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11/01/2002 | SUISSE | N°5C.237/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 11 janvier 2002, 5C.237/2001


«/2»
5C.237/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

11 janvier 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, Mme Escher et
M. Meyer, juges. Greffier: M. Abrecht.

_________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ Assurances, appelée en cause, recourante, repré-
sentée par Me Michel Bergmann, avocat à Genève,

et

Y.________ & Cie SA, défenderesse et appelante en cause,
intimée, représentée par Me Reynald Bruttin, avocat à
Genève,<

br> elle-même opposée à W.________, demanderesse,

(contrat d'assurance)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a...

«/2»
5C.237/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

11 janvier 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, Mme Escher et
M. Meyer, juges. Greffier: M. Abrecht.

_________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ Assurances, appelée en cause, recourante, repré-
sentée par Me Michel Bergmann, avocat à Genève,

et

Y.________ & Cie SA, défenderesse et appelante en cause,
intimée, représentée par Me Reynald Bruttin, avocat à
Genève,
elle-même opposée à W.________, demanderesse,

(contrat d'assurance)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- W.________ a chargé Y.________ & Cie SA de la
gérance d'un immeuble dont elle est propriétaire à Genève.
De
1976 au 31 janvier 1993, un appartement sis dans cet
immeuble
a été remis en location à M.________. À la fin du bail,
aucun
procès-verbal de sortie n'a été dressé. L'appartement a subi
de nombreux dégâts causés par les seize chats de la locatai-
re, de sorte qu'en mars et avril 1993, des travaux de rénova-
tion ont été effectués par Y.________ & Cie SA pour un mon-
tant de 89'211 fr.

À partir du 1er mai 1993, l'appartement a été remis
en location aux époux L.________, qui par courrier du 22 mai
1993 se sont plaints de fortes odeurs d'urine de chats. D'im-
portants travaux complémentaires ont alors été entrepris en-
tre juin et août 1993 dans l'appartement, pour un montant de
74'904 fr.; ces travaux ont nécessité le relogement des loca-
taires L.________ à l'hôtel.

B.- Y.________ Holding SA a contracté avec effet au
1er janvier 1990 auprès de la X.________ Assurances une
assurance couvrant notamment la responsabilité civile de
Y.________ & Cie SA du fait de la gérance commerciale et
technique d'immeubles.

Par courrier du 21 mai 1993, la X.________ Assuran-
ces a résilié ce contrat d'assurance avec effet au 7 juin
1993 à minuit.

C.- Par jugement rendu le 17 décembre 1998 au terme
d'une procédure initiée le 21 décembre 1994, le Tribunal des
baux et loyers du canton de Genève a condamné M.________ à
payer à W.________ la somme de 51'385 fr. 90, la libérant

pour le surplus en raison des erreurs commises par
Y.________
& Cie SA.

Parallèlement, par jugement rendu le 17 janvier 1997
au terme d'une procédure initiée le 13 avril 1995, le même
Tribunal a donné acte à W.________ qu'elle admettait devoir
aux époux L.________ la somme de 32'893 fr. 10 - correspon-
dant aux frais d'hébergement et de remplacement d'objets
endommagés - et leur a accordé une diminution de loyer de
4'000 fr.

D.- Par courrier du 11 septembre 1993, W.________ a
émis des réserves quant à la gestion par Y.________ & Cie SA
du cas de l'appartement loué à M.________ puis aux époux
L.________.

Par pli du 22 février 1999, W.________ a réclamé à
Y.________ & Cie SA le remboursement de la somme de 67'337
fr. 20 - soit 6'926 fr. correspondant à une usure anormale
dans la première série de travaux, 23'518 fr. 10 pour le
solde non dû par M.________ pour la seconde série de travaux
(74'904 fr. - 51'385 fr. 90) et 36'893 fr. 10 pour le
dommage
subi dans le règlement du cas L.________ - plus intérêts au
taux de 5% l'an dès le 3 janvier 1994. Elle a en outre récla-
mé le remboursement d'un montant de 26'132 fr. 85 représen-
tant les honoraires de son conseil dans les procédures qui
l'ont opposée à la locataire sortante et aux locataires
entrants.

E.- Le 14 juillet 1999, W.________ a déposé devant
le Tribunal de première instance du canton de Genève une de-
mande en paiement contre Y.________ & Cie SA, qui a appelé
en
cause la X.________ Assurances. Y.________ & Cie SA a
reconnu
sa responsabilité et n'a pas contesté la quotité du dommage
invoqué; la X.________ Assurances a admis la recevabilité de
l'appel en cause et s'y est opposée sur le fond.

