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07/12/2001 | SUISSE | N°1A.157/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 07 décembre 2001, 1A.157/2001


«AZA 1/2»
1A.157/2001
1A.158/2001

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

7 décembre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Pont Veuthey,
Juge suppléante. Greffier: M. Zimmermann.

___________

Statuant sur les recours de droit administratif
formés par

Abubakar Bagudu, NG-Abuja, représenté par Me Vincent
Jeanneret, avocat à Genève, et
Mohammed Sani Abacha

, NG-Abuja, représenté par Mes Bruno de
Preux et Pierre de Preux, avocats à Genève,

contre

l'ordonnance rendu...

«AZA 1/2»
1A.157/2001
1A.158/2001

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

7 décembre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Pont Veuthey,
Juge suppléante. Greffier: M. Zimmermann.

___________

Statuant sur les recours de droit administratif
formés par

Abubakar Bagudu, NG-Abuja, représenté par Me Vincent
Jeanneret, avocat à Genève, et
Mohammed Sani Abacha, NG-Abuja, représenté par Mes Bruno de
Preux et Pierre de Preux, avocats à Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 24 août 2001 par la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève, dans la cause qui oppose les
recourants à la République fédérale du Nigeria;

(Entraide judiciaire au Nigeria; droit de consulter le
dossier de la procédure pénale cantonale parallèle)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 30 septembre 1999, la République fédérale du
Nigeria (ci-après: la République fédérale) a annoncé à l'Of-
fice fédéral de la justice (ci-après: l'Office fédéral)
qu'elle envisageait de demander à la Suisse l'entraide judi-
ciaire pour les besoins de l'enquête ouverte au Nigeria à
l'encontre des parents et des proches de feu Sani Abacha,
Président de la République fédérale du 17 novembre 1993 à
son
décès le 8 juin 1998. Les personnes poursuivies le sont pour
détournement de fonds publics.

B.- Le 28 octobre 1999, le Procureur général du can-
ton de Genève, se fondant sur des communications faites en
application de la LBA, a, dans le même complexe de faits, or-
donné l'ouverture d'une information pénale des chefs d'orga-
nisation criminelle (art. 260ter CP) et de blanchiment d'ar-
gent (art. 305bis CP). Cette procédure a été désignée sous
la
rubrique P/12983/99.

Le 24 novembre 1999, la République fédérale a déposé
auprès du Procureur général une plainte pénale notamment
pour
abus de confiance, escroquerie, extorsion, gestion déloyale,
recel, participation à une organisation criminelle et blan-
chiment d'argent contre Maryam Abacha, épouse de Sani
Abacha,
Mohammed Sani Abacha, fils de Sani Abacha, Alahaji Isamaila
Gwarzo, ancien conseiller de Sani Abacha, ainsi que contre
Alahaji Ahmadu Daura et Abubakar Attiku Bagudu, hommes d'af-
faires et amis de Sani Abacha. Le Procureur général a
ordonné
l'ouverture d'une information pénale. Cette procédure, dési-
gnée sous la rubrique P/14457/99, a été jointe à la
procédure
P/12983/99, le 29 novembre 1999.

Le 3 décembre 1999, le Juge d'instruction a admis la
République fédérale comme partie civile à la procédure
P/12983/99, ainsi qu'aux procédures connexes, désignées par
les rubriques P/4849/99, P/9146/99, P/10749/99, P/11890/99,
P/12524/99, P/12824/99, P/12859/99, P/13340/99 et
P/13808/99.

Le 22 décembre 1999, le Juge d'instruction a joint
toutes les procédures connexes à la procédure principale
P/12983/99, au dossier de laquelle il avait donné accès à la
République fédérale, le 9 décembre 1999.

Le 20 décembre 1999, la République fédérale a pré-
senté à l'Office fédéral une demande formelle d'entraide ju-
diciaire, pour les besoins de l'enquête conduite par la "Spe-
cial Fraud Unit" de la police nigériane contre les parents
et
les proches de feu Sani Abacha. Les faits évoqués dans la de-
mande d'entraide sont identiques à ceux appuyant la plainte
du 24 novembre 1999.

