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13/11/2001 | SUISSE | N°6S.458/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 13 novembre 2001, 6S.458/2001


«/2»
6S.458/2001/DXC

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

Séance du 13 novembre 2001

Présidence de M. Schubarth, Président. Présents:
M. Schneider et M. Kolly, Juges. Greffière: Mme Angéloz.

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

X.________, à Cully, représentée par Me Bernard Katz,
avocat à Lausanne,

contre

l'arrêt rendu le 26 février 2001 par la Cour de cassation
pénale du Tribunal cantonal vaudois dans

la cause qui op-
pose la recourante à Y.________, à Lausanne, et à
Z.________, à Lausanne, tous deux représentés par
M...

«/2»
6S.458/2001/DXC

C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
*************************************************

Séance du 13 novembre 2001

Présidence de M. Schubarth, Président. Présents:
M. Schneider et M. Kolly, Juges. Greffière: Mme Angéloz.

Statuant sur le pourvoi en nullité
formé par

X.________, à Cully, représentée par Me Bernard Katz,
avocat à Lausanne,

contre

l'arrêt rendu le 26 février 2001 par la Cour de cassation
pénale du Tribunal cantonal vaudois dans la cause qui op-
pose la recourante à Y.________, à Lausanne, et à
Z.________, à Lausanne, tous deux représentés par
Me Philippe Reymond, avocat à Lausanne, ainsi qu'au Mi-
nistère public du canton de V a u d;

(art. 125 CP; lésions corporelles par négligence)

Vu les pièces du dossier, d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Par jugement du 15 novembre 2000, le Tribunal
correctionnel de l'arrondissement de Lausanne a condamné
Y.________ et Z.________, pour lésions corporelles graves
par négligence (art. 125 CP), à une amende de 3000 francs
chacun et A.________, pour la même infraction, à une
amende de 800 fr. Il a par ailleurs acquitté un autre ac-
cusé, C.________, et donné acte à X.________ de ses ré-
serves civiles à l'encontre des trois condamnés.

B.- Ce jugement retient, en substance, ce qui
suit:

a) Y.________ était responsable, jusqu'en janvier
1999, du service administratif des gérances de la société
B.________, laquelle est propriétaire d'un immeuble dans
le quartier du Flon à Lausanne. Z.________ est gérant
technique auprès de la société B.________ et, à ce titre,
responsable du parc immobilier de cette société, notam-
ment de l'immeuble susmentionné. A.________ effectue, pa-
rallèlement à des études universitaires, des remplace-
ments temporaires dans l'enseignement; il assume aussi la
gestion administrative de diverses associations à voca-
tion artistique en ville de Lausanne; à ce titre, il a
signé en novembre 1996 un bail avec la société B.________
portant sur l'immeuble précité et y a sous-loué des ate-
liers à une douzaine d'artistes.

b) Le bâtiment en question a été édifié en 1964 par
la société B.________. Il s'agissait d'un entrepôt équipé
de manière sommaire, comportant un rez-de-chaussée et un
étage reliés par un escalier. Par la suite, il a égale-
ment été utilisé comme atelier; dès 1990, il a été peu à
peu sous-loué à des associations d'artistes dont s'occu-
pait A.________, avant que ce dernier ne devienne le lo-
cataire principal de l'ensemble en novembre 1996.

Dès l'origine, la première entreprise locataire du
bâtiment a installé un appareil de levage, pourvu d'un
moteur électrique faisant fonctionner un câble avec pou-
lie. Le câble se terminait par un gros crochet permettant
de faire monter entre le rez-de-chaussée et l'étage une
charge maximale de 1300 kg. Par la suite, cette installa-
tion a été modifiée par l'adjonction d'une petite cage
grillagée, surmontée d'une boucle dans laquelle le cro-
chet du palan d'origine venait s'arrimer; deux rails la-
téraux ont été mis en place, ce qui a rendu l'ensemble
plus stable.