F.- Par jugement du 23 novembre 2000, le Tribunal de
première instance a condamné Y.________ & Cie SA à payer à
W.________ la somme de 67'337 fr. 20 plus intérêts au taux
de
5% l'an dès le 3 janvier 1994, ainsi que la somme de 26'132
fr. 85 plus intérêts au taux de 5% l'an dès le 1er avril
1999.

Le Tribunal de première instance a en revanche dé-
bouté Y.________ & Cie SA de toutes ses conclusions contre
l'appelée en cause X.________ Assurances, et a mis à sa char-
ge une indemnité de 3'000 fr. à titre de participation aux
honoraires du conseil de l'appelée en cause. Il a considéré
que selon l'art. 6 des conditions complémentaires
d'assurance
applicables, étaient seules assurées les prétentions en dom-
mages-intérêts émises contre un assuré pendant la durée du
contrat; or les premières prétentions de W.________ avaient
été formulées le 11 septembre 1993, soit après la
résiliation
du contrat, dont l'effet remontait au 7 juin 1993.

G.- Par arrêt du 22 juin 2001, la Chambre civile de
la Cour de justice du canton de Genève a réformé ce jugement
en condamnant la X.________ Assurances, avec suite des frais
et dépens de première instance et d'appel, à payer à
Y.________ & Cie SA les montants de 67'337 fr. 20 plus inté-
rêts à 5% l'an dès le 3 janvier 1994, 26'132 fr. 85 plus
intérêts à 5% l'an dès le 1er avril 1999 et 3'000 fr. plus
intérêts à 5% l'an dès le 23 novembre 2000, sous déduction
de
la franchise.

H.- Contre cet arrêt, la X.________ Assurances exer-
ce en parallèle un recours de droit public et un recours en
réforme au Tribunal fédéral. Par le second, elle conclut,
avec suite de frais et dépens, à la réforme de l'arrêt atta-
qué en ce sens que toutes conclusions prises contre elle
soient rejetées.

Y.________ & Cie SA conclut au rejet du recours en
réforme. W.________ - qui n'est pas directement concernée
par
le litige entre la défenderesse et l'appelée en cause - prie
le Tribunal fédéral de confirmer l'arrêt attaqué.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Aux termes de l'art. 57 al. 5 OJ, il est
sursis en règle générale à l'arrêt sur le recours en réforme
jusqu'à droit connu sur le recours de droit public. Cette
disposition souffre toutefois des exceptions dans des situa-
tions particulières, qui justifient l'examen préalable du
recours en réforme; il en est ainsi notamment lorsque le
recours en réforme paraît devoir être admis indépendamment
même des griefs soulevés dans le recours de droit public
(ATF
122 I 81 consid. 1 et la jurisprudence citée; 117 II 630
consid. 1a et les arrêts cités). Tel étant précisément le
cas
en l'espèce, il se justifie de déroger au principe posé par
l'art. 57 al. 5 OJ.

b) L'arrêt attaqué tranche une contestation civile
portant sur des droits de nature pécuniaire dont la valeur
dépasse largement 8'000 fr.; il constitue une décision
finale
prise par le tribunal suprême du canton de Genève qui ne
peut
pas être l'objet d'un recours ordinaire de droit cantonal.
Le
recours en réforme, interjeté en temps utile, est donc rece-
vable au regard des art. 46, 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.

2.- a) La cour cantonale a constaté en fait que le
contrat conclu entre la X.________ Assurances et Y.________
Holding SA assure la responsabilité civile des personnes
assurées - dont Y.________ & Cie SA - découlant notamment
de
la gérance commerciale et technique d'immeubles. Les condi-
tions générales d'assurance (ci-après: CGA) édition 01.89 et
les conditions complémentaires (ci-après: CCA) édition 12.76
sont citées comme bases du contrat. Selon les art. 1 CGA et
1

CCA, la X.________ garantit notamment les personnes assurées
contre les prétentions en dommages-intérêts formulées contre
elles «pour cause de préjudice de fortune, c'est-à-dire les
dommages pécuniaires ne résultant pas d'atteinte à la santé
de personnes (dommages corporels) ou de la destruction, de
l'endommagement ou de la perte de choses (dommages maté-
riels)».

