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06/11/2001 | SUISSE | N°2P.103/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 novembre 2001, 2P.103/2001


«/2»
2P.103/2001

IIe C O U R D E D R O I T P U B L I C
*******************************************

6 novembre 2001

Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges Wurzburger,
président, Hungerbühler, Müller, Yersin et Merkli.
Greffier: M. Addy.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ , représentée par Me Dominique Sierro, avocat à
Sion,

contre

la décision prise le 14 mars 2001 par le Conseil d'Etat du
canton du Valais, dans la cau

se qui oppose la recourante au
Service cantonal des allocations familiales du canton du
V a l a i s;

(applicabilité d...

«/2»
2P.103/2001

IIe C O U R D E D R O I T P U B L I C
*******************************************

6 novembre 2001

Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges Wurzburger,
président, Hungerbühler, Müller, Yersin et Merkli.
Greffier: M. Addy.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ , représentée par Me Dominique Sierro, avocat à
Sion,

contre

la décision prise le 14 mars 2001 par le Conseil d'Etat du
canton du Valais, dans la cause qui oppose la recourante au
Service cantonal des allocations familiales du canton du
V a l a i s;

(applicabilité de l'art. 6 par. 1 CEDH; changement de caisse
d'allocations familiales)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- X.________ , domiciliée à Y.________, a pour but la
création et l'exploitation de parcs de loisirs. A sa créa-
tion, le 1er septembre 1996, elle a été affiliée auprès de
la Caisse interprofessionnelle valaisanne d'allocations fa-
miliales (ci-après : la CIVAF).

Par lettre du 29 août 2000, X.________ a manifesté à la
CIVAF l'intention de résilier son affiliation pour le 31 dé-
cembre suivant et de s'affilier, dès le 1er janvier 2001,
auprès de la Caisse Hotela, à Montreux. Le 30 août 2000, la
CIVAF a informé l'intéressée qu'elle ne pouvait pas accepter
sa démission, notamment parce que la Caisse Hotela n'était
pas ouverte aux sociétés actives dans l'exploitation de
parcs de loisirs. Après que X.________ eut requis, le 18 oc-
tobre 2000, une décision formelle de la part de la CIVAF,
celle-ci a transmis la requête au Service cantonal des allo-
cations familiales (ci-après : le Service cantonal), comme
objet de sa compétence.

Par décision du 8 novembre 2000, le Service cantonal a
déclaré maintenir l'affiliation de X.________ à la CIVAF, au
motif que cette dernière était la seule caisse valaisanne
reconnue et appropriée, au sens de la loi valaisanne du 20
mai 1949 sur les allocations familiales aux salariés et sur
le fonds cantonal pour la famille (ci-après : la loi canto-
nale ou LAFS), pour affilier les employeurs du domaine des
parcs de loisirs. En effet, la reconnaissance accordée par
le Conseil d'Etat à la Caisse Hotela en octobre 1951 était
limitée, selon le Service cantonal, aux seuls membres de la
Société suisse des hôteliers (ci-après : la SSH) exploitant
une entreprise hôtelière ou un établissement similaire.

B.- X.________ a recouru auprès du Conseil d'Etat du
canton du Valais (ci-après : le Conseil d'Etat) contre la
décision rendue le 8 novembre 2000 par le Service cantonal.
Outre des griefs d'ordre matériel (absence de base légale,
arbitraire,...), X.________ invoquait le fait que la déci-
sion du Service cantonal ne pouvait pas être contestée de-
vant un tribunal indépendant et impartial, mais seulement
devant le Conseil d'Etat, ce qui, à ses yeux, était contrai-
re aux art. 30 Cst. et 6 par. 1 CEDH.

Par décision du 14 mars 2001, le Conseil d'Etat a reje-
té le recours, en estimant notamment que, "même s'il fallait
admettre une possible violation de la CEDH", il ne lui ap-
partenait pas de remettre en question la validité d'une loi
cantonale.

