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19/12/2001 | SUISSE | N°4C.149/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 19 décembre 2001, 4C.149/2001


«/2»
4C.149/2001/otd

Ie C O U R C I V I L E
****************************

19 décembre 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz, juge,
et Pagan, juge suppléant. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

C.________, défenderesse et recourante, représentée par
Me Christian Fischer, avocat à Lausanne,

et

1. A.________ S.A., demanderesse et intimée,
2. B.________ S.A., demanderesse et intimée,
3. la Masse en faillite de

S.________ S.A., demanderesse et
intimée,
toutes trois représentées par Me Jean-Daniel Théraulaz, avo-
cat à Lausanne;
...

«/2»
4C.149/2001/otd

Ie C O U R C I V I L E
****************************

19 décembre 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz, juge,
et Pagan, juge suppléant. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

C.________, défenderesse et recourante, représentée par
Me Christian Fischer, avocat à Lausanne,

et

1. A.________ S.A., demanderesse et intimée,
2. B.________ S.A., demanderesse et intimée,
3. la Masse en faillite de S.________ S.A., demanderesse et
intimée,
toutes trois représentées par Me Jean-Daniel Théraulaz, avo-
cat à Lausanne;

(contrat d'entreprise)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) C.________ S.A. (ci-après: C.________) est
une société qui se présentait comme spécialisée dans le do-
maine des réservoirs à liquide, que ce soit au niveau de
leur conception ou de leur fabrication.

Le 10 avril 1990, C.________ a adressé au "Consor-
tium D.________" (ci-après: le consortium), groupement d'en-
treprises composé des sociétés A.________ S.A., B.________
S.A. et S.________ S.A., une offre se rapportant à la fabri-
cation dans un immeuble, soit au "U.________" à Lausanne,
d'un "réservoir de stockage de froid latent". Compte tenu de
la configuration du local où le réservoir devait être ins-
tallé, celui-ci ne pouvait être que de forme prismatique.

Sur la base des assurances et des précisions don-
nées par C.________, le consortium lui a passé commande;
C.________ a envoyé confirmation de la commande le 17 mai
1990.

C.________ a établi, puis transmis les plans de
construction du réservoir, en tenant compte des contraintes
et des instructions du consortium, en particulier à propos
de la forme de la cuve; elle a fait parvenir une nouvelle
confirmation de commande datée du 18 octobre 1990, rempla-
çant celle du 17 mai 1990.

Dans ce cadre, C.________ a également traité avec
la société W.________ Engineering GmbH, fournisseur des bou-
les de "Cryogel" destinées à remplir le réservoir, ainsi
qu'avec le bureau d'ingénieurs-conseils H.________, qui
avait été mandaté par le maître de l'ouvrage pour assurer la
surveillance des travaux de nature technique.

b) Le papier à lettres de C.________ mentionnait
que les ventes et livraisons étaient effectuées strictement
dans le cadre des conditions de l'Association Suisse des Fa-
bricants de Réservoirs (ASFR). Cette communication figurait
dans les confirmations de commande des 17 mai et 18 octobre
1990.

Les entreprises composant le consortium, qui
avaient déjà eu des relations d'affaires avec C.________,
connaissaient l'existence de ces conditions générales et
avaient eu l'occasion de prendre connaissance de leur conte-
nu.

Les conditions générales de l'ASFR, qui concernent
"la livraison de réservoirs de liquides polluants", s'ap-
pliquent à toutes les livraisons et prestations de services
pour autant que des conditions spéciales contraires n'aient
pas été convenues par écrit. Les art. 8 et 9 ont la teneur
suivante:

"8. Contrôle de la marchandise après la livraison

Le client doit contrôler le réservoir sitôt
après réception et doit signaler les défauts
éventuels au fabricant sans délai. Si 10 jours
après la livraison du réservoir à son lieu de
destination, aucune réclamation écrite n'a été
formulée, le réservoir est considéré comme ac-
cepté.

