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20/12/2001 | SUISSE | N°5C.156/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 20 décembre 2001, 5C.156/2001


«/2»
5C.156/2001

IIe C O U R C I V I L E
***************************

20 décembre 2001

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Raselli et
Mme Nordmann, juges. Greffière: Mme Mairot.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

D.________, demanderesse et recourante, représentée par Me
Philippe Kenel, avocat à Pully,

et

N.________, défendeur et intimé, représenté par Me François
Kart, avocat à Lausanne;

(divorce)

Vu les pièces du do

ssier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- D.________, née le 1er juillet 1953, et
N.________, né le 1er août 1954, se son...

«/2»
5C.156/2001

IIe C O U R C I V I L E
***************************

20 décembre 2001

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Raselli et
Mme Nordmann, juges. Greffière: Mme Mairot.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

D.________, demanderesse et recourante, représentée par Me
Philippe Kenel, avocat à Pully,

et

N.________, défendeur et intimé, représenté par Me François
Kart, avocat à Lausanne;

(divorce)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- D.________, née le 1er juillet 1953, et
N.________, né le 1er août 1954, se sont mariés à Prilly le
8
septembre 1997. Aucun enfant n'est issu de leur union. Le 18
mai 1998, ils ont adopté le régime de la séparation de biens.

Dès les premiers mois de mariage, et même antérieu-
rement, le climat s'est dégradé entre les intéressés. L'épou-
se a subi des violences de la part de son mari, qui lui ont
causé des blessures et ont rendu l'intervention de la police
nécessaire à réitérées reprises.

Le 7 septembre 1998, l'épouse a requis des mesures
protectrices de l'union conjugale. Elle a toutefois retiré
sa
demande à la suite d'une réconciliation et a réintégré le do-
micile conjugal le 24 septembre 1998.

Un certificat médical fait état de diverses lésions
(hématomes, hémorragies et contusions) constatées en date
des
17 juin 1998 et 7 septembre 1998. Un second certificat du 7
novembre 1998, précisé le 11 avril 2000, atteste qu'elle re-
cevait régulièrement des anxyolitiques en raison de ses pro-
blèmes conjugaux.

Le 17 novembre 1998, soit moins de deux mois après
avoir regagné le domicile conjugal, l'épouse a déposé une
nouvelle requête de mesures protectrices. Par prononcé du 8
décembre suivant, le Président du Tribunal civil du district
de Lausanne l'a autorisée à vivre séparée de son mari jus-
qu'au 30 avril 1999, lui a attribué la jouissance de l'appar-
tement des époux, a imparti au mari un délai de 48 heures

pour quitter le domicile conjugal en n'emportant que ses ef-
fets personnels et de quoi meubler sommairement une chambre,
a fait interdiction à celui-ci d'importuner son épouse sous
la menace des peines d'arrêts ou d'amende de l'art. 292 CP
et
l'a astreint à verser à la requérante une contribution d'en-
tretien de 350 fr. par mois.

Par demande déposée le 3 mars 1999 auprès du Tribu-
nal civil du district de Lausanne, l'épouse a notamment con-
clu au divorce et à ce que le défendeur lui verse une rente
mensuelle, indexable, de 500 fr. Celui-ci a conclu au rejet
des conclusions de la demande.

B.- Le 16 juin 2000, le Tribunal civil du district
de Lausanne a admis l'action de la demanderesse et prononcé
le divorce des époux, en application de l'art. 115 CC, dit
qu'il n'y avait pas lieu au partage de la prévoyance profes-
sionnelle des parties et rejeté toutes autres ou plus amples
conclusions.

Statuant le 29 janvier 2001 sur le recours interjeté
par le mari, la Chambre des recours du Tribunal cantonal du
canton de Vaud a réformé le jugement de première instance en
ce sens que l'action en divorce est rejetée.

