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02/11/2001 | SUISSE | N°2P.112/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 02 novembre 2001, 2P.112/2001


«/2»
2P.112/2001

IIe C O U R D E D R O I T P U B L I C
***********************************************

2 novembre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Wurzburger, président,
Hungerbühler, Müller, Merkli et Berthoud, juge suppléant.
Greffière: Mme Rochat.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________, représenté par ses parents, ainsi que
B.________ et C.________, tous représentés par Me Peter
Goetschi, avocat à Fribourg,

contre


l'arrêt rendu le 15 mars 2001 par le Tribunal administratif
du canton de Fribourg (1ère Cour administrative), dans la
...

«/2»
2P.112/2001

IIe C O U R D E D R O I T P U B L I C
***********************************************

2 novembre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Wurzburger, président,
Hungerbühler, Müller, Merkli et Berthoud, juge suppléant.
Greffière: Mme Rochat.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

A.________, représenté par ses parents, ainsi que
B.________ et C.________, tous représentés par Me Peter
Goetschi, avocat à Fribourg,

contre

l'arrêt rendu le 15 mars 2001 par le Tribunal administratif
du canton de Fribourg (1ère Cour administrative), dans la
cause qui oppose le recourant à la Direction de
l'instruction
publique et des affaires culturelles du canton de Fribourg;

(art. 18 Cst.; liberté de la langue et école obligatoire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- B.________ et C.________, de langue maternelle
allemande, résident dans la commune de Granges-Paccot depuis
environ dix ans. Ils y ont acquis un terrain sur lequel ils
ont construit une villa familiale qu'ils occupent avec leur
fils A.________ et leur fille cadette. La commune de Granges-
Paccot est sise dans le district de la Sarine, district bi-
lingue avec forte minorité alémanique. La langue officielle
de Granges-Paccot est le français et la commune appartient à
un cercle scolaire dispensant un enseignement scolaire en
langue française.

Le 23 février 2000, B.________ et C.________ ont re-
quis de l'inspectrice scolaire des classes enfantines l'au-
torisation de scolariser leur fils A.________ dans la classe
enfantine de langue allemande de l'école du Jura, à
Fribourg,
dont il avait déjà fréquenté le jardin d'enfants. L'inspec-
trice scolaire a rejeté leur demande le 14 avril 2000; elle
a
considéré qu'un changement de cercle scolaire pour raisons
de
langue ne pouvait être admis qu'à titre exceptionnel et que
les motifs avancés n'étaient pas suffisants pour accorder
une
dérogation.

B.________ et C.________ ont contesté cette décision
devant la Direction de l'instruction publique et des
affaires
culturelles. A l'appui de leur recours, ils ont notamment
fait valoir que leurs enfants étaient élevés dans un milieu
culturel allemand, qu'ils avaient eux-mêmes accompli leur
parcours scolaire en langue allemande, alors que C.________
avait vécu à Granges-Paccot pratiquement depuis sa
naissance,
et qu'ils ne pouvaient assurer le suivi scolaire de leur
fils
A.________ qu'en langue allemande.

Par décision du 14 juillet 2000, la Direction de
l'instruction publique et des affaires culturelles a rejeté
le recours. Invoquant la prééminence du principe constitu-
tionnel de la territorialité des langues sur celui de la li-
berté de la langue, elle a estimé que le fait d'être de lan-
gue maternelle allemande n'entraînait pas un droit à un chan-
gement de cercle scolaire, sous réserve de motifs impérieux
ou prépondérants non réalisés dans le cas particulier.

B.- Le 11 septembre 2000, B.________ et C.________
ont recouru contre cette décision auprès du Tribunal adminis-
tratif qui, par arrêt du 15 mars 2001, a rejeté le recours.
Se fondant également sur le principe de la territorialité
des
langues, consacré par la constitution cantonale, il a confir-
mé que la loi scolaire privilégiait l'homogénéité linguisti-
que et qu'elle ne reconnaissait pas le libre choix du cercle
scolaire pour des raisons de langue. Une telle restriction
du
droit à la liberté de la langue, garantie par la
Constitution
fédérale, devait être justifiée par un intérêt public et res-
pecter le principe de la proportionnalité, cette double con-
dition étant réalisée dans le cas d'espèce.

