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27/11/2001 | SUISSE | N°4C.229/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 novembre 2001, 4C.229/2000


«/2»

4C.229/2000

Ie C O U R C I V I L E
************************

Séance du 27 novembre 2001

Présidence de M. Walter, président de la Cour.
Présents: M. Leu, M. Corboz, Mme Rottenberg Liatowitsch et
M. Nyffeler, juges.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Dans la cause qui oppose

Z.________, représentée par Me Antonella Cereghetti Zwahlen,
avocate à Lausanne,

demanderesse,

à

l'État de V a u d, par le Président du Conseil d'État, à
La

usanne, représenté par Me Christian Bettex, avocat à
Lausanne,

défendeur;

(procès direct; responsabilité de l'État
pour l'acti...

«/2»

4C.229/2000

Ie C O U R C I V I L E
************************

Séance du 27 novembre 2001

Présidence de M. Walter, président de la Cour.
Présents: M. Leu, M. Corboz, Mme Rottenberg Liatowitsch et
M. Nyffeler, juges.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Dans la cause qui oppose

Z.________, représentée par Me Antonella Cereghetti Zwahlen,
avocate à Lausanne,

demanderesse,

à

l'État de V a u d, par le Président du Conseil d'État, à
Lausanne, représenté par Me Christian Bettex, avocat à
Lausanne,

défendeur;

(procès direct; responsabilité de l'État
pour l'activité des médecins dans un hôpital public)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Née le 2 janvier 1968, Z.________ sait, depuis
1989, qu'elle est porteuse du virus du sida.

Dès le début de l'année 1996, elle a été suivie par
le service ambulatoire de la Division des maladies infectieu-
ses de l'hôpital X.________.

En mai 1996, elle a entrepris un traitement sous
forme d'une bithérapie.

En raison d'une élévation de sa virémie, son
médecin-traitant à l'hôpital X.________ lui a conseillé, au
printemps 1997, de suivre une trithérapie. Celle-ci a débuté
le 14 mai 1997 et a consisté dans la prise simultanée de
trois médicaments: le Videx, le Zerit et le Norvir.

Z.________ n'a pas bien supporté ce nouveau traite-
ment. Elle a souffert de nausées, d'une perte d'appétit et
de
vomissements.

Afin d'atténuer ces effets secondaires, elle a
pris, au début du mois de juin 1997, du Bellergal en auto-
médication, à raison de deux comprimés par jour. Ce médica-
ment était détenu par sa mère à la suite d'une ancienne
prescription.

Z.________ a alors commencé à ressentir des pares-
thésies des membres inférieurs, des myalgies intenses
rendant
la marche difficile, des vertiges et un malaise diffus.

Le 6 juin 1997, elle s'est rendue en consultation à
l'hôpital X.________ où il a été constaté une absence de
pouls dans ses jambes.

Du 6 au 20 juin 1997, Z.________ a été hospitalisée
aux soins intensifs et, du 20 juin au 11 juillet 1997, au
service des soins continus. Les médecins ont diagnostiqué un
ergotisme sévère provenant d'une interaction médicamenteuse
liée à la prise simultanée de Bellergal et de Norvir.

Le 11 juillet 1997, Z.________ a dû être amputée du
pied droit en raison d'une nécrose. Une amputation des or-
teils gauches a suivi en novembre 1997. Deux autres opéra-
tions ont encore été nécessaires, l'une en octobre 1998,
l'autre en avril 2000.

B.- Le Bureau d'expertises extrajudiciaires de la
FMH a été saisi du cas de Z.________. Une expertise a été
confiée au Professeur Y.________, qui a rendu ses
conclusions
le 6 décembre 1999.

C.- Par demande déposée le 16 août 2000,
Z.________ a introduit un procès direct devant le Tribunal
fédéral, concluant à ce qu'il soit dit que l'État de Vaud
est
débiteur et lui doit immédiatement la somme de 2'545'592 fr.
avec intérêt à 5 % dès le 12 juillet 1997, sous suite de
frais et dépens. Cette action en paiement tend à dédommager
Z.________ du préjudice subi à la suite de la prise simulta-
née de Bellergal et de Norvir.

Le 29 août 2000, le Tribunal fédéral a admis la
requête d'assistance judiciaire déposée par Z.________ pour
la procédure accomplie devant lui et il a désigné

Me Antonella Cereghetti Zwahlen comme avocate d'office de la
demanderesse.