S'agissant de la validité de la couverture d'assu-
rance dans le temps, l'art. 5 des CGA édition 01.89 dispose
que «[s]ont assurés les dommages causés pendant la durée du
contrat [...]». L'art. 6 des CCA édition 12.76 prévoit
qu'«[e]n dérogation à l'art. 5 des CGA, les dispositions
suivantes sont valables pour les préjudices de fortune: a)
Sont assurées les prétentions en dommages-intérêts émises
contre un assuré pendant la durée du contrat [...] c) Pour
les prétentions relevant de dommages dont l'origine est anté-
rieure à l'entrée en vigueur du contrat, l'assurance ne dé-
ploie ses effets que si l'assuré prouve que, au moment de
l'entrée en vigueur du contrat, il n'avait connaissance d'au-
cune faute ou erreur engageant sa responsabilité et qu'il ne
pouvait pas en avoir eu connaissance, compte tenu des circon-
stances». Cette disposition est complétée par l'art. 7 let.
b
des CCA édition 12.76, qui précise que «[s]i le preneur d'as-
surance ou ses ayants cause le désirent, la "X.________"
offrira, à l'expiration du contrat, une assurance complémen-
taire couvrant les prétentions en dommages-intérêts qui pour-
raient être émises pendant le délai légal de prescription».

Dans une version ultérieure des CCA (édition 01.90),
dont les parties admettent qu'elle n'est pas formellement
intégrée à leur rapport contractuel, l'art. 7 dispose à son
alinéa 1 que «[l]'assurance des préjudices de fortune s'é-
tend, en dérogation partielle à l'art. 5, al. 1 des CGA, aux
prétentions qui sont formulées contre un assuré pendant la
validité de la police (durée du contrat et durée d'assurance

complémentaire)», et à son alinéa 2 qu'«[e]st considéré
comme
moment où les prétentions sont formulées celui où un assuré
prend pour la première fois connaissance de circonstances
selon lesquelles il doit s'attendre à ce que des prétentions
soient émises contre lui ou contre un autre assuré, au plus
tard au moment où une prétention est élevée oralement ou par
écrit» (arrêt attaqué, lettre B/b p. 5-7).

b) En droit, la cour cantonale a exposé que s'agis-
sant de la couverture temporelle de l'assurance responsabili-
té civile, c'est le système de la couverture d'assurance par
renvoi à la cause du dommage - soit au moment où le dommage
donnant lieu à une prétention en dommages-intérêts contre
l'assuré s'est produit - qui s'est imposé en Suisse pour
l'ensemble de la doctrine et pour la majorité des contrats.
Néanmoins, en raison de l'autonomie de la volonté des par-
ties, celles-ci peuvent écarter la conception de la cause du
dommage au profit du critère de la réclamation, en vertu
duquel la protection n'est acquise que si les prétentions en
dommages-intérêts sont élevées pendant la durée de la garan-
tie d'assurance. Dans ce système, le moment où les préten-
tions en dommages-intérêts sont élevées est fixé en dernier
ressort par la réclamation orale ou écrite des prétentions
par le lésé. Or ce critère, qui dépend de la conduite subjec-
tive du tiers lésé, ne saurait être qualifié d'événement
dommageable, si bien que selon la doctrine, la notion du
moment de la réclamation doit être objectivée par la connais-
sance des circonstances: le moment de la réclamation est
ainsi celui où l'assuré est en mesure de déduire des circons-
tances dont il a connaissance qu'il peut s'attendre à ce que
des prétentions soient élevées (arrêt attaqué, consid. 4a p.
9-12).

c) En l'espèce, les juges cantonaux ont considéré
que Y.________ & Cie SA et la X.________ Assurances ont con-
clu un contrat d'assurance responsabilité civile adoptant le

système, minoritaire, de la réclamation. Le moment où les
prétentions en dommages-intérêts ont été émises est ainsi
fixé en dernier ressort par le courrier du 11 septembre 1993
de W.________. Toutefois, la notion objectivée du moment de
la réclamation remonte au moment où l'assurée était en
mesure
de déduire des circonstances dont elle avait connaissance
qu'elle pouvait s'attendre à ce que des prétentions soient
élevées à son encontre. La prise en compte de cette notion
est d'autant plus justifiée en l'espèce que le nouvel art. 7
al. 1 des CCA édition 01.90, fidèle au critère de la récla-
mation et similaire à l'art. 6 let. a des CCA édition 12.76,
se lit en combinaison avec l'alinéa 2 qui introduit l'objec-
tivation du moment de la réclamation.

