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18/12/2001 | SUISSE | N°4C.253/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 18 décembre 2001, 4C.253/2001


«/2»

4C.253/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

18 décembre 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges.
Greffière: Mme Charif Feller.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

Fondation X.________, défenderesse et recourante,
représentée
par Me Minh Son Nguyen, avocat à Vevey,

et

D.________, demanderesse et intimée, représentée par Me
Christian Be

ttex, avocat à Lausanne;

(contrat de travail; licenciement abusif)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s...

«/2»

4C.253/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

18 décembre 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges.
Greffière: Mme Charif Feller.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

Fondation X.________, défenderesse et recourante,
représentée
par Me Minh Son Nguyen, avocat à Vevey,

et

D.________, demanderesse et intimée, représentée par Me
Christian Bettex, avocat à Lausanne;

(contrat de travail; licenciement abusif)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) D.________ (demanderesse) a été engagée par
la Fondation X.________ (ci-après: défenderesse) en qualité
d'infirmière-instrumentiste dès le 1er août 1983. Elle a
quitté ce poste le 31 juillet 1986 et a reçu un certificat
de
travail élogieux, signé par l'infirmière-chef et le
directeur
de la défenderesse. Par la suite, la demanderesse a accompli
des missions temporaires dans divers établissements hospita-
liers, y compris auprès de la défenderesse. Ses compétences
et ses qualités humaines ont été relevées par ses différents
employeurs.

Le 9 novembre 1990, la demanderesse a été réengagée
par la défenderesse en qualité d'infirmière-instrumentiste à
plein temps. La demanderesse assumait également une fonction
de remplaçante de la responsable du bloc opératoire. Elle
travaillait dans une équipe composée d'une quinzaine de per-
sonnes. Un important conflit relationnel l'a opposé à l'une
de ses collègues qui est entrée au service de la
défenderesse
le 1er août 1991. Ces deux personnes n'étaient pas faites
pour s'entendre et ne se laissaient mutuellement rien
passer.
Des tensions existaient aussi entre la demanderesse, qui a
une forte personnalité, et d'autres membres de l'équipe.

Le 28 octobre 1996, la demanderesse a reçu une let-
tre d'avertissement, signée par l'infirmière-chef et par le
directeur, dans laquelle il est notamment écrit:

"..... votre intégration au sein de l'équipe
doit être améliorée et vous devez accepter
plus aisément les consignes et remarques qui
vous sont adressées.

Ces dernières sont souvent liées à une mauvai-
se compréhension ou à une erreur de votre

part. Plutôt que de vous fâcher, remédiez à
vos lacunes en demandant la raison de la ré-
flexion. De plus, je vous prie instamment de
prendre sur vous pour maîtriser votre colère,
de façon à respecter votre interlocuteur.
.....".

Dès le 1er janvier 1997, le temps de travail de la
demanderesse, qui souhaitait suivre des cours du gymnase du
soir, a été réduit à 70%, et son salaire mensuel de base a
été ramené à 5006 fr.40 brut.

Le 25 février 1997, la demanderesse a été convoquée
pour un entretien avec l'infirmière-chef et l'infirmière res-
ponsable du planning, à l'issue duquel elle a consulté un
médecin. Celui-ci l'a trouvée en état de choc et de stress
et
a constaté son état dépressif. Il a ensuite pris contact
avec
l'infirmière-chef pour connaître son point de vue. Le lende-
main, une dispute a éclaté entre la demanderesse et sa col-
lègue. A la suite de cet incident, la demanderesse a
souhaité
avoir un entretien avec l'infirmière-chef. Celle-ci a
proposé
une confrontation entre les deux protagonistes afin d'éclair-
cir la situation, mais l'entretien n'a pas eu lieu. Le 20
mars 1997, une lettre rédigée par l'infirmière responsable
du
planning et contresignée par quatre autres infirmières est
parvenue au directeur de la défenderesse. La lettre faisait
état d'un dysfonctionnement au sein de l'équipe qui serait