Dans sa réponse du 7 décembre 2000, l'État de Vaud
a conclu au rejet des conclusions prises à son encontre,
avec
suite de frais et dépens.

Le 26 janvier 2001, Z.________ a répliqué, en con-
firmant les conclusions formulées dans sa demande.

L'État de Vaud a limité sa duplique du 9 mars 2001
aux nouveaux allégués soulevés dans la réplique.

L'audience préparatoire s'est tenue le 3 avril
2001. Le juge délégué a décidé, avec l'accord des parties,
que l'instruction de la cause porterait dans un premier
temps
uniquement sur le principe de la responsabilité de l'État de
Vaud, la détermination de la quotité du dommage étant lais-
sée, s'il y avait lieu, à une phase ultérieure de la procé-
dure.

Lors de l'audience d'administration des preuves du
12 juin 2001, les témoins désignés par les parties ont été
entendus, à savoir :

- le docteur A.________, médecin, spécialisé dans les
trithérapies;
- Madame B.________, pasteure;
- Monsieur C.________;
- Monsieur D.________;
- la doctoresse E.________, médecin-traitant à
l'hôpital
X.________ de Z.________ au moment des faits;
- le docteur G.________, médecin, chef de clinique
adjoint du Département concerné de l'hôpital
X.________, au moment des faits.

L'Etat de Vaud a renoncé à l'audition de l'un de
ses témoins, qui n'avait pu se présenter lors de la séance
du
12 juin 2001.

Par ordonnance du 4 juillet 2001, le juge délégué a
prononcé la clôture de la procédure probatoire concernant le
principe de la responsabilité de l'État de Vaud, les parties
ayant eu l'occasion de produire leurs pièces et de faire ci-
ter leurs témoins sur ce point.

Comme l'avocate de Z.________ n'a pas opté pour le
dépôt d'un mémoire final, les parties ont été invitées à
plaider sur la responsabilité de l'État de Vaud devant le
Tribunal fédéral.

Lors des plaidoiries qui se sont tenues à l'audien-
ce de ce jour, tant Z.________ (la demanderesse) que l'État
de Vaud (le défendeur) ont confirmé les conclusions prises
en
début de procédure.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- La recevabilité de l'action est examinée d'of-
fice (art. 3 al. 1 PCF).

a) La possibilité pour un particulier de saisir, à
certaines conditions, directement le Tribunal fédéral en cas
de litige avec un canton reposait sur l'art. 42 al. 1 OJ.
Par
modification du 23 juin 2000, entrée en vigueur le 1er jan-
vier 2001, cette voie de droit a été abrogée, sans que le lé-
gislateur ne prévoie de dispositions transitoires (RO 2000
p. 2719 ss). Il convient par conséquent d'appliquer le prin-
cipe général qui se dégage de l'art. 171 al. 1 OJ, selon le-
quel les anciennes dispositions en matière de compétence res-

tent applicables aux affaires portées devant le Tribunal fé-
déral avant l'entrée en vigueur du nouveau droit (cf. Jean-
François Poudret/Suzette Sandoz, COJ V, Berne 1992, art. 171
OJ no 1). La recevabilité de la demande sera donc examinée
sous l'angle de l'art. 42 aOJ.

b) Dirigée contre un canton, la présente action est
de nature civile au sens de l'art. 42 al. 1 aOJ (ATF 118 II
206 consid. 2c; 111 II 149 consid. 1) et porte sur une
valeur
litigieuse de plus de 8'000 fr.; en outre, il n'apparaît pas
que la demanderesse ait saisi la juridiction cantonale avant
d'introduire son action devant le Tribunal fédéral, ce que
le
défendeur n'allègue du reste nullement, de sorte que la re-
quête a été déposée en temps utile en regard de l'art. 42
aOJ
(cf. ATF 118 II 206 consid. 2b). Il convient donc d'entrer
en
matière.