C.- C.________ et B.________, ainsi que leur fils
A.________, forment un recours de droit public auprès du
Tribunal fédéral et concluent, avec suite de frais et
dépens,
à l'annulation de l'arrêt du Tribunal administratif du
15 mars 2001. Ils se plaignent d'une violation de la liberté
de la langue, d'une interprétation arbitraire de la loi sco-
laire et d'une violation du principe de la protection de la
bonne foi.

Le Tribunal administratif se réfère à son arrêt.
Quant à la Direction de l'instruction publique et des affai-
res culturelles, elle conclut au rejet du recours, avec
suite
de frais.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Selon l'art. 37 al. 3 OJ, l'arrêt du Tribunal
fédéral est rédigé dans une langue officielle, en règle géné-
rale dans la langue de la décision attaquée. Si les parties
parlent une autre langue officielle, l'expédition peut être
rédigée dans cette langue. En l'espèce, les recourants sont
de langue maternelle allemande et leur recours auprès du Tri-
bunal fédéral est rédigé en allemand. Devant le Tribunal ad-
ministratif, ils ont toutefois procédé en français, par l'in-
termédiaire du même mandataire. Il n'y a dès lors pas lieu
de
s'écarter de la règle générale; le présent arrêt sera ainsi
rédigé dans la langue de la décision entreprise, soit en lan-
gue française.

b) Le Tribunal fédéral examine d'office et librement
la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 127 III
41 consid. 1a p. 42; 126 I 81 consid. 1 p. 83 et les arrêts
cités).

c) Selon l'art. 88 OJ, le recours de droit public
est ouvert uniquement à celui qui est atteint par l'acte at-
taqué dans ses intérêts personnels et juridiquement
protégés.
En tant qu'elle concerne l'année scolaire 2000 - 2001, la dé-
cision attaquée ne présente plus d'intérêt actuel, dès lors
que A.________ a achevé son école enfantine. Toutefois, le
Tribunal fédéral renonce exceptionnellement à l'exigence
d'un
intérêt pratique et actuel lorsque le recourant soulève une
question de principe susceptible de se reproduire dans les
mêmes termes, sans que le Tribunal fédéral ne soit jamais en
mesure de statuer en temps utile (ATF 127 III 429 consid. 1b
p. 432; 125 I 394 consid. 4b p. 397; 124 I 231 consid. 1b;
123 II 285 consid. 4c p. 287). Cette condition est remplie
en
l'espèce, dans la mesure où les recourants ont présenté une

nouvelle demande de changement de cercle scolaire pour
l'école primaire qui a été écartée pour les mêmes motifs que
ceux développés dans la décision attaquée.

Formé en temps utile contre une décision finale ren-
due en dernière instance cantonale, le recours répond en
outre aux autres conditions de recevabilité des art. 84 ss
OJ, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière sur le fond.

2.- La liberté de la langue, autrefois confinée au
rang de droit constitutionnel non écrit d'origine jurispru-
dentielle (ATF 91 I 480), est désormais expressément
garantie
par l'art. 18 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999.
Cette garantie comprend notamment l'usage de la langue mater-
nelle. Lorsque cette langue est également l'une des quatre
langues nationales, son emploi est protégé par l'art. 4 Cst.
L'art. 8 al. 2 Cst. prohibe en outre toute discrimination du
fait de la langue.

Dans les rapports du citoyen avec l'autorité, la
portée du principe de la liberté de la langue concerne plus
particulièrement les domaines de la langue de l'enseignement
et celui de la langue officielle des cantons, notamment de
la
langue judiciaire.

Selon l'art. 70 al. 2 Cst., "les cantons déterminent
leurs langues officielles. Afin de préserver l'harmonie
entre
les communautés linguistiques, ils veillent à la répartition
territoriale traditionnelle des langues et prennent en consi-
dération les minorités linguistiques autochtones". Cette dis-
position consacre le principe de la territorialité des lan-
gues, qui ne constitue pas un droit constitutionnel indivi-
duel, mais représente une restriction à la liberté de la lan-
gue dans la mesure où il permet aux cantons de prendre des
mesures pour maintenir l'homogénéité et les limites tradi-