Dès 1995, il est cependant régulièrement arrivé
que, lorsque le palan était actionné pour faire redes-
cendre la nacelle vide, cette dernière reste bloquée à
l'étage et que le crochet situé au bout du câble se dé-
solidarise de la boucle surmontant la nacelle. Les usa-
gers devaient alors se livrer à diverses manoeuvres pour
raccrocher le dispositif. Cette défectuosité était connue
des occupants des lieux, en particulier de A.________,
auquel les sous-locataires s'en étaient plaints. La réac-
tion de celui-ci s'est limitée à faire passer auprès de
chacun le message que l'installation était délicate et
qu'il ne fallait surtout pas l'utiliser pour le transport
de personnes. Il n'a en revanche pris aucune mesure pour

faire venir un professionnel et identifier l'origine du
problème, car les finances des associations qui sous-
louaient des locaux n'auraient pas permis d'engager de
tels frais. Il a renoncé à avertir la propriétaire du bâ-
timent, pensant que la société B.________ n'entrerait pas
en matière pour réparer l'appareil, à moins d'augmenter
les loyers.

Y.________ et Z.________ connaissaient l'existence
de l'engin de levage, modifié ensuite par l'adjonction
d'une nacelle et de rails de guidage. Il n'a en revanche
pas été établi qu'ils auraient formellement été prévenus
par le locataire principal ou les sous-locataires de la
défectuosité susmentionnée.

c) En mai 1997, X.________ a voulu profiter de la
libération d'ateliers dans le bâtiment en question pour y
déployer sa propre activité artistique. Le 3 mai 1997,
accompagnée de C.________, elle est venue aider le dénom-
mé D.________, grâce auquel elle était sur le point de
signer un bail de sous-location et qui avait lui-même dé-
jà conclu un contrat pour s'installer dans un des espaces
disponibles, à emménager. A cette occasion, il a été fait
usage de l'installation de levage. Lors de l'un des
transports, la nacelle est restée coincée au premier
étage et D.________ a dû se servir d'un morceau de bois
pour guider vers la boucle surmontant la nacelle le cro-
chet qui s'en était séparé. D.________ connaissait cette
défectuosité et a agi comme il l'estimait le plus adé-
quat. Il n'a pas été établi que X.________ et C.________
étaient présents lors de cette manoeuvre; ceux-ci étaient
cependant conscients du danger que présentait l'installa-
tion, car ils avaient été mis en garde par D.________ et,
à une autre occasion, par A.________.

d) Le 5 mai dans l'après-midi, X.________ et
C.________ se sont retrouvés sur les lieux pour achever
le déménagement de D.________, qui n'était pas présent.
Ils ont utilisé à plusieurs reprises l'installation de
levage, jusqu'au moment où la nacelle est restée bloquée
au premier étage. Ils ont tous deux constaté que le câble
était détendu et que le crochet situé à son extrémité
s'était détaché de l'anneau surmontant la nacelle. Con-
scients du fait que la cage n'était plus arrimée au câ-
ble, ils ont décidé de tenter de la raccrocher.
C.________ est ainsi resté à côté de l'interrupteur per-
mettant d'actionner le câble et a monté et descendu le
crochet, pensant que ces manoeuvres successives permet-
traient de replacer ce dernier dans la boucle de la na-
celle. X.________, elle, se trouvait au premier étage, à
proximité de l'installation, les yeux levés au-dessus de
la cage pour guider le mouvement du crochet. Elle était
consciente du fait qu'il ne fallait en aucun cas entrer
dans la nacelle, qui se trouvait en suspension instable.
Pour des raisons que l'instruction n'a pas permis d'éta-
blir, elle a cependant mis le pied à l'intérieur de la
cage de levage. Cette charge subite a immédiatement dé-
croché la cage, qui a chuté à l'étage inférieur où elle
s'est écrasée avec la jeune femme.

e) X.________ a été grièvement blessée. Elle a en
particulier subi une fracture par éclatement du corps
vertébral L1, une fracture complexe segmentaire du tibia
droit et une fracture du calcaneum gauche. Traitée chi-
rurgicalement, elle a été longtemps hospitalisée; au jour
du jugement, elle souffrait encore des suites de ses lé-
sions, notamment au niveau psychologique.

C.- Le tribunal a estimé que Y.________ et
Z.________, en tant que représentants de la propriétaire
de l'immeuble, devaient s'assurer que l'installation en
cause ne devenait pas dangereuse et qu'elle était en tout
temps en état de fonctionner. Professionnels de l'immobi-
lier et connaissant l'installation de levage ainsi que
les modifications qui lui avaient été apportées, ils au-
raient à tout le moins dû attirer l'attention des utili-
sateurs sur le danger qu'elle représentait, d'autant plus
qu'il s'agissait d'un bâtiment loué à de jeunes artistes
impécunieux, peu habitués à manipuler de tels engins.
Leur négligence manifeste avait favorisé la survenance de
l'accident.

