La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/01/2002 | SUISSE | N°I.253/01

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 08 janvier 2002, I.253/01


«AZA 7»
I 253/01 Kt

IVe Chambre

Mme et MM. les juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et
Ferrari. Greffier : M. Berthoud

Arrêt du 8 janvier 2002

dans la cause

Office de l'AI du canton du Jura, rue Bel-Air 3,
2350 Saignelégier, recourant,

contre

X.________, intimé, représenté par Me Marco Locatelli,
avocat, rue de la Préfecture 4, 2800 Delémont,

et

Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Por-
rentruy

A.- a) X.________ a exercé la professio

n de chef
carrossier, au bénéfice d'un brevet fédéral de carrossier.
Il a dû cesser cette activité, en 1988, à la suite d'un
acci...

«AZA 7»
I 253/01 Kt

IVe Chambre

Mme et MM. les juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et
Ferrari. Greffier : M. Berthoud

Arrêt du 8 janvier 2002

dans la cause

Office de l'AI du canton du Jura, rue Bel-Air 3,
2350 Saignelégier, recourant,

contre

X.________, intimé, représenté par Me Marco Locatelli,
avocat, rue de la Préfecture 4, 2800 Delémont,

et

Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Por-
rentruy

A.- a) X.________ a exercé la profession de chef
carrossier, au bénéfice d'un brevet fédéral de carrossier.
Il a dû cesser cette activité, en 1988, à la suite d'un
accident qui l'a rendu paraplégique; il a toutefois pu
rester au service de son employeur, qui lui a confié des
travaux administratifs. A partir du 1er juillet 1990, l'as-

suré a perçu une rente entière de l'assurance-invalidité,
fondée sur un degré d'invalidité de 80 %.
Dès l'année 1995, l'assuré a commencé d'exploiter une
carrosserie à Y.________, sous la forme d'une société ano-
nyme dont il est l'unique administrateur et le principal
actionnaire (Carrosserie Z.________ SA); l'entreprise est
en plein essor (la troisième en importance en Suisse roman-
de) et compte une quinzaine d'employés (en 2000). Son acti-
vité de chef d'entreprise consiste à ordonner et surveiller
les travaux, accomplir les tâches administratives (devis,
commandes de pièces, téléphones), et recevoir la clientèle
(rapports de l'Office de l'assurance-invalidité du canton
du Jura des 9 juin 2000 et 1er octobre 1999).

b) Au cours d'une révision du droit à la rente, l'of-
fice AI a estimé que X.________ réalisait un revenu mensuel
de 3500 fr., soit annuellement 45 500 fr. (3500 x 13), dans
son activité de chef d'entreprise, alors qu'il aurait pu
bénéficier d'un gain annuel de 78 000 fr. (6000 x 13) sans
atteinte à la santé. Dans un projet de décision du 7 août
2000, l'office AI a informé l'assuré que son taux d'invali-
dité s'élevait à 42 % et qu'il envisageait ainsi de réduire
la rente entière au quart de rente.
Le 22 août 2000, l'assuré s'est opposé à ce point de
vue et a requis une nouvelle évaluation de son revenu d'in-
valide. L'administration lui a répondu, par lettre du
19 septembre 2000, qu'elle avait recueilli entre-temps de
plus amples renseignements auprès de trois entreprises de
la région de Y.________ (carrosseries A.________,
B.________ et C.________). De ses investigations, il était
apparu que le salaire annuel d'un carrossier ayant des
responsabilités s'élevait en moyenne à 72 000 fr. (respec-
tivement 71 500 fr., 68 900 fr., 75 400 fr.), tandis que
celui d'un chef d'une entreprise de carrosserie atteignait
95 400 fr. (respectivement 104 000 fr., 84 500 fr.,
97 500 fr.) en moyenne. L'office AI a estimé que ces chif-

fres auraient en conséquence dû aboutir à la suppression de
la rente, mais qu'eu égard au temps que l'intimé devait
consacrer aux soins requis par son état de santé, de même
qu'à la baisse du rendement qu'il subissait dans certains
travaux, il était préférable de maintenir les termes du
projet de décision du 7 août 2000 (octroi d'un quart de
rente). Pour ce faire, il a arrêté à 3500 fr. par mois le
revenu d'invalide, montant que l'intimé a estimé surfait.
Par décision du 19 octobre 2000, l'office AI a rempla-
cé la rente entière par un quart de rente d'invalidité à
compter du 1er décembre 2000, après avoir arrêté le degré
d'invalidité de l'assuré à 42 %.

B.- X.________ a recouru contre cette décision devant
la Chambre des assurances du Tribunal cantonal jurassien,
en concluant à son annulation et au renvoi de la cause à
l'administration pour nouvelle décision.
Les premiers juges ont considéré que le salaire men-
suel de 3500 fr. n'avait pas été établi de façon suffisam-
ment vraisemblable et que le dossier médical demeurait
lacunaire quant aux activités professionnelles qui étaient
réellement exigibles de la part de l'intimé. En conséquen-
ce, par jugement du 19 mars 2001, la juridiction cantonale
a admis le recours, annulé la décision du 19 octobre 2000,
puis renvoyé la cause à l'administration afin qu'elle en
reprenne l'instruction et statue à nouveau.

