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20/12/2001 | SUISSE | N°1A.74/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 20 décembre 2001, 1A.74/2001


{T 0/2}
1A.74/2001/col

Arrêt du 20 décembre 2001
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Nay, Aeschlimann, Féraud, Catenazzi,
greffier Thélin.

C.________, représenté par Me François Berger, avocat, case postale
266, 2000
Neuchâtel,
recourant,

contre

Département des finances et des affaires sociales du canton de
Neuchâtel,
faubourg de l'Hôpital 34, 2001 Neuchâtel 1;
Tribunal administratif

du canton de Neuchâtel, case postale 3174, 2001
Neuchâtel 1,
autorités intimées.

réparation morale et indemnité selon l'ar...

{T 0/2}
1A.74/2001/col

Arrêt du 20 décembre 2001
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Nay, Aeschlimann, Féraud, Catenazzi,
greffier Thélin.

C.________, représenté par Me François Berger, avocat, case postale
266, 2000
Neuchâtel,
recourant,

contre

Département des finances et des affaires sociales du canton de
Neuchâtel,
faubourg de l'Hôpital 34, 2001 Neuchâtel 1;
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, case postale 3174, 2001
Neuchâtel 1,
autorités intimées.

réparation morale et indemnité selon l'art. 12 LAVI

(recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal
administratif du
canton de Neuchâtel du 30 mars 2001)

Faits:

A.
Le 22 mars 1997, dans les locaux du dancing "X.________" à Neuchâtel,
une
bagarre s'est produite entre K.________ et C.________. Frappé par son
adversaire avec la crosse d'un fusil, ou une batte de base-ball, ce
dernier a
subi un traumatisme crânien, avec fractures de l'arc zygomatique et
du
conduit auditif externe droits.
A la suite de ces faits, par jugement du 28 octobre 1997, le Tribunal
de
police du district de Neuchâtel a reconnu K.________ coupable de
lésions
corporelles simples commises avec un objet dangereux (art. 123 ch. 2
CP), et
l'a condamné à deux mois d'emprisonnement sans sursis. C.________ a
été
reconnu coupable, lui, de voies de fait, mais exempté de toute peine
en
raison de la gravité de ses blessures.

C. ________ était assuré auprès de la Caisse nationale suisse
d'assurance en
cas d'accident (CNA) contre les conséquences des accidents
professionnels ou
non professionnels. Cette assurance a pris en charge le cas,
notamment par le
versement d'indemnités journalières, mais elle a décidé de réduire ses
prestations de moitié au motif qu'en participant à une rixe, l'assuré
s'était
exposé à un danger extraordinaire. Cette décision a été prise le 1er
avril
1998. L'assuré a usé sans succès de toutes les voies d'opposition et
de
recours disponibles; en dernière instance, le Tribunal fédéral des
assurances
a confirmé la décision par arrêt du 10 mars 2000.

B.
Entre-temps, le 20 mars 1999, C.________ a présenté une demande
d'indemnisation fondée sur la loi fédérale concernant l'aide aux
victimes
d'infractions. Statuant le 29 juin 2000, le Département des finances
et des
affaires sociales du canton de Neuchâtel a refusé toute indemnisation
en
raison de la faute commise par le requérant. Il a considéré qu'en
raison de
sa gravité, cette faute devait entraîner le refus complet d'une
réparation
morale, sans qu'il fût nécessaire de déterminer si elle était grave
au point
d'interrompre le rapport de causalité adéquate entre l'infraction et
les
lésions subies. Quant à la réparation du dommage, la faute justifiait
une
réduction importante, au moins aussi importante que celle appliquée
par
l'assurance-accidents, de sorte que la perte de gain - qui
constituait le
seul dommage allégué - apparaissait suffisamment couverte par les
prestations
de ladite assurance.

C. ________ a recouru au Tribunal administratif cantonal. Cette
juridiction a
considéré que le droit fédéral ne permettait pas le refus complet
d'une
réparation morale en raison de la faute concomitante de la victime,
même
grave, si cette faute n'était pas lourde au point d'interrompre le
rapport de
causalité adéquate; elle a toutefois jugé qu'une telle faute était
réalisée
en l'espèce, et que dans son résultat, la décision attaquée devait
être
confirmée. Le Tribunal administratif a aussi confirmé l'appréciation
relative
à la réparation du dommage.
Quant aux circonstances de l'infraction, ce tribunal a observé que le
déroulement exact des faits comportait de nombreuses incertitudes; il
a
néanmoins retenu, en se référant principalement aux témoignages
recueillis
dans le cadre du procès pénal, que le recourant avait provoqué, par
des
agressions verbales, la rixe au cours de laquelle il a été blessé;
qu'il
avait, de plus, aggravé la tension en allant chercher un fusil - non
chargé -
afin de l'exhiber à son adversaire; que celui-ci était ivre, et que
ce fait
n'avait "probablement" pas échappé au recourant; que dans ces
conditions, ce
dernier devait prévoir une réaction violente en raison de la présence
de
l'arme à feu; enfin, que le coup à l'origine des lésions avait été
porté par
surprise, en dépit de ce comportement provocateur de la victime.