Selon le tribunal, A.________ avait lui aussi com-
mis une négligence manifeste. Bien qu'il connaissait de-
puis deux ans la défectuosité de l'appareil de levage et
le danger qui en résultait, il avait renoncé à en infor-
mer la propriétaire de l'immeuble, à faire procéder à des
travaux d'entretien ou de réparation ou encore à condam-
ner définitivement le tout.

S'agissant du comportement de la victime, qui avait
posé un pied sur la nacelle alors qu'elle savait qu'elle
ne devait pas le faire, le tribunal a considéré qu'il
n'était pas extraordinaire au point de rompre le lien de
causalité entre les fautes retenues à l'encontre des ac-
cusés et le dommage subi par la victime.

Le degré de culpabilité des accusés a été jugé com-
parable. Une amende de 800 francs a toutefois été infli-
gée à A.________, alors que ses coaccusés ont été sanc-
tionnés chacun par une amende de 3000 francs, eu égard à
sa situation financière moins aisée.

D.- Les trois condamnés ont recouru contre ce ju-
gement. Sur le plan pénal, Y.________ et Z.________ ont
conclu principalement à leur acquittement, subsidiaire-
ment à la nullité du jugement attaqué. A.________ a con-
clu principalement à la nullité du jugement et au complè-
tement de l'instruction, subsidiairement à sa libération
de l'infraction retenue et à une réduction de la part des
frais mis à sa charge. X.________ a conclu au rejet des
recours.

Par arrêt du 26 février 2001, la Cour de cassation
pénale du Tribunal cantonal vaudois a admis le recours de
Y.________ et Z.________, considérant qu'ils devaient
être libérés de l'infraction retenue à leur encontre, ce
qui rendait superflu l'examen de leurs moyens de nullité;
elle a en revanche écarté le recours de A.________, tant
en ce qui concerne les moyens de nullité que de réforme.

E.- X.________ se pourvoit en nullité au Tribunal
fédéral. Contestant la libération de Y.________ et
Z.________ de l'infraction de lésions corporelles graves
par négligence, elle conclut à l'annulation de l'arrêt
attaqué. Elle sollicite par ailleurs l'assistance judi-
ciaire.

Les intimés concluent au rejet du pourvoi dans la
mesure où il est recevable.

Le Ministère public a renoncé à se déterminer.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) La recourante, qui a subi des lésions cor-
porelles à raison de l'infraction qu'elle invoque, revêt
la qualité de victime au sens de l'art. 2 LAVI. Elle peut
donc se pourvoir en nullité aux conditions de l'art. 270
let. e PPF.

A teneur de cette disposition, la victime peut se
pourvoir en nullité si elle était déjà partie à la procé-
dure et dans la mesure où la sentence touche ses préten-
tions civiles ou peut avoir une influence sur le jugement
de celles-ci, c'est-à-dire aux conditions de l'art. 8
al. 1 let. c LAVI (art. 270 let. e ch. 1 PPF), ou si elle
peut faire valoir une violation des droits que lui ac-
corde la LAVI (art. 270 let. e ch. 2 PPF).

La recourante - qui ne fait pas valoir d'atteinte
aux droits découlant pour elle de la LAVI - se prétend
lésée par l'infraction qu'elle invoque. Elle a participé
à la procédure cantonale, dans le cadre de laquelle elle
a pris des conclusions civiles tendant au versement par
chacun des accusés d'une somme de 20.000 francs à titre
de réparation du tort moral et, ne pouvant chiffrer son
dommage matériel du fait que son état de santé n'était
pas encore stabilisé, à ce qu'il lui soit donné acte de
ses réserves civiles pour le surplus, mais a été renvoyée
à agir devant le juge civil pour l'entier de son dommage.
La recourante a donc formulé des prétentions civiles au-
tant que cela pouvait raisonnablement être exigé d'elle
(cf. ATF 121 IV 207 consid. 1a p. 210). Au reste, il
n'est pas douteux que l'arrêt attaqué, autant qu'il li-

bère les intimés de l'infraction invoquée par la recou-
rante, est de nature à influencer négativement le juge-
ment des prétentions civiles que cette dernière pourrait
faire valoir contre les intimés à raison de cette infrac-
tion. La recourante a donc qualité pour se pourvoir en
nullité sur la base de l'art. 270 let. e ch. 1 PPF.

