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05/11/2001 | SUISSE | N°4C.186/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 05 novembre 2001, 4C.186/2001


«/2»

4C.186/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

5 novembre 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges.
Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Dame S.________, demanderesse et recourante, représentée par
Me Jean-Pierre Garbade, avocat à Genève,

et

X.________, défenderesse et intimée, représentée par Me
Douglas Hornung, avocat à G

enève;

(actes illicites; faute concomitante)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A....

«/2»

4C.186/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

5 novembre 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges.
Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

Dame S.________, demanderesse et recourante, représentée par
Me Jean-Pierre Garbade, avocat à Genève,

et

X.________, défenderesse et intimée, représentée par Me
Douglas Hornung, avocat à Genève;

(actes illicites; faute concomitante)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Dame S.________, ressortissante des Etats-
Unis d'Amérique née le 1er janvier 1946, souffre d'une qua-
driplégie fonctionnelle partielle résultant d'un accident de
la route dont elle a été victime en 1975, ce qui la
contraint
à se déplacer la plupart du temps en chaise roulante. Elle
représente plusieurs associations d'handicapés (O.N.G.), mi-
lite en faveur des handicapés et participe aux sessions de
la
Sous-commission des Nations-Unies pour la prévention de la
discrimination et pour la protection des minorités
(ci-après:
la Sous-commission).

Au printemps et en été 1991, des sessions de la
Sous-commission se sont tenues dans le bâtiment E du Palais
des Nations, à Genève; des parkings et un trottoir sont amé-
nagés devant les portes d'entrée nos 39, 40 et 41 de l'immeu-
ble. Dame S.________ est venue des Etats-Unis pour assister
à
certaines des séances de la Sous-commission. Une thrombophlé-
bite aiguë du membre inférieur gauche la contraignait à
cette
époque à utiliser une chaise roulante.

En été 1991, la société X.________ S.A. (ci-
après: X.________) avait entrepris de refaire le bitume du
trottoir donnant sur la porte no 41. Devant cette entrée se
trouvait une rampe d'accès de 2 mètres de large marquée au
sol d'un signe "Handicapés" (art. 65 al. 5 OSR, ch. 5.14 an-
nexe 2 OSR), destinée à faciliter le passage des personnes
atteintes d'un handicap entre le trottoir susmentionné et la
voie publique.

Dans le cadre des travaux de construction en ques-
tion, X.________ avait creusé, sur toute la longueur du trot-
toir, perpendiculairement à la rampe d'accès sur laquelle

elle empiétait, une tranchée d'une profondeur de 10 cm et
d'une largeur d'un mètre environ. Pour permettre le franchis-
sement de la tranchée, X.________ a placé au-dessus de celle-
ci deux planches en bois reposant d'une part sur la rampe,
d'autre part sur le trottoir; ces dernières, d'une épaisseur
de 27 mm et d'une largeur d'un mètre au total, n'étaient pas
fixées entre elles. Un caniveau de drainage, d'une
profondeur
de 10 cm et d'une largeur qui n'atteignait pas 20 cm,
partait
de la tranchée et longeait la rampe d'accès sur son côté gau-
che en regardant la chaussée depuis le trottoir. Un renfonce-
ment se trouvait au bout de la rampe, le long de la
chaussée;
sa longueur, à partir du bord droit du caniveau selon
l'angle
de vue décrit ci-dessus, n'excédait guère 45 cm, sa largeur
était d'environ 10 cm et sa profondeur était également de
l'ordre de 10 cm.

En regardant la chaussée, la distance séparant le
bord gauche des planches, reposant sur la rampe d'accès, du
canal d'écoulement latéral était inférieure à 40 cm.

Comme l'espace entre l'extrémité des planches posée
sur cette rampe et le renfoncement, à gauche en descendant,
était d'environ un mètre et qu'une longueur de l'ordre de
135 cm, au débouché de la rampe sur la chaussée, était
restée
libre d'anfractuosités, une zone d'un mètre de diamètre sur
la rampe d'accès ne présentait pas de cavités.

Toutes les anfractuosités entourant le passage li-
tigieux, soit la tranchée longeant le trottoir perpendiculai-
rement à la rampe d'accès, le canal d'écoulement bordant la
rampe et le petit renfoncement à la jonction de la rampe et
de la chaussée, résultaient des travaux effectués par
X.________.

A la suite d'un accident survenu sur ce chantier,
dame S.________, qui avait emprunté ce passage les 6 mai et

15 août 1991, sans rencontrer de problème, avait attiré l'at-
tention du Service de la sécurité du Palais des Nations sur
son caractère dangereux et sur la difficulté qu'il y avait
pour les handicapés de l'utiliser.