C.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, C.________
requiert
le Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt, rendu le 30 mars 2001, et de
lui
allouer, à la charge du canton de Neuchâtel, des indemnités de
100'000 fr.
pour réparation du dommage et de 70'000 fr. pour réparation morale;
subsidiairement, C.________ demande le renvoi de la cause au Tribunal
administratif, pour nouveau prononcé.
Invités à répondre, le Tribunal administratif et le Département des
finances
et des affaires sociales ont renoncé à déposer des observations.
L'Office
fédéral de la justice a exprimé l'opinion qu'une faute grave justifie
le
refus d'une réparation morale, même si elle n'interrompt pas le
rapport de
causalité adéquate entre l'infraction et les lésions subies.

D.
Par une décision du 15 décembre 2000, alors que la cause était
pendante
devant le Tribunal administratif, la CNA a constaté que les
investigations
médicales et économiques mettaient en évidence une incapacité de gain
totale
de l'assuré, de sorte qu'une rente lui était allouée dès le 1er
septembre
2000. Par ailleurs, un montant de 24'300 fr. lui était versé à titre
d'indemnité pour atteinte à l'intégrité, montant réduit de 50 % comme
les
autres prestations de l'assurance-accidents.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le recours de droit administratif est recevable contre les
décisions
cantonales de dernière instance fondées sur la loi fédérale en
matière d'aide
aux victimes d'infractions (ci-après: la loi fédérale ou LAVI; RS
312.5),
concernant les demandes de réparation du dommage ou de réparation
morale (ATF
126 II 237 consid. 1a p. 239).

1.2 Les constatations de la juridiction cantonale relatives aux
circonstances
de l'infraction relèvent de l'appréciation des preuves; elles
ressortissent
au fait et lient le Tribunal fédéral, sauf si elles sont manifestement
inexactes ou incomplètes, ou si elles ont été établies au mépris de
règles
essentielles de procédure (art. 105 al. 2 OJ). L'appréciation de la
faute
imputée à la victime est en revanche une question de droit fédéral,
que le
Tribunal fédéral revoit librement (cf. ATF 115 II 283 consid. 1a in
fine p.
285/286).
Le recourant conteste notamment les faits admis par le Tribunal
administratif. Cependant, il n'argumente que par simples dénégations,
ou en
se référant aux appréciations du Tribunal de police ou du Tribunal
fédéral
des assurances, qui ne liaient de toute façon pas le Tribunal
administratif,
ou, encore, en procédant à des déductions gratuites sur la base de
certains
éléments. Par exemple, il soutient avec insistance que la rixe était
terminée
lorsqu'il est ressorti de son bureau avec le fusil, puisqu'il y était
resté
plusieurs minutes. Or, aucune de ces critiques n'est apte à mettre en
évidence une constatation manifestement inexacte des faits au sens de
l'art.
105 al. 2 OJ.

2.
Aux termes des art. 2 al. 1 et 11 al. 1 LAVI, celui qui est victime
d'une
infraction pénale et subit, de ce fait, une atteinte directe à son
intégrité
corporelle, sexuelle ou psychique, peut demander une indemnisation ou
une
réparation morale dans le canton où l'infraction a été commise.
L'indemnité,
qui n'excède en aucun cas 100'000 fr. (art. 13 al. 3 LAVI, art. 4 al.
1 de
l'ordonnance du 18 novembre 1992 sur l'aide aux victimes
d'infractions -
OAVI; RS 312.51), est fixée en fonction du montant du dommage subi et
des
revenus de la victime; elle peut être réduite lorsque, par un
comportement
fautif, celle-ci a contribué dans une mesure importante à créer ou à
aggraver
ce dommage (art. 13 al. 1 et 2 LAVI). La réparation morale est due,
elle,
indépendamment du revenu de la victime, lorsque celle-ci subit une
atteinte
grave et que des circonstances particulières justifient cette
réparation
(art. 12 al. 2 LAVI).
Dans la présente affaire, la qualité de victime du recourant, au sens
de ces
dispositions, n'est pas douteuse. L'indemnité et la réparation morale
ne sont
refusées qu'en raison de la faute concomitante imputée à la victime,
faute
que le recourant conteste intégralement.

