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06/11/2001 | SUISSE | N°4C.199/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 novembre 2001, 4C.199/2001


«AZA 1/2»

4C.199/2001

Ie C O U R C I V I L E
************************

6 novembre 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

A u d i A G, à Ingolstadt (Allemagne), demanderesse et re-
courante, représentée par Me Kamen Troller, avocat à Genève,

et

Banque A u d i (Suisse) S.A., à Genève, défenderesse et re-
courante

(dans la procédure de réforme), représentée par
Me Daniel Tunik et par Me Jacques Busset, avocats à Genève;

(droit des marqu...

«AZA 1/2»

4C.199/2001

Ie C O U R C I V I L E
************************

6 novembre 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

A u d i A G, à Ingolstadt (Allemagne), demanderesse et re-
courante, représentée par Me Kamen Troller, avocat à Genève,

et

Banque A u d i (Suisse) S.A., à Genève, défenderesse et re-
courante (dans la procédure de réforme), représentée par
Me Daniel Tunik et par Me Jacques Busset, avocats à Genève;

(droit des marques; concurrence déloyale; droit au nom)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Fondée en 1884, Audi AG est une société ano-
nyme de droit allemand, qui exerce ses activités dans le do-
maine de l'industrie automobile depuis 1910 en tout cas,
sous
diverses raisons sociales, dans lesquelles il a été retenu
que la désignation "Audi" était toujours apparue.

Ce signe est aussi utilisé comme marque en Suisse
depuis 1965, date à laquelle les véhicules fabriqués par cet-
te société ont commencé à être commercialisés dans le pays.

Audi AG n'est pas inscrite au Registre du commerce
suisse et n'y possède pas de filiale ou d'autre établisse-
ment. Dès 1969, c'est la société Amag AG qui a été chargée
de
commercialiser ses véhicules en Suisse.

De 1965 à 1981, Audi AG a vendu en Suisse 115'000
voitures.

Audi AG est titulaire de diverses marques suisses
et internationales, protégées en Suisse, avec priorité re-
montant à 1971.

En 1989, Audi AG a lancé la marque verbale "Audi"
dans la classe internationale 36 (assurances; affaires finan-
cières; affaires monétaires; affaires immobilières) pour les
services suivants: "consultations concernant le crédit; cour-
tage et crédit-bail". La protection de cette marque interna-
tionale, enregistrée dans divers pays, ne s'est pas étendue
à
la Suisse.

Le 31 octobre 1990, elle a fait enregistrer en
Allemagne la raison de commerce "Audi Bank, succursale de la

banque Vag GmbH". Cette banque offre un système de cartes de
crédit lié à Eurocard et Visa, utilisé aussi bien en Allema-
gne qu'en Suisse, ainsi que des services financiers compre-
nant aussi des prestations en matière d'assurances.

Le 5 juillet 1994, Audi AG a déposé auprès de
l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle (ancien-
nement Office fédéral de la propriété intellectuelle) les
marques de service "Audi" (no 622.241) et "Audi-Bank"
(no 622.242) dans la classe internationale 36.

B.- Banque Audi (Suisse) S.A. (ci-après: la Ban-
que) a été inscrite au Registre du commerce en Suisse le 17
décembre 1963 sous la dénomination NBC Bank AG. Elle a modi-
fié sa raison sociale, dans sa teneur actuelle, le 14
juillet
1981, date à laquelle elle a utilisé pour la première fois
le
nom de famille d'origine libanaise "Audi", patronyme de dif-
férents administrateurs, dirigeants et actionnaires.

Le but de cette société réside, selon le Registre
du commerce, dans l'exploitation d'une banque dont les acti-
vités sont orientées principalement dans le domaine de la
banque privée et de la gestion de fortune.

Le 26 avril 1993, la Banque a déposé trois marques
suisses dans la classe internationale 36, à savoir "Audi"
(no 406.133), "Banque Audi" (no 406.132), et "Banaudi"
(no 406.131), revendiquant une priorité d'usage au 1er jan-
vier 1978.

Audi AG, qui prétend avoir appris l'existence de la
Banque le 6 mai 1991, lui a alors proposé de résoudre à
l'amiable le conflit portant sur leurs marques respectives.
Des négociations ont eu lieu de 1991 à 1993, sans résultat.

C.- Le 22 décembre 1994, Audi AG a introduit une
action à Genève, tendant à interdire à la Banque, sous
menace
des peines prévues à l'art. 292 CP, de faire usage de sa rai-
son sociale en français et en allemand, ainsi que de ses mar-
ques de service "Audi" (no 406.133) et "Banque Audi"
(no 406.132), dont la constatation de la nullité était re-
quise.