C.- La demanderesse exerce un recours en réforme au
Tribunal fédéral contre l'arrêt du 29 janvier, notifié le 10
mai 2001. Elle conclut principalement à ce que le recours in-
terjeté par le défendeur contre le jugement de divorce du 16
juin 2000 soit rejeté. Subsidiairement, elle requiert l'annu-
lation de l'arrêt entrepris et le renvoi de la cause à la
Chambre des recours pour nouvelle décision.

L'intimé propose le rejet du recours.

Les deux parties sollicitent l'octroi de l'assistan-
ce judiciaire.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Le recours, qui concerne le refus du divorce
sur requête unilatérale, est recevable du chef de l'art. 44
OJ. Interjeté en temps utile contre une décision finale ren-
due par l'autorité suprême du canton, il l'est aussi selon
les art. 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.

2.- a) Tant l'autorité de première instance que la
Chambre des recours ont appliqué le nouveau droit du
divorce,
conformément à l'art. 7b al. 1 Tit. fin. CC. Se fondant sur
le jugement du Tribunal de district, l'autorité cantonale a
considéré que l'épouse avait retiré sa requête de mesures
protectrices du 7 septembre 1998, les parties s'étant récon-
ciliées dans le courant de ce mois. Or, tous les griefs rete-
nus à l'encontre du défendeur par ledit jugement se rappor-
taient à des faits antérieurs à cette réconciliation. Le
seul
événement postérieur était le téléphone du mari à la police
le 18 novembre 1998, signalant que l'épouse n'était pas ren-
trée au domicile conjugal. Vu l'absence de tout fait détermi-
nant et dûment établi expliquant ce nouveau départ de l'épou-
se après une période de réconciliation, aucun élément ne per-
mettait d'admettre l'existence de motifs sérieux, au sens de
l'art. 115 CC, pour lesquels on ne pourrait lui imposer la
continuation du mariage jusqu'à l'écoulement du délai de qua-
tre ans fondant un droit absolu au divorce sur la base de
l'art. 114 CC.

b) La recourante reproche à la Chambre des recours
d'avoir interprété l'art. 115 CC de manière trop restrictive
s'agissant d'une situation de droit transitoire, la
procédure
de divorce étant déjà très avancée au moment de l'introduc-

tion du nouveau droit. Elle soutient en outre que l'autorité
cantonale a violé le droit fédéral en ne retenant pas l'exis-
tence de motifs sérieux au sens de la disposition précitée.

3.- a) L'art. 115 CC autorise chaque époux à deman-
der le divorce avant l'expiration du délai de séparation de
quatre ans prévu par l'art. 114 CC lorsque des motifs sé-
rieux, qui ne lui sont pas imputables, rendent la continua-
tion du mariage insupportable. Selon la jurisprudence, cette
cause de divorce - subsidiaire à celle de l'art. 114 CC -
permet de déroger à la règle du divorce sur demande unilaté-
rale dans des cas particuliers où il serait excessivement ri-
goureux d'imposer au demandeur de patienter durant le délai
légal de séparation (ATF 126 III 404 consid. 4c p. 408 et
les
références). Le Tribunal fédéral a considéré, contrairement
à
une partie de la doctrine mais en accord avec d'autres au-
teurs, qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer l'art. 115 CC de
manière plus souple dans les cas où le divorce avait été pro-
noncé ou aurait pu l'être en application d'un ancien droit -
l'art. 142 aCC - plus favorable, le texte clair de l'art. 7b
al. 1 Tit. fin. CC ne souffrant pas d'interprétation (ATF
126
III 404 consid. 3b et c p. 406/407 et les références
citées).
Dans un arrêt ultérieur, il a toutefois précisé que l'exis-
tence de motifs sérieux ne devait pas être soumise à des exi-
gences excessives (ATF 127 III 129 consid. 3b p. 134, approu-
vé par Roger Weber, in AJP/PJA 4/2001, p. 466 ss, qui préco-
nise une réduction du délai de quatre ans, tout comme
Alexandra Rumo-Jungo, in recht 2/2001, p. 82 ss). Savoir si
tel est le cas dépend des circonstances de chaque espèce. Il
n'est dès lors pas possible, ni souhaitable, d'établir des
catégories fermes de motifs sérieux au sens de l'art. 115
CC;
le juge doit statuer en appliquant les règles du droit et de
l'équité (art. 4 CC; 127 III 129 consid. 3 p. 132 ss, 347
consid. 2a p. 349; 126 III 404 consid. 4 p. 407 ss). Il est
cependant unanimement admis que les actes de violence
mettant

