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11/01/2002 | SUISSE | N°4C.306/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 11 janvier 2002, 4C.306/2001


«/2»

4C.306/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

11 janvier 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

1. X.________ S.A., défenderesse et recourante,
2. Dame B.________, défenderesse et recourante,

toutes deux représentées par Me Pierre del Boca, avocat à
Lausanne,

et

Dame C.________, demanderesse et intimée, représentée par

Me
Baptiste Rusconi, avocat à Lausanne;

(responsabilité civile du détenteur de véhicule automobile)

Vu les pièces du doss...

«/2»

4C.306/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

11 janvier 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

1. X.________ S.A., défenderesse et recourante,
2. Dame B.________, défenderesse et recourante,

toutes deux représentées par Me Pierre del Boca, avocat à
Lausanne,

et

Dame C.________, demanderesse et intimée, représentée par Me
Baptiste Rusconi, avocat à Lausanne;

(responsabilité civile du détenteur de véhicule automobile)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Dame C.________, née le 1er août 1950, est
mère d'un enfant né en 1982; son époux est père au foyer de-
puis la naissance de leur fils. Elle souffre, depuis l'âge
de
vingt ans environ, de la maladie de Bechterew ou spondylar-
thrite ankylosante. Il s'agit d'un rhumatisme, qui, petit à
petit, entraîne la soudure des différentes vertèbres et in-
terdit les mouvements de tête latéraux, la personne atteinte
de cette maladie devant ainsi déplacer les pieds pour regar-
der à gauche ou à droite. En raison de cette affection, dame
C.________ ne pouvait pas tenir la tête droite. Depuis le 21
avril 1978, elle percevait une demi-rente simple de
l'assurance-invalidité.

Dame C.________ a travaillé à mi-temps de 1977 à
1992 au service de la fiduciaire et régie Y.________ S.A., à
Lausanne; son dernier salaire mensuel brut se montait à
2875 fr., treize fois l'an.

Le 7 octobre 1992, aux alentours de 7 h.35, dame
B.________, dont la responsabilité civile de détentrice est
couverte par X.________ S.A. (anciennement A.________), cir-
culait au volant de son véhicule de marque Peugeot 205 sur
l'avenue Général Guisan, à Pully, en direction de Vevey.
Dame
B.________ a vu dame C.________, qui était arrêtée sous la
pluie à hauteur du no 79 de l'avenue précitée; celle-ci se
trouvait sur le trottoir, en face d'un passage de sécurité.
La conductrice, qui a pris dame C.________ pour un enfant à
cause de sa silhouette, a ralenti à la vue de cette piétonne.

D.________, qui circulait en sens inverse, a éga-
lement vu dame C.________ attendre et a compris qu'elle vou-
lait traverser; il s'est alors arrêté et lui a fait un appel

de phares pour lui indiquer qu'il entendait la laisser pas-
ser.

Dame C.________, qui est particulièrement prudente
au moment de traverser la route, a regardé à gauche, puis
s'est engagée sur le passage de sécurité en marchant normale-
ment. Pensant que dame C.________ allait attendre le passage
de sa voiture, dame B.________, totalement surprise, a donné
un brusque coup de frein et a tenté de l'éviter en passant
sur le trottoir à droite. La conductrice a toutefois heurté,
avec l'avant gauche de son véhicule, la piétonne, alors
qu'elle se trouvait à environ trois mètres du bord du trot-
toir qu'elle venait de quitter.