La Banque a conclu au déboutement d'Audi AG. Elle
a, par ailleurs, formé une demande reconventionnelle tendant
en particulier à faire constater la nullité des marques de
service "Audi" (no 622.241) et "Audi-Bank" (no 622.242).

Audi AG a finalement conclu à l'irrecevabilité de
la demande reconventionnelle.

D.- Par arrêt du 29 mars 1996, la Cour de justice
genevoise a rejeté la demande principale, au motif que les
droits d'Audi AG étaient périmés, tout en reconnaissant que
cette société était titulaire d'une marque de haute
renommée.
Pour cette raison, elle a également rejeté, dans la mesure
de
sa recevabilité, la demande reconventionnelle formée par la
Banque.

Contre cet arrêt, Audi AG et la Banque ont toutes
les deux déposé à la fois un recours de droit public et un
recours en réforme au Tribunal fédéral.

Le 13 novembre 1998, la Ie Cour civile du Tribunal
fédéral a rejeté, dans la mesure de leur recevabilité, les
recours de droit public interjetés par les deux parties. En
revanche, elle a partiellement admis leurs recours en
réforme
respectifs, annulé l'arrêt du 29 mars 1996 et renvoyé la cau-
se à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens
des considérants.

La Cour de céans a considéré en substance que
c'était à juste titre que les juges cantonaux avaient admis
la péremption des droits d'Audi AG dans la désignation de la
raison sociale de la Banque. En revanche, on ne pouvait con-
clure que les droits d'Audi AG concernant la nullité des mar-
ques de service "Audi" et "Banque Audi" de la défenderesse
étaient périmés. L'admission des conclusions d'Audi AG con-
cernant ces marques supposait toutefois que le caractère de
haute renommée de la marque "Audi", propriété de la firme au-
tomobile, soit reconnu. Cette question était également déter-
minante pour statuer sur les conclusions reconventionnelles
de la Banque. Or, le Tribunal fédéral a relevé que la cour
cantonale ne pouvait, sur la base des faits retenus,
admettre
le caractère de haute renommée de la marque "Audi".

E.- Dans son mémoire de reprise d'instance du 9
avril 1999 sur le plan cantonal, la Banque a précisé ses con-
clusions reconventionnelles, tout en formant une demande re-
conventionnelle additionnelle tendant, pour l'essentiel, à
faire constater la nullité d'une marque de service "Audi"
(no 425.973) déposée le 17 février 1995 par Audi AG.

Audi AG a conclu à l'irrecevabilité de la demande
reconventionnelle additionnelle et au rejet des conclusions
sur demande reconventionnelle de la Banque. Elle a en outre
enjoint à la Cour de justice de dire que ses propres marques
nos 622.241 et 622.242 étaient des marques de haute renommée
et de constater la nullité des marques "Audi" (no 406.133)
et
"Banque Audi" (no 406.132) de la défenderesse.

Par arrêt du 27 avril 2001, la Chambre civile de la
Cour de justice genevoise, statuant sur la demande principa-
le, a débouté Audi AG de l'ensemble de ses conclusions; elle
a également débouté la Banque de l'ensemble de ses conclu-

sions reconventionnelles et déclaré irrecevable sa demande
reconventionnelle additionnelle du 9 avril 1999.

F.- Contre l'arrêt du 27 avril 2001, tant Audi AG
(la demanderesse) que la Banque (la défenderesse) ont inter-
jeté un recours en réforme au Tribunal fédéral.

Audi AG conclut à la réforme et à l'annulation de
l'arrêt entrepris dans la mesure où il rejette la demande
principale; elle demande au Tribunal fédéral, statuant à nou-
veau, de dire que ses marques Audi (622.241 et 622.242) sont
des marques de haute renommée, de constater la nullité des
marques suisses nos 406.133 Audi et 406.132 Banque Audi et
de
communiquer le dispositif du jugement à l'Institut fédéral
de
la Propriété intellectuelle en vue de la radiation des deux
marques précitées, sous suite de frais et dépens.

