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08/01/2002 | SUISSE | N°4C.16/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 08 janvier 2002, 4C.16/2001


«/2»

4C.16/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

8 janvier 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffière: Mme de Montmollin.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ AG, demanderesse et recourante, représentée par
Me
Dominique von Planta-Sting, avocate à Lausanne,

et

B.________, défendeur et intimé, représenté par Me François
Besse, avocat à Lausanne;

(interprét

ation)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Au début de l'année 1993, B.________ envisa-
ge...

«/2»

4C.16/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

8 janvier 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffière: Mme de Montmollin.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ AG, demanderesse et recourante, représentée par
Me
Dominique von Planta-Sting, avocate à Lausanne,

et

B.________, défendeur et intimé, représenté par Me François
Besse, avocat à Lausanne;

(interprétation)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Au début de l'année 1993, B.________ envisa-
geait de réaliser un projet immobilier consistant à acheter
un terrain à Montreux, à faire édifier sur la parcelle un bâ-
timent d'habitation par la société de construction
Z.________
S.A. (ci-après: Z.________ S.A.) dont il était le fondé de
pouvoirs, puis à vendre les appartements, surfaces commercia-
les et places de stationnement sous la forme de la propriété
par étages.

Pour financer cette opération, B.________ souhai-
tait qu'un certain nombre d'appartements fassent l'objet
d'une promesse de vente.

Dans ce contexte, la société Y.________ S.A. a pris
contact avec X.________ AG, qui est importatrice générale
des
éléments sanitaires de la marque ... Ces deux sociétés
étaient disposées à promettre d'acheter un appartement -
comme le souhaitait B.________ - pour autant qu'elles puis-
sent fournir à Z.________ S.A. des prestations relevant de
leurs domaines respectifs d'activités.

Par acte authentique du 29 mars 1993, Y.________
S.A. et A.________ AG (société mère de X.________ AG), for-
mant entre elles une société simple, ont promis d'acheter à
B.________ un appartement et une place de stationnement pour
le prix de 647 696 fr.

Le même jour, un "contrat d'engagement préalable" a
été signé prévoyant que du matériel sanitaire ... pour un
montant total d'au moins 1 million de francs serait commandé
à X.________ AG. Ce contrat a été signé sous la mention "le

promettant-acquéreur" par Z.________ S.A.; B.________ a
signé
sous la mention "M. B.________ personnellement".

Le projet immobilier de B.________ ne s'est jamais
réalisé.

En revanche, Z.________ S.A., donnant suite à la
signature du contrat d'engagement préalable, a commandé à
X.________ AG des éléments sanitaires ..., qui ont été li-
vrés, facturés et payés.

Au cours du premier semestre 1994, Z.________ S.A.
a considéré que la pose des éléments sanitaires ... lui coû-
tait plus cher que prévu et a souhaité mettre fin à la rela-
tion entre les parties, ce qui a donné lieu à un litige.

B.- Par acte du 31 mai 1995, X.________ AG a déposé
devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois une deman-
de en paiement dirigée contre Z.________ S.A. et B.________,
leur réclamant solidairement au total 283 325 fr.30 avec
intérêts; ce montant correspondait pour partie à du matériel
qui aurait été déjà commandé et pour partie à des peines con-
ventionnelles. Z.________ S.A. a formé une demande reconven-
tionnelle, réclamant 217 017 fr. avec intérêts.

Z.________ S.A. a été déclarée en faillite le 12
mai 1998. Cette faillite a été suspendue faute d'actifs et
Z.________ S.A. a été mise hors de cause le 1er février
1999,
la procédure ne se poursuivant qu'entre X.________ AG et
B.________.

Par jugement du 21 mars 2000, la Cour civile a re-
jeté la demande formée par X.________ AG contre B.________.
La cour cantonale a considéré que B.________ n'était pas le
cocontractant de X.________ AG pour tout ce qui concerne la
fourniture des éléments sanitaires ...

C.- X.________ AG recourt en réforme au Tribunal
fédéral. Invoquant une mauvaise interprétation du contrat
d'engagement préalable, elle conclut au renvoi de la cause à
la cour cantonale pour compléter l'état de fait.

B.________ invite le Tribunal fédéral à déclarer
irrecevable, subsidiairement à rejeter le recours.

La recourante a formé parallèlement un recours à la
Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois, qui a été
rejeté par arrêt du 25 avril 2001.