C.- Agissant par la voie du recours de droit public,
X.________ demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais
et dépens, d'annuler la décision du Conseil d'Etat du 14
mars 2001 et de dire que sa demande d'affiliation à la
Caisse Hotela est admise. X.________ invoque la violation du
principe de la légalité ainsi qu'une atteinte aux libertés
associative, syndicale et économique. Elle se plaint égale-
ment du fait qu'elle n'a pas pu avoir accès à un tribunal
indépendant et impartial au sens des art. 30 Cst. et 6 CEDH.

Le Conseil d'Etat conclut au rejet du recours dans la
mesure où il est recevable. Le Service cantonal déclare se
rallier à la prise de position de cette autorité.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et librement
la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 127 I
92 consid. 1 p. 93).

a) En règle générale, le recours de droit public est de
nature purement cassatoire (cf. ATF 126 II 377 consid. 8c
p. 395). Lorsqu'est constatée une violation de l'art. 6 par.
1 CEDH (droit à un juge indépendant et impartial), le Tribu-
nal fédéral peut toutefois, exceptionnellement, être amené à
prononcer des mesures conservatoires et/ou, le cas échéant,
inviter dans le dispositif de son arrêt le canton dont émane
la décision attaquée à mettre à la disposition du justicia-
ble une autorité judiciaire répondant aux exigences de
l'art. 6 par. 1 CEDH (cf. ATF 123 I 87 consid. 5 p. 96; ATF
120 Ia 88 consid. 7 p. 98). En l'occurrence, la simple annu-
lation de la décision attaquée apparaît cependant, en cas
d'admission du recours, une mesure suffisante pour rétablir
une situation conforme au droit (cf. infra consid. 5c). Dans
la mesure où le recourant demande autre chose qu'une telle
annulation, soit l'admission de sa demande d'affiliation à
la Caisse Hotela, ses conclusions sont dès lors irreceva-
bles.

Pour le surplus, formé contre une décision finale prise
sur la base du droit cantonal en dernière instance cantona-
le, le présent recours est, en principe, recevable (cf. art.
84 ss OJ).

b) Toutefois, se référant à un arrêt non publié du 15
février 2001 (2P.254/2000), par lequel le Tribunal fédéral
avait déclaré irrecevable un recours de droit public formé
par la Caisse Hotela contre une décision du Conseil d'Etat,
l'autorité intimée laisse implicitement entendre que l'écri-
ture du recourant devrait suivre le même sort. Dans l'arrêt
précité, le fond du litige concernait le refus, opposé à la
Caisse Hotela, d'étendre à de nouvelles catégories d'em-
ployeurs la reconnaissance qu'elle avait d'exercer en Valais
en qualité de caisse de compensation d'allocations familia-
les. L'irrecevabilité du recours de droit public tenait donc
au fait que la Caisse Hotela, bien qu'elle n'eût pas le sta-

tut de corporation de droit public, n'en était pas moins
chargée d'une mission de service public et investie de pré-
rogatives de puissance publique, ce qui la plaçait dans une
situation analogue à une corporation de droit public. Aussi
n'avait-elle pas qualité pour recourir, conformément à la
jurisprudence (cf. ATF 125 I 173 consid. 1b p. 175).

La présente affaire se présente en des termes diffé-
rents. Certes, la question de l'étendue de la reconnaissance
susmentionnée accordée en 1951 à la Caisse Hotela se pose-
t-elle, afin de déterminer si la recourante peut exiger,
comme elle le souhaite, d'être affiliée à la caisse précitée
en vertu de l'art. 5 LAFS (cette disposition garantit en ef-
fet aux employeurs "le libre passage d'une caisse à une au-
tre (...) sous réserve des art. 14 à 16" soit, notamment, à
la condition que la nouvelle caisse soit reconnue par le
Conseil d'Etat). La recourante n'a toutefois pas la qualité
d'une collectivité publique au sens de l'art. 88 OJ, étant
une simple personne morale de droit privé directement tou-
chée par la décision attaquée. Elle peut donc assurément
former un recours de droit public pour violation de ses
droits constitutionnels.