Dame C.________ a été transportée inconsciente au
Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), où elle a
été admise plusieurs mois. Outre des fractures de l'humérus
gauche, du rachis dorsal D11-D12, du bassin et aux deux jam-
bes, accompagnées d'un hémothorax droit et d'une contusion
hépatique, elle a subi un sévère traumatisme crânien. A la
suite de cet accident, dame C.________ est très gravement en-
travée dans sa vie de tous les jours et proche de l'impoten-
ce. Le traumatisme crânien est à l'origine d'un syndrome
psycho-organique de degré moyen, qui se caractérise par des
troubles des fonctions gnosiques, par une aphasie anomique
et
divers troubles de la personnalité (puérilisme, labilité émo-
tionnelle, retrait social, phobie de l'abandon et de la chu-
te). Elle présente en outre des troubles de la marche, qui
aggravent de manière déterminante les difficultés de se dé-
placer résultant de son état antérieur, et une limitation
fonctionnelle de l'épaule gauche. Enfin, elle souffre de
troubles sphinctériens vésicaux occasionnant des pertes
d'urine.

Depuis l'accident, qui a fait l'objet d'un rapport
de la police municipale de Pully daté du 13 octobre 1992,

dame C.________ est en incapacité totale de travail. Elle
n'est désormais plus en mesure d'effectuer sans aide les tâ-
ches ménagères, pour lesquelles elle consacrait en tout cas
dix heures par mois.

Dès le 1er février 1993, elle a touché une rente
entière simple de l'assurance-invalidité et une rente pour
enfant, qui se montaient mensuellement en mars 2000 à respec-
tivement 2010 fr. et 804 fr.

b) Une enquête pénale a été ouverte contre dame
B.________ pour lésions corporelles graves. Par jugement du
7
mars 1994, le Tribunal correctionnel du district de Lausanne
a libéré l'intéressée de ce chef d'accusation.

B.- Le 19 février 1997, dame C.________ a ouvert
action contre dame B.________ et X.________ S.A. devant la
Cour civile du Tribunal cantonal vaudois. Elle a conclu à ce
que les défenderesses lui doivent paiement solidairement de
225 071 fr.30, avec intérêts à 5 % l'an dès le dépôt de la
demande.

Les défenderesses ont conclu à libération.

En cours d'instance, une expertise médicale a été
confiée au docteur Z.________, spécialiste FMH en médecine
interne. Selon cet expert, la perte des 50% de capacité de
travail résiduelle dont disposait la demanderesse avant l'ac-
cident du 7 octobre 1992 est exclusivement due aux séquelles
de ce sinistre. Dans un rapport complémentaire, l'expert a
encore déclaré que la maladie de Bechterew dont la demande-
resse est atteinte ne l'aurait pas empêchée, si l'accident
n'était pas survenu, de maintenir une activité profession-
nelle à mi-temps jusqu'à l'âge de 62 ans.

Une expertise technique a également été ordonnée
pour évaluer notamment la vitesse du véhicule de dame
B.________ avant l'accident et au moment du choc et la dis-
tance d'arrêt qui entrait en ligne de compte.

Par jugement du 14 novembre 2000 dont les considé-
rants ont été notifiés le 15 août 2001, la Cour civile a con-
damné les défenderesses à verser solidairement à la demande-
resse la somme de 225 071 fr.30 plus intérêts à 5% l'an dès
le 19 février 1997. En substance, l'autorité cantonale a re-
tenu que dame B.________, en renversant la demanderesse le 7
octobre 1992 alors que celle-ci traversait la chaussée sur
un
passage de sécurité, a commis une faute exclusive en
relation
de causalité directe et adéquate avec l'accident. Pour répa-
rer le dommage subi par dame C.________, la cour cantonale a
jugé que les défenderesses restaient solidairement
débitrices
de la demanderesse du montant total de 265 743 fr.60, qui se
décomposait de la manière suivante:

- 51 276 fr.90 avec intérêts à 5% dès le 1er novembre 1996
pour la perte de gain et le préjudice ménager au jour du
jugement;

- 202 298 fr.40 plus intérêts à 5% dès le 1er novembre 2000
à
titre de perte de gain future et de préjudice ménager futur;

- 5980 fr. avec intérêts à 5% dès le 7 octobre 1992 pour le
tort moral;

- 6188 fr.30 plus intérêts à 5% dès le 11 mars 1997 à titre
de frais d'avocat avant procès et de frais de literie.