L'omission de l'assurée d'établir un procès-verbal
de sortie au 31 janvier 1993 dûment muni de réserves expres-
ses pour les dégâts causés par les chats de la locataire
dans
l'appartement, cumulée à la persistance de fortes odeurs
nauséabondes en dépit d'une première série de travaux, sont
des circonstances dont l'assurée pouvait et devait inférer
qu'elles feraient l'objet de prétentions en
dommages-intérêts
de la part de la propriétaire de l'immeuble, surtout après
les doléances des nouveaux locataires du 22 mai 1993, assor-
ties d'une demande de réduction de loyer et de remboursement
des dégâts subis. Ainsi, force est de constater que
Y.________ & Cie SA a eu connaissance des circonstances dont
elle pouvait déduire que des prétentions seraient élevées à
son encontre alors qu'elle était encore couverte par l'assu-
rance responsabilité civile conclue auprès de la X.________
Assurances, dont la couverture a pris fin le 7 juin 1993 à
minuit. Par conséquent, le sinistre est couvert par ladite
assurance et la X.________ Assurances doit être condamnée à
rembourser à Y.________ & Cie SA les montants dus à
W.________, sous déduction de la franchise (arrêt attaqué,
consid. 4b p. 12-15).

3.- La recourante expose que les parties au contrat
d'assurance ont expressément convenu, par une clause contrac-
tuelle claire, que la couverture d'assurance n'était donnée

que pour les prétentions en dommages-intérêts émises contre
un assuré pendant la durée du contrat. Or malgré cela, la
cour cantonale a retenu qu'il y avait lieu de déterminer la
survenance de l'événement assuré non pas au regard de la
réclamation du lésé auprès de l'assuré, mais en fonction du
moment où l'assuré est en mesure de déduire des
circonstances
dont il a connaissance qu'il peut s'attendre à ce que des
prétentions soient émises à son encontre. Ce faisant, la
cour
cantonale a selon la recourante violé l'art. 1 CO et l'auto-
nomie de volonté des parties au contrat en modifiant arbi-
trairement la notion de la survenance d'événement assuré
définie contractuellement.

a) En règle générale, l'assuré a droit aux presta-
tions prévues lorsque l'événement dont on craint la survenan-
ce, soit le sinistre, se produit au cours de la période de
validité du contrat (ATF 100 II 403 consid. 2; cf. ATF 127
III 106 consid. 3b). La jurisprudence et la doctrine ne sont
toutefois pas unanimes quant à la détermination de l'événe-
ment constituant le sinistre - soit la réalisation du risque
ou de l'événement redouté - en matière d'assurance responsa-
bilité civile (ATF 100 II 403 consid. 2; Roland Brehm, le
contrat d'assurance RC, 1997, n. 23; Jean-Benoît Meuwly, La
durée de la couverture d'assurance privée, thèse Fribourg
1994, p. 49; Alfred Maurer, Schweizerisches Privatversiche-
rungsrecht, 3e éd., 1995, p. 329), laquelle protège l'assuré
contre les atteintes financières résultant de l'obligation
de
se défendre contre les prétentions injustifiées d'un tiers
ou, en cas d'engagement de sa responsabilité, de verser des
dommages-intérêts au lésé (Brehm, op. cit., n. 9; Meuwly,
op.
cit., p. 95 et les références citées).

Partant de l'idée que tout dommage causé par un
lésant entraîne fatalement soit une obligation de se défen-
dre, soit une obligation de payer, une partie de la doctrine
admet qu'il y a sinistre dès qu'un dommage est causé à
autrui
(voir les auteurs cités par Brehm, op. cit., n. 27, et par
Meuwly, op. cit., p. 51, ainsi que ceux cités à l'ATF 100 II
403 consid. 3 p. 408). D'autres auteurs partent au contraire
du principe qu'il faut, pour qu'il y ait atteinte certaine -
présente ou future - au patrimoine de l'assuré, que le lésé
s'en prenne au lésant et que cette démarche se solde, pour
ce
dernier, soit par des frais en vue de se défendre contre des
prétentions injustifiées, soit par le paiement de dommages-
intérêts; ces auteurs considèrent ainsi le sinistre comme
survenu lors de la demande en réparation du lésé (Brehm, op.
cit., n. 28 et les auteurs cités, ainsi que ceux cités par
Meuwly, op. cit., p. 53). Après s'être rallié à la première
solution dès 1930 (ATF 56 II 212 consid. 3 p. 219; cf. RBA
VII n° 246), le Tribunal fédéral a ultérieurement laissé la
question indécise (ATF 100 II 403 consid. 3).