Le 20 janvier 2000, l'Office fédéral a rendu une dé-
cision d'entrée en matière et ordonné le blocage d'une série
de comptes bancaires. Il a délégué au même Juge
d'instruction
que celui chargé des procédures pénales ouvertes à Genève la
mission de réunir la documentation relative à ces comptes,
en
l'invitant à remettre "toute information additionnelle re-
cueillie dans le cadre de sa propre procédure et ayant une
utilité potentielle pour répondre à la demande". Cette procé-
dure a été désignée sous la rubrique CP/286/99.

Le 26 avril 2000, le Juge d'instruction a inculpé
Bagudu de participation à une organisation criminelle, de
blanchiment d'argent, d'escroquerie, de gestion déloyale,
subsidiairement de gestion déloyale des intérêts publics.

Le 24 mai 2000, le Juge d'instruction s'est rendu à
Lagos, où Mohammed Sani Abacha est détenu, pour lui
signifier

son inculpation pour les mêmes charges et les mêmes faits
que
ceux retenus à l'encontre de Bagudu.

Le 7 novembre 2000, Bagudu s'est adressé au Juge
d'instruction pour se plaindre de ce que la République fédé-
rale aurait eu accès à des renseignements, contenus dans le
dossier de procédure P/12983/99, équivalents, selon lui, à
ceux réclamés dans la demande d'entraide judiciaire
(CP/286/99), dont le traitement était en cours. De cette ma-
nière, la République fédérale aurait obtenu, de manière
indue
et prématurée, des informations qu'elle n'aurait pu obtenir
qu'au terme de la procédure d'entraide. Bagudu a demandé au
Juge d'instruction de suspendre le droit de la République fé-
dérale de consulter le dossier, subsidiairement de lui faire
interdiction d'utiliser les renseignements obtenus dans le
cadre de la procédure P/12983/99 jusqu'à droit connu sur la
demande d'entraide judiciaire.

Abacha a fait sienne la demande de Bagudu.

Le 23 novembre 2000, le Juge d'instruction a rejeté
cette requête.

Le 14 février 2001, la Chambre d'accusation a rejeté
les recours formés par Bagudu et Abacha contre la décision
du
23 novembre 2000, qu'elle a confirmée.

Par arrêt du 5 juin 2001 (ATF 127 II 198), le Tribu-
nal fédéral, après avoir joint les recours de droit public
formés par Abacha et Bagudu, les a admis, traités comme re-
cours de droit administratif, et annulé les décisions du
14 février 2001 en renvoyant les causes au Juge
d'instruction
pour nouvelle décision au sens des considérants (procédures
1P.233/2001 et 1P.241/2001). Après avoir relevé que la déci-
sion relative à la consultation du dossier d'une procédure
pénale cantonale peut faire l'objet d'un recours de droit

administratif lorsque cette décision influe directement sur
le sort de la procédure d'entraide étroitement connexe, le
Tribunal fédéral a considéré qu'en l'espèce, compte tenu de
l'imbrication des procédures parallèles, l'octroi à la Répu-
blique d'un droit illimité de consulter le dossier de la
procédure pénale selon les règles du droit cantonal, était
de
nature à compromettre en l'espèce la procédure d'entraide.
Le
Tribunal fédéral a jugé indispensable de réduire le droit de
la République fédérale de consulter le dossier de la procé-
dure P/12983/99, dans toute la mesure requise pour préserver
l'objet de la procédure d'entraide.

C.- Le 20 juin 2001, le Juge d'instruction a décidé
de limiter le droit de la République fédérale à consulter le
dossier de la procédure P/12983/99 de la manière suivante:

"- la République fédérale du Nigeria ne peut faire au-
cun usage des pièces dont copie lui sont transmises
en application de l'art. 142 al. 2 CPPG, et des in-
formations auxquelles elle a accès en application
de l'art. 142 al. 4 CPPG dans la procédure pénale
dans le cadre de laquelle elle a formé la demande
d'entraide internationale du 20 décembre 1999, à
l'exception de toute démarche entreprise sur son
plan interne ou international en vue de sauvegarder
ses intérêts patrimoniaux, à savoir toute démarche
visant à obtenir la saisie conservatoire ou la con-
fiscation du produit des infractions dont sont
soupçonnés les inculpés dans la procédure nigé-
riane;

- dit que ces restrictions subsisteront jusqu'à ce
que la procédure d'entraide engagée en Suisse,
suite à la demande d'entraide judiciaire du 20 dé-
cembre 1999, soit définitivement clôturée;

- dit que le droit de la République fédérale du
Nigeria de consultation et de communication du dos-
sier P/12983/99 est suspendu jusqu'à ce que celle-
ci se soit engagée à respecter les conditions pré-
citées;

- (notification)".