b) Saisie d'un pourvoi en nullité, qui ne peut être
formé que pour violation du droit fédéral (art. 269 PPF),
la Cour de cassation contrôle l'application de ce droit
sur la base d'un état de fait définitivement arrêté par
l'autorité cantonale (cf. art. 277bis et 273 al. 1 let. b
PPF). Elle doit donc examiner les questions de droit qui
lui sont soumises en se fondant sur les faits retenus
dans la décision attaquée, dont elle ne peut s'écarter et
que le recourant n'est pas recevable à contester (cf. ATF
124 IV 53 consid. 1 p. 55, 81 consid. 2a p. 83 et les ar-
rêts cités).

2.- La recourante se plaint d'une violation de
l'art. 125 CP. Elle reproche à la cour cantonale d'avoir
nié que les intimés aient violé un devoir de prudence qui
leur incombait et d'avoir au demeurant admis une rupture
du lien de causalité entre leur comportement et le dom-
mage qu'elle a subi.

a) L'art. 125 CP réprime le comportement de celui
qui, par négligence, aura fait subir à une personne une
atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé. La loi
définit la négligence comme le comportement de celui qui,
par une imprévoyance coupable, c'est-à-dire en n'usant
pas des précautions commandées par les circonstances et

par sa situation personnelle, agit sans se rendre compte
ou sans tenir compte des conséquences de son acte
(art. 18 al. 3 CP). Pour qu'il y ait lésions corporelles
par négligence, il faut donc que l'auteur ait violé un
devoir de prudence, que cette violation ait été fautive
et qu'elle ait en outre été causale des lésions subies

par la victime.

Un comportement viole le devoir de prudence lorsque
l'auteur, au moment des faits, aurait pu, compte tenu de
ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte
de la mise en danger d'autrui et qu'il a simultanément
dépassé les limites du risque admissible (ATF 127 IV 62
consid. 2d p. 64/65; 126 IV 13 consid. 7a/bb p. 16; 122
IV 17 consid. 2b p. 19/20). Pour déterminer plus précisé-
ment quels étaient les devoirs imposés par la prudence,
on peut se référer à des normes édictées par l'ordre ju-
ridique pour assurer la sécurité et éviter des accidents;
à défaut de dispositions légales ou réglementaires, on
peut se référer à des règles analogues qui émanent d'as-
sociations privées ou semi-publiques lorsqu'elles sont
généralement reconnues; la violation des devoirs de la
prudence peut aussi être déduite des principes généraux,
si aucune règle spéciale de sécurité n'a été violée
(ATF 127 IV 62 consid. 2d p. 65; 126 IV 13 consid. 7a/bb
p. 17; 122 IV 17 consid. 2b/aa p. 20).

Il y a violation fautive d'un devoir de prudence
lorsque l'on peut reprocher à l'auteur, compte tenu de
ses circonstances personnelles, de n'avoir pas déployé
l'attention et les efforts qu'on pouvait attendre de lui
pour se conformer à son devoir de prudence, autrement dit
d'avoir fait preuve d'un manque d'effort blâmable
(ATF 122 IV 17 consid. 2b p. 19; 121 IV 207 consid. 2a
p. 211).