Mais comme la demanderesse avait conclu au paiement
de la somme de 225 071 fr.30 avec intérêts à 5% l'an dès le
19 février 1997, ont poursuivi les magistrats vaudois, c'est
ce dernier montant en capital et intérêts qui doit lui être

alloué, puisque l'art. 3 du Code de procédure civile vaudois
(CPC vaud.) interdit à la Cour civile de statuer ultra peti-
ta.

C.- Parallèlement à un recours de droit public qui
a été rejeté dans la mesure de sa recevabilité par arrêt de
ce jour, X.________ S.A. et dame B.________ exercent un re-
cours en réforme au Tribunal fédéral. Elles concluent princi-
palement à la réforme du jugement précité en ce sens que les
conclusions de la demande sont rejetées. Subsidiairement,
elles requièrent l'annulation du jugement cantonal, la cause
étant renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision
dans le sens des considérants.

L'intimée propose le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recours en réforme est ouvert pour viola-
tion du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Il ne permet en re-
vanche pas d'invoquer la violation directe d'un droit de
rang
constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la violation
du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts
cités).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus
dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédé-
rales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu à rectification de constatations reposant sur une inad-
vertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille complé-
ter les constatations de l'autorité cantonale parce que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 ibidem). Dans
la

mesure où une partie recourante présente un état de fait qui
s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se
prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui
viennent
d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte.
Il
ne peut être présenté de griefs contre les constatations de
fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55
al. 1 let. c OJ). L'appréciation des preuves à laquelle
s'est
livrée l'autorité cantonale ne peut être remise en cause
(ATF
126 III 189 consid. 2a; 125 III 78 consid. 3a).

Si le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent en prendre de
nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ), il n'est lié ni
par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par
ceux de la décision cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 127 III
248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).

2.- Les recourantes prétendent tout d'abord que la
cour cantonale a violé leur droit à la preuve en ignorant
leur allégué 105. A les en croire, la Cour civile aurait dû
retenir non seulement que la demanderesse ne pouvait
regarder
à gauche ou à droite sans déplacer les pieds, mais encore
qu'elle était atteinte d'une forme historique voûtée de la
maladie de Bechterew, qui l'empêchait de tenir la tête
droite
et la contraignait à regarder vers le sol.

a) L'art. 8 CC ne dicte pas comment le juge peut
forger sa conviction (ATF 127 III 519 consid. 2a; 122 III
219
consid. 3c; 119 III 60 consid. 2c; 118 II 142 consid. 3a).
Cette disposition est violée quand le juge n'administre pas,
sur des faits pertinents, des preuves adéquates offertes ré-
gulièrement selon le droit cantonal, alors qu'il ne
considère
l'allégation desdits faits ni comme exacte, ni comme
réfutée;
la disposition n'exclut toutefois ni la preuve par indices,
ni l'appréciation anticipée des preuves, le juge pouvant re-
jeter des offres de preuve d'une partie s'il arrive à la con-

clusion qu'elles ne seraient pas propres à démontrer le fait
à prouver ou parce que sa conviction est déjà assise sur les
preuves rassemblées, de manière que le résultat de leur ap-
préciation ne puisse plus être remis en question (ATF 127
III
519 consid. 2a; 122 III 219 consid. 3c et les arrêts cités).

b) L'allégué 105 des défenderesses est libellé com-
me il suit: "De plus, étant bossue et ne pouvant tenir la tê-
te droite, son angle de vision est encore réduit d'autant".
Cet allégué a été soumis à la preuve par expertise et la ré-
ponse de l'expert Z.________ à son propos a été retranscrite
in extenso à la page 15 du jugement déféré. Selon ce prati-
cien, l'intimée présente depuis 1977 une cyphose dorsale
bloquant la colonne cervicale en flexion antérieure, en
sorte
qu'elle ne peut pas tenir la tête droite.