2.- Parmi les moyens soulevés, la recourante invoque la
violation des art. 30 Cst. et 6 par. 1 CEDH garantissant à
toute personne l'accès à un tribunal indépendant et impar-
tial. D'ordre formel, ce grief doit être traité en premier
lieu, car son admission entraînerait - indépendamment des
chances de succès sur le fond - l'annulation pure et simple
de la décision attaquée, et rendrait donc superflu l'examen
des autres moyens soulevés par la recourante (cf. ATF 124 V
90 consid. 2 p. 92).

Par ailleurs, l'art. 30 Cst. n'offre pas, de manière
générale, la garantie d'une procédure judiciaire. Il ne per-
met de revendiquer l'accès à un tribunal indépendant et im-

partial que lorsque cela est prévu par le droit internatio-
nal public, notamment l'art. 6 par. 1 CEDH (cf. ATF 126 II
377 consid. 8d/bb p. 396; voir aussi le message du Conseil
fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitu-
tion fédérale, in FF 1997 I 1, p. 184/185). C'est donc à la
seule lumière de cette disposition conventionnelle que doit
être examiné le grief du recourant.

a) Aux termes de l'art. 6 par. 1 CEDH, toute personne a
notamment droit à ce que sa cause soit entendue par un tri-
bunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui déci-
dera en particulier des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil.

Le Tribunal fédéral interprète la notion conventionnel-
le de "contestations sur des droits et obligations de carac-
tère civil" aussi largement que le font les organes insti-
tués par la Convention européenne des droits de l'homme. La
contestation, qui doit être réelle et sérieuse, peut porter
aussi bien sur l'existence d'un droit que sur son étendue ou
les modalités de son exercice; l'issue de la procédure doit
être directement déterminante pour l'exercice d'un tel
droit. Le "caractère civil" est une notion autonome de la
Convention européenne des droits de l'homme; sont décisifs
le contenu matériel du droit en cause et les effets que lui
confère la législation interne de l'Etat en question. Ainsi,
l'art. 6 par. 1 CEDH ne concerne pas seulement les contesta-
tions de droit privé au sens étroit - c'est-à-dire celles
qui surgissent entre des particuliers, ou entre un particu-
lier et l'Etat agissant au même titre qu'une personne pri-
vée - mais aussi les actes administratifs adoptés par une
autorité dans l'exercice de la puissance publique, pour au-
tant qu'ils produisent un effet déterminant sur des droits
de caractère privé. L'art. 6 par. 1 CEDH ne vise pas à créer
de nouveaux droits matériels qui n'ont pas de fondement lé-
gal dans l'Etat concerné, mais à accorder une protection

procédurale aux droits reconnus en droit interne. L'art. 6
par. 1 CEDH régit uniquement les contestations relatives à
des droits (de caractère civil) que l'on peut dire, au moins
de manière défendable, reconnus en droit interne; par lui-
même, il n'assure aux "droits et obligations" (de caractère
civil) aucun contenu matériel déterminé dans l'ordre juridi-
que des Etats contractants (ATF 125 I 209 consid. 7a
p. 215 s. et les références citées).

b) La loi cantonale établit, à son art. premier, le
droit des salariés aux allocations familiales et l'obliga-
tion, pour les employeurs, de payer des contributions à une
caisse de compensation pour allocations familiales. A son
art. 3, la loi cantonale énonce que tous les employeurs
ayant un établissement, siège ou domicile dans le canton, ou
y exerçant une activité pour laquelle ils occupent des sala-
riés, sont tenus d'adhérer à une caisse reconnue. Les cais-
ses privées - par opposition à la Caisse cantonale de com-
pensation prévue aux art. 21 ss LAFS, qui n'a jamais vu le
jour - doivent être reconnues par le Conseil d'Etat, ce qui
ne sera le cas que si elles remplissent les conditions des
art. 14 LAFS (conditions générales) et 15 LAFS (conditions
particulières). Aux termes de son alinéa 3, cette dernière
disposition prévoit qu'en règle générale, une seule caisse
professionnelle ou interprofessionnelle pourra être reconnue
pour la même profession, le même métier ou la même branche
économique. Enfin, l'art. 5 LAFS dispose, ainsi qu'on l'a
vu, que "le libre passage d'une caisse à une autre est ga-
ranti aux employeurs sous réserve des art. 14 à 16 (...)".