Par note diplomatique du 26 juin 2001, l'Ambassade
du Nigeria à Berne a donné le consentement exprès de la Répu-
blique fédérale à se soumettre aux conditions mentionnées
dans la décision du 20 juin 2001.

Abacha et Bagudu ont recouru auprès de la Chambre
d'accusation, en faisant valoir, en bref, que le Juge d'ins-
truction aurait violé leur droit d'être entendus et ne se se-
rait pas conformé à l'arrêt du 5 juin 2001.

Les 4 et 5 juillet 2001, la Présidente de la Chambre
d'accusation a ordonné des mesures provisionnelles. Les
20 juillet et 14 août 2001, le Tribunal fédéral a déclaré ir-
recevables au regard de l'art. 87 OJ les deux recours de
droit public formés contre ces décisions par la République
fédérale (procédures 1P.481 et 1P.482/2001; 1P.515 et
516/2001).

Le 23 juillet 2001, le Juge d'instruction a disjoint
la cause concernant Abacha et Bagudu (désignée dorénavant
sous la rubrique P/9806/2001), fait apporter à cette
nouvelle
procédure les "pièces utiles" contenues dans la procédure
P/12983/99, selon une liste séparée, et ordonné la communica-
tion de la procédure P/9806/2001 au Procureur général, con-
formément à l'art. 185 CPP gen.

Le 24 août 2001, la Chambre d'accusation, après
avoir joint les recours, les a admis en annulant la décision
du 20 juin 2001. Statuant à nouveau, elle a décidé comme
suit:

".. Dit que la République fédérale du Nigeria con-
serve accès aux pièces du dossier (consultation et
obtention de copies), composant la procédure con-
duite sous référence P/12983/99, ou sous toute au-
tre référence donnée à cette procédure, successive-

ment ou parallèlement, depuis la communication par
le juge d'instruction, le 23 juillet 2001, du dos-
sier au Parquet concernant le volet relatif aux in-
culpés Abacha et Bagudu;

Fait interdiction formelle et sans réserve à la Ré-
publique fédérale du Nigeria d'utiliser, directe-
ment ou indirectement, lesdites pièces dans le ca-
dre de la procédure pénale à l'appui de laquelle
elle a requis l'entraide, jusqu'à décision de clô-
ture et d'exécution complète et définitive de cette
procédure d'entraide."

D.- Agissant séparément par la voie du recours de
droit administratif, Mohamed Sani Abacha et Abubakar Attiku
Bagudu demandent principalement au Tribunal fédéral
d'annuler
la décision du 24 août 2001, de suspendre le droit de la Ré-
publique fédérale de consulter les pièces du dossier et d'en
faire des copies, ainsi que d'assister aux audiences d'ins-
truction, jusqu'à droit connu sur la demande d'entraide du
20 décembre 1999. Ils requièrent en outre le Tribunal
fédéral
d'interdire à la République fédérale d'utiliser les pièces
de
la procédure déjà en sa possession. A titre subsidiaire, les
recourants concluent au renvoi de la cause au Juge d'instruc-
tion pour nouvelle décision au sens des considérants. Ils in-
voquent l'art. 29 al. 2 Cst., ainsi que les art. 65a, 67,
67a
et 80b EIMP, en faisant valoir, en bref, que la décision at-
taquée ne serait pas compatible avec les exigences de
l'arrêt
du 5 juin 2001.

La Chambre d'accusation se réfère à sa décision.
L'Office fédéral et la République fédérale concluent au
rejet
des recours.

Invités à répliquer, les recourants ont maintenu
leurs conclusions.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Il convient de joindre les recours, formés sépa-
rément contre la même décision, et de statuer par un seul ar-
rêt (cf. ATF 127 V 29 consid. 1 p. 33; 123 II 18 consid. 1
p. 20; 122 II 367 consid. 1a p. 368; 113 Ia 390 consid. 1
p. 394).