En dépit des affirmations des recourantes, la Cour
civile n'a donc aucunement ignoré cet allégué, mais a au con-
traire donné suite à l'offre de preuve qui l'accompagnait.
Quant à la circonstance que la demanderesse, en raison de la
maladie de Bechterew, devait déplacer son corps pour
regarder
à gauche ou à droite, la cour cantonale en a fait expressé-
ment état au considérant 8a in medio du jugement querellé.
On
ne discerne pas l'ombre d'une violation de l'art. 8 CC.

3.- Selon les défenderesses, les juges cantonaux
n'ont pas repris dans le jugement déféré les allégués 35 et
83 de la demanderesse, ce qui constituerait une nouvelle vio-
lation du droit à la preuve.

L'allégué 35, qui concerne l'intimée, a la teneur
suivante: "Tous déplacements subits, toutes courses lui sont
impossibles". Quant à l'allégué 83, il précise que "ces pro-
blèmes handicapent grandement la demanderesse dans tous ses
déplacements".

La preuve par expertise ayant été proposée sur ces
deux allégués, la Cour civile y a fait droit. Aussi l'expert
Z.________ a-t-il exposé, comme l'a mentionné le jugement
cantonal en p. 13 à 15, que le déplacement de l'intimée est
malaisé, qu'il est effectué avec lenteur et précaution et
que
la course lui est impossible. Ces troubles de la marche pro-
viennent à 70 % des séquelles de l'accident du 7 octobre
1992
et à 30 % de l'état antérieur dû à la maladie de Bechterew.

Au considérant 8a in fine, l'état de fait du juge-
ment critiqué retient que "la demanderesse ne peut pas faire
de mouvements brusques et est consciente de son manque de mo-
bilité".

Il appert ainsi que, d'une part, l'autorité canto-
nale n'a pas refusé une offre de preuve afférente à ces allé-
gués. D'autre part, elle a retenu, en se fondant sur l'exper-
tise médicale, que la demanderesse avait
des difficultés à
se
déplacer et ne pouvait pas courir; ce faisant, elle a
procédé
à une appréciation des preuves conduisant à sa conviction.
Or, comme on l'a vu, l'art. 8 CC ne prescrit pas les moyens
par lesquels l'état de fait doit être établi et encore moins
comment les preuves doivent être appréciées. Le moyen est to-
talement infondé.

4.- A suivre les recourantes, la cour cantonale a
violé la règle sur le fardeau de la preuve déduite de l'art.
8 CC lorsqu'elle a admis, dans le cadre du calcul de la
perte
de gain subie par la demanderesse depuis l'accident jusqu'à
la date du jugement cantonal, que le salaire annuel de cette
dernière aurait atteint en 2000 la somme de 47 345 fr.60.
Pour retenir comme salaire futur moyen un montant "de
10 000 fr. supérieur à ce qui a été allégué", la cour canto-
nale aurait utilisé des pièces produites à l'appui d'un
autre
allégué. En prenant en compte des faits non allégués, la
Cour
civile serait sortie du cadre des allégués et aurait commis

une grave entorse au principe fondamental, d'après lequel un
fait, pour être retenu, doit d'abord avoir été allégué, puis
prouvé.

L'art. 8 CC prescrit à celui qui allègue un fait
pour en déduire un avantage d'en apporter la preuve. En re-
vanche, cette disposition n'impose pas l'obligation au plai-
deur d'alléguer le fait en question, car c'est le droit can-
tonal qui détermine si un fait sur lequel une partie entend
fonder ses prétentions doit être allégué (ATF 97 II 339 con-
sid. 1b et les arrêts cités). Relève également du droit can-
tonal le point de savoir dans quelle mesure le juge a le
droit de tenir compte de faits non allégués (ATF 97 II 216
consid. 1).

Il s'ensuit que le grief des recourantes concerne
exclusivement une question qui ressortit à l'application du
droit cantonal de procédure, si bien qu'il est entièrement
irrecevable.