9. Garantie

Du point de vue du matériel utilisé, de leur
conception, de leur construction et du test
d'étanchéité, nos réservoirs correspondent aux
prescriptions fédérales actuellement en vi-
gueur. Il ne sera tenu compte des prescriptions
cantonales particulières que si celles-ci sont
prévues par la loi. Nous accordons en outre une
garantie de 2 ans à dater du jour de l'expédi-
tion des réservoirs, respectivement de l'avis
annonçant qu'ils sont prêts à l'envoi, sur tou-
tes les parties qui seraient inutilisables
parce que les matériaux utilisés, leur cons-

truction ou leur exécution se révélerait défec-
tueuse. La garantie s'étend exclusivement à la
modification, la réparation ou au remplacement
de la partie défectueuse, à nos frais, dans les
meilleurs délais. Sont exclues de la garantie,
toutes autres revendications, tels notamment
les dommages-intérêts suite à des dégâts, per-
tes de salaire, pénalités pour cause de retard
etc. La garantie ne s'étend pas aux parties des
réservoirs qui sont soumises à une usure natu-
relle.

La garantie s'éteint:

- lorsque le réservoir est soumis à un traite-
ment inapproprié ou à une sollicitation trop
forte,

- lorsque le client ou des tiers modifient ou
réparent les objets livrés sans notre assen-
timent écrit.

(...)".

Parmi les conditions spéciales qui étaient parties
intégrantes desdites conditions générales figurait un art.
10 libellé comme il suit:

"A l'achèvement des travaux, le maître de l'ou-
vrage, ou son représentant, est invité à effectuer
un contrôle. Les réclamations concernant des dé-
gâts et des salissures doivent être formulées im-
médiatement. Nous ne pouvons pas assumer la res-
ponsabilité de réclamations ultérieures, dont la
cause ne peut être imputée d'une manière évidente
à notre personnel".

c) Après avoir exécuté les travaux de construction
du réservoir jusqu'à leur terme et mis en place l'installa-
tion, C.________ a effectué, le 30 novembre 1990, un essai
d'étanchéité à l'air avec une "pression d'étanchéité
d'épreuve" de 0,2 bar; elle avait suggéré un essai d'étan-
chéité à l'eau, mais l'architecte lui avait répondu que
cette mesure n'était pas possible en l'état, faute d'un sys-
tème d'évacuation des eaux.

Le 21 juin 1992, une fuite de 4 à 6 m3 de glycol
s'est produite sur le circuit de production et de stockage
de l'eau glacée.

Le 10 juillet 1992, M.________ Ingénieurs S.A. a
adressé au bureau H.________ un rapport préliminaire. Il en
résultait notamment qu'une rapide vérification montrait que
les tôles et les raidissements verticaux étaient insuffi-
sants pour supporter la charge de 1,5 bar demandée et que
"le gonflement du réservoir au droit du trou d'homme côté
ouest", qui avait été observé le 8 juillet 1992, avait pour
conséquence que la tôle était soumise à un dépassement con-
sidérable des contraintes et des déformations admissibles.

Le 5 novembre 1992, M.________ Ingénieurs S.A. a
établi un rapport d'expertise privée, duquel il ressort en
résumé que le percement des trous d'homme dans le réservoir
n'a pas été exécuté par les auxiliaires de la défenderesse
conformément aux plans de celle-ci, qu'il n'a pas été procé-
dé à des renforcements locaux par des éléments de charpente,
et que la cause principale des déformations de la cuve rési-
dait dans les dimensions et la qualité de certaines soudu-
res, qui étaient nettement insuffisantes pour un réservoir
de froid latent.

C.________ a exécuté intégralement les réparations
recommandées par ce rapport d'expertise, et ne les a pas
facturées.

Le consortium a dû assumer le paiement de factures
en vue d'assurer la remise en état de la citerne, lesquelles
atteignent le montant total de 128'335 fr. 60. Il s'y est
ajouté deux notes d'honoraires, l'une émanant d'un archi-
tecte et datée du 6 juin 1994, l'autre d'un bureau d'ingé-
nieurs conseils et établie le 9 mai 1994, pour respective-
ment 4530 fr. et 11'160 fr., ainsi que le coût de l'exper-

tise privée, par 11'500 fr., selon la note d'honoraires de
M.________ Ingénieurs S.A. du 20 avril 1993, d'où un total
de 155'525 fr. 60.