En principe, la loi cantonale emporte donc l'obliga-
tion, pour les employeurs, de s'affilier à une caisse d'al-
locations familiales reconnue et de payer des contributions,
en même temps qu'elle leur garantit, sous certaines condi-
tions, le droit de passer librement d'une caisse à une au-
tre. Comme le confirme le titre de la lettre B formée des

art. 3 à 5 LAFS, "Obligations et droits des employeurs", la
garantie de libre passage consacrée à l'art. 5 LAFS se pré-
sente sous la forme d'un véritable droit subjectif, et non
d'une simple expectative laissée à la discrétion de l'admi-
nistration.

c) Dans le cas d'espèce, la recourante s'est vu dénier
le droit de changer de caisse parce que la CIVAF, dont elle
est membre depuis le 1er septembre 1996, serait la seule
caisse appropriée et reconnue en Valais pour les employeurs
actifs dans son domaine d'activité (exploitation de parcs de
loisirs); en effet, la reconnaissance accordée à la Caisse
Hotela par le Conseil d'Etat en octobre 1951 ne s'étendrait
pas, selon l'autorité intimée, aux employeurs du domaine
d'activité considéré, mais serait limitée aux seuls membres
de la SSH exploitant une entreprise hôtelière ou un établis-
sement similaire.

La contestation porte donc sur les modalités d'exercice
du droit de libre passage prévu à l'art. 5 LAFS. Réelle et
sérieuse (cf. arrêt rendu le 6 avril 2000 par la Cour euro-
péenne des droits de l'homme dans la cause Athanassoglou et
autres c/Suisse in JAAC 2000 no 136 p. 1326 ss, 1332-1335,
par. 48-55), cette contestation doit ainsi se voir attacher
les garanties procédurales de l'art. 6 par. 1 CEDH, pour peu
qu'on puisse admettre que le droit mis en cause présente
bien un "caractère civil" au sens de la disposition conven-
tionnelle précitée. C'est par conséquent la nature de ce
droit qu'il convient de déterminer, à l'aune des critères
dégagés par la jurisprudence.

3.- a) Depuis plusieurs années déjà, la Cour européenne
des droits de l'homme n'accorde plus un poids déterminant,
pour trancher l'applicabilité de l'art. 6 par. 1 CEDH au
contentieux de l'assurance sociale, aux aspects de droit pu-
blic qui caractérisent les législations nationales se rap-

portant à
ce domaine juridique (tels le caractère obligatoi-
re de l'assurance ou la prise en charge de la protection so-
ciale par la puissance publique). La jurisprudence la plus
récente tend bien plutôt à considérer que le domaine de
l'assurance sociale ressortit, de manière générale, à la
compétence de la Cour européenne des droits de l'homme, en
particulier lorsqu'est en jeu le droit à des prestations
d'assurance; la Cour européenne des droits de l'homme estime
en effet que, dans ce genre de contestations, les personnes
concernées invoquent un droit subjectif de nature patrimo-
niale et, surtout, se trouvent "atteintes dans leurs moyens
d'existence" (cf. arrêts de la Cour européenne des droits de
l'homme Le Calvez c/ France du 29 juillet 1998, Recueil des
arrêts et décisions, 1998-V, p. 1885 ss., 1900 s., par. 58;
Paskhalidis et autres c/ Grèce du 19 mars 1997, Recueil des
arrêts et décisions 1997-II, p. 473 ss, 485, par. 30;
Schuler-Zgraggen c/ Suisse du 24 juin 1993, série A, vol.
263, p. 17, par. 46). Ces considérations sont transposables
mutatis mutandis aux contestations entourant les prestations
en matière d'aide sociale (cf. arrêt de la Cour européenne
des droits de l'homme Salesi c/ Italie du 26 février 1993,
série A, vol. 257 E, p. 54 ss, 59 s., par. 17-19).