La disposition des lieux était telle que l'ensemble
des excavations opérées par X.________ étaient clairement vi-
sibles avant d'emprunter le passage pour handicapés en cause.

b) Le 27 août 1991, dame S.________ a quitté le Pa-
lais des Nations par la porte no 41, qui était la plus
proche
de la salle où s'était tenue la réunion à laquelle elle
avait
pris part; elle était accompagnée de sa mère, née en 1921
(art. 64 al. 2 OJ), qui portait à la main un sac et deux bé-
quilles, du délégué du Mexique et de ressortissants
japonais.
Ayant indiqué à sa mère que le passage aménagé pour
atteindre
la chaussée était dangereux, l'intéressée, sans requérir une
aide extérieure, a retourné son fauteuil, dont la largeur
était de 57 cm, et s'est engagée lentement, en marche arriè-
re, sur les planches en bois posées sur la tranchée. Après
avoir franchi lesdites planches, dame S.________ est
parvenue
sur la rampe d'accès. Elle a ensuite entrepris une manoeuvre
de retournement de son fauteuil, au cours de laquelle une
roue arrière de l'engin s'est prise dans le renfoncement si-
tué entre la rampe et la chaussée. La chaise roulante a
alors
basculé en arrière, entraînant la chute de dame S.________,
dont la tête a heurté le sol.

c) Par demande déposée le 7 février 1994, dame
S.________ a ouvert action contre X.________ devant le Tribu-
nal de première instance de Genève, concluant au paiement de
90 000 fr. en capital.

La défenderesse s'est opposée à la demande.

De nombreuses enquêtes ont été ordonnées, la pro-
cédure donnant lieu à plusieurs incidents.

Le 20 mai 1996, la demanderesse a déposé des con-
clusions sur faits nouveaux, en raison de l'évolution de sa
santé depuis l'accident, et a conclu au versement de
19 862 fr. 40 plus intérêts à 5% dès le 10 juin 1993 ainsi
que de 300 000 US $, avec intérêts à 5% dès le 10 juin 1993
sur 32 460 US $ et dès le 21 mars 1996 sur 267 540 US $.

Lors d'une audience tenue le 2 décembre 1996, il a
été discuté de la suggestion du Tribunal de première
instance
de prononcer un jugement sur partie limité à la question de
la responsabilité, le dommage ne devant être abordé que dans
le cas de l'admission de celle-ci; les conseils des parties
ont déclaré s'en rapporter à justice quant à une décision
partielle.

Par jugement du 14 mai 1998, le Tribunal de premiè-
re instance a tout d'abord admis qu'il se justifiait de limi-
ter, dans un premier temps, l'instruction à la seule
question
de la responsabilité encourue par la défenderesse, le problè-
me de l'étendue du préjudice pouvant être réservé. Cela
fait,
il a considéré qu'en omettant de prendre des mesures particu-
lières de sécurité, qui s'imposaient en raison du caractère
dangereux des excavations empiétant sur la rampe d'accès des-
tinée aux handicapés, X.________ a commis un acte illicite.
Néanmoins, elle a relevé que le comportement fautif de la
demanderesse, laquelle, bien que consciente du danger de la
traversée incriminée, a négligé de prendre des précautions
élémentaires, avait entraîné la rupture du lien de causalité
entre l'acte illicite imputable à X.________ et le dommage
allégué. Le Tribunal a fait grief à la demanderesse de
n'avoir pas requis de l'aide et de n'avoir pas passé par la
porte no 50, qui était un chemin sans danger lui permettant
de rejoindre le taxi dont elle avait besoin. Il a en consé-

quence entièrement débouté la demanderesse et a mis à sa
charge les dépens, par 15 000 fr.

B.- La demanderesse a appelé de ce jugement. Re-
prochant aux premiers juges d'avoir omis plusieurs faits per-
tinents et violé les art. 44 al. 1 CO et 6 par. 1 CEDH
(durée
excessive de la procédure), elle a conclu à l'annulation du
jugement entrepris et au renvoi de la cause au Tribunal de
première instance afin que, après admission de la responsa-
bilité exclusive de X.________, le dommage soit fixé.

Par arrêt du 8 octobre 1999, la Cour de justice du
canton de Genève a confirmé le jugement critiqué et condamné
la demanderesse aux dépens d'appel comprenant une indemnité
de procédure de 8000 fr. Elle a retenu en substance que la
responsabilité de X.________ était engagée en raison de
l'état de fait dangereux qu'elle avait créé, sans prendre de
mesures de sécurité idoines. La Cour de justice a constaté
qu'une sortie différente de celle empruntée par la demande-
resse existait, soit la porte no 50 qui était munie d'une
rampe fixe, et qu'il doit être tenu pour déraisonnable que
dame S.________ n'ait pas tout fait pour éviter la sortie
par
la porte no 41 et chercher une autre issue. Pour les juges
cantonaux, c'est le comportement de la demanderesse qui est
la cause de sa chute. Elle s'est engagée sur le passage pour
handicapés sans requérir aucune aide alors qu'elle était
consciente du danger et a effectué une manoeuvre risquée
avec
son fauteuil. La demanderesse a ainsi commis une faute conco-
mitante manifeste, qui constitue un facteur d'exclusion de
la
responsabilité aquilienne de X.________.