2.- a) Selon la jurisprudence, le traitement des
malades dans les hôpitaux publics ne se rattache pas à
l'exercice d'une industrie (ATF 122 III 101 consid. 2a/aa
p. 104; 115 Ib 175 consid. 2 p. 179). En vertu de l'art. 61
CO, les cantons sont donc autorisés à soumettre la responsa-
bilité des médecins engagés dans un hôpital public, pour le
dommage ou le tort moral qu'ils causent dans l'exercice de
leur charge, au droit public cantonal (ATF 122 III 101 con-
sid. 2a/bb p. 104 s.; 115 Ib 175 consid. 2). Il importe peu,
sous cet angle, que cette activité relève de l'exercice de
la
puissance publique ou qu'elle constitue seulement un service
d'intérêt général (cf. en ce sens: Ulrich Zimmerli, Die
Verantwortung für den Patienten im öffentlichen Spital, Bul-
letin des médecins suisses 1991 p. 612 ss, 613; contra notam-
ment: Eugen Bucher, Das Horror-Konstrukt der "Zwangsmedika-
tion", RJB 2001 P. 764 ss, 772; sur cette problématique, cf.
Jean-Daniel Rumpf, Médecins et patients dans les hôpitaux
publics, thèse Lausanne 1990, p. 118 ss).

b) En droit vaudois, la responsabilité des médecins
hospitaliers est régie par la loi vaudoise du 16 mai 1961
sur
la responsabilité de l'État, des communes et de leurs agents
(ci-après: LREC; Rumpf, op. cit., p. 188). Il en va de même
pour les médecins assistants (cf. art. 6 du règlement du 27
avril 1988 sur les médecins assistants engagés par l'État,
renvoyant à l'art. 30 al. 1 de la loi du 9 juin 1947 sur le
statut général des fonctions publiques cantonales, qui lui-
même se réfère à la LREC).

Aux termes de l'art. 4 LREC, l'État et les corpo-
rations communales répondent du dommage que leurs agents cau-
sent à des tiers d'une manière illicite. Cette disposition a
été interprétée en ce sens qu'une faute des agents publics
n'est pas exigée; un acte illicite, un dommage et un lien de
causalité adéquate suffisent à engager la responsabilité de
l'État (arrêt du Tribunal fédéral 18 janvier 1980 dans la
cause X. contre Etat de Vaud, publié in SJ 1981 p. 225, con-
sid. 2c).

c) En l'espèce, il ressort du dossier médical pro-
duit que la demanderesse, qui a dû se faire amputer du pied
droit et des orteils gauches, a subi un préjudice, ce qui
n'est du reste pas remis en cause. En revanche, l'ampleur de
ce préjudice et les différents postes dont la demanderesse
exige réparation sont contestés par le défendeur. Cette ques-
tion relève de la fixation du dommage et n'a pas à être tran-
chée dans la présente décision.

Il est également admis que les lésions dont a souf-
fert la demanderesse sont dues à une interaction médicamen-
teuse liée à la prise simultanée de Norvir et de Bellergal.

Dans ce contexte, le principe de la responsabilité
du défendeur en vertu de l'art. 4 LREC revient à déterminer
si un acte illicite a été commis par les médecins de l'hôpi-

tal en relation avec l'interaction médicamenteuse dont a été
victime la demanderesse et, le cas échéant, si cet acte est
dans un rapport de causalité adéquate avec les lésions su-
bies. Dans l'hypothèse où ces deux éléments devaient être
établis, il conviendrait encore de se demander dans quelle
mesure la victime pourrait devoir supporter les conséquences
de son propre comportement.

3.- S'agissant de l'illicéité, la demanderesse al-
lègue exclusivement une violation du devoir d'information
des
médecins, leur reprochant de ne pas l'avoir renseignée de ma-
nière adéquate sur les risques qu'il y avait à prendre, sans
avis médical, un autre médicament en même temps que le Nor-
vir. Le défendeur allègue, pour sa part, que la patiente a
été suffisamment mise en garde contre les dangers d'une auto-
médication.

a) La notion d'illicéité est la même en droit privé
fédéral et en droit public cantonal de la responsabilité
(Monika Gattiker, Die Widerrechtlichkeit des ärztlichen Ein-
griffs nach schweizerischem Zivilrecht, thèse Zurich 1999,
p. 122; Heinz Hausheer, Unsorgfältige ärtzliche Behandlung,
in Schaden-Haftung-Versicherung, Bâle 1999, no 15.70 note
143). Selon la jurisprudence, un comportement est illicite
s'il est contraire à un devoir légal général, soit parce
qu'il porte atteinte à un droit absolu du lésé, soit parce
qu'il enfreint une injonction ou une interdiction écrite ou
non écrite de l'ordre légal destinée à protéger le bien ju-
ridique atteint (ATF 123 II 577 consid. 4c p. 581 et les ar-
rêts cités).