5.- Pour les recourantes, l'autorité cantonale au-
rait transgressé les art. 58 et 59 LCR en admettant la res-
ponsabilité exclusive de la détentrice de l'automobile impli-
quée dans l'accident. Elles soutiennent que la Cour civile
aurait dû se poser la question, à tout le moins, de la faute
concomitante de la demanderesse. Elles prétendent que l'inti-
mée, qui avait la tête baissée, le regard fixé sur le sol,
et
qui ne regardait ni à gauche ni à droite, devait manifester
son intention de traverser la route sur le passage de sécuri-
té, en faisant un signe du bras ou de la main. Le simple
fait
de se trouver en face d'un passage pour piétons ne constitue-
rait pas une indication au sens de l'art. 6 OCR.

Le moyen repose pour l'essentiel sur un état de
fait étranger à celui posé souverainement par la cour canto-

nale. Si tant est qu'il soit recevable, il est privé de tout
fondement.

A teneur de l'art. 33 LCR, le conducteur facilitera
aux piétons la traversée de la chaussée (al. 1). Avant les
passages pour piétons, le conducteur circulera avec une pru-
dence particulière et, au besoin, s'arrêtera pour laisser la
priorité aux piétons qui se trouvent déjà sur le passage ou
s'y engagent (al. 2). L'art. 49 al. 2 LCR dispose que les
piétons traverseront la chaussée avec prudence et par le
plus
court chemin en empruntant, où cela est possible, un passage
pour piétons. Ils bénéficient de la priorité sur de tels pas-
sages mais ne doivent pas s'y lancer à l'improviste. L'art.
6
al. 1 aOCR, dans sa teneur en vigueur entre le 1er mai 1989
et le 31 mai 1994 (RO 1984 1338 et 1989 410), prescrivait
que, avant les passages pour piétons où le trafic n'est pas
réglé, le conducteur réduira sa vitesse assez tôt, de
manière
à pouvoir laisser la priorité aux piétons, notamment à ceux
qui font un signe de la main. Il est tenu d'accorder la prio-
rité à tout piéton qui s'engage sur le passage avant le véhi-
cule. Quant à l'art. 47 aOCR, dans sa teneur en vigueur
avant
le 1er juin 1994, il précisait, à son al. 2 in initio, que,
sur les passages pour piétons où le trafic n'est pas réglé,
les piétons ont la priorité sauf à l'égard des tramways et
des chemins de fer routiers; l'al. 3 de la même disposition
indiquait ce qui suit: "Les piétons qui veulent user de leur
droit de priorité doivent annoncer leur intention au conduc-
teur du véhicule qui s'approche, en posant un pied sur la
chaussée ou en faisant clairement un signe de la main. Ils
n'useront pas de leur droit de priorité lorsque le véhicule
ne pourrait s'arrêter à temps".

En l'espèce, il résulte des faits déterminants
(art. 63 al. 2 OJ) qu'au matin du 7 octobre 1992, l'intimée
était arrêtée sous la pluie sur un trottoir de l'avenue Géné-
ral Guisan, en face d'un passage de sécurité. La défenderes-

se, qui roulait en direction de Vevey, a vu cette piétonne
qu'elle a pris pour un enfant et a ralenti, à l'instar du vé-
hicule circulant en sens inverse et piloté par D.________,
lequel s'est arrêté et a indiqué à la demanderesse, par un
appel de phares, qu'il avait l'intention de la laisser pas-
ser. Dans ce contexte, il appert que dame B.________ a ma-
nifestement compris, comme D.________, que l'intimée, par sa
présence un jour de pluie devant un passage pour piétons,
cherchait à traverser la route, de sorte que cette dernière
n'avait pas à confirmer une nouvelle fois son intention par
une geste du bras ou de la main (cf., sur le principe de la
confiance déduit de l'art. 26 al. 1 LCR, ATF 127 IV 220 con-
sid. 3a; 118 IV 277 consid. 4; 115 II 283 consid. 1a).