Mais la jurisprudence a également étendu l'application
de l'art. 6 par. 1 CEDH aux contestations qui concernent les
cotisations aux assurances sociales (cf. arrêt de la Cour
européenne des droits de l'homme Schouten et Meldrum c/
Pays-Bas du 9 décembre 1994, série A, vol. 304, p. 20 ss,
par. 49-60; voir aussi ATF 121 V 109); dans ce genre de li-
tige, il semble que, mis à part le fait que le droit contes-
té soit personnel et de nature patrimoniale, ce soit plus
encore la parenté existant entre le système des assurances
sociales et celui des assurances privées qui ait milité en
faveur de l'application de l'art. 6 par. 1 CEDH (cf. Paul
Tavernier, Chronique de jurisprudence de la Cour européenne

des droits de l'homme [année 1994] in Journal du droit in-
ternational, 1995, p. 743 ss, 800 s.).

Il résulte de cette évolution jurisprudentielle que,
dans le contentieux de l'assurance sociale, la Cour euro-
péenne des droits de l'homme accorde désormais souvent la
prédominance aux aspects de droit privé, qui tiennent en
particulier à la nature subjective et patrimoniale des
droits invoqués (cf. Herbert Miehsler/Theo Vogler, Interna-
tionaler Kommentar zur Europäischen Menschenrechtskonven-
tion, 4ème éd., Cologne 2000, n. 174 ss ad art. 6; Frédéric
Sudre, La protection des droits sociaux par la Convention
européenne des droits de l'homme in Les nouveaux droits de
l'homme en Europe, Bruxelles 1999, p. 103 ss, 112 s.; Mark
E. Villiger, Probleme der Anwendung von Art. 6 Abs. 1 EMRK
auf Verwaltungs- und sozialgerichtliche Verfahren, PJA 2/95
p. 163 ss; Jean-Maurice Frésard, L'applicabilité de l'art. 6
par. 1 CEDH au contentieux de l'assurance sociale et ses
conséquences sous l'angle du principe de la publicité des
débats, RSA 1994, p. 191 ss, 192 s.; Ruth Herzog, Art. 6
EMRK und kantonale Verwaltungsrechtspflege, thèse Berne
1995, p. 222 ss).

b) En l'occurrence, le régime valaisan des allocations
familiales revêt certainement des aspects de droit public,
en particulier en ce qu'il contraint les employeurs qui y
sont assujettis, en vertu de l'art. 3 LAFS, à adhérer à une
caisse reconnue, c'est-à-dire agréée par l'Etat (cf. supra
consid. 3b). La doctrine range d'ailleurs volontiers les ré-
gimes cantonaux d'allocations familiales dans les assurances
sociales (Andrea Koller, Die kantonalen Familienzulagen-
gesetze, thèse Zurich 1984, p. 12 s.). Par eux-mêmes, ces é-
léments ne sont toutefois pas décisifs, ainsi qu'on l'a vu,
dans l'examen de l'applicabilité de l'art. 6 par. 1 CEDH.

Comme tel, le droit de libre passage garanti par l'art.
5 LAFS ne porte, directement, ni sur des prestations, ni sur
des cotisations d'assurances-sociales. Il n'est toutefois
pas sans conséquence sur celles-ci dans la mesure où, tant
la fixation que la perception des contributions sont lais-
sées au soin des caisses privées (cf. art. 19 al. 1 LAFS),
lesquelles ont également la liberté de majorer le montant
minimum des allocations fixé dans la loi cantonale ou de
verser, en sus des allocations légalement prévues, d'autres
prestations familiales (cf. art. 8bis LAFS). De l'issue du
litige dépend donc, dans une certaine mesure, le montant des
cotisations à charge de la recourante, puisque celui-ci peut
varier d'une caisse d'allocations familiales à une autre. Le
droit de libre passage litigieux revêt ainsi, pour la recou-
rante, un caractère patrimonial certain (cf. arrêt de la
Cour européenne des droits de l'homme précité Paskhalidis et
autres c/ Grèce du 19 mars 1997 où, dans une affaire qui
portait sur le droit d'adhérer à un régime de sécurité
sociale et, plus particulièrement, sur le respect du délai
d'une année dans lequel les personnes concernées devaient
présenter leur demande d'adhésion sous peine d'être forclo-
ses, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré
que l'issue des procédures en cause, dont dépendait le droit
aux pensions litigieuses, était "directement déterminante
pour des droits et obligations de caractère civil" [par.
28-30, p. 484 s.]).