en péril la santé physique et psychique du conjoint
demandeur
peuvent constituer des motifs sérieux permettant de sollici-
ter le divorce pour rupture du lien conjugal (ATF 126 III
404
consid. 4g et h p. 410 et les citations; cf. aussi ATF 127
III 129 ss; Jacques Micheli et al., Le nouveau droit du di-
vorce, 1999, n. 194).

b) Selon les constatations de l'autorité cantonale,
qui fait sien dans son entier l'état de fait du jugement de
première instance, une collègue de l'épouse avait remarqué
déjà avant le mariage que celle-ci était devenue triste et
ne
parlait plus. Deux témoins ont constaté qu'elle présentait
des contusions sur le corps et le visage ainsi que des bles-
sures aux yeux; elle avait confié à l'un d'eux que son mari
la frappait. La police municipale était en outre intervenue
à
six reprises concernant les parties. Ainsi, notamment, le 24
septembre 1997, sur appel d'un voisin chez lequel la demande-
resse s'était réfugiée à la suite d'un différend causé par
son refus de satisfaire les désirs de son mari, car elle sou-
haitait se reposer; ledit voisin a précisé que celui-ci la
maintenait d'un bras autour du cou. Puis, le 14 juin 1998,
alors que l'épouse avait reçu des coups au visage et qu'elle
s'était rendue à l'hôpital pour s'y faire soigner, les con-
joints s'étant disputés au sujet du programme de télévision
de la soirée. Les forces de l'ordre ont également dû interve-
nir le 5 septembre 1998, à la suite d'une bagarre, et ont
conduit la demanderesse dans un foyer. Celle-ci s'était à
nouveau réfugiée chez son voisin, qui a déclaré que le défen-
deur l'avait poussée à l'extérieur de l'appartement en es-
sayant de s'emparer de son sac à mains - qui contenait ses
papiers d'identité - et qu'elle était alors tombée; elle
avait déclaré vouloir quitter les lieux et entamer une procé-
dure de divorce. Enfin, le 6 septembre 1998, l'épouse a de-
mandé que la police l'accompagne au domicile conjugal pour y
récupérer quelques affaires.

Il résulte ainsi des faits tenus pour constants que
dès le début du mariage - voire même avant - et jusqu'à son
départ du domicile conjugal, soit pendant près d'un an, la
recourante a été maltraitée par l'intimé. Elle a subi des lé-
sions d'une certaine gravité puisque des hématomes, des hé-
morragies et des contusions ont été constatés médicalement
et
qu'un témoin a attesté qu'elle présentait des blessures aux
yeux. Les altercations entre les époux ont au demeurant en-
traîné l'intervention de la police à diverses reprises. L'au-
torité cantonale a aussi retenu que des anxyolitiques
étaient
régulièrement prescrits à l'épouse en raison de ses
problèmes
conjugaux, ce qui dénote des souffrances psychiques non né-
gligeables. L'intimé tente de relativiser ces faits en pré-
tendant que "les parties avaient de fréquentes disputes qui,
en raison du caractère impulsif des deux personnes concer-
nées, se terminaient parfois par l'échange mutuel de
quelques
coups". Il soutient encore qu'on se trouverait "en présence
d'une mésentente classique entre époux avec des griefs de
part et d'autre". Ces allégations ne reposent toutefois sur
aucun élément de l'arrêt entrepris, si bien qu'elles sont
irrecevables (art. 55 al. 1 let. c et 63 al. 2 OJ, en rela-
tion avec l'art. 59 al. 3 OJ). Au vu de l'ensemble des cir-
constances précédemment décrites, on peut objectivement ad-
mettre que l'épouse n'ait désormais plus aucune confiance à
l'égard de son mari et que le maintien du mariage durant qua-
tre ans lui paraisse intolérable.