à la demanderesse et qui ne serait plus gérable. Le 24 mars
1997, le directeur de la défenderesse et l'infirmière-chef
ont convoqué la demanderesse et lui ont signifié son congé
pour le 30 juin 1997. Cette décision a été confirmée par
lettre du même jour. A la requête de la demanderesse, les
motifs du licenciement lui ont été communiqué le 25 avril
1997 dans un courrier signé par le directeur de la défende-
resse et l'infirmière-chef, qui énumère les manquements sui-
vants:

"
- messages non transmis ou alors de façon dé-
formée
- négligence et oublis dans la préparation du
matériel d'intervention
- perte d'instruments
- non participation à l'élaboration des fiches
techniques
- méconnaissance fréquente tant du nouveau ma-
tériel que des techniques opératoires
- règles non respectées
- négligences dans le contrôle de la salle
d'opération en fin de programme
- contrôle irrégulier des dates de péremption
- participation insuffisante à la gestion du
matériel à commander
- non supervision du travail de l'aide

Par ailleurs, sur le plan relationnel, de mul-
tiples conflits sont survenus du fait de votre
attitude générale: insuffisance de collabora-
tion et de disponibilité, manque de respect,
difficultés à demander conseil et aide, et
réactions violentes aux remarques qui vous
sont adressées."

Le 13 mai 1997, la demanderesse a fait opposition à
son licenciement. Selon plusieurs témoignages concordants de
médecins et d'infirmières, le licenciement a été prononcé en
raison de la mésentente qui existait au sein de l'équipe des
infirmières-instrumentistes et qui s'est focalisée sur la
personne de la demanderesse; il s'agissait d'assainir une
situation devenue conflictuelle. Le conflit, qui se situait
à
l'origine entre la demanderesse et une collègue, a pris de
l'importance et a engendré des clans; le renvoi de la deman-
deresse a été la conséquence de cette situation et de l'ani-
mosité de certaines collègues envers elle.

B.- Par demande du 2 octobre 1997 déposée devant la
Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud, la deman-
deresse a conclu au versement par la défenderesse de
30 038 fr.40, à titre d'indemnité pour licenciement abusif,
et de 40 000 fr., à titre de réparation morale, le tout avec
intérêts.

Par jugement du 13 décembre 2000, la Cour civile a
condamné la défenderesse à payer à la demanderesse les
sommes
de 15 019 fr.20 et de 5000 fr., plus intérêts.

C.- La défenderesse interjette un recours en réfor-
me au Tribunal fédéral. Elle conclut à la réforme du
jugement
cantonal, en ce sens qu'elle ne doit pas payer à la demande-
resse les sommes mentionnées.

La demanderesse propose le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Dans son jugement, la cour cantonale estime
que les manquements invoqués par l'employeur à l'appui du li-
cenciement n'étaient pas objectivement fondés. Elle écarte
cependant le mobbing et l'appartenance éthnique, voire la na-
tionalité, considérés par la défenderesse comme motifs du
licenciement intervenu, mais retient néanmoins que le licen-
ciement de la demanderesse, prononcé dans le seul but de ré-
tablir une ambiance de travail harmonieuse, sans que rien
n'ait été entrepris pour remédier à sa détérioration et sans
même entendre la demanderesse avant de prendre la décision
de
la licencier, doit être qualifié d'abusif.

Pour la cour cantonale, il est constant que la de-
manderesse, qui a une forte personnalité, était en conflit
avec sa collègue, que ce conflit a pris de l'importance,
qu'il a engendré des clans et qu'il en est résulté une mésen-
tente entre la demanderesse et une partie de ses collègues
de
travail. Le licenciement de la demanderesse a été prononcé
afin d'assainir la situation. La cour cantonale relève ensui-
te que le point de savoir si la personnalité englobe aussi
les traits de caractère individuels est controversé en doc-

trine. Se référant à l'ATF 125 III 70 consid. 2c p. 74, qui
a
laissé la question indécise, la cour cantonale rappelle
qu'une détérioration de l'ambiance de travail ne peut justi-
fier un congé donné pour une raison inhérente à la personna-
lité que lorsque l'employeur a au préalable pris toutes les
mesures raisonnables afin de rétablir la situation, et que
s'il ne le fait pas, l'employeur viole le devoir d'aide et
d'assistance qu'il doit au travailleur en vertu de l'art.
328
al. 1 CO.