Saisi du recours en réforme exercé par dame
S.________, le Tribunal fédéral, par arrêt du 11 avril 2000,
a annulé d'office l'arrêt cantonal conformément à l'art. 52
OJ et retourné la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle
décision dans le sens des considérants. Il a considéré que

les constatations de fait de l'arrêt déféré étaient contra-
dictoires et insuffisantes quant au déroulement de l'acci-
dent, à l'auteur des différentes excavations, à la
perception
du risque que celles-ci représentaient et à la possibilité
de
se soustraire au danger créé, de sorte que la cause n'était
pas en état d'être jugée.

Après avoir ordonné un nouvel échange d'écritures,
la Cour de justice genevoise, par arrêt du 27 avril 2001, a
confirmé le jugement rendu le 14 mai 1998 par le Tribunal de
première instance. Elle a considéré en bref qu'en dépit de
l'état dangereux constitué par les anfractuosités du sol au-
tour du passage litigieux dues aux travaux de la défenderes-
se, la demanderesse "a commis une faute concomitante manifes-
te en ne prenant pas, au moment de s'engager sur un passage,
qu'elle qualifiait elle-même de dangereux, les mesures qui
s'imposaient, soit, si elle voulait persister à emprunter ce
cheminement, une précaution aussi élémentaire que celle qui
consistait à se faire assister, voire simplement accompagner
par un tiers, qui, en se tenant à côté de son fauteuil, au-
rait pu facilement lui signaler à temps que le trajet
qu'elle
suivait, en marche arrière, risquait de la conduire dans un
renfoncement dangereux". Selon les magistrats genevois,
cette
faute concurrente fait apparaître comme inadéquate la rela-
tion de causalité entre le comportement fautif reproché à la
défenderesse et le dommage subi par la demanderesse.

C.- Dame S.________ saisit le Tribunal fédéral pa-
rallèlement d'un recours de droit public et d'un recours en
réforme. Dans les conclusions de son recours en réforme,
elle
requiert, après annulation de l'arrêt attaqué, que la juri-
diction fédérale dise et constate que la défenderesse est en-
tièrement responsable du préjudice subi par la demanderesse
lors de l'accident survenu le 27 août 1991 et qu'il n'y a
pas
lieu de réduire les dommages-intérêts en raison d'une faute

de la recourante, l'affaire étant renvoyée à l'autorité can-
tonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Par décision du 31 juillet 2001, la Ie Cour civile
du Tribunal fédéral a notamment admis la demande
d'assistance
judiciaire de la recourante pour la procédure de recours en
réforme et lui a désigné Me Jean-Pierre Garbade comme avocat
d'office.

L'intimée propose le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Aux termes de l'art. 57 al. 5 OJ, il est sur-
sis en règle générale à l'arrêt sur le recours en réforme
jusqu'à droit connu sur le recours de droit public. La juris-
prudence déroge toutefois à cet ordre de priorité dans des
situations particulières, qui justifient l'examen préalable
du recours en réforme. Il en va notamment ainsi lorsque la
décision sur le recours de droit public n'a aucune incidence
sur le sort du recours en réforme (ATF 123 III 213 consid.
1;
122 I 81 consid. 1; 120 Ia 377 consid. 1), ce qui sera notam-
ment le cas lorsque le recours en réforme apparaît irreceva-
ble (ATF 117 II 630 consid. 1a) ou, inversement, si le re-
cours en réforme paraît devoir être admis même sur la base
des constatations de fait retenues par l'autorité cantonale
et critiquées dans le recours de droit public (ATF 120 Ia
377
consid. 1; 114 II 239 consid. 1b; 112 II 330 consid. 1), le
cas échéant après rectification d'office d'une inadvertance
manifeste. Dans ce dernier cas, le recours de droit public
devient alors sans objet.

Il en va de même lorsqu'une constatation de fait
critiquée est dénuée de pertinence en droit (ATF 120 Ia 377

déjà cité). Il faut alors en débattre préjudiciellement dans
l'examen du recours en réforme. Le recours de droit public
peut perdre, dans cette mesure, son intérêt (ATF 112 II 337
consid. 1 p. 340; 85 II 580 consid. 2 p. 585). Il peut égale-
ment arriver que telle constatation critiquée dans le
recours
de droit public, fût-elle arbitraire, n'est pas décisive et
n'empêche point que la décision déférée repose sur
d'autres
faits qui entraînent le rejet du recours en réforme (ATF 117
II 630 consid. 1a in fine). Enfin, il convient de déroger à
l'ordre de priorité précité lorsque le recourant, à l'appui
de son recours de droit public, invoque une violation du
droit fédéral qui pourrait être retenue dans l'examen du re-
cours en réforme, de sorte que le premier recours perdrait
son objet (ATF 107 II 499 consid. 1; 99 II 297 consid. 1).