Dame C.________ a regardé à gauche, en direction du
véhicule de dame B.________, puis, voyant que celui-ci avait
ralenti, s'est engagée sur le passage de sécurité. Dès le mo-
ment où la demanderesse a mis le pied sur le passage
protégé,
comme on l'encourageait à le faire, elle avait la priorité.
Et l'intimée n'a pas adopté un comportement inattendu, puis-
qu'elle ne s'est pas ruée sur le passage pour piétons - son
état de santé le lui aurait de toute manière interdit - mais
a entrepris de le traverser en marchant normalement.

Malgré cela, dame B.________ a déduit de l'ensemble
de ces circonstances que l'intimée allait attendre le
passage
de sa voiture avant de traverser la route. Il n'est nul be-
soin de plus amples explications pour admettre, avec l'auto-
rité cantonale, que la responsabilité totale de la
détentrice
dans l'accident doit être clairement reconnue, aucun des fac-
teurs de réduction prévus par l'art. 59 al. 1 et 2 LCR, et
notamment la faute du lésé, ne devant entrer en ligne de
compte.

6.- a) Les recourantes ne remettent pas en cause
les différents postes du dommage subi par la demanderesse
qui

doivent être indemnisés. Il s'agit de la perte de gain et du
préjudice ménager survenus au jour du jugement, de la perte
de gain future et du préjudice ménager futur, du tort moral
éprouvé et du remboursement des frais d'avocat avant procès
ainsi que de frais de literie. On ne saurait donc revenir
sur
ces points, qui ne sont plus litigieux.

De même, les défenderesses ne s'en prennent pas au
calcul opéré par l'autorité cantonale relativement à ces di-
vers chefs de dommage. Il n'y a ainsi pas lieu d'y revenir.

Soulignant que la cour cantonale, pour ne pas sta-
tuer ultra petita, a finalement alloué en capital à la deman-
deresse non 265 743 fr.60, "montant indemnisable à charge
des
défenderesses", mais bien 225 071 fr.30, soit le montant ré-
clamé par la demanderesse en procédure, les défenderesses
font grief aux juges vaudois de ne s'être pas préoccupés des
intérêts. Elles prétendent qu'en accordant des intérêts sur
le tout dès le 19 février 1997, date du dépôt de la demande,
ces magistrats ont violé les art. 42 et 46 CO, dès l'instant
où l'intérêt compensatoire du dommage futur, qui constitue
in
casu le poste le plus important en valeur du préjudice, doit
être calculé dès la date de la capitalisation, laquelle cor-
respond en règle générale avec la date du jugement. Pour
n'avoir pas discuté du point de départ des intérêts, la Cour
civile aurait finalement accordé un dédommagement global dé-
passant le dommage effectif de plus de 60 000 fr.

b) Le moyen est fondé. Il est en effet de juris-
prudence que, s'agissant d'un dommage futur, l'intérêt doit
effectivement être calculé dès la date de la capitalisation,
laquelle coïncide généralement avec celle du jugement (ATF
123 III 115 consid. 9a).

Partant, la Cour civile a violé l'art. 46 CO en
fixant le point de départ des intérêts sur le montant
octroyé

à titre de perte de gain future et de préjudice ménager
futur
au 19 février 1997, et non à la date de son jugement, qui
correspond in casu à celle de la capitalisation, soit le 14
novembre 2000.

c) Il subsiste cependant une difficulté qui est
celle de déterminer la part représentant le dommage futur
dans la somme totale qui a été octroyée à la demanderesse en
instance cantonale, à savoir 225 071 fr.30. De fait, dès
lors
que les conclusions en capital de l'intimée se sont révélées
inférieures à la somme globale qui lui serait due pour répa-
rer l'entier de son préjudice, les juges cantonaux, qui ne
pouvaient statuer ultra petita - point qui n'est pas
contesté
-, lui ont alloué le montant qu'elle a réclamé dans sa deman-
de, en capital et intérêts, sans plus faire le départ entre
les différents postes du dommage. Ce n'est donc pas sur le
montant du préjudice futur tel qu'il a été calculé par la
Cour civile, soit 202 298 fr.40, que le point de départ des
intérêts doit être fixé au 14 novembre 2000, mais sur un mon-
tant réduit.

