérieur plus
praticable, modifications qui imposeraient à la défenderesse
de traverser sa maison et de descendre par l'escalier chaque
fois qu'elle aurait à acheminer ses courses à la cuisine ou
à
porter les fournitures destinées à ses animaux. Force était
ainsi de constater que l'intérêt de la défenderesse à bénéfi-
cier d'un droit de passage au sud de son bâtiment n'avait
pas
diminué (arrêt attaqué, consid. 4d p. 20-22).

c) La cour cantonale s'est ensuite demandé si la
charge imposée aux demandeurs par la servitude s'était à ce
point accrue, depuis sa constitution, que l'intérêt de la
défenderesse à son maintien était devenu proportionnellement
ténu. Contrairement au premier juge, elle a toutefois
répondu
par la négative à cette question. Selon elle,
l'argumentation
des demandeurs - qui invoquaient la transformation de leur
immeuble en un logement familial doté d'un confort moderne
avec un dégagement naturel vers le sud, où se trouvaient les
pièces à vivre ainsi qu'une terrasse de plain-pied, et qui
faisaient valoir que la présence de véhicules devant leur
logement représentait un danger important pour leurs en-
fants - perdait de vue qu'à l'époque de la constitution de
la
servitude déjà, une famille avec des enfants vivait dans ce

bâtiment. Si l'immeuble était alors certes affecté à l'ex-
ploitation agricole, les sorties principales de la partie
habitation de la ferme donnaient déjà sur le chemin faisant
l'objet de la servitude, de sorte que les risques d'accident
existaient déjà auparavant; ils n'étaient pas plus élevés
actuellement, le droit de passage étant peu exercé par sa
bénéficiaire. La charge pour le fonds servant était ainsi
objectivement toujours plus ou moins la même. Quant au fait
que le chemin était étroit, que la défenderesse devait le
déneiger elle-même et que des véhicules lourds ne pouvaient
y
accéder, l'on ne pouvait y voir des motifs de déplacer la
servitude dès lors que la propriétaire du fonds dominant
s'en
contentait (arrêt attaqué, consid. 4e p. 22-23). Dès lors,
le
recours devait être admis et le jugement de première
instance
réformé en ce sens que les demandeurs étaient déboutés de
toutes leurs conclusions (arrêt attaqué, consid. 5 p. 23).

E.- Les demandeurs exercent un recours en réforme au
Tribunal fédéral contre cet arrêt. Ils concluent avec suite
de frais et dépens à sa réforme en ce sens que le jugement
de
première instance soit confirmé. Il n'a pas été demandé de
réponse.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- L'arrêt entrepris est une décision finale prise
par le tribunal suprême d'un canton, au sens de l'art. 48
al.
1 OJ. Portant sur des droits de nature pécuniaire, il est
susceptible d'un recours en réforme, les droits contestés
dans la dernière instance cantonale dépassant largement,
selon les constatations de la cour cantonale, la valeur d'au
moins 8'000 fr. exigée par l'art. 46 OJ (cf. ATF 121 III 52,
consid. 1 non publié; 107 II 331, consid. 1 non publié).
Interjeté dans le délai fixé par l'art. 54 al. 1 OJ et dans

les formes prévues par l'art. 55 OJ, le recours est par ail-
leurs recevable au regard de ces dispositions.