Pour sa part, la Banque conclut à l'annulation de
l'arrêt du 27 avril 2001 en tant qu'il rejette sa demande
reconventionnelle. Elle requiert la constatation de la nul-
lité des marques de service 622.241 Audi et 622.242 Audi-
Bank, la communication du dispositif du jugement à
l'Institut
fédéral de la Propriété intellectuelle en vue de la
radiation
des marques précitées et l'interdiction, pour Audi AG, sous
la menace des peines prévues à l'art. 292 CP, "d'utiliser le
signe Audi pour offrir ou fournir en Suisse des services fi-
nanciers, bancaires, immobiliers ou en matière d'assurances,
en particulier en le faisant figurer sur des cartes de cré-
dit, ainsi que d'en faire tout autre usage en relation avec
l'une ou l'autre des prestations de service visées par la
classe 36 de l'Arrangement de Nice, si ce n'est éventuelle-
ment en lui adjoignant des éléments distinctifs par lesquels
tout risque de confusion avec les marques ou les activités
de
la Banque pourra être éliminé". Enfin, elle prie le Tribunal
fédéral d'ordonner la publication du jugement à intervenir à

trois reprises dans trois quotidiens suisses de son choix,
sous suite de frais et dépens, également s'agissant des
frais
de l'instance cantonale.

La Banque propose de déclarer irrecevable le re-
cours interjeté par Audi AG, subsidiairement de le rejeter
dans la mesure de sa recevabilité, alors que, dans sa répon-
se, Audi AG demande la confirmation du jugement entrepris
dans la mesure où il rejette la demande reconventionnelle
formée par la Banque et le déboutement de celle-ci de toutes
les conclusions de son recours en réforme.

Statuant le 6 novembre 2001, la Cour de céans a re-
jeté, dans la mesure de sa recevabilité, le recours de droit
public déposé parallèlement par Audi AG.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Les recours émanant des deux parties se rap-
portent à la même décision et comportent des liens étroits,
de sorte qu'il se justifie de les joindre pour des motifs
d'économie de procédure et de les traiter dans un seul arrêt
(cf. ATF 124 III 382 consid. 1a et les arrêts cités).

b) Dirigés contre l'arrêt cantonal déboutant cha-
cune des parties de ses conclusions respectives, à la suite
du renvoi de la cause par le Tribunal fédéral en application
de l'art. 64 al. 1 OJ, les deux recours sont en principe re-
cevables (art. 66 al. 2 OJ), puisqu'ils ont été déposés en
temps utile (art. 54 al. 1 OJ), dans les formes requises
(art. 55 OJ).

c) La défenderesse ne s'en prend, devant le Tribu-
nal fédéral, qu'au rejet de ses conclusions reconventionnel-

les. En revanche, elle ne critique pas la cour cantonale
dans
la mesure où celle-ci a déclaré irrecevable sa demande recon-
ventionnelle additionnelle. Non contestée, cette partie du
dispositif de l'arrêt entrepris doit donc être considérée
comme définitivement tranchée (cf. art 55 al. 1 let. b et c
OJ).

2.- a) Dans l'arrêt attaqué, la cour cantonale a
rejeté la demande principale en considérant en substance que
la demanderesse n'était pas parvenue à démontrer qu'elle
était titulaire d'une marque de haute renommée en juillet
1981, soit au moment où la défenderesse a commencé à offrir
ses services sous la dénomination "Audi", de sorte que cette
dernière pouvait se prévaloir de droits acquis. Les juges
ont
encore examiné si les marques de la banque portaient
atteinte
à la raison sociale de la demanderesse, comme le soutenait
cette dernière. Après une pesée des intérêts en présence, il
a été retenu que l'intérêt de la banque à utiliser ses mar-
ques pour désigner ses services bancaires et financiers l'em-
portait sur l'intérêt de la firme automobile à se prévaloir
de son droit à la protection de sa raison sociale. Quant aux
conclusions reconventionnelles de la défenderesse tendant à
la constatation de la nullité des marques de service
déposées
par la firme automobile, elles ont également été rejetées au
motif que les marques litigieuses n'étaient pas destinées à
des services identiques et qu'il n'existait pas de risque de
confusion entre elles, de sorte qu'il n'y avait pas d'obsta-
cle légal à ce qu'elles coexistent.

b) Dans son recours, la demanderesse s'en prend au
refus de la cour cantonale d'admettre le caractère de haute
renommée de sa marque et de lui reconnaître une protection
issue de sa raison sociale, ce qui lui aurait permis de
faire
constater la nullité de deux des marques déposées par la dé-
fenderesse en 1993. Les prétentions de celle-ci qui tendent
à

la constatation de la nullité des marques de service de la
demanderesse, ont ainsi un caractère subsidiaire. Il sera
donc tout d'abord statué sur le recours en réforme interjeté
par la firme automobile.

