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07/01/2002 | SUISSE | N°5C.136/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 07 janvier 2002, 5C.136/2001


«/2»
5C.136/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

7 janvier 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, M. Raselli et
Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Fellay.

Dans la cause civile pendante

entre

X.________ SA, demanderesse et recourante, représentée par
Me
Alexandre Bonnard, avocat à Lausanne,

et

Y.________ SA, défenderesse et intimée, représentée par Me
Pierre Mathyer, avocat à Lausanne;

(privilège des artisans et entreprene

urs
selon l'art. 841 CC)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par contrat d'entrep...

«/2»
5C.136/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

7 janvier 2002

Composition de la Cour: M. Bianchi, président, M. Raselli et
Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Fellay.

Dans la cause civile pendante

entre

X.________ SA, demanderesse et recourante, représentée par
Me
Alexandre Bonnard, avocat à Lausanne,

et

Y.________ SA, défenderesse et intimée, représentée par Me
Pierre Mathyer, avocat à Lausanne;

(privilège des artisans et entrepreneurs
selon l'art. 841 CC)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par contrat d'entreprise du 29 mars 1988,
X.________ SA (ci-après: la demanderesse) s'est vu adjuger
des travaux d'installation électrique pour un montant de
246'000 fr. concernant des logements à construire sur des
parcelles sises à Z.________ et propriété de V.________. Le
16 mai 1988, X.________ (ci-après: le défendeur) a accordé à
ce dernier un crédit de construction destiné à financer l'é-
dification de trois immeubles. En octobre 1988, les
parcelles
en question ont été aménagées en une propriété par étages
composée de 38 lots (37 appartements et 1 salle de classe).
Des cédules hypothécaires ont été inscrites sur 16 de ces
lots PPE en premier rang, en deuxième rang (pour un total de
467'400 fr.) et en troisième rang (pour un montant de
1'200'000 fr.).

Commencés au printemps 1988, les travaux n'ont été
terminés qu'en mars 1992, en raison de difficultés de tréso-
rerie du maître de l'ouvrage et de retard dans les
paiements.
La demanderesse a établi des factures pour un montant de
350'583 fr. 85. Après déduction des acomptes versés, elle ré-
clamait encore un solde de 141'686 fr. 95. Le 13 février
1992, elle a obtenu, à concurrence de ce montant, l'inscrip-
tion provisoire en sa faveur d'une hypothèque légale d'entre-
preneur grevant les 38 lots PPE. Pour les 16 lots précités,
qui appartenaient alors au maître de l'ouvrage,
l'inscription
a été faite à hauteur de 64'466 fr.

En sa qualité de créancier hypothécaire et détenteur
des cédules hypothécaires grevant notamment les 16 lots PPE
susmentionnés, le défendeur a engagé des poursuites en réali-
sation de gage contre le maître de l'ouvrage. Vendus aux en-
chères publiques en septembre 1994, lesdits lots PPE lui ont
été adjugés pour un montant total de 4'610'000 fr. Compte te-

nu du produit net de gérance et déduction faite d'une hypo-
thèque légale de droit public, la vente aux enchères lui a
rapporté 4'551'491 fr. La plus-value engendrée par les cons-
tructions a été estimée en instance cantonale à 3'576'258
fr.
Trois bénéficiaires d'hypothèques légales provisoires d'arti-
sans et entrepreneurs, dont la demanderesse, sont restés to-
talement à découvert, leur perte s'élevant à 164'725 fr. 05,
intérêts et frais non compris. Tous les autres artisans et
entrepreneurs ont été payés.

B.- Le 14 décembre 1994, la demanderesse a intro-
duit devant la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de
Vaud une action fondée sur l'art. 841 CC, tendant au
paiement
par le défendeur de la somme de 64'466 fr. avec intérêts à
5%
du 20 août 1991 au 10 octobre 1994.

Par jugement du 14 juin 2000, notifié le 18 avril
2001, la cour civile a rejeté la demande. Elle a considéré
que les conditions objectives de l'art. 841 CC étaient rem-
plies: le gage antérieur avait grevé l'immeuble d'une charge
supérieure à la valeur du sol; la demanderesse pouvait pré-
tendre à un montant de 9'386 fr. 90 et il y avait eu inégali-
té de traitement entre la demanderesse et deux autres entre-
preneurs, d'une part, et tous les autres entrepreneurs, d'au-
tre part. Si la cour cantonale a rejeté l'action, c'est
parce
qu'elle a estimé que la condition subjective n'était pas réa-
lisée: la demanderesse n'avait pas établi que le défendeur
pouvait prévoir qu'en favorisant certains entrepreneurs et
artisans au détriment d'autres, il risquait de causer un pré-
judice à ces derniers.

C.- Le 17 mai 2001, la demanderesse a interjeté un
recours en réforme au Tribunal fédéral contre le jugement de
la cour civile. Elle conclut, avec suite de frais et dépens
de première et de deuxième instances, principalement, à ce
que le défendeur soit condamné à lui verser la somme, en ca-

pital et intérêts, réclamée dans sa demande, subsidiairement
un montant fixé à dire de justice.