tionnelles des régions linguistiques (ATF 122 I 236 con-
sid. 2c p. 238/239; 121 I 196 consid. 2a p. 198 et les réfé-
rences citées). La portée du principe de la territorialité
des langues est sujette à controverses. C'est en raison de
ces controverses que le Conseil fédéral a proposé, dans le
cadre de la révision totale de la Constitution, de ne pas
mentionner expressément, à côté de la garantie de la liberté
de la langue, le correctif du principe de la territorialité
(Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à
une
nouvelle Constitution fédérale; FF 1997 I p. 164/165). Au
sens strict, ce principe implique qu'à chaque territoire cor-
responde une langue, afin d'assurer l'homogénéité linguisti-
que de ce territoire; ainsi, chaque canton, district ou com-
mune devrait pouvoir conserver sa langue traditionnelle, mal-
gré l'immigration de personnes d'expression étrangère (Michel
Rossinelli, La question linguistique en Suisse: Bilan criti-
que et nouvelles perspectives juridiques, in: RDS 1989,
vol. 1 p. 161 ss, spéc. p. 166; Giorgio Malinverni, Commen-
taire de la Constitution fédérale, 1987, n. 23 ss ad art.
116
aCst.). Dans un sens plus large, il doit favoriser, en harmo-
nie avec le principe de la liberté de la langue, la co-exis-
tence pacifique des langues nationales et la protection des
langues minoritaires (ATF 122 I 236 consid. 2e p. 240; 121 I
196 consid. 2b p. 198/199 et les références citées). Les
principes de la liberté de la langue et de la territorialité
peuvent toutefois entrer en conflit: en effet, le premier
protège le droit du citoyen de s'exprimer et de recevoir un
enseignement dans sa langue, alors que le second tend à la
stabilisation et l'homogénéité des régimes linguistiques.

La jurisprudence admet que le critère de la territo-
rialité s'applique, en principe, à la langue de l'enseigne-
ment. Dans l'école publique, l'enseignement est généralement
dispensé dans la langue officielle du lieu concerné et la li-

berté de la langue ne confère pas aux minorités
linguistiques
le droit inconditionnel à un enseignement dans leur langue
maternelle. Cette jurisprudence a été critiquée par la doc-
trine se réclamant d'une prééminence du principe de la liber-
té de la langue sur celui de la territorialité (ATF 122 I
236
consid. 2d p. 239/240). La doctrine récente partage ces cri-
tiques: Barbara Wilson (La liberté de la langue des
minorités
dans l'enseignement, Bâle 1999) préconise une reconnaissance
accrue du droit constitutionnel de la liberté de la langue
(op. cit. p. 295 ss). Marco Borghi (La liberté de la langue
et ses limites in Droit constitutionnel suisse édité par
Daniel Thürer, Jean-François Aubert et Jörg Paul Müller,
Zurich 2001, p. 607 ss, spéc. p. 616/617) propose un renfor-
cement du droit d'obtenir un enseignement dans la langue
d'origine de l'élève sur la base des art. 18 et 8 Cst.
Andreas Auer/Giorgio Malinverni/Michel Hottelier (Droit cons-
titutionnel suisse, volume II, Berne 2000) soutiennent pour
leur part que la liberté de la langue bénéficie désormais
d'un ancrage constitutionnel plus solide que le principe de
la territorialité (p. 455) et que sa portée autonome devrait
être plus souvent décisive dans la jurisprudence du Tribunal
fédéral (p. 463). Enfin, Julian T. Hattinger, (La diversité
culturelle, in "La nouvelle Constitution suisse",
Publication
de l'Institut du Fédéralisme, Fribourg Suisse 2000, vol. 26
p. 50 à 52), estime que le principe de la liberté des
langues
constitue une ouverture qui ne devrait être limitée qu'avec
nuances en faveur de la langue majoritaire, lorsque certains
intérêts collectifs sont en jeu. Il y a lieu toutefois de
s'en tenir au principe général selon lequel le droit consti-
tutionnel fédéral n'impose pas aux collectivités publiques
l'obligation d'offrir aux particuliers venant s'établir sur
leur territoire un enseignement dans une autre langue que
celle qui est officiellement pratiquée dans la région concer-
née (ATF 122 I 236 consid. 2d p. 240).