B.- A.________ S.A., B.________ S.A. et S.________
S.A. ont fait notifier une poursuite à C.________, puis, le
25 octobre 1994, ont ouvert action à son encontre devant la
Cour civile du Tribunal cantonal vaudois, concluant au ver-
sement de 155'525 fr. 60 plus intérêts, l'opposition faite
au commandement de payer étant définitivement levée.

La défenderesse a conclu à libération.

En cours d'instance, une expertise a été confiée à
l'architecte O.________, qui a été autorisé à collaborer
avec l'ingénieur en génie civil et professeur à l'EPFL
P.________.

Selon les constatations de ces deux experts judi-
ciaires, toutes les factures et notes d'honoraires payées
par les demanderesses étaient en relation avec le sinistre
du 21 juin 1992. L'ensemble des défauts de la citerne cons-
tatés par l'expert privé relevaient du travail effectué par
la défenderesse. Les deux causes principales de l'incident
du 21 juin 1992 consistaient dans la modification de la con-
ception des trous d'homme, ce qui avait entraîné une diminu-
tion de la rigidité du réservoir, et dans la mauvaise quali-
té de certaines soudures. La cuve n'était pas destinée au
stockage de produits polluants et ne devait pas contenir de
matière toxique ou dangereuse. Si la complexité de cette
installation n'était pas extraordinaire, elle nécessitait
une coordination technique entre le bureau d'ingénieurs-
conseils et C.________, laquelle devait veiller aux problè-
mes de résistance et d'étanchéité. D'après les experts,
l'absence d'essais de pression avant la mise en service du
réservoir aurait dû faire l'objet d'un avertissement formel

adressé à l'architecte. Une mise en service conforme aux rè-
gles de l'art aurait dû être précédée d'un contrôle de la
concordance de l'exécution avec les plans, plus d'un con-
trôle visuel et par ultrasons des cordons de soudure; ces
dispositions, qui incombaient à la défenderesse, auraient
permis de déceler l'existence des défauts.

La faillite de S.________ S.A. a été prononcée le
24 septembre 1998 et l'administration de la masse en fail-
lite a décidé de poursuivre le procès.

Par jugement du 11 octobre 2000, dont les considé-
rants ont été notifiés le 19 mars 2001, la Cour civile a
prononcé que la défenderesse devait payer aux demanderesses,
solidairement entre elles, le montant de 155'525 fr. 60 plus
intérêts à 5% l'an dès le 21 décembre 1993 sur 150'000 fr.
et à partir du 25 octobre 1994 pour le solde. L'opposition
formée au commandement de payer a été levée définitivement à
concurrence de 150'000 fr. en capital.

En substance, les premiers juges ont considéré que
les relations juridiques nouées par les parties relevaient
d'un contrat d'entreprise, les conditions générales de
l'ASFR étant opposables aux entreprises demanderesses. Ils
ont retenu que les sociétés intimées, qui constituaient en-
tre elles un consortium, étaient liées par un contrat de so-
ciété simple et qu'elles ne pouvaient agir qu'en commun. Les
magistrats vaudois ont admis que les défauts incriminés
n'étaient pas apparents et ne pouvaient donc pas être cons-
tatés lors de la vérification régulière de l'ouvrage après
livraison. Si la défenderesse avait suggéré des essais de
pression à l'eau, elle n'avait ni insisté ni réitéré sa pro-
position après la réponse négative donnée par l'architecte.
Pour l'autorité cantonale, il est contradictoire de la part
de C.________ d'invoquer la déchéance des droits de garantie
alors qu'elle a réparé gratuitement l'ouvrage. En l'espèce,