La violation fautive d'un devoir de prudence doit
avoir été la cause naturelle et adéquate des lésions su-
bies par la victime. Un comportement est la cause natu-
relle d'un résultat s'il en constitue l'une des condi-
tions sine qua non; la constatation du rapport de causa-
lité naturelle relève du fait, ce qui la soustrait au
contrôle de la Cour de cassation; il y a toutefois vio-
lation de la loi si l'autorité cantonale méconnaît le
concept même de la causalité naturelle (ATF 125 IV 195
consid. 2b p. 197; 122 IV 17 consid. 2c/aa p. 23; 121 IV
207 consid. 2a p. 212). Il faut en outre que le rapport
de causalité puisse être qualifié d'adéquat, c'est-à-dire
que, d'après le cours ordinaire des choses et l'expé-
rience de la vie, le comportement de l'auteur ait été
propre à entraîner un résultat du genre de celui qui
s'est produit; il s'agit-là d'une question de droit que
la Cour de cassation revoit librement (ATF 127 IV 62 con-
sid. 2d p. 65; 126 IV 13 consid. 7a/bb p. 17 et les ar-
rêts cités). La causalité adéquate peut cependant être
exclue si une autre cause concomitante - par exemple une
force naturelle, le comportement de la victime ou d'un
tiers - constitue une circonstance tout à fait exception-
nelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait
s'y attendre; l'imprévisibilité d'un acte concurrent ne
suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité
adéquate; il faut encore que cet acte ait une importance
telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et
la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à
l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué
à l'amener et notamment le comportement de l'auteur
(ATF 127 IV 62 consid. 2d p. 65; 126 IV 13 consid. 7a/bb
p. 17; 122 IV 17 consid. 2c/bb p. 23; 121 IV 207 con-
sid. 2a p. 213).

Les lésions corporelles par négligence constituent
une infraction de résultat, qui suppose en général une
action, mais qui peut aussi être réalisée par omission
dans la mesure où l'auteur avait un devoir juridique
d'agir découlant d'une position de garant (cf. ATF 117 IV
130 consid. 2a p. 132; cf. également ATF 122 IV 17 con-
sid. 2b/aa p. 20, 61 consid. 2a/aa p. 63, 145 consid. 2
p. 146 et les arrêts cités). Si c'est une omission qui
est reprochée à l'auteur, il faut donc se demander si ce
dernier se trouvait dans une situation de garant et, le
cas échéant, quelle était l'étendue du devoir de dili-
gence découlant de cette position et quels actes concrets
il était tenu d'accomplir; lorsque l'auteur a omis de
faire un acte qu'il était juridiquement tenu d'accomplir,
il faut encore se demander si cette omission peut lui
être imputée à faute et si elle a été causale du résultat
qui s'est produit (ATF 117 IV 130 consid. 2a p. 132 ss).
En cas d'omission, la question de la causalité ne se pré-
sente pas de la même manière qu'en cas de commission
(ATF 117 IV 130 consid. 2a p. 133 et les arrêts cités);
l'omission d'un acte est en relation de causalité natu-
relle avec le résultat de l'infraction présumée si l'ac-
complissement de l'acte eût empêché la survenance de ce
résultat avec une vraisemblance confinant à la certitude
ou, du moins, avec une haute vraisemblance (ATF 116 IV
306 consid. 2a p. 310; cf. également ATF 121 IV 286 con-
sid. 4c p. 292, 118 IV 130 consid. 6a p. 141); elle est
en relation de causalité adéquate avec le résultat si
l'accomplissement de l'acte omis aurait, selon le cours
ordinaire des choses et l'expérience de la vie, évité la
survenance de ce résultat (ATF 117 IV 130 consid. 2a
p. 133).

b) La recourante soutient que les intimés doivent
se voir reprocher d'avoir omis de prendre les mesures qui
leur incombaient, compte tenu de leur fonction et de
leurs responsabilités, pour assurer la sécurité en rela-
tion avec l'utilisation du monte-charge; en particulier,
ils devaient s'assurer, par des mesures de contrôle, de
la solidité et du bon fonctionnement du monte-charge, re-
médier aux défectuosités qu'ils auraient ainsi été amenés
à constater ou, à ce défaut, attirer l'attention sur les
précautions à prendre lors de son utilisation, voire con-
damner ou même faire démonter l'installation.

C'est ainsi une omission, non pas une action, qui
est reprochée aux intimés, qui avaient d'ailleurs été
renvoyés en jugement et condamnés en première instance
pour avoir omis, en tant que représentants de la société
propriétaire du bâtiment, de prendre les mesures néces-
saires pour assurer la sécurité de l'installation, en
particulier pour éviter que l'appareil de levage ne de-
vienne dangereux pour les utilisateurs. Le cas doit donc
être examiné au regard des règles applicables en cas
d'omission.

c) Selon la jurisprudence, celui qui exploite un
dispositif dangereux doit prendre les mesures de précau-
tion commandées par les circonstances pour éviter la sur-
venance d'un accident (ATF 122 IV 17 consid. 2b/bb p. 21;
cf. également ATF 125 IV 9 consid. 2a p. 12 et les réfé-
rences citées).