2.- Dirigés contre une décision cantonale régissant
le droit de consulter le dossier d'une procédure pénale
étroitement connexe à une procédure d'entraide, les recours
sont recevables au regard des art. 97 ss OJ, mis en relation
avec les art. 80b, 80e et 80k EIMP (ATF 127 II 198 consid.
p. 201-206).

3.- A la suite de l'arrêt de renvoi du 5 juin 2001,
il incombait au Juge d'instruction (puis, sur recours, à la
Chambre d'accusation), de limiter le droit de la République
fédérale de consulter le dossier de la procédure pénale
P/12983/99, dans toute la mesure exigée par la sauvegarde de
la procédure d'entraide (CP/286/99). Cette obligation valait
également pour la procédure P/9806/2001, disjointe de la pro-
cédure P/12983/99.

Renvoyant la cause au Juge d'instruction pour nou-
velle décision selon l'art. 114 al. 2 OJ, le Tribunal
fédéral
avait, dans son arrêt du 5 juin 2001, évoqué trois moyens de
remédier aux défauts constatés de la procédure. Une première
solution aurait consisté à effectuer un tri des pièces que
la
République fédérale aurait été autorisée à consulter libre-
ment. A titre alternatif, le Tribunal fédéral a envisagé la
possibilité de suspendre le droit de la République fédérale
de consulter le dossier jusqu'à l'entrée en force d'une déci-
sion de clôture de la procédure d'entraide. Enfin,
l'autorité
cantonale aurait pu interdire à la République fédérale d'uti-

liser les pièces et renseignements divulgués, jusqu'au pro-
noncé d'une décision de clôture, complète ou partielle, en-
trée en force. Il ressort clairement de l'arrêt du 5 juin
2001 qu'il s'agissait là de moyens évoqués à titre d'exem-
ples: si une solution s'imposait d'emblée comme la seule
idoine, le Tribunal fédéral aurait statué lui-même. En d'au-
tres termes, l'autorité cantonale était libre d'agir comme
elle l'entendait, pourvu que le but assigné à son action fût
atteint.

Pour cela, la Chambre d'accusation a réaffirmé le
droit de la République fédérale de consulter librement

toutes
les pièces de la procédure P/12983/99 et des procédures pa-
rallèles et subséquentes, dont celle (P/9806/99) ouverte le
23 juillet 2001, tout en lui interdisant de faire usage de
ces pièces et informations dans le cadre de la procédure pé-
nale pour les besoins de laquelle la demande d'entraide
avait
été présentée, jusqu'au prononcé d'une décision de clôture
exécutoire.

4.- Selon les recourants, la décision attaquée vio-
lerait leur droit d'être entendus, faute de motivation suf-
fisante. Dans les domaines qui relèvent de la juridiction ad-
ministrative fédérale, le recours de droit administratif per-
met de soulever le grief tiré de la violation des droits
constitutionnels en relation avec l'application du droit fé-
déral (ATF 126 V 252 consid. 1a p. 254; 125 II 1 consid. 2a
p. 5, 508 consid. 3a p. 509, et les arrêts cités).

a) Les parties ont le droit d'être entendues
(art. 29 al. 2 Cst.). Selon la jurisprudence relative à
l'art. 4 aCst., applicable à l'art. 29 al. 2 Cst.,
l'autorité
doit indiquer dans son prononcé les motifs qui la conduisent
à sa décision (ATF 123 I 31 consid 2c p. 34; 112 Ia 107 con-
sid. 2b p. 109). Elle n'est pas tenue de discuter de manière

détaillée tous les arguments soulevés par les parties; elle
n'est pas davantage astreinte à statuer séparément sur cha-
cune des conclusions qui lui sont présentées. Elle peut se
limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du
litige; il suffit que le justiciable puisse apprécier correc-
tement la portée de la décision et l'attaquer à bon escient
(ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 17; 125 II 369 consid. 2c
p. 372; 124 II 146 consid. 2a p. 149, et les arrêts cités).