3.- Sous réserve des limites posées par le droit
constitutionnel fédéral, il appartient en premier lieu aux
cantons de réglementer l'usage de la langue à l'intérieur de
leurs frontières (ATF 122 I 236 consid. 2h p. 242; 121 I 196
consid. 2c p. 199).

a) L'art. 21 de la Constitution du canton de
Fribourg (ci-après: Cst.FR) a la teneur suivante:

"1. Le français et l'allemand sont des langues offi-
cielles. Leur utilisation est réglée dans le res-
pect du principe de la territorialité.

2. L'Etat favorise la compréhension entre les deux
communautés linguistiques".

Comme l'art. 70 Cst., cette disposition indique
quelles sont les langues officielles. Elle ne cite pas la li-
berté de la langue - déjà garantie par le droit constitution-
nel fédéral - mais mentionne expressément le principe de la
territorialité, donnant à celui-ci un poids particulier
(ATF 121 I 196 consid. 2c p. 200; Joseph Voyame, Avis de
droit délivré au Conseil d'Etat du canton de Fribourg le
30 septembre 1991 au sujet du nouvel article constitutionnel
sur les langues officielles et au sujet de son application
dans la législation et la pratique, in: Bulletin officiel
des
séances du Grand Conseil du canton de Fribourg, 1992,
p. 2813 ss, spéc. p. 2833). Dans son avis, cet auteur (op.
cit., p. 2829 ss) souligne l'importance des travaux prépara-
toires au cours desquels, à diverses reprises, il a été ques-
tion d'une certaine retenue dans l'application du principe
de
la territorialité pour tenir compte de l'exigence de la pro-
portionnalité et préserver la paix des langues (ATF 121 I
196
consid. 2 p. 200). Pour le canton de Fribourg, il est signi-
ficatif que, même si le statut des langues s'articule en
deux
alinéas, le principe de la territorialité
est mis en
relation
avec le mandat de favoriser la compréhension entre les deux

communautés linguistiques et se trouve ainsi relativisé
(ATF 121 I 196 consid. 2c p. 200; voir également Charles-
Albert Morand, Liberté de la langue et principe de territo-
rialité. Variations sur un thème encore méconnu, in: RDS
1993, vol I p. 31 et Thomas Fleiner-Gerster, Das sprachliche
Territorialitätsprinzip in gemischtsprachigen Gebieten, in:
Législation d'aujourd'hui, 1991/1, p. 93 ss).

La jurisprudence ne reconnaît une portée propre à
une garantie constitutionnelle de droit cantonal qu'en tant
que celle-ci offre une protection plus étendue que celle du
droit constitutionnel fédéral (ATF 121 I 196 consid. 2d
p. 200; 119 Ia 53 consid. 2 p. 55; 118 Ia 427 consid. 4a
p. 433). Même si, en énonçant le principe de la territoriali-
té, la Constitution du canton de Fribourg reprend une règle
qui découle aussi du droit fédéral, il y a toutefois lieu de
tenir compte des éléments propres au droit cantonal, en par-
ticulier de la combinaison du principe de la territorialité
avec le mandat de favoriser la compréhension entre les deux
communautés linguistiques.

b) Dans le domaine de l'enseignement, la loi sur
l'école enfantine, l'école primaire et l'école du cycle
d'orientation du 23 mai 1985 (ci-après: la loi scolaire)
contient les dispositions suivantes:

"Art. 7. L'enseignement est donné en français dans
les cercles scolaires où la langue officielle est
le français, et en allemand dans les cercles sco-
laires où la langue officielle est l'allemand.

Lorsqu'un cercle scolaire comprend une com-
mune de langue officielle française et une commune
de langue officielle allemande, ou une commune bi-
lingue, les communes du cercle scolaire assurent la
fréquentation gratuite de l'école publique dans les
deux langues.

Art. 8. Les élèves fréquentent l'école du cercle
scolaire de leur domicile ou de leur résidence ha-

bituelle reconnu par le Département de l'instruc-
tion publique (ci-après: le Département).

Art. 9. L'inspecteur scolaire peut, pour des rai-
sons de langue, autoriser un élève à fréquenter
l'école d'un cercle scolaire autre que le sien.

L'inspecteur scolaire peut, dans d'autres
cas, autoriser ou obliger un élève à fréquenter
l'école d'un cercle scolaire autre que le sien, si
l'intérêt de cet élève le commande.