En l'occurrence, le litige ne porte pas sur le
point de savoir si, en présence d'une atteinte à l'intégrité
corporelle en elle-même illicite commise par le médecin
(Heileingriff), le patient a valablement consenti à l'acte

médical effectué. On ne se trouve donc pas dans une
situation
où le praticien, pour se libérer de sa responsabilité, doit
démontrer l'existence d'un fait justificatif (cf. ATF 117 Ib
197 consid. 2a; 115 Ib 175 consid. 2b p. 181; 113 Ib 420 con-
sid. 2 et 4). Il convient uniquement de se demander si le mé-
decin avait, dans le cas d'espèce, l'obligation d'informer
la
patiente du risque d'interactions médicamenteuses liées au
Norvir et si celui-ci a effectivement violé cette
injonction,
commettant alors un acte illicite.

aa) D'après l'art. 21 de la loi vaudoise du 29 mai
1985 sur la santé publique, le médecin a l'obligation, sous
réserve des cas où l'information risquerait de perturber gra-
vement le patient (al. 3), de le renseigner de manière com-
préhensible sur son état, le but des examens qu'il subit,
les
traitements envisagés et le pronostic (al. 1); il doit en
particulier informer le patient sur les risques importants
que pourraient entraîner les examens et les traitements pré-
vus (al. 2). Ce devoir résulte également des obligations con-
tractuelles du médecin (ATF 119 II 456 consid. 2a; 116 II
519
consid. 3b; cf. Wolfgang Wiegand, Commentaire bâlois, no 34
ad art. 97 CO; Rolf H. Weber, Commentaire bernois, no 67 ss
ad art. 97 CO). La jurisprudence a précisé que le médecin
doit renseigner le patient ou son représentant, dans le
cadre
d'un traitement, sur le comportement thérapeutique correct à
adopter et attirer son attention sur les dangers connus -
Sicherungsaufklärung - (ATF 116 II 519 consid. 3b p. 521 s.;
cf. également Hausheer, op. cit., no 15.10). Ainsi,
lorsqu'il
prescrit un médicament, le praticien doit avertir le patient
des risques particuliers induits par celui-ci (Wolfgang
Wiegand, Die Aufklärung bei medizinischer Behandlung, Recht
1993 p. 149 ss, 158; du même auteur, Die Aufklärungspflicht
und die Folgen ihrer Verletzung, in Handbuch des Arztrechts,

Zurich 1994, p. 128 et 192; Beat Eisner, Die Aufklärungs-
pflicht des Arztes, Berne 1992, p. 177; Gattiker, op. cit.,
p. 137). Cette obligation d'information du médecin est éga-

lement reconnue dans les législations qui nous entourent
(cf.
en droit allemand: Dieter Giesen, Arzthaftungsrecht, 4e éd.
Tübingen 1995, p. 69 no 81; Ernst Ankermann, Haftung für
fehlerhaften oder fehlenden ärztlichen Rat, in Festschrift
für Erich Steffen, Berlin 1995, p. 1 ss, 4 s.; en droit
français: Jean Penneau, La responsabilité médicale, Paris
1977, p. 58 et 63; en droit italien: Mauro Bilancetti, La
responsabilità penale e civile del medico, Milan 1996,
p. 144).

Comme toutes les obligations découlant du devoir de
diligence du médecin, les exigences en la matière ne peuvent
être fixées de manière générale, mais dépendent des circons-
tances du cas d'espèce (cf. ATF 120 II 248 consid. 2c). En
l'occurrence, les médecins entendus comme témoins ont tous
souligné les risques d'interactions médicamenteuses lors de
l'absorption de Norvir, ce qui était connu en 1997, au
moment
où ce médicament a été prescrit à la demanderesse. Le
docteur
G.________ a même indiqué qu'un danger d'interaction
existait
avec 60 % des médicaments sur le marché. Depuis 1996 en tout
cas, le fabricant du Norvir a d'ailleurs édité et fourni des
cartes comportant une mise en garde et une liste des médica-
ments contre-indiqués que le médecin pouvait distribuer à
ses
patients. Il en découle que le devoir d'information du méde-
cin lors de la prescription de Norvir, s'il n'impliquait pas
forcément la remise de la carte établie par le fabriquant,
comportait en tous les cas l'obligation d'attirer expressé-
ment l'attention de ses patients sur les risques d'interac-
tions médicamenteuses et sur la nécessité de prendre un avis
médical avant l'absorption de tout autre médicament. Ce de-
voir correspond du reste aux instructions données par le
chef
de clinique adjoint du service hospitalier concerné au
moment
des faits.