b) Malgré quelques obscurités de formulation, le
sens de la décision attaquée est univoque. La Chambre d'ac-
cusation a opté pour une variante de la deuxième solution
évoquée dans l'arrêt du 5 juin 2001. Sans restreindre le
droit de la République fédérale d'accéder aux dossiers de
toutes les procédures pénales dans lesquelles elle a qualité
de partie civile (soit le droit de consulter les pièces,
d'en
faire des copies et d'assister aux audiences d'instruction),
la Chambre d'accusation a tenu pour suffisante
l'interdiction
faite à la République fédérale d'utiliser les pièces et ren-
seignements ainsi obtenus, dans le cadre de la procédure pé-
nale ouverte au Nigeria pour laquelle la demande d'entraide
du 20 décembre 1999 a été présentée. A contrario, la Chambre
d'accusation n'a pas estimé nécessaire de restreindre le
droit de la République fédérale d'utiliser les informations
déjà en sa possession ou dont elle viendrait à prendre con-
naissance ultérieurement, pour le besoin d'autres
procédures,
civiles ou pénales, internes ou internationales, engagées à
un autre titre, notamment à l'appui de demandes d'entraide
adressées à des États tiers. Ainsi, contrairement à ce que
prétendent les recourants, la Chambre d'accusation a réglé
le
sort des documents remis à la République fédérale avant le
prononcé de l'arrêt du 5 juin 2001. Prêtant à la décision at-
taquée l'attention soutenue nécessaire à sa compréhension,
les recourants ne devaient concevoir de doutes quant à sa
portée concrète. Ils ne s'y sont d'ailleurs pas trompés.

c) Devant la Chambre d'accusation, les recourants
avaient reproché au Juge d'instruction d'avoir statué, le
20 juin 2001, sans leur avoir préalablement donné l'occasion
de se déterminer à ce sujet. Bien que la décision attaquée
n'évoque pas ce grief, il faut admettre que la Chambre d'ac-
cusation l'a implicitement rejeté. Pour le surplus, les re-
courants ne se prévalent pas d'une disposition du droit can-
tonal leur conférant le droit qu'ils revendiquent, ni ne di-
sent en quoi le Juge d'instruction aurait violé la Constitu-
tion en statuant sur la suite à donner à l'arrêt du 5 juin
2001 sans les consulter préalablement.

Le grief tiré de l'art. 29 al. 2 Cst. est ainsi mal
fondé.

5.- Il reste à examiner si la décision attaquée est
conforme à l'arrêt du 5 juin 2001.

a) Les recourants le contestent, en exposant que le
Juge d'instruction, puis la Chambre d'accusation, n'auraient
eu d'autre alternative que d'exclure la République fédérale
des procédures pénales en cours ou, à tout le moins, de sus-
pendre son droit de prendre connaissance des pièces des dif-
férents dossiers, jusqu'à droit connu sur la procédure d'en-
traide CP/286/99. Une mesure aussi rigoureuse n'aurait
certes
pas contredit l'arrêt du 5 juin 2001, qui l'envisage expres-
sément. Comme déjà relevé (consid. 3 ci-dessus), le Tribunal
fédéral n'a toutefois pas exclu d'emblée une solution moins
incisive, mais tout aussi efficace.

b) Celle retenue en l'occurrence prête le flanc à la
critique.

aa) En premier lieu, la Chambre d'accusation s'est
fondée sur le constat implicite que la République fédérale
accepterait de se plier aux conditions posées dans la déci-

sion attaquée, sans examiner si cela était effectivement le
cas. La Chambre d'accusation aurait pu vérifier ce point,
comme le Juge d'instruction avait pour sa part pris la pré-
caution de le faire. Cela étant, par sa note diplomatique du
26 juin 2001, la République fédérale a exprimé son consente-
ment exprès à se conformer à des exigences plus restrictives
que celles finalement retenues dans la décision attaquée. Il
faut donc admettre - bien qu'il eût été sans doute
préférable
de s'en assurer - que la République fédérale respectera les
conditions fixées par la Chambre d'accusation.