En l'espèce, il appert que le recours de droit pu-
blic déposé parallèlement au présent recours est dirigé con-
tre des constatations de fait qui ne sont pas décisives pour
la solution du litige. En effet, il n'importe que l'axe des
deux planches posées par la défenderesse ait été dirigé vers
le renfoncement se trouvant au bout de la rampe d'accès,
comme le voudrait la recourante, ou que cet axe ait eu une
autre orientation, comme l'a retenu la cour cantonale dans
l'arrêt critiqué, du moment que ce n'est pas au cours du dé-
placement de la demanderesse en marche arrière sur la rampe
que le fauteuil s'est renversé, mais lorsque la recourante a
entrepris de retourner l'engin après être arrivée au bas de
la rampe. Il n'est pas non plus déterminant que lesdites
planches aient été fixées ou non entre elles et sur le sol,
puisque l'accident est survenu sur la rampe d'accès, soit
après que la demanderesse a traversé l'obstacle constitué
par
les planches. Quant au moyen du recours de droit public con-
sistant à reprocher à la Cour de justice d'avoir retenu
qu'un
tiers se tenant à côté de la chaise roulante aurait pu signa-
ler à temps à la recourante que la trajectoire qu'elle sui-
vait risquait de la conduire dans le renfoncement dangereux,

il a trait à la question de la faute concomitante de la vic-
time au sens de l'art. 44 al. 1 CO, laquelle est soulevée
dans le recours en réforme. Enfin, l'autorité cantonale ne
faisant désormais plus grief à la recourante de n'avoir pas
cherché une autre issue que la porte no 41 pour quitter le
bâtiment E, il est sans importance que les magistrats canto-
naux n'aient pas donné suite à une offre de preuves de dame
S.________ portant sur un fait - l'inexistence d'une autre
voie de sortie adéquate pour les handicapés - qui n'exerce
désormais plus aucune influence sur le sort du différend.

Partant, en dérogation à la règle de l'art. 57 al.
5 OJ, le recours en réforme doit être examiné avant le re-
cours de droit public.

2.- a) Le recours en réforme est ouvert pour vio-
lation du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Il ne permet en
revanche pas d'invoquer la violation directe d'un droit de
rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la vio-
lation du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les
arrêts cités).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus
dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédé-
rales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu à rectification de constatations reposant sur une inad-
vertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille complé-
ter les constatations de l'autorité cantonale parce que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 ibidem). Dans
la
mesure où un recourant présente un état de fait qui s'écarte
de celui contenu dans la décision attaquée, sans se
prévaloir
avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être
rappelées, il n'y a pas lieu d'en tenir compte. Il ne peut
être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni

de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let.
c OJ). L'appréciation des preuves à laquelle s'est livrée
l'autorité cantonale ne peut être remise en cause (ATF 126
III 189 consid. 2a; 125 III 78 consid. 3a).

Si le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent en prendre de
nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ), il n'est lié ni
par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par
ceux de la décision cantonale, de sorte qu'il peut apprécier
librement la qualification juridique des faits constatés
(art. 63 al. 3 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59
consid. 2a).

b) La recourante n'a pas pris de conclusions chif-
frées, mais a requis la juridiction fédérale d'annuler l'ar-
rêt déféré et de dire que la défenderesse doit répondre en-
tièrement du dommage qu'elle a subi, la cause étant
retournée
à la cour cantonale pour nouvelle décision.

Il est de jurisprudence que de telles conclusions
sont admissibles au regard de l'art. 55 al. 1 let. b OJ lors-
que le Tribunal fédéral, s'il admettait le recours, ne
serait
pas en mesure de statuer lui-même sur le fond, en
particulier
faute d'un état de fait suffisant (cf. ATF 111 II 384
consid.
1 p. 386; 106 II 201 consid. 1 in fine; 103 II 267 consid.
1b
p. 270).

En l'espèce, la demanderesse s'en prend à l'arrêt
attaqué, qui a nié que la défenderesse ait engagé sa respon-
sabilité délictuelle lors des événements du 27 août 1991. Si
le point de vue de la recourante devait être suivi et que le
principe de la responsabilité aquilienne de l'intimée devait
être admis, la Cour de céans ne pourrait que renvoyer la cau-
se à l'autorité cantonale pour qu'elle calcule le dommage de
la victime, l'instruction n'ayant pas encore porté sur cette

question. Les conclusions de la recourante sont donc admissi-
bles.

3.- Dans un premier moyen, la recourante soutient
que les juges cantonaux ont violé l'art. 41 CO en
considérant
comme suffisantes les mesures de protection prises par la dé-
fenderesse pour parer à l'état de fait dangereux qu'elle
avait créé. La Cour de justice aurait en outre inversé le
fardeau de la preuve et transgressé l'art. 8 CC lorsqu'elle
a
affirmé qu'il n'a pas été établi que la distance entre l'ex-
trémité des planches posées sur la rampe d'accès et le canal
d'écoulement latéral était inférieure aux 40 cm allégués par
la défenderesse. La demanderesse fait valoir à cet égard
qu'il ne lui incombait pas d'apporter la preuve de l'inexac-
titude de l'allégué adverse, mais qu'il appartenait à l'inti-
mée d'établir qu'il y avait un tel écartement entre le bord
des planches et le caniveau de drainage.

Il est constant que la défenderesse n'est suscepti-
ble de répondre du dommage subi par la demanderesse qu'en
vertu de l'art. 41 CO. En effet, aucun contrat n'a été passé
entre les parties. Et la défenderesse n'est propriétaire ni
du parking ni du trottoir jouxtant le bâtiment E du Palais
des Nations, ce qui exclut l'application de l'art. 58 CO.