bb) Dans le cas présent, la demanderesse a subi une
atteinte sérieuse à sa santé en absorbant, en
automédication,

du Bellergal, alors qu'elle prenait déjà du Norvir. Interro-
gée sur les informations dispensées à la demanderesse, son
médecin-traitant à l'hôpital a déclaré qu'elle avait
prescrit
assez souvent des trithérapies et qu'elle avait pour
habitude
d'informer les patients du risque d'interactions médicamen-
teuses avec le Norvir. Cependant, elle ne parvenait pas à se
souvenir précisément si elle avait bien avisé la demanderes-
se. Il en résulte que, si un avertissement oral était en
principe donné aux patients, il est parfaitement plausible
que, dans la routine du travail quotidien, celui-ci ait été
omis. En tous les cas, rien dans les déclarations du médecin
ne permet de déduire que la demanderesse ait reçu une mise
en
garde adéquate. Le comportement de la victime tend à démon-
trer l'inverse. En effet, il ressort du dossier que la deman-
deresse est une femme intelligente, qui avait pour habitude
de suivre les indications données par les médecins. Elle n'a
du reste pas arrêté sa trithérapie, malgré les effets secon-
daires ressentis, comme l'imposait le traitement. Qu'elle
n'ait pas hésité à s'administrer, de son propre chef, un au-
tre médicament dans ces circonstances constitue ainsi un élé-
ment qui, ajouté aux déclarations de son médecin-traitant
lors de son témoignage, permet de tenir pour établi qu'elle
n'a pas été mise en garde contre les dangers d'interactions
médicamenteuses avec le Norvir, ni de la nécessité de deman-
der un avis médical avant d'absorber tout autre médicament.

Comme le défendeur admet lui-même que la carte
éditée par le fabricant et comportant les médicaments contre-
indiqués n'était en principe pas distribuée aux patients, il
n'y a pas lieu de se demander si la remise de ce document à
la demanderesse aurait pu, en l'occurrence, constituer un
avertissement suffisant. Quant aux notices d'information con-
cernant divers médicaments dont le Norvir qui étaient à dis-
position des patients dans la salle d'attente, ainsi que la
mise en garde figurant sur la notice d'emballage de ce médi-
cament, elles ne sauraient représenter des éléments de
nature

à suppléer au défaut d'avis du médecin. En effet, c'est au
praticien qu'incombe le devoir de renseigner et celui-ci ne
saurait se libérer en exigeant de son patient qu'il se docu-
mente lui-même ou qu'il lise les prescriptions médicales fi-
gurant sur la notice d'emballage du médicament (cf.
Gattiker,
op. cit., p. 143).

Enfin, l'expertise extrajudiciaire de la FMH du 6
décembre 1999, qui conclut à l'absence d'erreur médicale,
n'est d'aucun secours du défendeur, dès lors que l'expert
est
parti de la prémisse que, comme tous les patients, la deman-
deresse avait été mise en garde contre les dangers d'une pri-
se de médicaments sans consultation médicale, alors que, com-
me on vient de le voir, c'est le contraire qui est retenu.

Par conséquent, l'existence d'un acte illicite à la
charge du défendeur doit être admise, de sorte qu'il n'y a
pas lieu de s'interroger sur la répartition du fardeau de la
preuve entre les parties.

4.- Comme le manquement reproché au médecin con-
siste dans une omission, l'établissement du lien de
causalité
revient à se demander si l'accomplissement de l'acte omis
aurait empêché la survenance du résultat dommageable (causa-
lité hypothétique) (Heinrich Honsell, Schweizerisches Haft-
pflichtrecht, 3e éd. Zurich 2000, § 3 no 35; Hausheer, op.
cit., no 15.76). En cette matière, la jurisprudence n'exige
pas une preuve stricte. Il suffit que le juge parvienne à la
conviction qu'une vraisemblance prépondérante plaide pour un
certain cours des événements (ATF 115 II 440 consid. 6a.
p. 449 s.).