Le défendeur n'a pas été invité à répondre au re-
cours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une
pleine cognition la recevabilité des recours qui lui sont
soumis (ATF 127 III 41 consid. 2a p. 42; 126 I 81 consid. 1
p. 83; 125 II 293 consid. 1a).

a) Interjeté en temps utile contre une décision fi-
nale prise en dernière instance cantonale, dans une contesta-
tion civile dont la valeur litigieuse dépasse largement
8'000
fr., le recours est recevable au regard des art. 46, 48 al.
1
et 54 al. 1 OJ.

b) Les dépens des instances cantonales ne sont pas
régis par le droit fédéral. Le recours est donc irrecevable
dans la mesure où la recourante cherche à en obtenir (cf.
art. 43 al. 1 OJ). Celle-ci entend sans doute son chef de
conclusions comme une conséquence de l'admission de son re-
cours (cf. art. 159 al. 6 OJ).

c) Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédé-
ral doit conduire son raisonnement sur la base des faits con-
tenus dans la décision attaquée, à moins que des
dispositions
fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il
n'y
ait lieu à rectification de constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il ne faille
compléter les constatations de l'autorité cantonale parce
que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (ATF 126 III 59 consid. 2a p. 65 et les ar-

rêts cités). Dans la mesure où la recourante s'écarte des
constatations de fait du jugement entrepris, les modifie ou
les complète sans se prévaloir valablement de l'une des ex-
ceptions susmentionnées, son recours est irrecevable (ATF
127
III 248 consid. 2c p. 252). Ainsi en va-t-il de ses allégués
concernant un engagement que le défendeur aurait fait signer
le 18 mai 1988 au maître de l'ouvrage, la chute progressive
du marché immobilier et une transaction intervenue entre le
défendeur et un paysagiste. La recourante ne saurait par ail-
leurs critiquer l'appréciation des preuves à laquelle s'est
livrée la cour cantonale, une telle critique relevant du re-
cours de droit public (art. 55 al. 1 let. c OJ; ATF 120 II
97
consid. 2b; 119 II 84, 110 consid. 3d).

2.- Aux termes de l'art. 841 al. 1 CC, si les arti-
sans et entrepreneurs subissent une perte lors de la réalisa-
tion de leurs gages, les créanciers de rang antérieur les in-
demnisent sur leur propre part de collocation, déduction fai-
te de la valeur du sol, dans la mesure où ces créanciers pou-
vaient reconnaître que la constitution de leurs gages porte-
rait préjudice aux artisans et entrepreneurs.

a) Le but de cette disposition est de réserver pour
la garantie des artisans et entrepreneurs la plus-value ré-
sultant pour l'immeuble de leurs activités et de leurs ap-
ports (ATF 100 II 314 consid. 2 p. 317; 80 II 22; 43 II 606
consid. 3 p. 611). Selon la jurisprudence constante du Tribu-
nal fédéral, il y a notamment préjudice au sens de l'art.
841
al. 1 CC lorsque le créancier gagiste de rang antérieur a fa-
vorisé certains artisans et entrepreneurs au détriment d'au-
tres, alors qu'il savait ou devait savoir que les créances
de
ces derniers risqueraient ainsi de ne pas être couvertes
(ATF
115 II 136 consid. 4 p. 140 ss et les arrêts cités; ATF 100
II 314 consid. 2 p. 317; 80 II 22; H. Pfister-Ineichen, Das
Vorrecht nach Art. 841 ZGB und die Haftung der Bank als Vor-
gangsgläubigerin, p. 150 s.; Dieter Zobl, Das Bauhandwerker-

pfandrecht de lege lata und de lege ferenda, in RDS 101/1982
II, p. 178). L'action fondée sur l'art. 841 al. 1 CC ne peut
donc être admise que lorsque, au moment où l'inégalité de
traitement a lieu, le créancier gagiste antérieur pouvait
prévoir qu'il en résulterait éventuellement un préjudice
pour
certains artisans et entrepreneurs; elle doit être rejetée
si
tel n'est pas le cas.