l'art. 9 des conditions générales de l'ASFR excluait certes
clairement de la garantie les prétentions en dommages-inté-
rêts. Mais les demanderesses ont réclamé des frais accessoi-
res à la réfection, qui ne tombaient pas sous le coup de la
clause d'exonération. Dans ce contexte, toutes les factures
et notes d'honoraires litigieuses entraient dans la catégo-
rie des frais accessoires à la réfection, sous la seule ré-
serve des honoraires de l'expert privé, qui constituaient
plutôt un élément du dommage consécutif au défaut. Pourtant,
la clause préformulée de limitation de garantie ne s'appli-
quait pas pour cette note d'honoraires, car la défenderesse,
par ses manquements caractérisés mis en évidence par les ex-
perts, avait commis une faute grave, de sorte qu'elle ne
pouvait se libérer, conformément à l'art. 100 al. 1 CO. En-
fin, aucune faute concomitante n'était imputable aux deman-
deresses.

C.- C.________ exerce un recours en réforme au Tri-
bunal fédéral contre le jugement précité. Elle sollicite
principalement le déboutement des demanderesses. A titre
subsidiaire, elle conclut à ce que la demande ne soit admise
qu'à concurrence de 55'890 fr. plus intérêts à 5% dès le 20
décembre 1993.

La recourante a formé, sur le plan cantonal, un re-
cours en nullité. Par arrêt du 21 mai 2001, le Président de
la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a pris
acte de la déclaration de retrait de recours déposée par la
défenderesse le 18 mai 2001 et rayé l'affaire du rôle.

Les intimées n'ont pas répondu au recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Il ne permet en revan-
che pas d'invoquer la violation directe d'un droit de rang
constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la violation
du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts
cités).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits conte-
nus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions
fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y
ait lieu à rectification de constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille
compléter les constatations de l'autorité cantonale parce
que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et ré-
gulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 ibidem).
Dans la mesure où un recourant présente un état de fait qui
s'écarte de celui contenu dans
la décision attaquée, sans se
prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui vien-
nent d'être rappelées, il n'y a pas lieu d'en tenir compte.
Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations
de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art.
55 al. 1 let. c OJ). L'appréciation des preuves à laquelle
s'est livrée l'autorité cantonale ne peut être remise en
cause (ATF 126 III 189 consid. 2a; 125 III 78 consid. 3a).

Si le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent en prendre de
nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ), il n'est lié ni
par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par
ceux de la décision cantonale, de sorte qu'il peut apprécier

librement la qualification juridique des faits constatés
(art. 63 al. 3 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59
consid. 2a).

2.- A l'appui de son recours, la défenderesse fait
tout d'abord valoir que les demanderesses seraient déchues
de leurs droits à la garantie. Les intimées n'auraient ainsi
pas contrôlé l'ouvrage lors de sa réception, qui serait in-
tervenue au plus tard le 30 novembre 1990, alors qu'elles
avaient un délai de dix jours pour ce faire en vertu de
l'art. 8 des conditions générales de l'ASFR. En effet, elles
n'avaient formulé aucune réclamation avant le mois de juin
1992.

a) Il est constant et non contesté que la défende-
resse, qui s'est obligée à l'endroit des demanderesses à
exécuter contre rémunération un ouvrage consistant dans la
construction et la livraison d'un réservoir de stockage, a
conclu avec celles-ci un contrat d'entreprise au sens des
art. 363 ss CO.

b) De manière à lier le Tribunal fédéral (art. 63
al. 2 OJ), les juges cantonaux ont constaté qu'il n'était
pas établi que les défauts constatés pouvaient être décelés
lors de la vérification régulière de l'ouvrage. Il a en ef-
fet été retenu en fait que le réservoir a pu être utilisé
normalement pendant plus d'une année et demie après sa li-
vraison - survenue le 30 novembre 1990, après que la défen-
deresse a effectué un essai d'étanchéité à l'air - et que
les défauts incriminés n'ont pu être constatés qu'à la suite
de l'incident du 21 juin 1992, qui s'est matérialisé par une
fuite de plusieurs m3 de glycol.