Par ailleurs, comme cela vaut dans la plupart des can-
tons (cf. Office fédéral des assurances sociales, Aperçu des
régimes cantonaux d'allocations familiales, Berne 1999,
p. 15 - 17), le régime valaisan des allocations familiales
est géré par des caisses privées, professionnelles ou inter-
professionnelles, et entièrement financé par des fonds pri-
vés, conformément aux art. 19 et 20 LAFS (sur l'organisation
des caisses cantonales d'allocations familiales et leur fi-
nancement, voir Koller op. cit. p. 104 ss et 111 ss). Les

aspects de droit public sont donc, dans le régime valaisan
des allocations familiales, plus ténus que dans d'autres
domaines de l'assurance sociale, sans compter qu'il existe,
ordinairement, d'évidentes analogies entre les assurances
sociales en général et ce qui se pratique dans les assuran-
ces privées, notamment en matière de techniques de couver-
ture des risques et de modes de gestion (cf. arrêt de la
Cour européenne des droits de l'homme précité Schouten et
Meldrum, p. 23 s., par. 59). En outre, bien que fondés sur
le droit public, les régimes cantonaux d'allocations fami-
liales - dont celui du Valais - n'en sont pas moins dans une
étroite relation avec le droit du travail (cf. Koller op.
cit. p. 13), ce qui plaide plutôt en faveur de l'applicabi-
lité de l'art. 6 par. 1 CEDH (cf. arrêt de la Cour europé-
enne des droits de l'homme Schouten et Meldrum, p. 23, par.
58). Enfin, il sied de souligner qu'au coeur de la présente
contestation se trouve le droit, déduit de l'art. 5 LAFS,
qui garantit aux employeurs "le libre passage d'une caisse à
une autre"; or, ce droit n'est finalement rien d'autre qu'un
droit subjectif qui, par sa nature et ses effets, est assi-
milable à une forme particulière de résiliation des rapports
d'assurance; l'exercice d'un tel droit suit donc des règles
comparables à celles appliquées dans le domaine des assuran-
ces privées (cf. dans le domaine de l'assurance-maladie
obligatoire : ATF 126 V 480 consid. 2a - d, p. 481/482).

c) Au vu de ces circonstances, force est dès lors d'ad-
mettre que, s'agissant du droit de la recourante de changer
de caisse d'allocations familiales, les aspects de droit
privé l'emportent sur ceux de droit public, de sorte que
l'art. 6 par. 1 CEDH trouve application (cf. dans un contex-
te voisin, à savoir le statut de cotisant, l'avis de Ruth
Herzog, op. cit. p. 227).

4.- a) De façon générale, un gouvernement cantonal
n'offre pas les apparences d'indépendance et d'impartialité

requises par l'art. 6 par. 1 CEDH, ainsi que le Tribunal fé-
déral a déjà eu l'occasion de le dire dans une affaire va-
laisanne impliquant le Conseil d'Etat (cf. ATF 119 Ia 321
consid. 6a/cc p. 330 s.). Une telle autorité statue en effet
ordinairement sur des recours dirigés contre des décisions
émanant soit d'autorités qui lui sont subordonnées, soit de
l'un de ses membres. Le chef du département dont la décision
est attaquée devant le gouvernement cantonal est ainsi juge
et partie dans sa propre cause aux yeux de l'administré. Ce
dernier peut aussi éprouver des doutes légitimes quant à
l'impartialité d'un contrôle par une autorité dont l'admi-
nistration reçoit directement ses instructions (ATF 115 Ia
183 consid. 4b p. 187; Regina Kiener, Richterliche Unabhän-
gigkeit, Berne 2001, p. 128 ss, 131).

Le Conseil d'Etat ne revêtait ainsi pas, en l'occurren-
ce, la qualité d'un juge indépendant et impartial pour con-
naître, de manière définitive, du recours dirigé contre une
décision du Service cantonal, rattaché au Département de la
santé, des affaires sociales et de l'énergie, soit d'un ser-
vice de sa propre administration.