D.- Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a dé-
claré irrecevable le recours de droit public formé parallèle-
ment par la recourante.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- S'agissant d'un recours en réforme, la partie
recourante doit en principe - comme l'observe le défendeur -
prendre des conclusions sur le fond (Corboz, Le recours en
réforme au Tribunal fédéral, SJ 2000 II p. 45); elle ne peut
se borner à conclure à l'annulation de l'arrêt attaqué et au
renvoi de la cause à la cour cantonale que si le Tribunal
fédéral, dans l'hypothèse où il admettrait le recours, ne
serait pas en mesure de statuer lui-même sur le fond (ATF
125
III 412 consid. 1b; 111 II 384 consid. 1; 106 II 201 consid.
1; 104 II 209 consid. 1; 103 II 267 consid. 1b); cette hypo-
thèse exceptionnelle est ici réalisée, puisque le Tribunal
fédéral, en cas d'admission du recours, ne serait pas en me-
sure de statuer sur la prétention litigieuse, faute de cons-
tatations suffisantes en ce qui concerne notamment le maté-
riel qui aurait été commandé et refusé.

2.- a) La demanderesse reproche à la cour cantonale
d'avoir mal interprété le sens de la signature apposée par
le
défendeur sur le contrat d'engagement préalable.

b) En présence d'un litige sur l'interprétation
d'un contrat, le juge doit tout d'abord s'efforcer de déter-
miner la commune et réelle intention des parties, sans s'ar-
rêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles
ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la na-
ture véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO).

S'il y parvient, il s'agit d'une constatation de
fait qui ne peut être remise en cause dans un recours en ré-
forme (ATF 126 III 25 consid. 3c, 375 consid. 2e/aa; 125 III
305 consid. 2b, 435 consid. 2a/aa).

Si la volonté réelle des parties ne peut pas être
établie ou si elle est divergente, le juge doit interpréter
les déclarations faites selon la théorie de la confiance. Il
doit donc rechercher comment une déclaration ou une attitude
pouvait être comprise de bonne foi en fonction de l'ensemble
des circonstances (cf. ATF 126 III 59 consid. 5b, 375
consid.
2e/aa).

Il doit être rappelé que le principe de la confian-
ce permet d'imputer à une partie le sens objectif de son com-
portement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté
intime (Wiegand, Commentaire bâlois, 2e éd., n. 8 ad art. 18
CO; Kramer, Commentaire bernois, n. 101 s. ad art 1 CO;
Eugen
Bucher, Commentaire bâlois, 2e éd., n. 6 et 10 s. ad art. 1
CO; Engel, Traité des obligations en droit suisse, 2e éd.,
p.
216 s.).

L'application du principe de la confiance est une
question de droit que le Tribunal fédéral, saisi d'un
recours
en réforme, peut examiner librement (ATF 127 III 248 consid.

3a; 126 III 25 consid. 3c, 59 consid. 5a, 375 consid. 2e/aa;
125 III 305 consid. 2b, 435 consid. 2a/aa).

Pour trancher cette question de droit, il faut ce-
pendant se fonder sur le contenu de la manifestation de vo-
lonté et sur les circonstances, lesquels relèvent du fait
(ATF 126 III 375 consid. 2e/aa; 124 III 363 consid. 5a; 123
III 165 consid. 3a).

c) Avec une argumentation un peu confuse - où elle
évoque notamment une inadvertance manifeste -, la demanderes-
se reproche à la cour cantonale de ne pas avoir tenu compte
des dispositions contractuelles prévoyant que les commandes
constituaient des avenants au contrat.

D'abord, il n'est pas exact de dire que cet aspect
a été complètement ignoré par la cour cantonale, puisque le
chiffre 5 du contrat est entièrement reproduit à la p. 8 de
l'arrêt attaqué.

Surtout, on ne voit pas quel argument la demande-
resse pourrait en tirer. En effet, elle admet expressément
que les commandes ont été conclues entre elle-même et
Z.________ S.A. (recours chiffre 25 al. 2). Comme l'art. 5
du
contrat prévoyait que la confirmation de commande devait
être
contresignée par le promettant-acquéreur, on ne peut voir
dans la formulation alléguée des commandes qu'un argument de
plus en faveur de la thèse admise par la cour cantonale, à
savoir que Z.________ S.A. était seule le promettant-
acquéreur et que l'intimé n'était pas concerné par la four-
niture de ce matériel.