C.- L'office AI interjette recours de droit adminis-
tratif contre ce jugement dont il demande l'annulation en
concluant au rétablissement de sa décision du 19 octobre
2000, ce que l'Office fédéral des assurances sociales pro-
pose également.
L'assuré intimé conclut au rejet du recours, avec
suite de dépens.

Considérant en droit :

1.- a) Chez les assurés actifs, le degré d'invalidité
doit être déterminé sur la base d'une comparaison des reve-
nus. Pour cela, le revenu du travail que l'invalide pour-
rait obtenir en exerçant l'activité qu'on peut raisonnable-
ment attendre de lui, après exécution éventuelle de mesures
de réadaptation et compte tenu d'une situation équilibrée
du marché du travail, est comparé au revenu qu'il aurait pu
obtenir s'il n'était pas invalide (art. 28 al. 2 LAI). La
comparaison des revenus s'effectue, en règle générale, en
chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces
deux revenus et en les confrontant l'un avec l'autre, la
différence permettant de calculer le taux d'invalidité.
Dans la mesure où ces revenus ne peuvent être chiffrés
exactement, ils doivent être estimés d'après les éléments
connus dans le cas particulier, après quoi l'on compare
entre elles les valeurs approximatives ainsi obtenues
(méthode générale de comparaison des revenus; ATF 104 V 136
consid. 2a et 2b).
Selon l'art. 28 al. 2 LAI, la réadaptation a la prio-
rité sur la rente dont l'octroi n'entre en ligne de compte
que si une réadaptation suffisante est impossible. Saisie
d'une demande de rente ou appelée à se prononcer à l'occa-
sion d'une révision de celle-ci, l'administration doit donc
élucider d'office, avant toute chose, la question de la
réintégration de l'assuré dans le circuit économique (ATF
108 V 212 s., 99 V 48).
D'après la jurisprudence, on applique de manière géné-
rale dans le domaine de l'assurance-invalidité le principe
selon lequel un invalide doit, avant de requérir des pres-
tations, entreprendre de son propre chef tout ce qu'on peut
raisonnablement attendre de lui, pour atténuer le mieux
possible les conséquences de son invalidité. C'est pour-
quoi, un assuré n'a pas droit à une rente lorsqu'il serait
en mesure, même sans réadaptation, d'obtenir par son tra-

vail un revenu qui exclut une invalidité ouvrant droit à la
rente. Conformément à ce principe, un assuré ne peut pré-
tendre qu'une demi-rente lorsqu'il lui serait raisonnable-
ment possible, sans mesures de réadaptation, de retirer de
son travail un revenu qui n'entraîne qu'une invalidité de
la moitié, et pour autant qu'il n'existe aucune possibilité
de réadaptation excluant même l'octroi d'une demi-rente
(ATF 113 V 28 consid. 4a et les références).

b) Selon l'art. 41 LAI, si l'invalidité d'un bénéfi-
ciaire de rente se modifie de manière à influencer le droit
à la rente, celle-ci est, pour l'avenir, augmentée, réduite
ou supprimée. Tout changement important des circonstances,
propre à influencer le degré d'invalidité, donc le droit à
la rente, peut donner lieu à une révision de celle-ci. Le
point de savoir si un tel changement s'est produit doit
être tranché en comparant les faits tels qu'ils se présen-
taient au moment de la décision initiale de rente et les
circonstances régnant à l'époque de la décision litigieuse
(ATF 125 V 369 consid. 2 et la référence; voir également
ATF 112 V 372 consid. 2b et 390 consid. 1b).
Selon la jurisprudence, la rente peut être révisée non
seulement en cas de modification sensible de l'état de
santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le
même, mais que ses conséquences sur la capacité de gain (ou
sur l'accomplissement des travaux habituels) ont subi un
changement important; en outre, un changement survenu dans
les travaux habituels de l'intéressé peut également consti-
tuer un motif de révision (ATF 105 V 30 et les arrêts ci-
tés; voir aussi ATF 113 V 275 consid. 1a).

2.- Le revenu d'assuré valide, que le recourant a fixé
à 78 000 fr. par an, n'est plus contesté en instance fédé-
rale et apparaît au demeurant tout à fait plausible. Sur ce
point, la Cour de céans fait siens les considérants des

premiers juges auxquels elle n'a rien à ajouter (consid. 5b
du jugement attaqué).