b) La défenderesse invoque la violation par la cour
cantonale de l'art. 336 al. 1 let. a CO. Elle estime, en
substance, que cette disposition est inapplicable en l'espè-
ce, étant donné que selon la doctrine largement dominante,
un
trait de caractère n'est pas une raison inhérente à la per-
sonnalité. Or, comme la cour cantonale considère que la
forte
personnalité de la demanderesse est en cause, sans toutefois
trancher la question de savoir s'il s'agit d'une raison inhé-
rente à la personnalité, le licenciement n'est pas abusif.
Selon la défenderesse, on ne peut laisser cette question in-
décise que dans la mesure où l'employeur a entrepris les me-
sures nécessaires pour remédier au mauvais climat de
travail,
comme cela a été le cas à l'ATF 125 III 70. Si en revanche
on
reproche à l'employeur de ne pas avoir tenté de désamorcer
le
conflit, comme le fait la cour cantonale, on ne peut, avant
de qualifier le licenciement d'abusif, se dispenser de tran-
cher la question de la raison inhérente à la personnalité.

A titre subsidiaire, la défenderesse soutient qu'au
cas où la Cour de céans considérerait qu'il s'agit d'un
congé
donné pour une raison inhérente à la personnalité, elle se-
rait en droit d'invoquer le lien avec le rapport de travail
et le préjudice grave au travail dans une entreprise. En ou-
tre, la défenderesse est d'avis qu'elle a pris des mesures
suffisantes pour désamorcer le conflit.

2.- a) L'art. 336 al. 1 let. a CO qualifie d'abusif
le congé donné par une partie pour une raison inhérente à la
personnalité de l'autre partie, à moins que cette raison
n'ait un lien avec le rapport de travail ou ne porte sur un
point essentiel un préjudice grave au travail dans l'entre-
prise. Cette disposition vise le congé discriminatoire,
fondé
par exemple sur la race, la nationalité, l'âge, l'homosexua-
lité, les antécédents judiciaires, la maladie ou encore la
séropositivité. L'application de l'art. 336 al. 1 let. a CO
suppose premièrement que le congé ait été donné pour un
motif
inhérent à la personnalité de la personne congédiée et,
deuxièmement, que ce motif n'ait pas de lien avec le rapport
de travail ou ne porte pas sur un point essentiel un préju-
dice grave au travail dans l'entreprise (ATF 127 III 86 con-
sid. 2a et les références). Les motifs de la résiliation re-
lèvent du fait et, partant, lient le Tribunal fédéral saisi
d'un recours en réforme (art. 63 al. 2 OJ).

b) Au vu de ce qui précède, s'il est établi qu'une
situation conflictuelle sur le lieu du travail, due au carac-
tère difficile d'un travailleur, nuit notablement au travail
en commun dans l'entreprise, le congé n'est pas abusif. Dans
ce cas-là, la question - controversée en doctrine - de
savoir
si les traits de caractère et les types de comportements in-
dividuels peuvent constituer des raisons inhérentes à la per-
sonnalité au sens de l'art. 336 al. 1 let. a CO peut
demeurer
indécise (ATF 127 III 86 consid. 2b; 125 III 70 consid. 2c
p.
74).