I. Recours en réforme de la demanderesse

3.- La demanderesse se plaint d'inadvertances ma-
nifestes et d'une violation flagrante de l'art. 8 CC, en re-
prenant les critiques qu'elle avait présentées dans son re-
cours de droit public déposé parallèlement. Or, savoir si
les
pièces produites, les témoignages et le sondage d'opinion
étaient de nature à démontrer le haut degré de connaissance
ainsi que d'estime dont jouissait la marque automobile Audi
à
l'époque considérée et si c'est à tort que la cour cantonale
a écarté ces éléments relèvent de l'appréciation des
preuves.
Ces griefs, déjà traités dans le cadre du recours de droit
public (cf. arrêt du Tribunal fédéral du 6 novembre 2001
dans
la cause opposant les parties, consid. 3a), échappent ainsi
à
la cognition du Tribunal fédéral saisi d'un recours en réfor-
me (ATF 126 III 10 consid. 2b p. 13; 125 III 78 consid. 3a).
Comme il a été jugé que la position
des juges cantonaux
n'était, sur ces points, pas entachée d'arbitraire (cf.
arrêt
précité, consid. 3c à e), la Cour de céans examinera les vio-
lations du droit fédéral invoquées à la lumière des faits
tels qu'ils ressortent de l'arrêt entrepris.

Il convient de rappeler que la cour cantonale n'a
pas refusé d'emblée le sondage d'opinion présenté par la de-
manderesse en tant que moyen de preuve. C'est après l'avoir
examiné de manière détaillée qu'elle a considéré que
celui-ci
était en l'espèce impropre à démontrer les faits pertinents.
Son attitude n'équivaut donc pas à dénier a priori l'utilité
du sondage d'opinion pour évaluer le degré de connaissance
d'une marque, de sorte qu'elle ne contrevient pas à ce qui a

été dit dans l'ATF 126 III 315 consid. 4c/bb p. 319, contrai-
rement à ce que soutient la firme automobile.

4.- La demanderesse reproche à la cour cantonale
d'avoir méconnu la notion juridique de la marque de haute re-
nommée.

a) La marque de haute renommée est spécialement
protégée par l'art. 15 de la Loi fédérale du 28 août 1992
sur
la protection des marques (LPM; RS 232.11). Cette
disposition
prévoit que le titulaire d'une marque de haute renommée peut
interdire à des tiers l'usage de cette marque pour tous les
produits ou les services pour autant qu'un tel usage menace
le caractère distinctif de la marque, exploite sa réputation
ou lui porte atteinte (al. 1). Les droits acquis avant que
la
marque ne gagne sa haute renommée sont réservés (al. 2).

En l'espèce, il n'est pas contesté que les droits
de la défenderesse sur les désignations "Audi" et "Banque
Audi" remontent au mois de juillet 1981. Le litige revient
donc à se demander si, à cette époque-là, le caractère de
haute renommée de la marque de la demanderesse aurait dû
être
admis par la cour cantonale, ce qui aurait légitimé la firme
automobile à faire valoir les droits découlant de l'art. 15
LPM à l'encontre de la défenderesse. En revanche, il n'est
pas pertinent de se demander si actuellement la marque auto-
mobile "Audi" devrait être qualifiée de haute renommée. Les
considérations de la cour cantonale sur ce dernier point
n'ont donc pas à être revues dans le cadre de la présente
procédure, puisqu'elles ne sont pas de nature à influencer
le
dispositif de la décision entreprise (cf. ATF 126 III 198
consid. 2b; 111 II 1; 106 II 117 consid. 1; Bernard Corboz,
Le recours en réforme au Tribunal fédéral, SJ 2000 II
p. 1 ss, 30).

b) La définition de la haute renommée ne ressort
pas de la loi (Lucas David, Commentaire bâlois, art. 15 LPM
no 3). Se fondant sur le but poursuivi par l'art. 15 LPM, le
Tribunal fédéral a indiqué que la haute renommée suppose que
la marque jouisse d'une considération générale auprès d'un
large public; en effet, tant que la marque n'est connue et
appréciée que d'un cercle d'acheteurs se restreignant à un
produit spécifique, il n'existe pas d'intérêt légitime à lui
assurer une protection étendue. En revanche, il n'est pas né-
cessaire que la marque soit absolument unique; une "position
relativement exclusive" suffit (ATF 124 III 277 consid. 1a
et
les auteurs cités). La Cour de céans a précisé qu'il n'est
pas suffisant, pour juger si l'on a affaire à une marque de
haute renommée, de déterminer la proportion des personnes
qui
connaissent l'existence de la marque, d'une part, et le
degré
de cette connaissance, d'autre part. On en viendrait sinon à
confondre la notoriété d'une marque avec sa haute renommée
(arrêt du Tribunal fédéral du 13 novembre 1998 opposant les
parties, publié in sic! 1999 p. 132 ss consid. 8d). L'image
positive que représente la marque auprès du public est donc
un critère qui ne doit pas être négligé.