Celui qui cause, d'une manière illicite, un dommage
à autrui, soit intentionnellement, soit par négligence ou
imprudence, est tenu de le réparer (art. 41 al. 1 CO). La
responsabilité aquilienne instaurée par cette norme suppose
que soient réalisées cumulativement quatre conditions, à sa-
voir un acte illicite, une faute de l'auteur, un dommage et
un rapport de causalité (naturelle et adéquate) entre l'acte
fautif et le dommage (cf. notamment: Oftinger/Stark, Schwei-
zerisches Haftpflichtrecht, Allgemeiner Teil, vol. I, 5e
éd.,
n. 102 ss, p. 44/45).

In casu, la cour cantonale a nié le principe même
de la responsabilité délictuelle de l'intimée, au motif que
la demanderesse a commis une faute concomitante dont la gra-
vité est telle qu'elle fait apparaître comme lointaine la
cause dont répond la défenderesse. Il sied ainsi d'examiner
si les conditions de la responsabilité subjective de l'inti-
mée sont ou non réalisées, la question du dommage - dont
l'existence ne paraît pas mise en cause - pouvant être lais-
sée de côté, à défaut de toutes données factuelles.

a) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un
acte est illicite s'il enfreint un devoir légal général en
portant atteinte soit à un droit absolu du lésé (Erfolgsun-
recht), soit à son patrimoine; dans ce dernier cas, la norme
violée doit avoir pour but de protéger le lésé dans les
droits atteints par l'acte incriminé (Verhaltensunrecht; ATF
124 III 297 consid. 5b; 123 III 306 consid. 4a; 119 II 127
consid. 3). Une omission ne peut constituer un acte illicite
que s'il existait une obligation juridique d'agir (ATF 126
III 113 consid. 2a/aa). Celui qui crée un état de fait dange-
reux pour autrui doit prendre les mesures de précaution com-
mandées par les circonstances pour éviter la survenance d'un
accident. Cette obligation résulte directement du devoir gé-
néral de respecter le droit à la vie et à l'intégrité corpo-
relle, en tant que droit absolu (ATF 126 III 113 ibidem).

Il résulte des constatations souveraines de l'arrêt
attaqué que X.________ a créé devant l'entrée de la porte no
41 du bâtiment E du Palais des Nations un état de choses dan-
gereux. La défenderesse a creusé, perpendiculairement à la
rampe d'accès menant à cette entrée depuis la chaussée, une
tranchée large d'un mètre et profonde de 10 cm, qu'elle a
simplement recouverte de deux planches en bois pour en per-
mettre le passage. Elle a encore percé un canal de drainage
d'un peu moins de 20 cm de large et de 10 cm de profondeur,
qui donnait sur la tranchée et longeait la rampe d'accès sur

tout son côté gauche, du point de vue d'un observateur regar-
dant la route depuis le trottoir. Enfin, elle a foré un ren-
foncement de quelque 45 cm de long sur 10 cm de large, d'une
profondeur de 10 cm, à la jonction de la rampe d'accès en
cause et de la voie publique

Quand bien même ces différentes anfractuosités
étaient visibles, le passage aurait indubitablement dû faire
l'objet d'un aménagement particulier. Il était de fait desti-
né aux handicapés, comme l'indiquait le signe OSR 5.14 "Han-
dicapés" peint sur la rampe. Ainsi, en particulier les per-
sonnes atteintes d'un handicap affectant leur motricité, à
l'instar de la recourante, devaient se sentir en sécurité
sur
un tel passage, dont l'usage leur était de surcroît préconi-
sé.

Malgré cela, la défenderesse n'a pris aucune mesure
destinée à protéger les tiers du danger qu'elle avait elle-
même créé et qu'elle ne pouvait ignorer. Ce faisant, elle a
clairement enfreint l'art. 32 al. 1 du Règlement genevois
sur
les chantiers, du 30 juillet 1958, qui dispose que toute ex-
cavation pouvant offrir un danger doit être couverte de
façon
sûre ou solidement clôturée.

Pour avoir laissé subsister pendant plus de trois
mois et demi - laps de temps qui s'est écoulé entre le pre-
mier passage de dame S.________, le 6 mai 1991, et le jour
de
l'accident, le 27 août 1991 - un état de choses dangereux
qui
a entraîné la survenance d'un accident ayant provoqué une at-
teinte au droit absolu de la demanderesse qu'est son intégri-
té corporelle, la défenderesse est l'auteur d'un acte illici-
te.

b) La défenderesse aurait pu, très facilement et
sans engager des frais disproportionnés, boucher le renfonce-
ment précité, dont elle n'a du reste jamais prétendu qu'il

avait une quelconque utilité pour le chantier. Si elle avait
vraiment voulu conserver cette excavation, elle devait au
moins construire une bordure de sécurité sur son pourtour.
L'intimée a donc manqué à la diligence due et commis une fau-
te par négligence au sens de l'art. 41 al. 1 CO (sur la no-
tion de faute, cf. Engel, Traité des obligations en droit
suisse, 2e éd., p. 461 ss).