c) En l'espèce toutefois, il ressort des constata-
tions souveraines de la cour cantonale que le problème prin-
cipal résidait dans un important conflit relationnel
opposant
deux personnes qui n'étaient pas faites pour s'entendre.
Dans
une telle situation, l'employeur est tenu de prendre les me-
sures que l'on peut attendre de lui pour désamorcer le con-
flit (ATF 125 III 70 consid. 2c p. 74). Cette obligation dé-

coule de l'art. 328 al. 1 CO, selon lequel l'employeur protè-
ge et respecte, dans les rapports de travail, la
personnalité
du travailleur. L'employeur doit non seulement respecter la
personnalité du travailleur, mais il doit encore la
protéger,
c'est-à-dire prendre des mesures adéquates si elle fait l'ob-
jet d'atteintes de la part de ses supérieurs ou de membres
du
personnel. La protection englobe notamment l'honneur person-
nel et professionnel, la position et la considération dans
l'entreprise (Rehbinder, Berner Kommentar, n. 4 ad art. 328
CO; du même auteur, Basler Kommentar, n. 3 ad art. 328 CO).

3.- a) La cour cantonale constate qu'il n'est pas
établi que la défenderesse ait tenté quoi que ce soit afin
de
désamorcer le conflit qui existait entre la demanderesse et
sa collègue et qui s'était étendu à d'autres
infirmières-instrumentistes. Tout au plus la défenderesse
a-t-elle proposé avant le licenciement, par l'intermédiaire
de son infirmière-chef, une confrontation entre la
demanderesse et sa collègue, qui n'a toutefois pas eu lieu.
La cour cantonale estime que cette seule mesure ne saurait
satisfaire à l'obligation d'aide et d'assistance qui incombe
à l'employeur.

Pour sa part, la défenderesse renvoie à l'avertis-
sement dont a fait l'objet la demanderesse et aux
différentes
discussions qui ont eu lieu avec elle avant le licenciement.
La défenderesse mentionne également dans ce contexte la let-
tre du 20 mars 1997, adressée au directeur par l'infirmière
responsable du planning.

b) L'avertissement adressé à la demanderesse le 28
octobre 1996 ne pouvait constituer une mesure adéquate pour
rétablir la situation. D'une part, il était manifestement
tardif puisqu'il est intervenu alors que les deux employées
qui ne s'entendaient pas étaient appelées à collaborer
depuis
1991 déjà. D'autre part, faute d'avoir été adressé simultané-

ment aux deux employées, l'avertissement unilatéral était
inadéquat pour aplanir les difficultés entre elles. Par ail-
leurs, l'employeur a omis d'instruire l'ensemble des person-

nes impliquées. S'agissant des différentes discussions
menées
avec la demanderesse, il ressort des constatations souverai-
nes de l'autorité cantonale qu'elles concernaient des ques-
tions de remplacement, de planification de jours de garde et
de vacances et non l'ambiance de travail. De plus, l'em-
ployeur n'a pas vraiment donné suite au souhait de la deman-
deresse qui avait sollicité un entretien après la dispute
qui
l'a opposée à sa collègue le 26 février 1997, puisque l'en-
trevue n'a finalement pas eu lieu. Enfin, le courrier du 20
mars 1997, rédigé par l'infirmière responsable du planning
et
contresigné par quatre autres infirmières, n'est que signi-
ficatif de la constitution de clans sur le lieu du travail.

Par conséquent, en retenant que le licenciement in-
tervenu doit être considéré comme abusif parce que l'em-
ployeur a enfreint l'obligation découlant de l'art. 328 al.
1
CO, la cour cantonale n'abuse pas de son pouvoir d'apprécia-
tion ni ne viole le droit fédéral.

4.- Comme la valeur litigieuse initiale dépasse
30 000 fr. (art. 343 al. 2 dans sa teneur du 15 décembre
2000
entrée en vigueur le 1er juin 2001, et art. 343 al. 3 CO),
la
procédure n'est pas gratuite. La recourante, qui succombe,
doit assumer les frais et les dépens (art. 156 al. 1 et 159
al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirmer le jugement at-
taqué;

2. Met à la charge de la recourante un émolument
judiciaire de 2500 fr.;

3. Dit que la recourante versera à l'intimée une
indemnité de 3000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour civile du tribunal cantonal
du canton de Vaud.

______________

Lausanne, le 18 décembre 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.253/2001
Date de la décision : 18/12/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-12-18;4c.253.2001 ?
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