En l'espèce, il ressort des faits retenus, d'une
manière qui lie le Tribunal fédéral en instance de réforme
(art. 63 al. 2 OJ), qu'il n'a pas été établi qu'une large
part de la population connaissait la marque automobile
"Audi"
en juillet 1981 ni qu'elle était, à cette époque, synonyme
de
qualité et de prestige. Sur la base de ces constatations, on
ne voit pas que la cour cantonale ait violé le droit fédéral
en refusant à la demanderesse la prérogative de se prévaloir
de la protection spéciale de l'art. 15 al. 1 LPM à
l'encontre
des marques de la défenderesse.

Certes, comme le relève la demanderesse, la motiva-
tion de la cour cantonale peut, sur certains aspects, paraî-
tre discutable, en particulier lorsqu'elle mentionne comme

critère le caractère unique de la marque. Il n'y a toutefois
pas lieu d'entrer en matière, dès lors que ces
considérations
se réfèrent à la situation actuelle et ne sont, par consé-
quent, pas de nature à influencer le sort du litige (cf. su-
pra let. a in fine)

5.- La demanderesse invoque enfin une violation de
l'art. 8 de la Convention d'Union de Paris pour la
protection
de la propriété industrielle dans sa version révisée à Stock-
holm le 14 juillet 1967 (CUP; RS 0.232.04) (RO 1970 p. 601),
de l'art. 29 CC et de l'art. 3 let. d de la loi fédérale du
19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD; RS
241). Elle fait grief à la cour cantonale de ne pas avoir re-
connu que les marques de la banque portaient également at-
teinte à son nom commercial.

a) Que la défenderesse soit autorisée, en regard de
la LPM, à utiliser les marques "Audi" et "Banque Audi" (cf.
supra consid. 4) n'empêche pas que son comportement puisse
contrevenir à d'autres dispositions, en particulier à la LCD
(cf. ATF 127 III 33 consid. 3a).

b) L'Allemagne et la Suisse sont deux Etats liés
par la CUP. D'après l'art 8 CUP, le nom commercial doit être
protégé en Suisse sans obligation de dépôt ou d'enregistre-
ment, qu'il fasse ou non partie d'une marque de fabrique ou
de commerce. Contrairement à ce que soutient la
demanderesse,
cette disposition n'offre pas une protection absolue au nom
commercial. En vertu du principe du traitement national fi-
gurant à l'art. 2 CUP, les Etats s'engagent seulement à ac-
corder la même protection à un nom commercial étranger que
celle octroyée aux noms commerciaux nationaux (G.H.C.
Bodenhausen, Guide d'application de la Convention de Paris
pour la protection de la propriété industrielle, Genève
1969,
art. 8 CUP p. 139). Or, en droit suisse, lorsqu'une entrepri-

se n'est pas inscrite au registre du commerce suisse, ce qui
est le cas de la demanderesse, sa désignation n'est protégée
qu'à la condition que son droit au nom ait été atteint ou en
présence d'un acte de concurrence déloyale (ATF 114 II 106
consid. 2; 98 II 57 consid. 1 et les arrêts cités; cf.
François Dessemontet, La propriété intellectuelle, Lausanne
2000, p. 297 no 634).

Il convient donc d'examiner en premier lieu si la
demanderesse peut se prévaloir d'une atteinte à l'art. 29 CC
ou d'un comportement contraire à la LCD de la part de la dé-
fenderesse. Ce n'est que si l'une ou l'autre de ces hypothè-
ses devait être retenue qu'il y aurait alors lieu de s'inter-
roger sur un éventuel conflit entre la LPM l'art. 29 CC
et/ou
la LCD.