c) La cour cantonale, dans son arrêt du 8 octobre
1999, a admis implicitement, en se référant au jugement de
première instance, que ces deux conditions spécifiques de la
responsabilité aquilienne (l'illicéité et la faute) étaient
réunies (cf. consid. 2 p. 16/17). La demanderesse a tort
lorsqu'elle semble affirmer que l'arrêt déféré a remis ces
points en cause, dès lors que les magistrats genevois n'ont
pas discuté les conditions de la responsabilité subjective
envisagée, mais ont retenu qu'il y avait en l'occurrence un
facteur de suppression du droit à la réparation invoqué.
Dans ces conditions, le grief pris d'une atteinte à l'art. 8
CC, tel que la demanderesse l'a formulé en appui à sa criti-
que de violation de l'art. 41 CO, n'a pas d'objet.

d) aa) Le dommage doit être la conséquence de l'ac-
te illicite. Autrement dit, il doit exister un rapport de
cause à effet, appelée causalité naturelle, entre l'acte il-
licite et le préjudice subi par le lésé. La causalité natu-
relle relève du fait, si bien qu'elle ne peut plus être dis-
cutée en instance de réforme (ATF 123 III 110 consid. 2; 116
II 305 consid. 2c/ee).

En l'espèce, la cour cantonale a constaté qu'une
roue du fauteuil roulant de la demanderesse a été bloquée
dans le renfoncement qui séparait la rampe d'accès de la
chaussée au moment où la recourante effectuait une manoeuvre
de retournement et que la chaise a alors basculé, entraînant
la chute de l'intéressée. L'autorité cantonale a encore
admis

que l'intimée est l'auteur de toutes les anfractuosités qui
entouraient le passage litigieux, et en particulier dudit
renfoncement. Il a ainsi été retenu en fait que la demande-
resse n'aurait pas été victime d'un accident si la défende-
resse n'avait pas creusé le renfoncement dans lequel une
roue
du fauteuil roulant s'est prise. La preuve de la causalité
naturelle a été rapportée par la demanderesse, qui en avait
le fardeau (art. 8 CC).

bb) Lorsque la relation de causalité naturelle ain-
si définie est reconnue, il convient de se demander si le
fait générateur de responsabilité a le caractère d'une cause
adéquate, à savoir si ce fait était propre, d'après le cours
ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à entraîner
un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 123 III
110 consid. 3a et les références). Il
s'agit là d'une ques-
tion de droit (ATF 123 III 110 consid. 2; 116 II 519 consid.
4a p. 524).

Dans le cas présent, il ne saurait être contesté
qu'il existe un lien de causalité adéquate entre l'acte illi-
cite commis par l'intimée et le préjudice dont a été victime
la demanderesse. Il est en effet conforme à l'expérience de
la vie et des choses que les diverses anfractuosités
creusées
par l'intimée sur la rampe d'accès donnant sur la porte no
41
étaient de nature à occasionner la chute d'une personne em-
pruntant cette voie en fauteuil roulant.

4.- La recourante prétend que les magistrats gene-
vois ont transgressé l'art. 8 CC en rejetant ses conclusions
subsidiaires tendant à prouver l'inexistence d'une sortie au-
tre que celle par la porte no 41, qui serait appropriée pour
les handicapés.

La demanderesse n'a pourtant plus d'intérêt prati-
que à faire valoir ce moyen, puisque la Cour de justice ne

prétend plus que la demanderesse aurait dû sortir par une
autre issue (cf., sur l'intérêt à recourir, ATF 127 III 429
consid. 1b).

5.- L'autorité cantonale a certes reconnu que le
comportement adopté en l'occurrence par la défenderesse
était
la cause adéquate du préjudice subi par la recourante. Mais
elle a considéré que la demanderesse avait contribué à la
naissance du préjudice en ne se faisant pas accompagner par
un tiers lorsqu'elle a cherché à atteindre la voie publique
depuis la porte no 41. Cette faute concurrente était d'une
gravité telle, a poursuivi l'autorité cantonale, qu'elle a
interrompu le lien de causalité adéquate précité, en sorte
que la défenderesse devait être libérée.

Sur ce point, la recourante fait grief aux magis-
trats genevois d'avoir violé l'art. 44 al. 1 CO. Elle
allègue
que c'est faire preuve d'un aveuglement terrible que de re-
procher à une invalide en chaise roulante d'avoir franchi un
passage destiné aux handicapés sans l'aide d'un tiers. La
faute de la demanderesse, s'il y avait faute, serait légère
par rapport à la faute énorme de X.________, qui a pris le
risque inconsidéré de maintenir durant plusieurs semaines
une
rampe d'accès pour handicapés extrêmement dangereuse. La re-
courante soutient encore que la Cour de justice a violé
l'art. 8 CC en admettant qu'une tierce personne aurait pu
l'avertir à temps qu'elle suivait une trajectoire
dangereuse,
du moment que l'efficacité de l'assistance d'un tiers n'a mê-
me pas été alléguée par l'intimée.

a) Selon l'art. 44 al. 1 CO, la faute concomitante
de la victime est un facteur de réduction ou de suppression
de la réparation du préjudice.