En l'espèce, rien n'indique que la demanderesse ait
eu une propension à ne pas respecter les indications données
par ses médecins. Au contraire, le défendeur souligne lui-

même que cette patiente a suivi régulièrement le traitement
prescrit, qui était particulièrement astreignant. On peut
donc considérer que, si la demanderesse avait expressément
été avisée par son médecin traitant des risques d'interac-
tions médicamenteuses avec le Norvir et de la nécessité de
ne
pas prendre d'autres médicaments sans avis médical, elle
n'aurait, selon toute vraisemblance, pas absorbé de son pro-
pre chef du Bellergal sans en référer à son médecin
traitant.
Le lien de causalité hypothétique entre le défaut d'informa-
tion et l'atteinte à la santé dont se plaint la demanderesse
doit donc être tenu pour établi.

5.- Il reste à déterminer dans quelle mesure le
comportement de la demanderesse peut influencer la responsa-
bilité du défendeur.

Il est clair que la demanderesse n'a elle-même pas
eu une attitude exempte de tout reproche. En effet, alors
qu'elle venait de commencer une trithérapie, elle a pris du
Bellergal en automédication qui avait été prescrit à sa
mère.
Or, ce médicament n'est dispensé que sur ordonnance, ce qui
signifie qu'il n'est pas anodin, mais qu'un médecin doit con-
trôler son administration et qu'il peut comporter des contre-
indications (cf. Erwin Deutsch, Medizinrecht, 4e éd. Berlin
1999, p. 502). La demanderesse aurait donc dû être particu-
lièrement attentive avant de l'absorber, et ce peu importe
que le médicament lui ait été fourni directement par sa mère
ou qu'il se soit trouvé dans la pharmacie familiale. Elle a
été d'autant plus négligente qu'elle suivait déjà un traite-
ment nécessitant une médication lourde, dont elle ressentait
les effets puissants, ce qui aurait dû la dissuader d'ingur-
giter spontanément un médicament supplémentaire. En outre,
elle ne pouvait ignorer que la trithérapie tend à combiner
les effets de trois substances médicamenteuses, de sorte
qu'elle aurait dû penser qu'il pouvait être dangereux d'y

associer un nouveau produit sans demander l'avis de son mé-
decin.

Un tel comportement témoigne certes d'une grande
légèreté, mais il ne laisse pas apparaître une faute de la
demanderesse si lourde et si déraisonnable qu'elle relègue
le
manquement imputable au médecin à l'arrière-plan, au point
qu'il n'apparaisse plus comme la cause adéquate du dommage
(cf. ATF 123 III 306 consid. 5b p. 314; 116 II 422 consid.
3,
519 consid. 4b p. 524; 108 II 51 consid. 3 p. 54). Son atti-
tude n'est donc pas de nature à interrompre le lien de causa-
lité adéquate retenu entre le défaut d'information et les lé-
sions subies.

En revanche, il y aura lieu de tenir compte de la
faute concomitante de la demanderesse lors de la fixation
des
dommages-intérêts. Bien que celle-ci soit laissée à une
phase
ultérieure de la procédure, on peut d'ores et déjà indiquer
qu'en regard des circonstances qui viennent d'être
énumérées,
le comportement fautif de la demanderesse justifiera de ré-
duire les dommages-intérêts auxquels elle pourrait prétendre
de 50 %.

6.- Par conséquent, la responsabilité de l'Etat de
Vaud est en principe engagée. La procédure doit ainsi se
poursuivre, afin de déterminer le montant des dommages-
intérêts et de l'indemnité pour tort moral auquel peut pré-
tendre la demanderesse. Les frais et dépens seront fixés
lors
du jugement final.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le principe de la responsabilité du défen-
deur concernant l'interaction médicamenteuse subie par la de-
manderesse.

2. Dit que la suite de la procédure sera déterminée
par ordonnance séparée du juge délégué.

3. Dit que les frais et dépens seront fixés dans le
jugement final.

4. Communique la présente décision en copie aux
mandataires des parties.

__________

Lausanne, le 27 novembre 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
Le Président, La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.229/2000
Date de la décision : 27/11/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-11-27;4c.229.2000 ?
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