c) Il découle de l'art. 29 al. 2 CC que celui qui
est lésé par une usurpation de son nom peut demander au juge
de la faire cesser. L'élément déterminant à cet égard est le
risque de confusion (ATF 116 II 463 consid. 3b; 102 II 161
consid. 4a). La notion de risque de confusion sanctionné par
l'art. 29 al. 2 CC est la même que celle admise en droit de
la concurrence (ATF 127 III 33 consid. 4; 116 II 463 consid.
4c). En cette matière, l'art. 3 let. d LCD qualifie de dé-
loyal le comportement de celui qui "prend des mesures qui
sont de nature à faire naître une confusion avec les marchan-
dises, les oeuvres, les prestations ou les affaires d'au-
trui". Est visé tout comportement au terme duquel le public
est induit en erreur par la création d'un danger de confu-
sion, en particulier lorsque celui-ci est mis en place pour
exploiter la réputation du concurrent (ATF 126 III 239 con-
sid. 3a et les références citées). Le risque de confusion
est
une notion de droit que le Tribunal fédéral apprécie libre-
ment, du moins dans les cas où le litige revient à évaluer
l'impact du comportement contesté sur le grand public et non
sur un cercle de personnes disposant de connaissances spéci-

fiques dans un secteur particulier (ATF 127 III 33 consid.
3c/aa p. 39; 126 III 239 consid. 3a).

En l'occurrence, la question litigieuse revient à
déterminer si, en regard des faits retenus, il y a risque de
confusion, parmi les consommateurs suisses, entre le nom com-
mercial de la firme automobile et les marques "Audi" et "Ban-
que Audi" utilisées par la banque. Ce point doit être distin-
gué du risque de confusion entre les marques de service ap-
partenant aux deux parties au sens de la LPM, qui sera exami-
né dans le cadre du recours de la défenderesse (cf. infra
consid. 6f).

La cour cantonale a relevé que la raison sociale de
la demanderesse, qui ne figure pas au Registre du commerce
suisse et ne possède pas d'établissement dans ce pays,
n'était en tant que telle pas largement connue en Suisse.
Pour sa part, la défenderesse n'apparaissait pas comme un
nouveau concurrent qui aurait cherché, par le dépôt de ses
marques, à profiter de la raison sociale de la firme automo-
bile. La banque a au contraire fait usage de la dénomination
"Audi", parce qu'elle correspondait au patronyme de certains
de ses administrateurs et actionnaires. Les marques de la dé-
fenderesse ne constituaient nullement des qualifications pou-
vant suggérer une volonté d'appropriation de la raison socia-
le de la demanderesse, mais apparaissaient comme des dénomi-
nations fondées sur des raisons objectives, liées à l'exis-
tence de la propre raison de commerce de la banque.

Dans ce contexte, on ne voit pas que le public ait
pu être induit en erreur et assimiler le nom commercial de
la
firme automobile aux marques portant sur des services finan-
ciers offerts par un établissement bancaire du même nom. En
outre, rien n'indique que la défenderesse ait cherché à pro-
fiter de la réputation liée au nom commercial d'une firme au-
tomobile pour offrir des services financiers propres à une

banque privée. Aucun risque de confusion au sens où l'entend
la jurisprudence ne peut donc être retenu, ce qui exclu que
la demanderesse puisse se prévaloir d'une violation de
l'art.
29 CC ou de l'art. 3 let. d LCD. Dans la mesure où l'arrêt
attaqué rejette les prétentions de la banque fondées sur son
nom commercial, il doit être confirmé. Il n'y a dès lors pas
lieu d'entrer en matière sur la motivation de la cour canto-
nale en matière de conflit de lois, critiquée par la deman-
deresse, car elle n'est pas de nature à modifier le résultat
de la décision entreprise (cf. supra consid. 4a in fine).

Le recours en réforme de la demanderesse sera par
conséquent rejeté, dans la mesure où il est recevable.

II. Recours en réforme de la défenderesse

6.- Dans son recours, la défenderesse soutient que
la cour cantonale a violé le droit fédéral en n'admettant
pas
que les marques de service déposées par la demanderesse de-
vaient être exclues de la protection en vertu de l'art. 3
LPM.

a) Cette disposition confère au titulaire d'une
marque antérieure le droit de s'opposer à une marque en prin-
cipe susceptible de constituer une marque valable en invo-
quant des motifs d'exclusion qualifiés de relatifs (cf.
Dessemontet, op. cit., p. 216 no 443). Sont ainsi exclus de
la protection les signes identiques à une marque antérieure
et destinés à des produits ou services identiques (art. 3
al.
1 let. a LPM), les signes identiques à une marque antérieure
et destinés à des produits ou services similaires, lorsqu'il
en résulte un risque de confusion (art. 3 al. 1 let. b LPM)
et les signes similaires à une marque antérieure et destinés
à des produits ou services identiques ou similaires, lors-

qu'il en résulte un risque de confusion (art. 3 al. 1 let. c
LPM).