L'installation litigieuse est un monte-charge, soit
une installation similaire à un ascenseur. Il est notoire
qu'une telle installation, si elle est défectueuse, pré-
sente un danger pour les utilisateurs. Celui qui exploite

ce genre d'installation doit donc prendre les mesures né-
cessaires pour éviter que ce danger ne se réalise.

La défectuosité d'un monte-charge est susceptible
de provoquer un accident, qui peut alors se produire à
tout moment. Celui qui exploite une telle installation ne
peut donc se borner à réagir lorsqu'il est avisé qu'elle
est défectueuse, soit à un moment où il est peut-être
trop tard parce que l'accident s'est déjà produit. Il lui
incombe de s'assurer, par des contrôles réguliers, du bon
fonctionnement de l'installation, de manière à ce que
d'éventuelles défectuosités puissent être détectées et
réparées rapidement, ce qui est propre à éviter ou, du
moins, à diminuer le risque de survenance d'un accident.
Que, nonobstant des contrôles réguliers, un accident ne
puisse pas toujours être évité, par exemple parce qu'une
défectuosité peut se produire dans l'intervalle et, faute
d'être signalée, n'est pas réparée ou parce que la défec-
tuosité est difficile à détecter, ne justifie manifeste-
ment pas que l'on renonce à des contrôles réguliers. A
plus forte raison, l'exploitant ne saurait s'abstenir de
tout contrôle et n'intervenir que lorsqu'une défectuosité
lui est signalée.

d) Il résulte de l'arrêt attaqué que les intimés se
sont bornés à effectuer des "visites régulières sur
place", sans qu'il ait été constaté que, lors de ces vi-
sites, il aurait été procédé à des contrôles de l'instal-
lation litigieuse ni même qu'à ces occasions les intimés
se seraient souciés d'une quelconque manière de celle-ci.
L'arrêt attaqué constate du reste que les intimés igno-
raient que le système de levage était défectueux, alors
que cette défectuosité remontait à 1995 et subsistait
donc depuis environ deux ans au moment de la survenance

de l'accident, le 5 mai 1997. On ne peut qu'en déduire
que les intimés n'ont jamais procédé ou fait procéder à
un quelconque contrôle de l'installation litigieuse et
qu'ils ne se sont même jamais enquis auprès du locataire
principal ou des sous-locataires du bon fonctionnement de
cette installation, dont ils semblent au contraire s'être
totalement désintéressés. Autant qu'il leur appartenait,
à raison de leur fonction et responsabilités respectives,
de contrôler ou faire contrôler l'installation, les inti-
més ont ainsi violé, par omission, le devoir de prudence
qui leur incombait.

e) Dans la mesure où, compte tenu de leur fonction
et de leurs responsabilités professionnelles, les intimés
auraient pu ou dû connaître le risque d'accident décou-
lant de la défectuosité d'un monte-charge et se rendre
compte de la nécessité de prendre des mesures pour le
prévenir, en particulier de faire contrôler régulièrement
l'appareil, leur omission a été fautive, dès lors qu'ils
n'ont déployé aucun effort en ce sens.

f) S'il avait été procédé à des contrôles réguliers
de l'appareil, il est hautement vraisemblable que la dé-
fectuosité de celui-ci aurait pu être détectée et réparée
ou, à ce défaut, l'appareil condamné ou supprimé, et,
partant, que l'accident ne se serait pas produit. Le fait
que le câble ne se décrochait pas systématiquement en cas
d'utilisation de l'appareil ne permet pas de conclure que
cette défectuosité n'était pas repérable en cas de con-
trôles réguliers. L'arrêt attaqué constate en effet que,
depuis 1995, il était arrivé régulièrement que le câble
se décroche; deux jours avant l'accident, le 3 mai 1997
il s'était d'ailleurs aussi décroché; il résulte en outre

de l'arrêt attaqué que tous les utilisateurs et sous-lo-
cataires du bâtiment connaissaient cette défectuosité. Il
faut en déduire que l'incident était relativement fré-
quent, de sorte qu'il est très improbable que des contrô-
les réguliers n'auraient pas permis, durant près de deux
ans, de le détecter. Les intimés auraient en tout cas eu
connaissance de la défectuosité de l'installation s'ils
s'étaient simplement enquis de l'état de l'appareil au-
près des occupants de l'immeuble. Par ailleurs, selon le
cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le
contrôle régulier d'une installation qui peut provoquer
un accident si elle est défectueuse, est propre à éviter
qu'il ne survienne. Il existe donc un rapport de causali-
té naturelle et adéquate entre l'acte omis et le résultat
qui s'est produit.