b) Cette controverse revêt toutefois un caractère
partiellement théorique, dans la mesure où les parties sont
libres non seulement de définir le risque, mais aussi de
fixer les conditions nécessaires à sa réalisation (Meuwly,
op. cit., p. 56 et 98; Brehm, op. cit., n. 32; cf. Maurer,
op. cit., p. 331). Il semble ainsi qu'en Suisse, il a été
largement fait usage de cette faculté dans les conditions
générales d'assurance, qui ont consacré deux solutions
(Meuwly, op. cit., p. 98).

aa) La première - qui constitue la règle - dissocie
les dates de survenance du dommage et de sa cause, garantis-
sant la couverture d'assurance pour les seuls cas où le dom-
mage du tiers est «causé» pendant la durée du contrat
(Meuwly, op. cit., p. 98 ss; Brehm, op. cit., n. 325 et
331).
Il subsiste alors la difficulté de savoir si la cause du

dommage de l'assuré réside dans l'acte dommageable, selon la
théorie dite «de l'événement dommageable», ou dans la surve-
nance du préjudice chez le lésé, conformément à la théorie
dite «de la causalité» (Brehm, op. cit., n. 327 s.; Meuwly,
op. cit., p. 103 s.). Le Tribunal fédéral s'est prononcé
clairement pour la théorie de l'événement dommageable (ATF
100 II 403 consid. 4).

bb) La seconde solution - l'exception que se réser-
vent certaines assurances responsabilité civile profession-
nelle - dissocie les dates de survenance du dommage, de sa
cause, ainsi que de la réclamation des prétentions qui en
découlent, en prévoyant que la garantie d'assurance n'est
donnée que si les prétentions en dommages-intérêts du lésé
sont élevées contre l'assuré pendant la durée du contrat
(Meuwly, op. cit., p. 98 et 108 ss; Brehm, op. cit., n. 333;
cf. Maurer, op. cit., p. 331), selon la théorie dite «de la
réclamation» (Meuwly, op. cit., p. 108). Quoique les assu-
reurs abandonnent ainsi la protection que leur accorde la
première solution contre les possibles manipulations de la
fixation du sinistre, cette seconde solution est
généralement
adoptée, limitativement aux préjudices de fortune, pour les
avantages pratiques indéniables qu'elle présente en relation
avec ce type de dommage, dont la cause s'avère souvent diffi-
cile à déterminer (Meuwly, op. cit., p. 112 s.).

c) Les conditions générales qui optent pour la théo-
rie de la réclamation précisent souvent quand il faut consi-
dérer le moment où une réclamation est élevée contre un assu-
ré, par une disposition telle que: «Est considéré comme le
moment où une réclamation consécutive à un dommage est
élevée
contre un assuré, celui où un assuré prend ou aurait dû pren-
dre connaissance de circonstances d'après lesquelles on peut
s'attendre à ce que des prétentions en dommages-intérêts
soient élevées contre lui ou un autre assuré, au plus tard
toutefois, lorsqu'une prétention est formulée par une commu-

nication orale ou écrite» (Meuwly, op. cit., p. 113 s., qui
donne d'autres exemples; cf. en l'espèce l'art. 7 al. 2 des
CCA édition 01.90, reproduit au consid. 2a in fine supra).

Il s'agit avant tout d'éviter le risque qu'une per-
sonne non assurée consciente d'avoir commis une faute
conclue
un contrat d'assurance entre la date du dommage et celle de
la réclamation du lésé (Brehm, op. cit., n. 322 et 333; Meu-
wly, op. cit., p. 114 s.). Une telle disposition est saluée
par Meuwly, qui souligne qu'en même temps qu'elle définit le
moment de la réclamation, elle renforce l'importance des
faits et du critère objectif; cette «objectivation» ne
laisse
à l'assuré aucune latitude pour influencer le moment de la
réclamation, de sorte qu'il ne subsiste aucun risque de frau-
de (Meuwly, op. cit., p. 113-115).