b) Tout en laissant ouvert le point de savoir si
les marques "Banque Audi" et "Audi-Bank" devaient être quali-
fiées d'identiques, la cour cantonale a en substance exclu
que les marques litigieuses soient destinées à des services
identiques, rejetant ainsi le motif prévu à l'art. 3 al. 1
let. a LPM; elle a également écarté tout risque de confusion
entre celles-ci, ce qui empêchait l'application de l'art. 3
al. 1 let. b et c LPM.

c) La défenderesse critique ce raisonnement en dé-
veloppant une argumentation largement appellatoire,
discutant
et complétant les faits retenus, en particulier s'agissant
des prestations de service offertes par les parties, ce qui,
comme on l'a déjà souligné à propos du recours de la partie
adverse, n'est pas admissible dans un recours en réforme
(art. 55 al. 1 let. c OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a, 189 con-
sid. 2a; 125 III 368 consid. 3 in fine). La Cour de céans
n'entrera donc pas en matière sur les griefs concernant les
constatations qui, d'après la défenderesse, ne tiendraient
pas compte des pièces du dossier et elle se fondera unique-
ment sur les faits ressortant de l'arrêt entrepris.

d) Les critiques qui ne sont de toute manière pas
de nature à modifier le résultat de la décision attaquée ne
seront pas non plus prises en considération (cf. supra con-
sid. 4a in fine). Tel est le cas lorsque la défenderesse re-
proche à la cour cantonale d'avoir conclu que les marques en
cause étaient à tout le moins similaires s'agissant des mar-
ques "Banque Audi" et "Audi-Bank", dès lors que les juges
cantonaux ont raisonné comme si les signes utilisés étaient
identiques.

e) D'après la défenderesse, la cour cantonale au-
rait dû reconnaître que les marques des parties
étaient des-
tinées à des services identiques et faire application de
l'art. 3 al. 1 let. a LPM.

La LPM ne donne pas de définition de ce qu'elle en-
tend par produits ou services identiques (David, op. cit.,
art. 3 LPM no 10). Comme le Tribunal fédéral l'a formulé en
matière d'inscription au registre du commerce, l'identité ne
peut pas être définie de manière générale et abstraite en
raison de la multitude d'éléments qui doivent être pris en
considération, mais elle doit en fin de compte être examinée
au cas par cas (arrêt du Tribunal fédéral du 11 septembre
1998 publié in sic! 1999 p. 42 ss, consid. 4a; cf. Mario M.
Pedrazzini/Roland von Büren/Eugen Marbach, Immaterialgüter-
und Wettbewerbsrecht, Berne 1998, no 518). Lors de cet exa-
men, il ne faut pas perdre de vue que la formule utilisée
par
l'art. 3 al. 1 let. a LPM - "les signes identiques à une mar-
que antérieure et destinés à des produits ou services identi-
ques" - concerne typiquement l'apposition d'une marque proté-
gée par un tiers sur sa propre marchandise ou ses propres
services ainsi que le piratage (ATF 122 III 469 consid. 5e
p. 477).

En l'occurrence, on est loin de ce cas de figure.
En effet, il ressort de l'arrêt entrepris que la défenderes-
se, en tant que banque privée, offre ses propres services
bancaires dans le cadre de la gestion de la fortune de ses
clients. La demanderesse cherche, pour sa part, à pouvoir dé-
velopper en Suisse des services financiers liés à la vente
des véhicules de sa marque, comme elle le pratique déjà aux
Pays-Bas, et offrir un système de carte de crédit, dont il
est apparemment déjà fait usage dans notre pays. Il ressort
de ces constatations, dont on ne voit pas qu'elles puissent
consister en de simples conjectures comme le soutient à tort
la défenderesse, que les services liés aux marques de la de-

manderesse ne sont pas identiques à ceux offerts par la ban-
que. On ne peut donc reprocher à la cour cantonale de ne pas
avoir retenu de motif relatif d'exclusion au sens de l'art.
3
al. 1 let. a LPM.

f) Il reste à examiner l'éventuelle application de
l'art. 3 al. 1 let. b et c LPM, ce qui suppose, dans les
deux
cas, l'existence d'un risque de confusion.