3.
3.1L'indemnité pour réparation du dommage doit être refusée lorsque
la faute
propre de la victime est grave au point qu'elle constitue la cause
prépondérante de l'atteinte subie, et que le comportement de l'auteur
de
l'infraction n'apparaît donc plus comme la cause juridiquement
adéquate de
cette atteinte. Dans les autres cas, la faute ne peut justifier qu'une
réduction de l'indemnité, et cela seulement s'il s'agit d'une faute
qualifiée, suffisamment grave au regard de l'art. 13 al. 2 LAVI. Dans
son
principe, cette disposition correspond à l'art. 44 al. 1 CO, mais
elle n'a
pas la même portée, en ce sens que la victime échappe à toute
réduction si
elle n'a commis qu'une faute moyenne ou légère (ATF 123 II 210
consid. 3b p.
214, 121 II 369 consid. 3c/aa p. 373 in fine, consid. 4c p. 375).
En l'occurrence, le recourant a provoqué la rixe par des agressions
verbales,
puis il a aggravé la tension en exhibant une arme à feu; c'est
toutefois par
surprise que son adversaire a porté le coup à l'origine des
blessures, en
utilisant un objet massif et, donc, dangereux. Dans ces conditions,
la faute
concomitante est indéniable, et c'est en vain que le recourant
persiste à se
prétendre entièrement innocent. On ne peut toutefois pas retenir,
contrairement à l'opinion du Tribunal administratif, que cette faute
soit
grave au point d'interrompre le rapport de causalité adéquate entre
l'infraction et le dommage; en effet, le comportement de l'auteur,
consistant
à frapper par surprise, et avec un objet massif, demeure un élément
très
important dans l'enchaînement des faits, qui n'apparaît pas relégué à
l'arrière-plan. Par ailleurs, on ne saurait non plus retenir que le
recourant
ait commis seulement une faute moyenne ou légère, impropre à
entraîner une
réduction de l'indemnité selon l'art. 13 al. 2 LAVI; au contraire,
dans les
circonstances de l'espèce, une telle réduction s'impose.

3.2 Lorsque le dommage à réparer consiste dans une perte de gain,
comme dans
la présente affaire, l'application correcte du droit fédéral
nécessite les
opérations suivantes, dans cet ordre (arrêt 1A.252/2000 du 8 décembre
2000,
consid. 2 et 3; Gomm/Stein/Zehnter, Kommentar zum Opferhilfegesetz,
Berne
1995, n. 19 (exemple 4) ad art. 13, n. 29 et 30 ad art. 14 LAVI):
évaluer l'atteinte à l'avenir économique selon les principes de
l'art. 46 CO.
Il faut évaluer le gain que la victime aurait probablement réalisé
sans
l'atteinte à l'intégrité corporelle, puis évaluer la capacité de gain
restante. Le taux de l'invalidité économique peut différer de celui de
l'invalidité médicale; l'autorité peut s'inspirer des éléments
retenus par
l'assurance-accidents, mais elle n'est pas liée par eux;
imputer, sur la perte de gain brute, les rentes d'invalidité, en
particulier
celle de l'assurance-accidents;
calculer le montant du dommage en capitalisant la perte de gain nette;
appliquer l'art. 3 OAVI, en particulier la formule de l'art. 3 al. 3,
pour
déterminer le montant de l'indemnité brute d'après le montant du
dommage et
les revenus de la victime; la rente de l'assurance-accidents fait
partie des
revenus déterminants (cf. art. 12 al. 1 in fine LAVI) et entre donc en
considération aussi à ce stade;
évaluer et appliquer le taux de réduction consécutif à la faute
concomitante,
selon l'art. 13 al. 2 LAVI (cf. Gomm/Stein/Zehnter, op. cit., n. 34
ad art.
13 LAVI);
enfin, déduire d'éventuelles autres prestations que la victime reçoit
pour
réparation du dommage, mais pas la rente de l'assurance-accidents,
puisque
celle-ci a déjà été prise en considération dans le calcul du dommage,
puis à
titre de revenu déterminant (art. 14 al. 1, 1re et 2e phrase, LAVI).
Le raisonnement suivi par le Tribunal administratif ne respecte pas,
même
approximativement, ce schéma. En particulier, il est incorrect
d'envisager
une indemnisation calculée d'après la perte de gain brute, puis
réduite en
fonction de la faute concomitante, et réduite, encore, des
prestations de
l'assurance-accidents. En effet, ce procédé peut aboutir, comme en
l'espèce,
à refuser toute prestation en raison de cette faute, alors que
celle-ci, si
elle n'est pas lourde au point d'interrompre le rapport de causalité
adéquate
entre l'infraction et le dommage, ne doit entraîner qu'une réduction.
Il
convient donc d'admettre le recours, pour violation du droit fédéral,
et de
renvoyer la cause au Tribunal administratif. Le dossier ne contient
que des
données fragmentaires sur la situation économique du recourant, tant
avant
qu'après l'infraction; il incombera à cette juridiction, ou à
l'autorité que
celle-ci désignera, de constater les faits pertinents et de procéder
aux
évaluations nécessaires. Il s'agira, notamment, de déterminer le taux
de
réduction correspondant
à la faute.