d) En l'occurrence, les conditions d'assurance aux-
quelles se réfèrent le contrat d'assurance conclu entre la
X.________ Assurances et Y.________ Holding SA prévoient que
s'agissant des préjudices de fortune, «[s]ont assurées les
prétentions en dommages-intérêts émises contre un assuré pen-
dant la durée du contrat» (art. 6 let. a des CCA édition
12.76). Afin d'écarter le risque de fraude (cf. consid. 3c
supra), il est précisé que «[p]our les prétentions relevant
de dommages dont l'origine est antérieure à l'entrée en vi-
gueur du contrat, l'assurance ne déploie ses effets que si
l'assuré prouve que, au moment de l'entrée en vigueur du
contrat, il n'avait connaissance d'aucune faute ou erreur
engageant sa responsabilité et qu'il ne pouvait pas en avoir
eu connaissance, compte tenu des circonstances» (art. 6 let.
c des CCA édition 12.76). Afin d'éviter un «trou» dans la
couverture d'assurance, l'art. 7 let. b des CCA édition
12.76
offre au preneur d'assurance ou à ses ayants cause, à l'expi-
ration du contrat, la possibilité de conclure une assurance
complémentaire couvrant les prétentions en dommages-intérêts

qui pourraient être émises pendant le délai légal de pres-
cription (cf. consid. 2a supra).

Les conditions d'assurance applicables aux relations
entre les parties sont ainsi claires: sont assurées les pré-
tentions en dommages-intérêts «émises contre un assuré pen-
dant la durée du contrat». En l'absence de toute disposition
contractuelle précisant quand il faut considérer que des pré-
tentions en dommages-intérêts sont «émises contre un assuré»
(cf. consid. 3c supra), il est manifestement contraire au
régime contractuel clair applicable aux relations entre les
parties de considérer que des prétentions en dommages-inté-
rêts sont émises contre un assuré avant que le lésé ne commu-
nique à celui-ci, oralement ou par écrit, qu'il entend formu-
ler de telles prétentions contre lui.

C'est à tort que la cour cantonale a cru pouvoir se
référer à une nouvelle édition des conditions
complémentaires
d'assurance, qui n'est pas applicable au contrat litigieux,
ainsi qu'à l'opinion de Meuwly (cf. consid. 2b et c supra).
Comme on l'a vu (cf. consid. 3c supra), cet auteur ne fait
en
effet qu'approuver l'insertion, dans les conditions
générales
d'assurance, d'une disposition qui définisse le moment de la
réclamation par référence à des critères objectifs réduisant
l'importance de la volonté de l'assuré et combattant toute
tentative de fraude à l'assurance (cf. Meuwly, op. cit., p.
113-115); il ne prétend pas qu'en l'absence d'une telle dis-
position, on peut considérer que le moment où des
prétentions
en dommages-intérêts sont émises contre un assuré est en
réalité le moment où, indépendamment de toute communication
du lésé à l'assuré, celui-ci est en mesure de déduire des
circonstances dont il a connaissance qu'il peut s'attendre à
ce que de telles prétentions soient élevées à son encontre.

e) Cela étant, les juges cantonaux auraient dû con-
sidérer que, W.________ ayant émis pour la première fois des

prétentions contre Y.________ & Cie SA par courrier du 11
septembre 1993, alors que la couverture d'assurance avait
pris fin le 7 juin 1993, le sinistre n'était pas couvert par
l'assurance, et ils auraient dû rejeter en conséquence les
conclusions prises par Y.________ & Cie SA contre la
X.________ Assurances. Leur arrêt devra donc être réformé
dans ce sens.

4.- En définitive, le recours, fondé, doit être
admis et l'arrêt attaqué réformé en ce sens que les con-
clusions prises par Y.________ & Cie SA contre la X.________
Assurances sont rejetées. La cause sera renvoyée à
l'autorité
cantonale pour nouvelle décision sur les frais et dépens de
la procédure cantonale. Y.________ & Cie SA, qui succombe,
supportera les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ) ainsi
que ceux supportés par la X._________ Assurances pour la
procédure fédérale (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et réforme l'arrêt entrepris en
ce sens que les conclusions prises par Y.________ & Cie SA
contre la X.________ Assurances sont rejetées.

2. Renvoie la cause à l'autorité cantonale pour
nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure
cantonale.

3. Met à la charge de Y.________ & Cie SA:
a) un émolument judiciaire de 5'000 fr.;
b) une indemnité de 5'000 fr. à verser à la
X.________ Assurances à titre de dépens.

4. Communique le présent arrêt aux mandataires des
parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du can-
ton de Genève.

__________

Lausanne, le 11 janvier 2002
ABR/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.237/2001
Date de la décision : 11/01/2002
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-01-11;5c.237.2001 ?
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