Dans le domaine des marques, le risque de confusion
a les mêmes caractéristiques qu'en matière de LCD et de
droit
au nom, de sorte que l'on peut renvoyer à ce qui a été dit
précédemment à ce sujet (cf. supra consid. 5c; cf. ATF 127
III 160 consid. 2a; 126 III 315 consid. 4b). La
détermination
de ce risque implique que l'on examine l'impression d'ensem-
ble qui se dégage de la marque pour le public intéressé par
le produit ou le service (ATF 122 III 382 consid. 5a; 121
III
377 consid. 2a et b; 117 II 321 consid. 4; 112 II 362
consid.
2 p. 364). Pour en juger, il faut prendre en considération
toutes les circonstances (ATF 122 III 382 consid. 1 in fine;
121 III 377 consid. 2a), en particulier la capacité de per-
ception des destinataires et leur comportement effectif lors-
qu'ils sont mis en situation concrète de se procurer le pro-
duit ou le service sur un certain marché (cf. Katrin Klett,
Die durchschnittlich aufmerksame Verbraucherin und der durch-
schnittlich gut ausgebildete Fachmann, GRUR 2001 p. 549 ss,
p. 551 no 6). On se montrera plus strict lorsque les marchan-
dises ou les services sont quasiment semblables, voire iden-
tiques ou lorsqu'il s'agit de biens de consommation courante
(arrêt du Tribunal fédéral du 18 janvier 2000 publié in sic!
2000 p. 194 ss, consid. 4b; ATF 126 III 315 consid. 6b/bb p.
320 et les arrêts cités; cf. Eugen Marbach, Gleichartigkeit
-
ein markenrechtlicher Schlüsselbegriff ohne Konturen ?, RDS
2001 p. 255 ss, 258).

En l'espèce, on est en présence de marques ressem-
blantes, voire identiques, mais qui portent sur des services
bancaires ou financiers pour lesquels on peut légitimement
s'attendre à un degré d'attention et de discernement accru
de
la part de la personne qui entend y souscrire. Il n'y a donc
pas lieu de se montrer particulièrement sévère, ce d'autant
que, selon l'arrêt attaqué, les marques de service
concernées
ne s'adressent pas aux mêmes cercles de consommateurs : la
firme automobile vise le grand public, alors que la banque,
définie comme un établissement privé agissant dans le
domaine
de la gestion de fortune, s'adresse à un cercle relativement
restreint et fermé. Il a également été constaté que, pour la
clientèle visée par la banque, il est notoire que celle-ci
n'a aucun lien avec le constructeur automobile, personne
n'ignorant, dans le milieu bancaire, que la défenderesse est
associée à une famille libanaise très connue portant le même
nom. Enfin, comme le souligne avec pertinence la cour canto-
nale, on envisage mal qu'une personne désireuse de confier
la
gestion de sa fortune à une banque privée puisse être
trompée
sur l'identité de celle-ci, ainsi que sur la provenance et
la
nature des services fournis, au point de les confondre avec
des services financiers liés à la vente de véhicules automo-
biles.

Dans ces circonstances, on ne peut reprocher à la
cour cantonale d'avoir nié l'existence d'un risque de confu-
sion, de sorte que la défenderesse ne peut se prévaloir des
motifs d'exclusion prévus aux let. b et c de l'art. 3 al. 1
LPM.

Il convient encore de préciser que, dans le cadre
de la présente procédure, le Tribunal fédéral n'a pas à se
demander si les activités financières faisant l'objet des
marques de service "Audi" et "Audi-Bank" de la demanderesse
sont conformes à la législation sur les banques. A fortiori,
il n'a pas à supputer les conditions qui pourraient être

fixées à la demanderesse pour obtenir l'autorisation de la
Commission fédérale des banques ni à en tirer des
conséquences en matière de droit des marques.

La Cour de céans, qui applique le droit suisse, n'a
pas davantage à tenir compte de décisions judiciaires fran-
çaises et luxembourgeoises selon lesquelles la défenderesse
a
apparemment obtenu le prononcé de la nullité de certaines
marques de service déposées par la demanderesse dans ces
pays.

Le recours formé par la défenderesse doit par con-
séquent également être rejeté et l'arrêt attaqué confirmé.

7.- Compte tenu de l'issue du litige, un émolument
judiciaire sera mis à la charge de chacune des deux parties
(art. 156 al. 1 OJ) et celles-ci supporteront leurs propres
dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours de la demanderesse dans la
mesure où il est recevable; rejette le recours de la défende-
resse; confirme l'arrêt attaqué.

2. Met un émolument judiciaire de 10'000 fr. à la
charge de la demanderesse.

3. Met un émolument judiciaire de 10'000 fr. à la
charge de la défenderesse.

4. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

5. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice genevoise.

__________

Lausanne, le 6 novembre 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.199/2001
Date de la décision : 06/11/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-11-06;4c.199.2001 ?
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