2.- Les demandeurs soutiennent que la cour cantonale
a considéré à tort que les risques d'accident existaient
déjà
dans une même mesure au moment de la constitution de la ser-
vitude. Ils font valoir que le passage litigieux était alors
emprunté quotidiennement par deux ou trois personnes à pied
(cf. lettre C/a/aa supra). Ainsi, même si des enfants
avaient
vécu dans la ferme sise sur la parcelle aaa (cf. lettre
C/a/aa supra), les risques d'accident seraient aujourd'hui
sans commune mesure avec ceux qu'il y aurait pu y avoir en
1911, du fait de l'évolution de l'affectation du bâtiment et
de l'utilisation de véhicules à moteur par définition plus
dangereux qu'un char. Il y aurait en outre lieu de prendre
en
compte le critère financier, à savoir le fait que la servitu-
de litigieuse, tant au regard de son assiette que de son
exercice, réduirait sans conteste la valeur de la parcelle
des demandeurs en la sectionnant en deux (cf. lettre C/a/bb
supra). Enfin, il y aurait lieu de tenir compte du risque
d'écroulement du mur de soutènement et d'effondrement du
chemin actuel (cf. lettre C/a/dd supra). Selon les défen-
deurs, les juges cantonaux auraient mal pesé les intérêts en
présence en omettant de prendre en compte les différents
éléments qui viennent d'être exposés et en accordant un
poids
prépondérant aux intérêts de la défenderesse, alors qu'objec-
tivement, il ne serait pas très difficile pour cette derniè-
re, avec l'indemnité qui lui serait versée, de réorganiser
et
d'aménager son domicile de sorte que l'accès à celui-ci se
fasse par le nord.

3.- a) Aux termes de l'art. 736 al. 2 CC, le pro-
priétaire grevé peut obtenir la libération partielle ou tota-
le d'une servitude qui ne conserve qu'une utilité réduite,
hors de proportion avec les charges imposées au fonds
servant
(al. 2). Les textes allemand et italien de cette disposition

précisent qu'une telle libération ne peut intervenir que
contre indemnité («gegen Entschädigung», «mediante indenni-
tà»), précision qui est tombée par inadvertance dans le
texte
français (cf. Paul Piotet, Les droits réels limités en géné-
ral, les servitudes et les charges foncières, Traité de
droit
privé suisse, tome V/1/3, 1978, p. 61; Peter Liver, Zürcher
Kommentar, Band IV/2a/1, 1980, n. 181 ad art. 736 CC et les
références citées).

b) L'art. 736 al. 2 CC peut en particulier trouver
application lorsque l'art. 742 CC ne permet pas au proprié-
taire grevé d'exiger le déplacement d'une servitude de passa-
ge dans un autre endroit parce qu'elle s'y exercerait moins
commodément; dès lors que l'art. 736 al. 2 CC donne pouvoir
au juge de supprimer la servitude, il l'habilite aussi, car
«qui peut le plus peut le moins», à se contenter d'en ordon-
ner le déplacement (ATF 43 II 29 consid. 2 p. 38/39; Piotet,
op. cit., p. 70; Paul-Henri Steinauer, Les droits réels, t.
II, 2e éd., 1994, n. 2310a; Liver, op. cit., n. 73 ss ad
art.
742 CC et n. 182 ss ad art. 736 CC); celui-ci constitue
alors
une forme d'indemnité en nature qui doit être combinée avec
une indemnité en argent destinée à compenser la moindre com-
modité de la nouvelle assiette de la servitude (cf. ATF 43
II
29 consid. 2 p. 39).

c) Après avoir pendant longtemps limité l'applica-
tion de l'art. 736 al. 2 CC aux cas où la disproportion au
sens de cette disposition résultait d'une diminution de l'in-
térêt du propriétaire du fonds dominant au maintien de la
servitude, le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence en
1981. Il a considéré qu'une libération contre dédommagement
selon l'art. 736 al. 2 CC entrait aussi en considération
lorsque la charge imposée par la servitude au propriétaire
du
fonds servant s'était tant accrue, depuis la constitution de
cette dernière, que l'intérêt du propriétaire du fonds domi-
nant au maintien de la servitude était devenu proportionnel-

lement ténu, pour autant que l'aggravation de la charge ne
fût pas imputable au propriétaire du fonds servant lui-même
(ATF 107 II 331 consid. 4; cf. dans ce sens déjà ATF 43 II
29
consid. 2 p. 37/38).