Pour sortir de cette ornière, il convient de s'ins-
pirer par analogie des règles relatives à l'imputation des
paiements lorsque le débiteur a plusieurs dettes (cf. art.
86
et 87 CO). L'art. 87 al. 1 in fine CO dispose ainsi qu'en fa-
ce de plusieurs dettes exigibles, à défaut de déclaration du
débiteur ou du créancier, le paiement doit s'imputer, s'il
n'y a pas eu de poursuite, sur la dette échue la première.

Il suit de là que les divers chefs de dommage cal-
culés par l'autorité cantonale seront successivement
accordés
à la demanderesse en fonction du moment où ils sont devenus
exigibles, le poste dont l'échéance est la plus récente
étant
réduit de telle manière que le montant global alloué ne dé-
passe pas les conclusions de la demande. Ces différentes som-
mes ne pourront toutefois pas porter intérêts avant le dies
a

quo requis in globo dans la demande, qui est le 19 février
1997.

Ces considérations amènent l'octroi à l'intimée des
montants suivants:

- 5980 fr. avec intérêts à 5% dès le 19 février
1997 pour le tort moral exigible dès le jour de l'accident;

- 6188 fr. 30 avec intérêts à 5% dès le 19 février
1997 à titre de frais d'avocat avant procès et de frais de
literie, facturés respectivement les 27 août 1996 et 11 sep-
tembre 1996 (art. 64 al. 2 OJ);

- 51 276 fr.90 avec intérêts à 5% dès le 19 février
1997 pour la perte de gain passée et le préjudice ménager
passé, qui étaient exigibles dès l'échéance moyenne du 1er
novembre 1996;

- 161 626 fr.10 (225 071 fr. 30 - (5980 fr. +
6188 fr.30 + 51 276 fr.90 = 63 445 fr.20)) à titre de
montant
réduit pour la perte de gain future et le préjudice ménager
futur, avec intérêts à 5% dès le 14 novembre 2000, date de
la
capitalisation.

7.- Au vu de ce qui précède, le recours doit être
partiellement admis et le jugement attaqué réformé selon le
considérant qui précède.

Les défenderesses voient uniquement le point de dé-
part du taux d'intérêt sur le dommage futur reporté du 19 fé-
vrier 1997 au 14 novembre 2000, soit d'environ 3 ans et 9
mois. Tout bien pesé, il se justifie de répartir les frais
de
justice à raison d'un dixième à la charge de la demanderesse
et de neuf dixièmes solidairement à la charge des défenderes-
ses (art. 156 al. 3 OJ). Celles-ci devront verser à
l'intimée

des dépens réduits dans la même proportion (art. 159 al. 3
OJ).

La cause devra être retournée à la cour cantonale
pour nouvelle décision sur les frais et dépens de l'instance
cantonale (art. 159 al. 6 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet partiellement le recours et réforme le ju-
gement attaqué en ce sens que les recourantes sont
condamnées
solidairement à payer à la demanderesse:

- 5980 fr. avec intérêts à 5% dès le 19 février
1997;
- 6188 fr.30 avec intérêts à 5% dès le 19 février
1997;
- 51 276 fr.90 avec intérêts à 5% dès le 19 février
1997;
- 161 626 fr.10 avec intérêts à 5% dès le 14 novem-
bre 2000;

2. Met un émolument judiciaire de 6000 fr. pour un
dixième à la charge de la demanderesse et pour neuf dixièmes
solidairement à la charge des défenderesses;

3. Dit que les défenderesses verseront solidaire-
ment à la demanderesse une indemnité de 6400 fr. à titre de
dépens réduits;

4. Renvoie la cause à l'autorité cantonale pour
nouvelle décision sur les frais et dépens de l'instance can-
tonale;

5. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois.

___________

Lausanne, le 11 janvier 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.306/2001
Date de la décision : 11/01/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-01-11;4c.306.2001 ?
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