Ces constatations mettent un terme au débat sur le
grief précité. Seuls les défauts apparents doivent en effet
être immédiatement signalés après la livraison. Il s'agit de

défauts qui sont constatables au premier coup d'oeil, sans
qu'un véritable examen de l'ouvrage soit nécessaire, ou qui
peuvent l'être en cas d'exécution correcte du devoir de vé-
rification, les défauts cachés étant ceux qui se manifestent
plus tard (arrêt du 5 décembre 1995 publié in SJ 1996 p. 353
consid. 6a p. 355; cf. Peter Gauch, Le contrat d'entreprise,
adaptation française par Benoît Carron, n. 2074, 2075 et
2151; Tercier, Les contrats spéciaux, 2e éd., n. 3538 et
3539). A ce propos, l'art. 8 des conditions générales de
l'ASFR liant les parties ne s'écarte pas du système légal.

3.- La recourante soutient qu'il incombait au maî-
tre de l'ouvrage et non à l'entrepreneur de procéder à une
mise en service conforme aux règles de l'art, en ce sens que
celle-ci aurait dû être précédée d'un contrôle de la confor-
mité de l'exécution avec les plans du projet, doublé d'un
contrôle visuel et par ultrasons des cordons de soudure.

Mais la défenderesse perd totalement de vue qu'il
appartient à l'entrepreneur de livrer un ouvrage qui soit
conforme au contrat, c'est-à-dire qui soit exempt de dé-
fauts; si tel n'est pas le cas, la prestation de l'entrepre-
neur est défectueuse (ATF 114 II 239 consid. 5a/aa p. 244;
Gauch, op. cit., n. 1360).

Pour juger de la conformité en cause, il faut pren-
dre en compte l'ouvrage auquel le maître pouvait s'attendre
selon les règles de la bonne foi en fonction du contenu du
contrat (Gauch, op. cit., eod. loc.). En particulier, le
maître est en droit d'attendre, de bonne foi, que l'ouvrage
présente, au moment de sa livraison, les qualités convenues
et attendues sans convention particulière (Gauch, op. cit.,
n. 1361), l'entrepreneur devant fournir un ouvrage utilisa-
ble, qui se trouve ainsi dans un état le rendant pleinement
apte à son usage, et dont la valeur correspond à un état
normal (Gauch, op. cit., n. 1407 et 1413).

In casu, il est établi définitivement que la recou-
rante se présentait comme étant, tant au niveau de la fabri-
cation que de la conception, une spécialiste dans le domaine
des réservoirs à liquide. Dans ces conditions, il est mani-
feste qu'elle devait être à même de livrer un réservoir
prismatique de stockage de froid latent qui soit exempt de
défauts et apte à fonctionner au moins durant le délai de
garantie de deux ans prévu par l'art. 9 des conditions géné-
rales cité ci-dessus, ce qui n'a pas été le cas.

Ainsi, il appartenait bien à la recourante de véri-
fier que l'ouvrage soit exécuté conformément aux plans et de
contrôler les soudures, afin que la cuve possédât les quali-
tés intrinsèques qui avaient été promises contractuellement.
Ces formalités qui ont trait à l'obligation de l'entrepre-
neur de produire l'ouvrage n'ont évidemment rien à voir avec
les vérifications usuelles incombant au maître après la re-
mise de la chose.

Le moyen est privé de tout fondement.

4.- La recourante prétend que l'autorité cantonale
a violé l'art. 8 CC en considérant qu'il appartenait à l'en-
trepreneur d'alléguer et de prouver que les défauts de la
citerne n'étaient pas des défauts cachés.

Pour toutes les prétentions relevant du droit privé
fédéral (cf. ATF 125 III 78 consid. 3b), l'art. 8 CC répar-
tit le fardeau de la preuve (ATF 122 III 219 consid. 3c) -
en l'absence de disposition spéciale contraire - et déter-
mine, sur cette base, laquelle des parties doit assumer les
conséquences de l'échec de la preuve (ATF 127 III 519 con-
sid. 2a; 126 III 189 consid. 2b; 125 III 78 consid. 3b).
Cette disposition ne prescrit cependant pas quelles sont les
mesures probatoires qui doivent être ordonnées. Elle n'empê-
che pas le juge de refuser une mesure probatoire par une ap-

préciation anticipée des preuves. L'art. 8 CC ne dicte pas
comment le juge peut forger sa conviction (ATF 127 III 519
consid. 2a; 122 III 219 consid. 3c; 119 III 60 consid. 2c;
118 II 142 consid. 3a).