Amenée à requérir une première fois des mesures pro-
tectrices le 7 septembre 1998, la demanderesse a certes réin-
tégré le domicile conjugal le 24 septembre suivant, à la sui-
te d'une réconciliation. Elle a toutefois réitéré sa demande
le 17 novembre 1998, soit moins de deux mois plus tard, puis
a ouvert action en divorce par requête de conciliation du 21
décembre 1998. Contrairement à ce qu'affirme la Chambre des
recours, cette tentative de reprise de la vie commune ne sau-

rait tourner à son détriment. On conçoit en effet que l'épou-
se ait espéré que le comportement de son mari changerait et
que les brutalités dont elle avait fait l'objet ne se repro-
duiraient pas. Intervenu du reste non pas spontanément, mais
sous l'égide de leur Eglise, le bref essai de réconciliation
des parties n'annihile en rien les actes de violence commis
antérieurement. De l'avis de l'autorité cantonale, ces bruta-
lités ne seraient pas déterminantes, car elles se sont dérou-
lées avant ladite "réconciliation". Cette opinion, qui re-
vient à considérer le retour temporaire de l'épouse au domi-
cile conjugal comme ayant, en quelque sorte, rompu le lien
de
cause à effet entre le comportement du mari et le caractère
intolérable du maintien du mariage pour l'épouse, ne peut
être confirmée. Quand bien même la recourante s'est efforcée
dans un premier temps de reprendre la vie commune et ne
s'est
rendue à l'évidence que plus tard, il n'en demeure pas moins
que les effets des violences subies, tant sur le plan physi-
que que psychique, peuvent être durables. Une simple tentati-
ve de reprise de la vie conjugale, qui s'est au demeurant ra-
pidement soldée par un échec, ne saurait effacer les motifs
sérieux de divorce qui existaient précédemment. Les condi-
tions d'application de l'art. 115 CC apparaissent ainsi réu-
nies.

4.- Au vu de ce qui précède, il y a lieu d'admettre
le recours et de réformer l'arrêt déféré dans le sens du
chef
de conclusions pris par la recourante à titre principal. La
cause sera par ailleurs renvoyée à la Chambre des recours
pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédu-
re cantonale. Enfin, les deux parties satisfaisant aux condi-
tions de l'art. 152 OJ, il se justifie de les mettre au béné-
fice de l'assistance judiciaire pour la procédure devant le
Tribunal fédéral.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et réforme l'arrêt entrepris en
ce sens que le recours interjeté par le défendeur contre le
jugement de première instance est rejeté.

2. Renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nou-
velle décision sur les frais et dépens de la procédure canto-
nale.

3. Admet la requête
d'assistance judiciaire de la
recourante et lui désigne Me Philippe Kenel, avocat à Pully,
comme conseil d'office pour la procédure fédérale.

4. Admet la requête d'assistance judiciaire de l'in-
timé et lui désigne Me François Kart, avocat à Lausanne,
comme conseil d'office pour la procédure fédérale.

5. Met un émolument judiciaire de 1'000 fr. à la
charge de l'intimé, mais dit qu'il est provisoirement suppor-
té par la Caisse du Tribunal fédéral.

6. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera à
Me Philippe Kenel et à Me François Kart une indemnité de
1'500 fr. chacun à titre d'honoraires d'avocat d'office.

7. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre des recours du Tribunal
cantonal du canton de Vaud.

__________

Lausanne, le 20 décembre 2001
MDO/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.156/2001
Date de la décision : 20/12/2001
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-12-20;5c.156.2001 ?
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