4.
4.1L'art. 12 al. 2 LAVI institue le principe d'une réparation morale,
en
argent, en faveur de la victime qui a subi une atteinte grave, dans
des
circonstances particulières; pour le surplus, la loi fédérale ne fixe
pas de
critères quant à l'estimation de cette indemnité. Selon la
jurisprudence, il
faut appliquer par analogie les principes correspondant aux art. 47
et 49 CO,
en tenant compte, cependant, que le système d'indemnisation du
dommage et du
tort moral prévu par la loi fédérale répond à l'idée d'une prestation
d'assistance, et non pas à celle d'une responsabilité de l'Etat (ATF
125 II
554 consid. 2a p. 555/556, 123 II 425 consid. 4c p. 431).

4.2 En ce qui concerne le rôle de la faute propre de la victime, le
Tribunal
fédéral a jugé qu'une réduction de la réparation morale peut
intervenir non
seulement en cas de faute grave, comme la réduction de la réparation
du
dommage, mais aussi en présence d'une faute légère ou moyenne (ATF
123 II 210
consid. 3b p. 214; voir aussi ATF 124 II 8 consid. 5c p. 17, 121 II
369
consid. 3 et 4 p. 372, et l'arrêt 1A.251/1999 du 30 mars 2000,
consid. 3d).
Pour le surplus, d'autres principes ont aussi été mis en évidence, qui
n'étaient toutefois pas directement en cause dans les affaires
concernées.
Ainsi, deux arrêts indiquent clairement qu'un refus de toute
réparation se
justifie en cas de faute interruptive du rapport de causalité
adéquate entre
l'infraction et le dommage (ATF 124 II 8 consid. 5c p. 17; 121 II 369
consid.
4c p. 375). Il ressort aussi nettement des arrêts du Tribunal fédéral
qu'une
faute certes grave, mais pas au point d'interrompre le rapport de
causalité
adéquate, ne peut justifier qu'une réduction de la réparation morale,
et ne
suffit pas à motiver un refus (ATF 124 II 8 consid. 3d/bb p. 14,
consid. 5c
p. 17/18; 121 II 369, loc. cit.); cet élément-ci est aussi mentionné
in ATF
123 II 210 consid. 3b/aa p. 214/215. Sur ce point, le Tribunal
fédéral s'est
simplement référé aux principes reconnus en matière de responsabilité
civile,
relatifs aux art. 47 et 44 CO (ATF 123 II 210, loc. cit.; 121 II 369,
loc.
cit.).
La pratique actuelle, concernant la portée de la faute concomitante
par
rapport à l'art. 47 CO, a son origine dans un arrêt de la Ire Cour
civile du
11 décembre 1990 (ATF 116 II 733). Le Tribunal fédéral a alors retenu
que la
réparation morale consécutive à des lésions corporelles ou à une mort
d'homme
est un cas d'application de l'art. 49 CO; que cette disposition-ci,
dans sa
teneur entrée en vigueur le 1er janvier 1985, ne faisait plus
dépendre la
réparation morale d'une faute particulièrement grave du responsable;
qu'il
n'existait donc plus de différence entre l'action en réparation du
tort moral
et celle en dommages-intérêts, hormis la nature du préjudice subi;
que par
conséquent, enfin, plus rien ne s'opposait à l'allocation d'une
indemnité
pour tort moral même en cas de faute prépondérante du lésé (consid.
4f p.
734). La faute de celui-ci ne devait plus être prise en considération,
désormais, que dans le cadre de l'art. 44 al. 1 CO (consid. 4g p.
735). Cette
jurisprudence a été, ensuite, confirmée dans divers arrêts (ATF 117
II 50
consid. 4a/bb p. 60, 123 III 306 consid. 9b p. 315/316, 124 III 182
consid.
4d p. 186).