3.- a) En ce qui concerne l'évaluation de son revenu
d'invalide, l'intimé soutient qu'il n'y a pas lieu de tenir
compte des gains qu'il réalise actuellement dans sa fonc-
tion de dirigeant de la société Carrosserie Z.________ SA
ni de ceux qu'il pourrait obtenir dans une activité analo-
gue. A ses yeux, son taux d'invalidité devrait être évalué
uniquement dans l'activité qu'il exerçait avant l'atteinte
à la santé.
Ce raisonnement n'est pas compatible avec le texte
clair de la loi. En effet, lorsqu'il s'agit de procéder à
la comparaison des revenus, l'art. 28 al. 2 LAI commande de
tenir compte des revenus réalisables après l'exécution de
mesures de réadaptation (cf. consid. 1a ci-dessus). Dans le
cas d'espèce, l'intimé s'est réadapté par lui-même en pre-
nant la tête d'une entreprise de carrosserie. Si l'exécu-
tion de certains travaux pratiques de carrosserie n'est
manifestement plus à sa portée en raison de son handicap,
l'intimé peut en revanche accomplir d'autres tâches admi-
nistratives qui restent compatibles avec son état de santé
(cf. rapport de l'office AI du 1er octobre 1999), à l'ins-
tar, précisément, de la direction d'une entreprise de car-
rosserie.
Il convient donc de déterminer les revenus qu'il reti-
re de cette activité (ou à défaut, ceux qu'il pourrait
raisonnablement en retirer), afin de pouvoir les comparer
ensuite au revenu sans invalidité.

b) De concert avec le Tribunal cantonal, l'intimé
reproche à l'office recourant d'avoir omis de s'enquérir du
salaire qu'il perçoit réellement. Si ce grief est certes
bien fondé, l'intimé est toutefois malvenu de l'invoquer en
sa faveur dès lors qu'il a, pour le moins, contrevenu à son
obligation de collaborer à l'instruction de la cause (cf.

ATF 125 V 195 consid. 2 et les références). En effet, alors
qu'il savait que le recourant cherchait à déterminer les
revenus de son travail en vue de statuer sur son droit à la
rente, l'intimé s'est toujours abstenu - tant devant l'ad-
ministration que les deux instances de recours - de dévoi-
ler l'étendue des rémunérations que la société Carrosserie
Z.________ SA devrait consentir (à un tiers ou à lui-même)
en contrepartie de l'activité réellement déployée.
En l'état, faute d'indications précises sur la nature
et la durée du travail effectué, le revenu mensuel de
2100 fr., fût-il payé treize fois l'an, n'a aucune signifi-
cation et ne saurait constituer un élément pertinent pour
la comparaison des revenus prévue par l'art. 28 al. 2 LAI.

c) Dans son écriture du 19 septembre 2000 (p. 2), le
recourant a précisé qu'il avait tenu compte du temps que
l'intimé doit consacrer aux soins dont il a besoin (sans en
préciser la durée), ainsi que de la baisse de rendement
qu'il éprouve dans certains travaux (sans non plus la chif-
frer). Le recourant a dès lors maintenu le revenu d'invali-
de à 3500 fr. par mois, conformément à son projet de déci-
sion du 7 août 2000.
A l'instar du salaire de 2100 fr., celui de 3500 fr.
n'est ni établi ni rendu suffisamment vraisemblable. Pour
le déterminer, le recourant aurait dû se renseigner plus
précisément sur l'incidence des troubles de santé de l'in-
timé dans son activité de directeur de carrosserie, car on
ignore si et dans quelle mesure son handicap restreint ses
facultés de diriger et de surveiller les travaux, d'exécu-
ter les tâches administratives (devis, commandes de pièces,
téléphones) et de recevoir la clientèle. A ce sujet, l'in-
timé avait admis que son rendement était normal dans les
travaux administratifs, mais qu'il n'exerçait son activité
qu'à mi-temps, le matin, du lundi au vendredi (cf. rapport
de l'office AI du 1er octobre 1999); or, à défaut d'avis
médical, on ne sait pas non plus si le besoin de soins,

chaque après-midi, est réellement justifié ni pendant quel-
le durée.
Ce n'est qu'une fois que l'aspect médical du dossier
aura été éclairci qu'on pourra connaître le genre de tra-
vaux (ainsi que leur durée) qui restent exigibles de la
part de l'intimé dans la direction d'une entreprise de
carrosserie de la taille et de l'importance de celle de
Carrosserie Z.________ SA. Cela fait, l'office recourant
déterminera le salaire auquel l'intimé pourrait raisonna-
blement prétendre en contrepartie du travail exigible qu'il
aurait fourni dans son entreprise.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e :

I. Le recours est rejeté.

II. Il n'est pas perçu de frais de justice.

III. Le recourant versera à l'intimé la somme de 1800 fr. à
titre de dépens (y compris la taxe à la valeur ajou-
tée) pour l'instance fédérale.

IV. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tri-
bunal cantonal de la République et canton du Jura,
Chambre des assurances, ainsi qu'à l'Office fédéral
des assurances sociales.

Lucerne, le 8 janvier 2002

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
La Présidente de
la IVe Chambre : Le Greffier :


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.253/01
Date de la décision : 08/01/2002
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-01-08;i.253.01 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award