g) L'arrêt attaqué considère que, de toute manière,
il y a eu rupture du lien de causalité adéquate. A l'ap-
pui, il relève que le locataire principal, soit le coac-
cusé A.________, qui connaissait parfaitement la défec-
tuosité de l'installation, que plusieurs sous-locataires
lui avaient signalée, n'en a jamais avisé la propriétaire
de l'immeuble et qu'il a ainsi commis une faute "d'une
gravité telle qu'elle est de nature à exonérer les repré-
sentants de la propriétaire de toute responsabilité, à
tout le moins sous l'angle du droit pénal". Ce raisonne-
ment ne saurait être suivi. Même si l'art. 257g CO pres-
crit que le locataire doit signaler au bailleur les dé-
fauts auxquels il n'est pas tenu de remédier lui-même,
l'omission de donner un tel avis ne constitue pas un com-
portement si exceptionnel ou extraordinaire qu'on ne peut
s'y attendre; surtout, et c'est ce qui est déterminant,
le fait qu'un locataire omette de signaler au bailleur la

défectuosité d'une installation de l'immeuble n'a pas une
importance telle qu'elle reléguerait à l'arrière-plan
tous les autres facteurs qui ont contribué à la surve-
nance de l'accident consécutif à cette défectuosité, en
particulier l'omission du bailleur de faire contrôler ré-
gulièrement l'installation pour prévenir le risque d'ac-
cident qu'elle présente en cas de défectuosité.

h) Au vu de ce qui précède, l'acquittement des in-
timés pour le motif qu'il n'y avait pas lieu de procéder
ou faire procéder à des contrôles de l'installation liti-
gieuse et que le lien de causalité entre l'absence de
contrôle et l'accident qui s'est produit est de toute ma-
nière rompu par l'omission du coaccusé A.________ de si-
gnaler la défectuosité de l'installation, viole le droit
fédéral.

Une condamnation pour lésions corporelles par né-
gligence à raison d'une omission implique toutefois que
l'auteur avait un devoir juridique d'agir découlant d'une
position de garant (cf. supra, let. a). A cet égard,
l'arrêt attaqué constate qu'au moment des faits, l'intimé
Y.________ était le responsable du service administratif
des gérances de la société propriétaire de l'immeuble où
se trouvait l'installation litigieuse et l'intimé
Z.________ le responsable technique du parc immobilier de
ladite société. Il ne précise toutefois pas si leur fonc-
tion respective impliquait que les intimés assumaient la
responsabilité qui incombe à l'exploitant d'un immeuble
comportant une installation potentiellement dangereuse,
plus précisément si le devoir de contrôler ou faire con-
trôler l'installation litigieuse leur incombait sur la
base de leur cahier des charges. Cette question, qui est

déterminante pour savoir si les intimés avaient effecti-
vement une position de garant, devra encore être éluci-
dée.

3.- L'arrêt attaqué doit ainsi être annulé
et la
cause renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle statue
à nouveau dans le sens des considérants.

Vu l'issue du pourvoi, il ne sera pas perçu de
frais et une indemnité de dépens sera allouée au manda-
taire de la recourante, les intimés n'étant pas tenus de
verser une compensation (art. 278 al. 3 PPF). La requête
d'assistance judiciaire de la recourante devient ainsi
sans objet.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l ,

1. Admet le pourvoi, annule l'arrêt attaqué et ren-
voie la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle déci-
sion.

2. Dit qu'il n'est pas perçu de frais.

3. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera
une indemnité de 2500 francs au mandataire de la recou-
rante, les intimés n'étant pas tenus de verser une com-
pensation.

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties, au Ministère public du canton de Vaud
et à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal
vaudois.

Lausanne, le 13 novembre 2001

Au nom de la Cour de cassation pénale
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.458/2001
Date de la décision : 13/11/2001
Cour de cassation pénale

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-11-13;6s.458.2001 ?
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