Selon la jurisprudence, il appartient à l'entrepre-
neur d'alléguer, lorsque le maître formule des prétentions
en garantie, que l'ouvrage a été accepté tacitement pour le
motif que ses défauts ont été annoncés tardivement, le maî-
tre devant pour sa part prouver qu'il s'en est prévalu en
temps utile (ATF 118 II 142 consid. 3a p. 147 et les réfé-
rences).

En l'occurrence, les juges cantonaux ont constaté
souverainement qu'il n'était pas établi que les défauts in-
criminés pouvaient être constatés lors de la vérification
régulière de l'ouvrage, ce qui clôt la discussion engagée
par la recourante.

5.- La défenderesse fait valoir que sa partie ad-
verse n'a pas agi dans le délai de deux ans prévu par l'art.
9 des conditions générales de l'ASFR, ce qui constituerait
un motif de déchéance.

La péremption des droits de garantie n'entre en jeu
que si le maître de l'ouvrage omet de signaler immédiatement
un défaut apparent ou caché, l'ouvrage étant alors considéré
comme accepté avec ses défauts (Gauch, op. cit., n. 2069,
2070 et 2185). Cette question est à distinguer de celle de
la prescription, qui ne se pose que pour les droits de ga-
rantie non périmés (Gauch, op. cit., n. 2195).

En l'espèce, la recourante a exécuté tous les tra-
vaux de réfection proposés par le rapport d'expertise privée
du 5 novembre 1992. Par le comportement qu'elle a adopté,
elle a ainsi renoncé tacitement à se prévaloir d'un avis

tardif des défauts constatés par l'expert privé (Gauch, op.
cit., n. 2163). C'est donc en vain que la défenderesse, à la
limite de la bonne foi, soutient le contraire.

Dès lors, seule la question de la prescription pou-
vait se poser en l'occurrence.

Cependant, il ne résulte pas du jugement attaqué
que la défenderesse se soit jamais prévalue de la prescrip-
tion devant l'autorité de première instance.

Si tant est qu'il faille admettre que la recourante
invoque cette exception, le moyen doit être considéré comme
nouveau et partant irrecevable à teneur de l'art. 55 al. 1
let. c OJ, dans la mesure où il n'est pas prétendu que la
prescription serait intervenue postérieurement au jugement
cantonal (cf. ATF 123 III 213 consid. 5).

6.- La défenderesse nie que les défauts constatés
soient constitutifs d'une faute grave de sa part rendant
inopérante la limitation de garantie prévue par l'art. 9 des
conditions générales de l'ASFR.

a) Il n'est plus contesté que les parties ont inté-
gré les conditions générales de l'ASFR au contrat d'entre-
prise qu'elles ont passé.

L'interprétation des conditions générales préformu-
lées obéit aux règles ordinaires de l'interprétation des
dispositions contractuelles (ATF 117 II 609 consid. 6c).

En présence d'un litige sur l'interprétation d'une
clause contractuelle, le juge doit tout d'abord s'efforcer
de déterminer la commune et réelle intention des parties,
sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes
dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour dé-

guiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1
CO; ATF 127 III 444 consid. 1b). S'il y parvient, il s'agit
d'une constatation de fait qui ne peut être remise en cause
dans un recours en réforme (ATF 126 III 25 consid. 3c, 375
consid. 2e/aa; 125 III 305 consid. 2b, 435 consid. 2a/aa).

Si la volonté réelle des parties ne peut pas être
établie ou si elle est divergente, le juge doit interpréter
les déclarations faites selon la théorie de la confiance. Il
doit donc rechercher comment une déclaration ou une attitude
pouvait être comprise de bonne foi en fonction de l'ensemble
des circonstances (cf. ATF 127 III 444 consid. 1b; 126 III
59 consid. 5b, 375 consid. 2e/aa p. 380). L'application du
principe de la confiance est une question de droit que le
Tribunal fédéral, saisi d'un recours en réforme, peut exami-
ner librement (ATF 127 III 248 consid. 3a; 126 III 25 con-
sid. 3c, 59 consid. 5a, 375 consid. 2e/aa p. 379).