En tout cas, on ne voit pas en quoi les commandes
alléguées pourraient étendre ou modifier la portée de la si-
gnature de l'intimé sur le contrat d'engagement préalable.
La
rectification d'une inadvertance manifeste est d'emblée ex-

clue lorsque le point de fait est sans pertinence pour l'is-
sue du litige (ATF 95 II 503 consid. 2a, p. 506-507).

d) La cour cantonale a constaté que le contrat
d'engagement préalable mentionnait au singulier "le
promettant-acquéreur", ce qui constitue un indice - insuffi-
sant à lui seul - en faveur de l'existence d'un unique pro-
mettant-acquéreur. Contrairement à ce que soutient la deman-
deresse, le féminin de cette expression n'est pas usuel en
français.

La cour cantonale a ensuite constaté que sous la
formule "le promettant-acquéreur", seule Z.________ S.A.
avait signé. Il s'agit d'un second indice - sérieux celui-là
- conduisant à penser que Z.________ S.A. est le promettant-
acquéreur.

Quant au défendeur, il s'est distancé de cette
dénomination en signant séparément avec la mention "person-
nellement". La portée de cette signature n'est pas évidente.
On pourrait imaginer que le défendeur ait voulu s'engager en
qualité de garant. Il n'y a cependant aucun élément dans le
contrat qui permette de s'en convaincre et la demanderesse
ne
le soutient d'ailleurs pas. Comme il cherchait lui-même à
financer son opération immobilière, on en déduit qu'il
n'avait pas la surface d'un bailleur de fonds et on conçoit
difficilement qu'une garantie de sa part ait été souhaitée.

La cour cantonale a donné une autre signification à
cette signature.

Elle a établi le but économique poursuivi par cha-
cune des parties d'une manière qui lie le Tribunal fédéral
saisi d'un recours en réforme (art. 64 al. 2 OJ). Le défen-
deur voulait que des appartements soient promis-vendus afin
d'assurer le financement de son opération immobilière; la

demanderesse était disposée à promettre d'acheter un appar-
tement (avec une autre entreprise), pour autant qu'elle
puisse vendre des éléments dont elle fait le commerce à
Z.________ S.A.; Z.________ S.A. a accepté de promettre
d'acheter ces éléments (jusqu'à concurrence d'un million de
francs), parce qu'elle avait en vue d'être l'entrepreneur
général dans l'opération projetée par le défendeur. Ainsi,
chacun poursuivait son propre intérêt.

Dans ce contexte, il est apparu nécessaire que
l'intimé signe le contrat d'engagement préalable, pour mon-
trer le lien entre la promesse de vente immobilière et le
contrat d'engagement préalable; la signature du défendeur ne
se rapporte qu'au chiffre 14 du contrat, qui le concerne per-
sonnellement.

Cette conception apparaît logique dans les circons-
tances retenues. En revanche, la thèse soutenue par la deman-
deresse se heurte d'emblée à de sérieuses objections. On
sait
que le défendeur, même pour son opération immobilière, vou-
lait mettre en oeuvre Z.________ S.A. en tant
qu'entrepreneur
général; il n'y a aucune constatation qu'il se livre
lui-même
à des activités de construction. Dans ce contexte, la deman-
deresse ne pouvait pas s'imaginer que le défendeur s'enga-
geait personnellement à lui commander pour un million de ma-
tériel, alors qu'il n'exerce aucune activité de
construction;
elle ne pouvait pas non plus s'imaginer qu'il voulait finan-
cer les activités de construction de Z.________ S.A., alors
que lui-même s'efforçait de trouver un financement pour son
opération immobilière. En raison de la connaissance que les
parties avaient de leurs activités réciproques, la signature
du défendeur, séparée de la mention "le promettant-
acquéreur", devait signifier, selon le principe de la bonne
foi, que celui-ci prenait acte de cette convention qui était
liée à la promesse de vente immobilière conclue en sa faveur
et en acceptait l'art. 14.

Certes, la signature du défendeur sur ce contrat
n'a pas créé une situation des plus limpides. On ne peut
cependant pas dire que la manière dont la cour cantonale a
compris cette signature viole les principes du droit fédéral
sur l'interprétation des manifestations de volonté. N'ayant
pu établir une volonté concordante réelle, la cour a inter-
prété la portée de la signature en fonction de l'ensemble de
l'acte et des circonstances économiques connues des parties;
elle en a déduit sans violer le droit fédéral le sens que la
demanderesse pouvait lui donner de bonne foi conformément au
principe de la confiance.

Le recours doit donc être rejeté.

3.- Les frais et dépens seront mis à la charge de
la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 6000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimé une in-
demnité de 7500 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois.

__________

Lausanne, le 8 janvier 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,

La greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.16/2001
Date de la décision : 08/01/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-01-08;4c.16.2001 ?
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