La faute concurrente est un fait qui a contribué à
créer le dommage. Elle suppose que le lésé ait adopté un com-

portement dont il y a lieu d'admettre qu'il connaissait ou
aurait pu connaître le caractère dangereux (ATF 112 II 347
consid. 3b). La victime commet une faute concomitante si
elle
omet de prendre les mesures qui peuvent raisonnablement être
prises pour empêcher la survenance du préjudice (ATF 107 Ib
155 consid. 2b). En d'autres termes, celui qui s'expose déli-
bérément à un danger concret qu'il a reconnu ou aurait pu re-
connaître, sans prendre les mesures de protection propres à
y
parer, s'expose par contrecoup à se voir reprocher une faute
propre (ATF 104 II 184 consid. 3a; 97 II 221 consid. 6; cf.,
sur cette problématique, Honsell, Schweizerisches Haft-
pflichtrecht, 3e éd., p. 99/100; Brehm, Commentaire bernois,
n. 15 ad art. 44 CO; Schnyder, Commentaire bâlois, 2e éd.,
n.
7 ad art. 44 CO).

La faute propre du lésé peut rompre le lien de cau-
salité adéquate si elle constitue une circonstance tout à
fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on
ne
pouvait pas s'y attendre. Il ne suffit pas que l'acte concur-
rent soit imprévisible; il faut encore que cet acte ait une
importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus proba-
ble et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant
à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué
à
l'amener, et notamment le comportement de l'auteur (ATF 127
III 453 consid. 5d; 123 III 306 consid. 5b p. 314; 122 IV 17
consid. 2c/bb et les arrêts cités). Pour faire apparaître
inadéquate la relation de causalité entre le comportement de
l'auteur et le dommage, la faute de la victime doit être si
lourde et si déraisonnable que l'on ne pouvait compter avec
sa survenance (ATF 116 II 519 consid. 4b; Schnyder, op.
cit.,
n. 21 ad art. 41 CO).

b) Il convient donc d'analyser, au regard du dérou-
lement des événements qui se sont passés le 27 août 1991 à
l'extérieur du Palais des Nations, si la recourante, lors-
qu'elle a emprunté avec son fauteuil roulant le passage pour

handicapés aménagé devant la porte no 41, peut se voir repro-
cher une quelconque faute et, dans l'affirmative, si ce man-
quement aux règles de la prudence peut avoir interrompu le
rapport de causalité adéquate entre le fait générateur de
responsabilité et le dommage subi par la lésée.

aa) La demanderesse a tout d'abord quitté le Palais
des Nations par la porte qui était le plus près de la salle
dans laquelle elle avait assisté à une réunion. Cette issue
était de surcroît située devant le passage qui était recom-
mandé aux personnes handicapées, sur lequel celles-ci pou-
vaient bien évidemment penser qu'elles étaient en sécurité.
On ne voit pas là l'ombre d'un comportement imprudent.

bb) Il est établi que la recourante, qui savait
certes que le passage pour handicapés était difficile à abor-
der en raison des travaux réalisés par la défenderesse, a en-
trepris de le traverser sans requérir une aide extérieure.
Il
n'a pas été constaté qu'une aide adéquate, fournie par exem-
ple par les services des Nations-Unies, était disponible le
jour en question. Partant, la demanderesse ne pouvait raison-
nablement compter que sur les personnes qui
l'accompagnaient:
il s'agissait de sa mère, du délégué du Mexique et de ressor-
tissants japonais. La mère de la recourante avait toutefois
70 ans et portait à la main un sac et des béquilles. On cher-
che vainement de quelle manière cette personne âgée aurait
pu
apporter à sa fille une aide efficace. Quant aux autres ac-
compagnants, il n'a pas été retenu comment ils auraient pu
pratiquement aider la demanderesse dans son déplacement, et
encore moins s'ils pouvaient communiquer avec celle-ci dans
sa langue maternelle, qui est l'anglais.

De toute manière, comme les planches avaient une
largeur d'un mètre au total et que la chaise roulante
occupée
par la recourante était large de 57 cm, il ne restait donc,
de chaque côté de la chaise, qu'un peu plus de 20 cm avant
le

bord des planches. Quoi qu'en pense la Cour de justice, l'ex-
périence de la vie enseigne qu'un tel espace ne permettait
pas à un tiers de se tenir à côté du fauteuil roulant lors-
qu'il était engagé sur les planches avant d'aborder la
rampe.
Si le tiers s'était tenu derrière la chaise roulante, il
n'aurait été d'aucune utilité, puisqu'il n'aurait pas pu
voir
quand les roues de l'engin s'approchaient d'une cavité. Et
si
un tiers avait voulu précéder la chaise, il aurait dû
marcher
à reculons sur la rampe tout en regardant en arrière pour ne
pas perdre lui-même l'équilibre dans la rigole ou le renfon-
cement, à telle enseigne qu'il n'aurait pas été non plus en
mesure de guider avec sûreté la demanderesse.

cc) La recourante a retourné son fauteuil, puis
roulé lentement sur les planches en bois posées en travers
de
la tranchée avant de s'engager dans cette position sur la
rampe d'accès. Il n'a pas été prouvé que le déplacement de
l'intéressée ne fût pas précautionneux, ni qu'il eût convenu
de passer l'obstacle en marche avant.

dd) Après avoir traversé entièrement les planches,
la demanderesse, alors qu'elle se trouvait sur la rampe d'ac-
cès, a entrepris une manoeuvre de retournement de son fau-
teuil afin de poursuivre sa course en marche avant.