4.- Les demandeurs ne remettent à juste titre en
cause ni l'appréciation des deux instances cantonales selon
laquelle les conditions d'un déplacement de la servitude sur
la base de l'art. 742 CC ne sont pas réunies en l'espèce, ni
l'appréciation selon laquelle l'intérêt de la défenderesse
au
maintien de la servitude n'a pas diminué par rapport à l'épo-
que de la constitution de la servitude. Seule est ainsi liti-
gieuse la question de savoir si la charge grevant le fonds
servant s'est accrue depuis la constitution de la servitude
-
en raison de circonstances qui ne soient pas imputables aux
demandeurs eux-mêmes - au point que l'intérêt de la défende-
resse au maintien de la servitude est devenu proportionnel-
lement ténu.

Pour affirmer que tel est le cas, les demandeurs
mettent d'abord en avant deux éléments qui ont été retenus
dans le jugement de première instance et qui ont été
discutés
par les juges cantonaux: d'une part, ensuite de la transfor-
mation de l'ancienne ferme en un logement familial doté d'un
confort moderne avec un dégagement naturel vers le sud où
avait été aménagée une terrasse de plain-pied devant les
pièces à vivre, les demandeurs subiraient une limitation
importante de l'usage de leur bien-fonds par l'empiétement
du
passage sur cette terrasse; d'autre part, en raison des modi-
fications apportées à l'immeuble, qui ont créé un lien plus
étroit entre l'intérieur et l'extérieur de la maison, ainsi
que du remplacement des chars par des véhicules à moteur par
définition plus dangereux, il existerait un risque accru
d'accident pour les enfants des demandeurs. Dans leur
recours
en réforme, ceux-ci font encore valoir que la servitude liti-
gieuse réduirait la valeur de leur parcelle en la
sectionnant

en deux, et qu'il existe un risque d'écroulement du mur de
soutènement et d'effondrement du chemin actuel.

a) Alors qu'à l'époque de la constitution de la ser-
vitude litigieuse, les bâtiments sis sur les parcelles bbb
et
aaa étaient des fermes, ils sont aujourd'hui affectés à
l'habitation uniquement et sont intégrés dans la zone villa-
ge. En raison de cette évolution et de la transformation du
bâtiment des demandeurs en un logement familial doté d'un
confort moderne avec un dégagement naturel vers le sud, la
servitude de passage litigieuse, qui traverse la terrasse
aménagée de plain-pied devant les pièces à vivre de la mai-
son, représente incontestablement une entrave à la
jouissance
de l'immeuble - et par conséquent aussi une moins-value - su-
périeure à ce qu'elle était à l'époque où la servitude a été
constituée. Si l'on peut admettre avec le premier juge que
l'augmentation de la charge de la servitude sur le
bien-fonds
des demandeurs résulte partiellement de causes objectives,
elle n'en découle pas moins principalement de la décision
des
demandeurs de transformer leur bâtiment d'une manière qui,
tout en en optimisant le confort, augmentait aussi la charge
de la servitude pour leur immeuble. Or comme on l'a vu (cf.
consid. 3c supra), les demandeurs ne sauraient se prévaloir
d'une aggravation de la charge qui leur est principalement
imputable.

b) En ce qui concerne les risques d'accident, l'opi-
nion de la cour cantonale selon
laquelle ces risques ne sont
pas plus élevés actuellement qu'au moment de la constitution
de la servitude n'apparaît en tout cas pas insoutenable. Il
est certes constant que la défenderesse passe
quotidiennement
en voiture devant la maison des demandeurs, alors que la
servitude était à l'époque empruntée essentiellement par
deux
ou trois personnes à pied de la journée. Toutefois, il est
également constant que le chemin sur lequel s'exerce la ser-
vitude est très étroit, de sorte qu'un véhicule ne peut de
ce

fait même y rouler qu'à très faible allure. On ne voit ainsi
pas que le passage d'un véhicule à moteur y crée un risque
d'accident plus grand que le passage d'un char tiré par des
chevaux, lesquels pouvaient s'emballer.