4.3 Il n'est pas d'emblée certain que ces considérations soient aussi
déterminantes pour l'application de l'art. 12 al. 2 LAVI. Certes, le
texte
de cette disposition est très semblable à ceux des art. 47 et 49 CO,
mais ces
derniers déterminent les prestations à verser par le responsable de
l'atteinte, alors que la collectivité publique n'est, comme on l'a
rappelé,
pas responsable des conséquences d'une infraction; elle a seulement
un devoir
d'assistance envers la victime. La collectivité n'est donc pas
nécessairement
tenue à des prestations aussi étendues que celles exigibles, en
principe, de
l'auteur de l'infraction. Le Tribunal fédéral a déjà souligné,
également, que
le tort moral ne peut pas être estimé rigoureusement et
mathématiquement,
comme le dommage matériel, et que la décision d'accorder une
réparation
morale, de même que l'évaluation de son montant, relèvent surtout de
l'équité
(ATF 123 II 210 consid. 3b/cc p. 215/216). Il a même expressément
envisagé
que le refus de cette réparation puisse se justifier par des
considérations
d'équité propres au système d'indemnisation de la loi fédérale (ATF
121 II
369 consid. 4b p. 375 in medio). On peut donc concevoir que la
collectivité
publique soit exonérée de son devoir d'assistance, en ce qui concerne
le tort
moral, envers une victime qui, par une faute lourde, a contribué à la
survenance de l'atteinte, alors même que cette faute n'est pas assez
intense
pour entraîner la rupture du lien de causalité adéquate. Il y a ici
conflit
entre, d'une part, le principe selon lequel il faut tenir compte de la
spécificité du régime d'indemnisation par l'Etat (ATF 125 II 554
consid. 2a
p. 555/556, 123 II 425 consid. 4c p. 431), et, d'autre part, le
principe qui
requiert d'éviter autant que possible des divergences trop
importantes entre
le régime d'indemnisation des victimes d'infractions et celui de la
responsabilité civile (ATF 123 II 210 consid. 3b/dd p. 216; voir
aussi ATF
125 II 169 consid. 2b p. 173).
Cette question n'a toutefois pas besoin d'être résolue dans la cause
du
recourant, car de toute manière, la faute commise par lui ne semble
pas
suffisamment lourde pour justifier une pareille exonération. A plus
forte
raison, comme on l'a déjà vu, cette faute n'interrompt pas le lien de
causalité adéquate. C'est donc aussi à tort, en violation du droit
fédéral,
que la juridiction cantonale a refusé d'emblée toute indemnité pour
tort
moral. Cependant, lorsque la victime reçoit une indemnité pour
atteinte à
l'intégrité, selon l'art. 24 de la loi fédérale du 20 mars 1981 sur
l'assurance-accidents (RS 832.20), l'autorité doit examiner s'il se
justifie,
au regard de l'ensemble des circonstances, que cette victime reçoive
en plus
une réparation morale selon l'art. 12 al. 2 LAVI (ATF 125 II 169). Il
incombera donc au Tribunal administratif de procéder à cette
évaluation,
compte tenu des handicaps dont le recourant demeure affecté, sur
lesquels le
dossier ne contient que des renseignements sommaires, et de la faute
qu'il a
commise; le cas échéant, ce tribunal déterminera le montant à verser.

5.
Le recourant qui obtient gain de cause a droit à des dépens, à la
charge du
canton de Neuchâtel.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est
renvoyée au
Tribunal administratif pour nouveau prononcé.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
Le canton de Neuchâtel versera une indemnité de 2'000 fr. au
recourant à
titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant
et aux
autorités intimées, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice.

Lausanne, le 20 décembre 2001

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.74/2001
Date de la décision : 20/12/2001
1re cour de droit public

Analyses

Aide aux victimes d'infractions; indemnité et réparation morale en cas de faute concomitante de la personne lésée. Art. 13 al. 1 et 2 LAVI. Méthode à appliquer pour le calcul de l'indemnité, compte tenu de la perte de gain nette, des revenus de la victime et de la faute qui lui est imputée (consid. 3). Art. 12 al. 2 LAVI. Une faute lourde de la victime, qui n'interrompt toutefois pas le rapport de causalité adéquate entre l'infraction et les lésions subies, entraîne-t-elle la suppression de la réparation morale, ou seulement sa réduction? En l'occurrence, la faute n'est, de toute façon, pas suffisamment grave pour justifier le refus de toute réparation morale (consid. 4).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-12-20;1a.74.2001 ?
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