La décision indique quel cercle scolaire
doit accueillir l'élève."

Si les art. 7 et 8 concrétisent le principe consti-
tutionnel cantonal de la territorialité, l'art. 9 de la loi
scolaire permet de faire des exceptions pour des raisons de
langue. Les intéressés n'ont cependant pas un droit à fré-
quenter un autre cercle que celui de leur domicile; il appar-
tient ainsi à l'inspecteur scolaire d'examiner chaque cas
particulier avant d'accorder ou non une dérogation. C'est
donc au regard des critères applicables à l'admission ou au
refus d'un changement de cercle scolaire qu'il faut vérifier
en l'espèce si la décision attaquée constitue une violation
de la liberté de la langue des recourants.

4.- a) Selon la juridiction intimée, la situation
géographique de la commune de Granges-Paccot "à la frontière
des langues", justifie une application rigoureuse du
principe
de la territorialité des langues, l'intérêt public
consistant
à maintenir l'homogénéité linguistique du territoire commu-
nal. Comme le relèvent les recourants, le principe de la ter-
ritorialité ne doit pas avoir pour effet de figer les situa-
tions existantes et d'empêcher des déplacements naturels
dans
la répartition linguistique. La jurisprudence et la doctrine
ont déjà reconnu en la matière la limite des contraintes éta-
tiques et de l'influence des réglementations légales sur les
évolutions sociales (ATF 122 I 236 consid. 4e/cc p. 246 et
les références citées). En outre, une application trop

stricte du principe de la territorialité des langues
pourrait
constituer une inégalité de traitement, dans la mesure où il
est établi que les enfants des familles germanophones de cer-
taines communes, telles Givisiez, Villars-sur-Glâne et
Marly,
obtiendraient plus facilement l'autorisation de changer de
cercle scolaire (cf. lettre de l'inspecteur scolaire du 2ème
arrondissement adressée le 17 juillet 2001 à la Direction de
l'instruction publique, produite en cours de procédure par
le
mandataire des recourants). L'intérêt public lié à la sauve-
garde de l'homogénéité linguistique d'une commune ne saurait
donc, à lui seul, faire obstacle à la garantie constitution-
nelle de la liberté de la langue.

b) Le Tribunal administratif invoque également l'in-
térêt public à une organisation économique et rationnelle de
l'enseignement scolaire.

Une commune a certes un intérêt légitime à pouvoir
planifier l'effectif de ses classes et à ne pas être obligée
d'engager des frais supplémentaires pour des enfants domici-
liés sur son territoire, mais qui désirent suivre leur scola-
rité obligatoire dans une autre langue que celle enseignée à
l'école communale. Une planification rigoureuse n'est toute-
fois pas possible, compte tenu des changements de domicile
et
de la faculté des parents de mettre leur enfant dans une
école privée, pour autant qu'ils en aient les moyens (voir à
ce propos la critique de l'ATF 122 I 236 ss par Marco
Borghi,
La liberté de la langue et ses limites op. cit. n. 40
p. 616/617). En l'espèce, l'école du Jura, à Fribourg, est
disposée à accueillir le recourant, et ses parents se sont
engagés à prendre en charge les dépenses liées au changement
de cercle scolaire. Quant aux difficultés d'organisation et
de planification de l'effectif des classes, elles ne font
pas
l'objet d'explications concrètes de la part de la commune
concernée, qui ne prétend pas que la dérogation sollicitée
lui causerait une difficulté quelconque ou des frais particu-

liers. Or, si l'existence d'une école, fréquentée par les en-
fants domiciliés dans la commune, répond à un intérêt public
digne de protection, la garantie de la liberté de la langue
doit en principe l'emporter sur les éventuelles difficultés
de planification scolaire.

c) Dans ces circonstances, mis à part le précédent
que pourrait constituer en l'espèce l'octroi d'une déroga-
tion, l'intérêt public à voir le recourant fréquenter le cer-
cle scolaire de Granges-Paccot est relativement ténu. Reste
à
déterminer si, au regard du principe de la proportionnalité,
cet intérêt l'emporte sur les intérêts privés du recourant à
bénéficier d'un enseignement dans sa langue maternelle.