c) Quant au risque d'écroulement du mur de soutène-
ment et d'effondrement du chemin actuel, les demandeurs ne
sauraient en tirer argument. En effet, moyennant un
entretien
correct de l'ouvrage, le risque évoqué ne devrait pas être
plus grand qu'en 1911, étant précisé que les demandeurs doi-
vent s'accommoder de l'introduction de véhicules à moteur
(ATF 91 II 339) et qu'un chemin qui devait supporter le pas-
sage de chars pouvant selon les cas être lourdement chargés
doit tout aussi bien pouvoir supporter le passage de véhicu-
les automobiles légers.

d) En définitive, il s'avère que depuis la constitu-
tion de la servitude litigieuse, la charge que fait peser
celle-ci sur le bien-fonds propriété des demandeurs s'est
aggravée en ce sens qu'elle représente aujourd'hui une entra-
ve à la jouissance de l'immeuble ainsi qu'une moins-value
plus importantes, ce qui est toutefois principalement imputa-
ble aux demandeurs eux-mêmes. Cela étant, il est certes per-
mis de penser que le déplacement de l'assiette de la ser-
vitude au nord des bâtiments, combiné avec le paiement d'une
indemnité couvrant le réaménagement de la maison de la défen-
deresse en fonction du nouvel accès, permettrait d'éliminer
les inconvénients précités, et que cette solution n'en-
traînerait globalement et objectivement, après le réaménage-
ment envisagé de l'immeuble de la défenderesse, aucune péjo-
ration de la situation de cette dernière. Là n'est toutefois
pas la question. Le déplacement d'une servitude moyennant le
paiement d'une indemnité ne peut en effet être ordonné sur
la
base de l'art. 736 al. 2 CC que si les conditions posées par
cette disposition sont remplies (cf. Steinauer, op. cit., n.
2310a). Or dans un cas tel que la présente espèce, la charge

imposée au fonds servant respectivement l'intérêt retiré par
le fonds dominant au moment de la constitution de la servitu-
de ne peuvent au regard de l'art. 736 al. 2 CC être confron-
tés qu'à la situation actuelle, et non à la situation telle
qu'elle résulterait des réaménagements que les demandeurs
entendent imposer à la demanderesse sur le propre bâtiment
de
celle-ci.

En l'occurrence, force est de constater qu'au moment
où elle a été constituée, la servitude litigieuse engendrait
déjà fondamentalement les mêmes inconvénients pour le fonds
dominant qu'actuellement. Même si l'entrave à la jouissance
de l'immeuble ainsi que la moins-value qui en découlent sont
aujourd'hui plus importantes en raison de la transformation
du bâtiment des demandeurs - laquelle est toutefois principa-
lement imputable aux demandeurs eux-mêmes -, elles ne repré-
sentent en tout cas pas une charge telle que l'intérêt
intact
de la propriétaire du fonds dominant au maintien de la servi-
tude puisse être considéré comme étant devenu proportionnel-
lement ténu.

5.- Il résulte de ce qui précède que le recours, mal
fondé, doit être rejeté et l'arrêt entrepris confirmé. Les
recourants, qui succombent, supporteront les frais judiciai-
res (art. 156 al. 1 OJ), solidairement entre eux (art. 156
al. 7 OJ). Ils n'auront en revanche pas à payer de dépens,
l'intimée n'ayant pas été invitée à répondre au recours (Pou-
dret/Sandoz-Monod, Commentaire de la loi fédérale d'organi-
sation judiciaire, vol. V, Berne 1992, n. 2 ad art. 159 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué.

2. Met un émolument judiciaire de 3'000 fr. à la
charge solidaire des recourants.

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre des recours du Tribunal
cantonal du canton de Vaud.

__________

Lausanne, le 15 janvier 2002
ABR/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.287/2001
Date de la décision : 15/01/2002
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-01-15;5c.287.2001 ?
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