Le sens d'un texte, apparemment clair, n'est pas
forcément déterminant, de sorte que l'interprétation pure-
ment littérale est prohibée. Même si la teneur d'une clause
contractuelle paraît limpide à première vue, il peut résul-
ter d'autres conditions du contrat, du but poursuivi par les
parties ou d'autres circonstances que le texte de ladite
clause ne restitue pas exactement le sens de l'accord conclu
(ATF 127 III 444 consid. 1b).

b) En l'espèce, l'autorité cantonale s'est limitée
à constater que la clause d'exclusion de garantie constituée
par l'art. 9 des conditions générales en cause était
"nette". On ne sait donc pas si les magistrats vaudois ont
déterminé la volonté réelle des plaideurs. Dans le doute, il
convient de recourir à l'interprétation selon le principe de
la confiance.

Selon l'art. 9 précité, "... La garantie s'étend
exclusivement à la modification, la réparation ou au rempla-
cement de la partie défectueuse (de l'ouvrage) ... dans les
meilleurs délais. Sont exclues de la garantie, toutes autres
revendications, tels notamment les dommages-intérêts suite à
des dégâts, pertes de salaire, pénalités pour cause de re-
tard etc.".

Au regard du libellé de la clause litigieuse, on
doit considérer que les parties sont convenues de n'accorder
au maître, du point de vue de la garantie de l'entrepreneur,
que le droit à la réfection de l'ouvrage. En d'autres ter-
mes, le maître n'était pas fondé à réclamer des dommages-
intérêts qui pouvaient avoir leur source dans une autre
cause que celle se rapportant à la seule réfection de l'ou-
vrage. L'utilisation des termes "Sont exclues ... toutes
autres revendications" (c'est le Tribunal fédéral qui sou-
ligne) et les exemples employés pour illustrer l'exclusion
de garantie ne laissent planer aucun doute à cet égard.

De bonne foi, cette clause ne saurait être comprise
autrement.

Partant, dans la mesure où les premiers juges ont
admis que les factures litigieuses, hormis celles se rappor-
tant aux honoraires de l'expert privé, étaient toutes en
rapport avec la remise en état du réservoir à la suite de
l'incident du 21 juin 1992, il n'apparaît pas que le juge-
ment déféré soit entaché d'une appréciation juridique erro-
née des faits de la cause. Ces frais constituaient en effet,
comme la cour cantonale l'a bien vu, des frais accessoires à
la réfection, dont la prise en charge incombait à l'entre-
preneur, étant précisé qu'il en allait de même des frais
d'architecte et d'ingénieur qui y étaient liés (Gauch, op.
cit., n. 1718 et 1719).

Soutenir, comme la défenderesse, que cela ne signi-
fierait pas encore que ces travaux étaient nécessaires à la
réfection, revient à s'en prendre, de manière irrecevable,
aux constatations souveraines de la cour cantonale. Du
reste, l'entrepreneur obligé à réfection ne saurait se limi-
ter à une pure et simple élimination des défauts, mais doit
faire exécuter à ses frais tous les travaux préparatoires et
de remise en état qu'implique l'élimination des défauts
constatés (Gauch, op. cit., n. 1721).

Pour le surplus, on ne discerne pas en quoi le fait
que l'une des factures a été émise par le consortium lui-
même formé des demanderesses ferait obstacle à son rembour-
sement. Sur ce point, le recours, qui ne renferme aucune
motivation permettant de discerner comment et dans quelle
mesure le droit fédéral aurait été violé, est
manifestement
irrecevable (ATF 121 III 397 consid. 2a; 120 II 280 consid.
6c).

Enfin, il n'importe qu'une des factures ait été
remboursée aux demanderesses par une assurance. Le paiement
des factures incriminées par le consortium, alors que
l'obligation de les acquitter incombait à la défenderesse,
constitue bien la source d'un dommage aboutissant à une di-
minution de l'actif des intimées par les dépenses ainsi con-
senties (Engel, Traité des obligations en droit suisse, 2e
éd., p. 474).