Les recourants font essentiellement valoir le con-
texte familial et culturel allemand dans lequel ils se trou-
vent, l'enfant ayant vécu sa première expérience scolaire,
au
jardin d'enfants, en langue allemande. Les parents craignent
ainsi que leur fils perde progressivement tout lien avec la
culture germanophone et qu'un fossé linguistique les sépare.
Ils invoquent également les difficultés qu'ils auraient pour
assumer le suivi scolaire de leur fils. A ces arguments,
l'autorité intimée objecte les bienfaits du bilinguisme et
une meilleure insertion sociale au lieu de domicile en cas
de
scolarisation dans le cercle scolaire de Granges-Paccot,
alors que le problème des parents pour suivre la scolarité
de
leur fils ne paraît pas insurmontable.

Il est vrai que le recourant n'est qu'au début de
son parcours scolaire et que son jeune âge favoriserait l'ap-
prentissage d'une seconde langue. On peut toutefois se deman-
der si le développement d'une identité bilingue doit être im-
posé par la contrainte et si son succès ne dépend pas plutôt
de l'adhésion et du concours des parents. En outre,
l'intérêt
de l'enfant à bénéficier, au début de sa scolarité, d'un en-
seignement dans sa langue maternelle, semble désormais favo-

risé par la Direction de l'instruction publique (voir les di-
rectives concernant l'admission dans les classes allemandes
d'écoles enfantines et primaires de l'Ecole libre publique
de
Fribourg du 23 mai 2001, que le mandataire des recourants a
produites en dehors du délai de recours). En ce qui concerne
les difficultés que rencontreraient les parents pour assumer
le suivi scolaire de leur fils, elles ne sauraient être mini-
misées. En effet, à supposer que les parents puissent
assumer
conjointement le suivi de l'école enfantine et de l'école
primaire, il n'est pas certain qu'ils soient aptes à le
faire
tout au long du cursus scolaire de leur enfant. Si des dif-
ficultés de cet ordre devaient survenir dans quelques
années,
il serait alors trop tard pour opérer un changement et l'in-
téressé ne pourrait plus du tout bénéficier de l'appui paren-
tal. Une scolarisation initiale dans la langue maternelle ne
doit certes pas être accordée automatiquement lorsque les pa-
rents le demandent mais, dans la mesure où ces derniers sont
disposés à assumer tous les frais d'écolage et qu'il n'en ré-
sulte aucun frais supplémentaire pour la collectivité publi-
que concernée (ATF 122 I 236 consid. 4e/ee p. 247), la situa-
tion personnelle des recourants permet, en l'espèce, de ré-
pondre favorablement à leur requête.

5.- a) Au vu des considérants qui précèdent, appli-
cables tant pour l'école enfantine que pour l'école
primaire,
que l'intérêt privé des recourants à pouvoir scolariser leur
enfant dans leur langue maternelle, en assumant tous les
frais de leur choix, l'emporte sur l'intérêt public de la
commune de Granges-Paccot à maintenir son homogénéité lin-
guistique et à faciliter sa planification scolaire. Le refus
d'autoriser l'enfant à fréquenter les classes de langue alle-
mande de l'école du Jura, à Fribourg, constitue dès lors une
atteinte disproportionnée à la liberté constitutionnelle de
bénéficier d'un enseignement dans sa langue maternelle. La
décision attaquée doit donc être annulée, sans qu'il soit en-
core nécessaire de statuer sur le caractère prétendument ar-

bitraire de l'interprétation donnée par l'autorité intimée à
l'art. 9 de la loi scolaire et sur la violation éventuelle
du
principe de la protection de la bonne foi.

b) Compte tenu de l'issue du recours, le présent ar-
rêt doit être rendu sans frais (art. 156 al. 2 OJ) et il y a
lieu d'allouer des dépens aux recourants (art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et annule l'arrêt attaqué.

2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3. Dit que le canton de Fribourg versera aux recou-
rants une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire des recourants, à la Direction de l'instruction publi-
que et des affaire culturelles et au Tribunal administratif
du canton de Fribourg.
___________

Lausanne, le 2 novembre 2001
ROC/dxc

Au nom de la IIe Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2P.112/2001
Date de la décision : 02/11/2001
2e cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-11-02;2p.112.2001 ?
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