Force est d'admettre qu'à cette occasion la recou-
rante n'a pas usé de toute la prudence commandée par les cir-
constances. En effet, toutes les anfractuosités du passage
étaient clairement perceptibles. Dans ces circonstances, la
demanderesse, qui connaissait l'existence du renfoncement si-
tué au bout de la rampe et s'était déjà plainte du danger en
résultant pour les handicapés, aurait dû attendre d'être ar-
rivée sur la chaussée pour effectuer cette manoeuvre. Le pas-
sage donnant sur un parc de stationnement et non sur une
voie
de circulation, il n'aurait pas été dangereux de faire pivo-
ter l'engin après avoir quitté la pente de la rampe. Pour

avoir choisi de retourner sa chaise sur la rampe d'accès, à
proximité immédiate d'un renfoncement important qui, de par
sa longueur de 45 cm, était bien visible, la demanderesse a
sans conteste fait preuve de négligence. La faute commise
par
la recourante doit toutefois être qualifiée de moyenne (cf.,
sur cette notion, ATF 100 II 332 consid. 3a et les arrêts ci-
tés) au vu de l'ensemble des circonstances. Le comportement
adopté par l'intéressée en l'occurrence n'avait en revanche
rien d'exceptionnel et d'imprévisible, en sorte qu'il était
totalement impropre à interrompre le lien de causalité adé-
quate entre l'acte fautif de la défenderesse et le préjudice
de la lésée.

c) La faute concomitante commise par la demanderes-
se, que l'on vient de décrire, justifie une réduction des
dommages-intérêts qui lui sont dus. Il y a lieu de prendre
en
considération que cette faute concurrente est de degré moyen
et que la défenderesse s'est vu reprocher une faute par né-
gligence (cf. Brehm, op. cit., n. 79 in fine ad art. 43 CO).
Tout bien pesé, l'indemnité qui sera allouée à la recourante
par la cour cantonale devra être réduite d'un tiers.

6.- Il suit de là que l'autorité cantonale a violé
l'art. 44 al. 1 CO en admettant que la faute de la demande-
resse a rompu le lien de causalité. Le recours doit donc
être
admis partiellement, l'arrêt attaqué annulé et la cause re-
tournée à la Cour de justice pour qu'elle détermine le domma-
ge dont la demanderesse peut obtenir réparation et fixe l'in-
demnité à laquelle celle-ci a droit, compte tenu d'un taux
de
réduction d'un tiers pour faute concurrente de la lésée.

La recourante obtient gain de cause sur le principe
de son action, mais voit sa prétention en dommages-intérêts
réduite d'un tiers. Il se justifie ainsi de répartir l'émolu-
ment judiciaire, arrêté à 15 000 fr., à raison d'un tiers à
la charge de la demanderesse et des deux tiers à la charge
de

la défenderesse (art. 156 al. 3 OJ). L'intimée devra verser
à
sa partie adverse des dépens réduits dans la même
proportion,
ce qui l'obligera à payer 5000 fr. à ce titre (art. 159 al.
3
OJ). La recourante plaidant au bénéfice de l'assistance judi-
ciaire, la part des frais judiciaires mise à sa charge sera
supportée par la Caisse du Tribunal fédéral, laquelle
versera
en outre une indemnité de 10 000 fr. à titre d'honoraires à
son avocat d'office; au cas où les dépens ne pourraient pas
être recouvrés, ladite Caisse payera à cet avocat une indem-
nité d'honoraires de 15 000 fr.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet partiellement le recours, annule l'arrêt
attaqué et renvoie la cause à la cour cantonale pour
nouvelle
décision dans le sens des considérants;

2. Met un émolument judiciaire de 15 000 fr. pour
un tiers à la charge de la recourante et pour deux tiers à
la
charge de l'intimée. Dit que la part des frais judiciaires
mise à la charge de la recourante sera supportée par la Cais-
se du Tribunal fédéral;

3. Dit que l'intimée versera à la recourante une
indemnité de 5000 fr. à titre de dépens réduits;

4. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera à
Me Jean-Pierre Garbade une indemnité de 10 000 fr. à titre
d'honoraires. Dit qu'au cas où les dépens ne pourraient pas

être recouvrés, la Caisse précitée lui versera une indemnité
d'honoraires de 15 000 fr.;

5. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

__________

Lausanne, le 5 novembre 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.186/2001
Date de la décision : 05/11/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-11-05;4c.186.2001 ?
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