b) En instance cantonale, la demanderesse a fait va-
loir que le défendeur devait être particulièrement prudent,
afin de respecter la règle de l'égalité entre tous les entre-
preneurs, dès lors qu'il avait octroyé un crédit de construc-
tion inférieur au devis présenté et que, dès le départ, il
avait garanti l'entier du crédit de construction par des hy-
pothèques en premier rang. Le jugement attaqué retient que
si
l'on doit certes exiger de la banque un devoir de diligence
accru, il ne suffit toutefois pas que l'entrepreneur deman-
deur ait été moins payé pour qu'il ait droit à l'indemnisa-
tion; la condition subjective de l'art. 841 CC implique que
le demandeur allègue les circonstances qui imposaient à la
banque de s'assurer en particulier que chaque entrepreneur
ne
recevait pas plus que sa contribution à la plus-value résul-
tant de la construction. Or, en l'espèce - constate la cour
cantonale -, la demanderesse n'avait pour ainsi dire rien al-
légué; il était en outre établi que le défendeur avait véri-
fié que les bons de paiement étaient valablement signés, que
les bénéficiaires se trouvaient sur la liste des adjudicatai-
res et que ces derniers ne recevaient pas plus que le
montant
de leur adjudication; s'il était constant qu'il ne disposait
pas des structures pour vérifier que les bons
correspondaient
à des travaux effectivement exécutés, aucun reproche n'était
cependant formulé à cet égard; il en allait de même concer-
nant le fait que les paiements avaient été effectués par le
défendeur en s'assurant que chaque entrepreneur ne recevait
pas plus que sa contribution à la plus-value. Même en admet-
tant que cette dernière circonstance ne permettait pas sans

autre à la banque de se libérer, conclut la cour cantonale,
encore fallait-il que la demanderesse alléguât au moins en
quoi et à partir de quel moment il était raisonnablement pré-
visible que tous les entrepreneurs ne seraient pas payés,
pour déterminer si des entrepreneurs avaient été intégrale-
ment payés après ce moment-là et apprécier si la banque
avait
dès lors manqué à son devoir de diligence pour respecter la
règle de l'égalité.

3.- a) En vertu de l'art. 841 al. 1 CC en liaison
avec l'art. 8 CC, il incombe au demandeur d'établir que le
créancier gagiste antérieur pouvait prévoir que son comporte-
ment impliquerait le risque que certains artisans et entre-
preneurs subiraient un préjudice. Savoir si une prétention
déduite du droit fédéral est suffisamment alléguée en procé-
dure par une partie est une question de droit fédéral (ATF
123 III 183 consid. 3e p. 188). Les exigences quant à la mo-
tivation en fait de la prétention découle du droit matériel,
plus précisément des éléments de fait constitutifs de la nor-
me ou de la jurisprudence invoquée, ainsi que du
comportement
procédural de la partie adverse. Lorsque cette dernière con-
teste les arguments avancés par la partie à qui incombe la
charge de l'allégation, celle-ci ne peut se limiter à
exposer
les faits pertinents globalement; elle est tenue de les allé-
guer de manière complète, détaillée et claire de sorte
qu'ils
puissent être prouvés (ATF 127 III 365 consid. 2b p. 368 et
les arrêts cités). La charge de l'allégation des faits incom-
be en général à la partie qui a la charge de la preuve, dès
lors que l'omission de l'allégation d'un fait a la même con-
séquence que l'absence de sa preuve (Max Kummer, Commentaire
bernois, n. 39 ad art. 8 CC).

b) En l'espèce, le défendeur a contesté avoir pu
prévoir que l'inégalité de traitement des artisans et entre-
preneurs causerait un préjudice à certains d'entre eux. Il
incombait dès lors à la recourante d'alléguer de manière com-

plète, détaillée et claire les faits dont le juge aurait pu
déduire que l'intimé pouvait, au moment où il a favorisé cer-
tains entrepreneurs au détriment d'autres, reconnaître que
cette inégalité de traitement engendrerait un préjudice pour
certains entrepreneurs.

La recourante a allégué les difficultés de paiement
du maître de l'oeuvre et le retard dans les paiements, mais
ne les a pas situés dans le temps. Le jugement attaqué
montre
par ailleurs que la recourante a dépassé d'environ 100'000
fr. le devis initial (246'000 fr.) Il n'est toutefois pas al-
légué à quel moment ont débuté les dépassements, ni si - et,
le cas échéant, à partir de quand - le créancier gagiste les
connaissait ou aurait dû les connaître. Les allégués de la
recourante ne permettent pas d'établir à quel moment se sont
produits ces faits de nature à inciter le défendeur à obser-
ver strictement le principe de l'égalité de traitement des
artisans et entrepreneurs. Il est dès lors exclu de détermi-
ner si l'intimé a violé ce principe uniquement avant la sur-
venance desdits faits, ce qui engendrerait le rejet de l'ac-
tion fondée sur l'art. 841 CC, ou s'il l'a ignoré encore ul-
térieurement. Dans ces conditions, la cour cantonale n'a pas
violé le droit fédéral en rejetant l'action pour
insuffisance
de motivation en fait de la prétention.

4.- Il résulte de ce qui précède que, dans la mesu-
re où il est recevable, le recours doit être rejeté, aux
frais de son auteur (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu
d'allouer de dépens, l'intimé n'ayant pas été invité à répon-
dre au recours.

Par ces motifs,

le T r i b u n a l f é d é r a l :

1.
Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable et confirme l'arrêt attaqué.

2. Met à la charge de la recourante un émolument de
justice de 4'000 fr.

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal
du canton de Vaud.

Lausanne, le 7 janvier 2002
FYC/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.136/2001
Date de la décision : 07/01/2002
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-01-07;5c.136.2001 ?
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