Le moyen est donc fondé.

b) Le Conseil d'Etat a admis sa compétence sur la base
de l'art. 21 du règlement d'exécution du 8 novembre 1949 de
la loi valaisanne sur les allocations familiales aux sala-
riés et sur le fonds cantonal pour la famille (ci-après: le
règlement d'exécution ou RAFS). A rigueur de sa lettre, cet-
te disposition concerne toutefois les litiges "en matière de
concours et de reconnaissance de caisses". Vu l'objet de la
présente contestation et les parties en cause (cf. supra
consid. 1c), on peut légitimement se demander si le Conseil
d'Etat s'est à bon droit déclaré compétent en vertu de
l'art. 21 RAFS. Au reste, dans un précédent litige portant
sur le droit de libre passage, cette autorité a naguère con-

sidéré, dans une décision publiée (RVJ 1998 p. 6 ss), qu'el-
le tirait sa compétence de l'art. 29 al. 4 RAFS, disposition
qui la désigne comme autorité de recours dans les procédures
en matière d'affiliation d'office. Le Conseil d'Etat avait
alors estimé que les décisions concernant le libre passage
devaient suivre les mêmes voies de droit que celles relati-
ves aux procédures d'affiliation d'office, car "le libre
passage implique précisément une démission et une affilia-
tion à une nouvelle caisse" (RVJ 1998 p. 8 consid. 3b). Bien
qu'elle n'apparaisse pas d'emblée insoutenable, cette inter-
prétation n'en est pas moins discutable, eu égard notamment
au caractère apparemment exhaustif des "procédures spécia-
les" qui sont, en vertu de l'art. 26 al. 1 LAFS, soustraites
à la compétence ordinaire du Tribunal cantonal des assuran-
ces.

c) Toujours est-il qu'à défaut de dispositions expres-
ses - ou, comme en l'espèce, de dispositions claires - du
droit cantonal, il n'appartient pas au Tribunal fédéral de
désigner lui-même l'autorité cantonale compétente à même
d'offrir les garanties requises par l'art. 6 par. 1 CEDH, ni
de déterminer la voie de droit adéquate et de fixer les rè-
gles de procédures applicables (cf. arrêt du Tribunal fédé-
ral du 18 juin 2001, destiné à la publication, dans la cause
W. c/Chef de la police de sûreté du canton de Genève
[1P.145/2001]). Cette tâche incombe bien plutôt aux autori-
tés cantonales, au premier rang desquelles se trouve, en
l'occurrence, le Conseil d'Etat, auteur de la décision atta-
quée. A titre d'exemple, cette autorité pourrait ainsi, sim-
plement en interprétant différemment la loi cantonale et son
règlement d'exécution - voire, si nécessaire, en procédant à
une interprétation "contra legem" (cf. arrêt précité du 18
juin 2001, consid. 8a) -, décliner sa compétence au profit
du Tribunal cantonal des assurances. Ce n'est toutefois là
qu'une solution parmi d'autres qui est laissée à la libre
appréciation des autorités cantonales.

5.- Il suit de ce qui précède que le recours de droit
public doit être admis et la décision attaquée annulée, à
charge pour les autorités cantonales de rendre une nouvelle
décision qui soit conforme aux exigences de l'art. 6 par. 1
CEDH. Dans cette mesure, l'examen des autres moyens soulevés
par la recourante s'avère inutile (cf. supra consid. 2).

Bien que succombant, le canton du Valais n'a pas à sup-
porter de frais judiciaires, car ses intérêts pécuniaires ne
sont pas en cause (cf. art. 156 al. 2 OJ). La recourante a
droit à des dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours dans la mesure où il est recevable
et annule la décision prise le 14 mars 2001 par le Conseil
d'Etat du canton du Valais.

2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émoluments judiciaires.

3. Dit que le canton du Valais versera une indemnité de
2'000 fr. à la recourante à titre de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie au mandataire
de la recourante, au Service cantonal des allocations fami-
liales et au Conseil d'Etat du canton du Valais.

__________

Lausanne, le 6 novembre 2001
ADD/vlc

Au nom de la IIe Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2P.103/2001
Date de la décision : 06/11/2001
2e cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-11-06;2p.103.2001 ?
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