bb) En deuxième lieu, on peut se demander, avec les
recourants, si les modalités retenues par la Chambre d'ac-
cusation tiennent suffisamment compte des exigences de
l'art. 65a EIMP. Selon l'al. 3 de cette disposition, la pré-
sence de représentants de l'Etat requérant lors de l'exécu-
tion des actes d'entraide ne peut avoir pour conséquence que
des faits ressortissant au domaine secret soient portés à
leur connaissance avant que l'autorité compétente ait statué
sur l'octroi et l'étendue de l'entraide. En l'espèce, il est
constant que les procédures pénales (P/12983/99 et
P/9806/2001) et la procédure d'entraide (CP/286/99) sont con-
duites de manière étroitement coordonnée, d'une part, et que
la République fédérale, comme partie civile, est autorisée à
participer à tous les actes de la procédure pénale (art. 142
et 143 CPP gen.), d'autre part. Compte tenu des
circonstances
particulières du cas, peut surgir le risque d'un
détournement
de la procédure d'entraide, si la République fédérale obte-
nait dans le cadre des procédures pénales des documents ou
renseignements qui ne devraient pas, le cas échéant, lui
être
remis au terme de la procédure d'entraide CP/286/99 - à la-
quelle la République fédérale, comme État requérant, n'est
pas partie. En l'espèce, la République fédérale a participé
aux audiences d'instruction par l'entremise de son manda-
taire, lequel doit être considéré comme une personne partici-

pant à la procédure à l'étranger au sens de l'art. 65a EIMP
(cf. le Message du 23 mai 1995 à l'appui du projet d'EIMP,
FF 1995 III p. 23). Le danger que le Nigeria, par le truche-
ment de son mandataire intervenant dans la procédure pénale
étroitement connexe à la procédure d'entraide, soit informé
des développements de celle-ci avant le prononcé de la déci-
sion de clôture, doit être pris au sérieux. Il est toutefois
pallié par l'engagement formel pris par la République fédé-
rale, le 26 juin 2001, de se conformer aux conditions fixées
par le Juge d'instruction dans sa décision du 20 juin 2001.
Ces assurances, transposables à la décision attaquée (con-
sid. 5b/aa ci-dessus), perdurent jusqu'à l'entrée en force
de
la décision de clôture de la procédure d'entraide; elles peu-
vent être tenues pour suffisantes au regard de l'art. 65a
al. 3 EIMP (Robert Zimmermann, La coopération judiciaire in-
ternationale en matière pénale, Berne, 1999, no 233).

cc) En troisième lieu, il convient de souligner
l'importance, dans ce contexte, du principe de la
spécialité,
selon lequel la coopération de la Suisse ne peut être accor-
dée, sans son accord, pour d'autres procédures que celle à
l'origine de la demande d'entraide - soit, en l'occurrence,
la procédure pénale ouverte au Nigeria contre les recourants
et des tiers. Pour le cas où la demande d'entraide du 20 dé-
cembre 1999 devait être acceptée, l'autorité d'exécution de-
vra envisager la possibilité d'assortir la transmission de
documents réclamés d'une réserve garantissant la protection
du principe de la spécialité. Afin de sauvegarder les inté-
rêts de la procédure d'entraide, il est partant
indispensable
de veiller à ce que cette réserve éventuelle ne soit pas ré-
duite à néant par l'octroi trop généreux de l'accès au dos-
sier des procédures pénales P/12983/99 et P/9806/2001. A cet
effet, la Chambre d'accusation a, selon le deuxième paragra-
phe du dispositif de la décision attaquée, interdit à la Ré-
publique fédérale de faire usage des documents et informa-
tions d'ores et déjà en sa possession dans la procédure pé-

nale nigériane qui est à l'origine de la demande d'entraide
du 20 décembre 1999. Cette précaution, louable, est insuffi-
sante. A contrario, elle laisse la République fédérale libre
d'utiliser les documents et informations reçus dans le cadre
d'une procédure civile ou administrative (y compris fiscale)
que les autorités de cet État pourraient ouvrir à l'encontre
des recourants ou de tiers. Or, si une telle éventualité ve-
nait à se réaliser avant la clôture de la procédure d'en-
traide, la réserve de la spécialité dont pourrait être assor-
tie la décision de clôture se trouverait de fait vidée de sa
substance, en violation des règles de l'EIMP, lesquelles pri-
ment l'application des normes de procédure cantonale (ATF
127
II 198 consid. 4d p. 207). La situation étant claire, le Tri-
bunal fédéral est en état de statuer lui-même (art. 114 al.
2
OJ). La décision attaquée doit ainsi être réformée dans le
sens d'une précision du deuxième paragraphe du dispositif de
la décision attaquée, lequel doit désormais se lire comme
suit:

"Il est interdit à la République fédérale du Nigeria
d'utiliser, directement ou indirectement, les piè-
ces obtenues dans le cadre des procédures pénales
cantonales ouvertes à la suite de la plainte du
24 novembre 1999, pour les besoins de toute procé-
dure pénale, civile ou administrative au Nigeria,
ainsi que pour les besoins de la procédure pénale à
l'origine de la demande d'entraide du 20 décembre
1999, et ceci jusqu'à l'entrée en force de la déci-
sion de clôture relative à cette demande."

Les recours doivent être admis partiellement sur ce
point précis.

Il appartiendra à la Chambre d'accusation d'impartir
à la République fédérale un bref délai pour qu'elle s'engage
formellement à respecter cette condition. A défaut d'une
telle assurance, la Chambre d'accusation n'aurait d'autre so-
lution que de suspendre immédiatement les droits de partie
de

la République fédérale, en invitant celle-ci à restituer
tous
les documents déjà en sa possession, provenant des
procédures
P/12983/99 et P/9806/2001.

dd) Si la République fédérale promet de respecter la
condition susmentionnée, il n'y aura pas lieu de lui inter-
dire d'utiliser les documents et informations déjà en sa pos-
session ou dont elle adviendrait à connaître dans la suite
du
déroulement des procédures pénales cantonales, pour les be-
soins de demandes d'entraide qu'elle pourrait adresser ulté-
rieurement à la Suisse ou à des États tiers, comme le vou-
draient les recourants. Une telle restriction, outre qu'elle
serait invérifiable, porterait atteinte à la souveraineté de
la République fédérale, laquelle ne peut être entravée dans
la conduite de ses relations internationales par une
décision
unilatérale de l'autorité suisse.

ee) Dans des cas analogues à ceux de la présente es-
pèce, il conviendrait, afin de prévenir toute équivoque, que
l'autorité d'exécution - si elle ne l'a pas fait dans l'in-
tervalle - mette rapidement un terme à la procédure d'en-
traide, en rendant à cet effet des décisions de clôture, com-
plète ou partielles. Cette solution aurait le mérite de
lever
toutes les ambiguïtés liées à la conduite parallèle des pro-
cédures pénales cantonales, d'une part, et de la procédure
d'entraide, d'autre part. De manière générale, en pareil
cas,
les intérêts d'un traitement rapide de celle-ci devraient
primer sur la conduite de celles-là.

6.- Les recours doivent ainsi être admis partielle-
ment au sens du considérant 5b/cc, et rejetés pour le sur-
plus. Les conclusions des recourants étant dans une très
large mesure écartées, il se justifie de mettre les frais à
leur charge (art. 156 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des
dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Joint les procédures 1A.157/2001 et 1A.158/2001;

2. Admet partiellement les recours au sens du consi-
dérant 5b/cc. Modifie en conséquence le deuxième paragraphe
du dispositif de la décision attaquée comme suit:

"Il est interdit à la République fédérale du Nigeria d'utili-
ser, directement ou indirectement, les pièces obtenues dans
le cadre des procédures pénales cantonales ouvertes à la
suite de la plainte du 24 novembre 1999, pour les besoins de
toute procédure pénale, civile ou administrative au Nigeria,
ainsi que pour les besoins de la procédure pénale à
l'origine
de la demande d'entraide du 20 décembre 1999, et ceci
jusqu'à
l'entrée en force de la décision de clôture relative à cette
demande."

3. Rejette les recours pour le surplus;

4. Met à la charge des recourants, par
moitié cha-
cun, un émolument global de 5000 fr. Il n'est pas alloué de
dépens;

5. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des recourants, à la République fédérale du Nigeria,
au Juge d'instruction et à la Chambre d'accusation du canton
de Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice, Divi-
sion des affaires internationales.

___________

Lausanne, le 7 décembre 2001
ZIR/dxc

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.157/2001
Date de la décision : 07/12/2001
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-12-07;1a.157.2001 ?
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