C'est donc à bon droit que l'autorité cantonale a
jugé que les factures en question, qui avaient trait à la
réfection de l'ouvrage, ne tombaient pas sous le coup de la
clause d'exclusion de garantie.

c) Il n'en va pas de même de la note d'honoraires
de l'expert privé. De fait, elle n'entre pas dans la catégo-
rie des frais accessoires à la réfection, mais constitue un

dommage consécutif au défaut (Gauch, op. cit., n. 1524),
dont la réparation est exclue par la clause de limitation de
garantie convenue.

Il convient donc de déterminer si la recourante a
commis une faute grave en réalisant un ouvrage entaché de
défauts.

La réponse à cette question ne peut être qu'affir-
mative. Il résulte de l'état de fait définitif que des trous
d'homme n'ont pas été exécutés conformément aux plans de la
défenderesse du fait des auxiliaires dont elle répond (art.
101 CO), qu'elle n'a pas prévu de renforcements locaux alors
que la dimension de ces trous l'imposait et que certaines
soudures étaient de piètre qualité. S'agissant d'une entre-
prise qui se présentait comme spécialisée dans le domaine
des réservoirs à liquide, de tels manquements, qui affectent
la structure même de l'ouvrage, doivent sans conteste être
qualifiés de graves.

Il en découle que, conformément à l'art. 100 al. 1
CO, l'exclusion de la responsabilité de la défenderesse
n'était pas valable pour la facture de l'expert privé, comme
l'ont bien vu les juges vaudois.

7.- Par un dernier moyen, la recourante prétend
qu'il y avait matière à réduction de l'indemnité au sens de
l'art. 44 CO pour le motif que des faits dont le lésé était
responsable avaient contribué à créer ou à aggraver le dom-
mage. Elle soutient qu'il aurait fallu procéder, avant la
mise en service de l'installation, à un essai pour détermi-
ner si le réservoir était étanche à l'eau.

Certes, un tel essai avait été préconisé par la dé-
fenderesse et il lui avait été opposé le fait qu'une telle
mesure n'était alors pas possible en l'absence d'un système
d'évacuation des eaux.

Néanmoins, il faut rappeler que l'entrepreneur a
une obligation générale de diligence et qu'il existe entre
lui et le maître un rapport de confiance, lequel requiert
que le premier remplisse consciencieusement ses obligations
(Tercier, op. cit., n. 3457).

L'une des conséquences qui en résulte consiste dans
les devoirs d'avis qui incombent à l'entrepreneur, lesquels
ont leur fondement dans l'idée que celui-ci n'est pas tenu
seulement de suivre fidèlement les instructions du maître,
mais encore qu'en sa qualité de spécialiste, il doit con-
seiller le maître et lui signaler toute circonstance impor-
tante qui influe sur l'exécution de l'ouvrage, de telle
sorte que ce dernier puisse comprendre sans équivoque la na-
ture et l'importance des remarques ainsi formulées (Tercier,
op. cit., n. 3460 à 3464).

Dès lors, c'est à juste titre que l'autorité canto-
nale a pris en considération l'avis des experts judiciaires
à cet égard et qu'elle a estimé qu'il appartenait à la re-
courante d'adresser un tel avis aux demanderesses à propos
des conséquences de la non-exécution d'un essai de pression
à l'eau avant la mise en service du réservoir.

Il appert ainsi que l'application de l'art. 44 CO
in casu n'entrait manifestement pas en ligne de compte.

8.- Au vu de ce qui précède, le recours doit être
rejeté dans la mesure de sa recevabilité, le jugement atta-
qué étant confirmé. Les frais de justice seront supportés
par la défenderesse. En revanche, les intimées, qui n'ont
pas procédé, n'ont pas droit à des dépens.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable et confirme le jugement attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 5500 fr. à la
charge de la recourante;

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois.

_____________

Lausanne, le 19 décembre 2001
RAM/otd

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.149/2001
Date de la décision : 19/12/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-12-19;4c.149.2001 ?
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