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22/10/2001 | SUISSE | N°1A.136/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 22 octobre 2001, 1A.136/2001


«/2»

1A.136/2001

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

22 octobre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Favre.
Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

R._________, représenté par Me Eric Hess, avocat à Genève,

contre

la décision rendue le 11 juillet 2001 par la Direction géné-
rale des douanes;

(

entraide judiciaire à l'Espagne)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 4 mai 1998, ...

«/2»

1A.136/2001

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

22 octobre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Favre.
Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

R._________, représenté par Me Eric Hess, avocat à Genève,

contre

la décision rendue le 11 juillet 2001 par la Direction géné-
rale des douanes;

(entraide judiciaire à l'Espagne)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 4 mai 1998, puis les 16 et 18 juin suivants,
le Tribunal d'instruction no 11 de Malaga a adressé à la
Suisse une demande d'entraide judiciaire pour les besoins
d'une enquête pénale ouverte pour escroquerie, obtention
frauduleuse de subventions, contrebande et faux. Dans sa
demande initiale, le magistrat requérant expose qu'un total
de 14'000 tonnes d'huile d'origine turque et tunisienne
auraient été débarquées au Portugal entre les mois de juin
1993 et novembre 1994, et n'auraient été que partiellement
dédouanées. L'huile aurait ensuite été introduite en Espagne
par la société M.________ comme huile communautaire, sur la
base de fausses factures des sociétés Z.________ et
E.________, permettant ainsi d'obtenir des subventions de la
part de l'Etat espagnol, pour le compte de la Communauté
européenne, ce qui serait confirmé par les documents saisis
en mains de la société M.________. La demande fait encore
état de l'implication supposée de G.________ et de
R._________, ressortissant français dirigeant la société
C.________ et associé au dénommé H.________ dans la société
V.________; une télécopie adressée par la société E.________
à la société C.________ priait R._________ d'intervenir
"dans
un problème de transfert de fonds". La documentation et le
blocage des comptes détenus par A.________, R._________ et
G.________ étaient notamment requis.

B.- Le 9 juin 1998, la Direction générale des doua-
nes (ci-après: DGD), à qui l'exécution de cette demande
avait
été déléguée, est entrée en matière, considérant que les
agissements décrits pourraient constituer des escroqueries
fiscales. La direction du IIIe arrondissement des douanes, à
Genève, était chargée de l'exécution.

Le 18 juin 1998, une perquisition a eu lieu auprès
de la banque F.________. Les documents relatifs aux comptes
no xxx (détenu par R._________ et clôturé le 18 février
1995)
et no yyy (détenu par A.________, clôturé le 12 janvier
1995)
ont été produits par la banque.

C.- Par décision de clôture du 11 juin 1999, la DGD
a décidé de transmettre à l'autorité requérante les
documents
précités. Cette décision n'a été transmise au conseil de
R._________ par la banque F.________ que le 11 octobre 1999,
avec notamment le procès-verbal de saisie. La demande d'en-
traide et ses compléments ont été remis en consultation le
6 décembre 1999. Les pièces à transmettre ont pu être consul-
tées le 19 janvier 2000 et, le 26 janvier 2000, une partie
en
a été restituée.

Après opposition de R._________, la DGD a rendu le
27 mars 2000 une nouvelle ordonnance de clôture, considérant
que la demande faisait état d'un cas d'escroquerie fiscale.
Aucune indication n'était donnée par l'autorité requérante
quant à la prescription des infractions. Les investigations
avaient révélé que R._________ et la société C.________
avaient des liens étroits avec les autres personnes et enti-
tés impliquées. Les pièces ne présentant qu'un lointain rap-
port avec la demande avaient été restituées, mais les autres
documents présentaient un lien certain avec l'enquête espa-
gnole et n'allaient pas au-delà de l'entraide requise.

Cette décision a été confirmée par arrêt du Tribunal
fédéral du 4 septembre 2000; l'exposé de la demande était
suffisant, et les principes de la double incrimination et de
la proportionnalité étaient respectés.

D.- Les 4 avril, 25 avril et 26 juin 2000, l'auto-
rité requérante a adressé différents compléments à ses de-
mandes d'entraide. Elle indiquait avoir découvert trois

comptes auprès de la banque P.________ en Espagne, détenus
par R._________ et le dénommé N.________, qui auraient reçu
différents versements provenant notamment de la banque
F.________, et dont l'autorité requérante désirait connaître
le donneur d'ordre.

Le 12 décembre 2000, le conseil de R._________ s'est
adressé à la DGD pour lui faire part d'une violation du prin-
cipe de la spécialité commise par le juge d'instruction espa-
gnol, lequel s'était engagé à remettre les procès-verbaux
dressés en Suisse à un Tribunal de Setubal (Portugal),
chargé
de juger de l'affaire d'importation d'huile d'olive. L'auto-
rité espagnole a été interpellée à ce sujet par l'OFJ, le 19
décembre 2000. Le 21 mars 2001, l'OFJ a également attiré
l'attention de l'autorité requérante sur le fait qu'un juge-
ment d'acquittement était intervenu le 10 janvier 2001 au
Portugal, ce qui pourrait rendre sans objet la demande d'en-
traide. Il était rappelé que toute transmission à un Etat
tiers, de renseignements remis par la Suisse, était soumise
à
l'approbation de l'office. Le juge espagnol s'est déterminé
le 7 mai 2001: à l'exception de G.________, le jugement
rendu
au Portugal ne concernait pas les personnes poursuivies en
Espagne, et il se rapportait uniquement à l'importation
d'huile de noisette; le jugement était d'ailleurs frappé
d'appel. Quant à la transmission d'informations au Portugal,
le juge se défendait d'avoir pris des engagements en ce
sens:
les autorités portugaises avaient simplement été invitées à
faire savoir si elles étaient intéressées à la documentation
remise par la Suisse; elles y avaient d'ailleurs renoncé,
compte tenu du jugement intervenu.

E.- Par décision du 11 juillet 2001, la DGD a clô-
turé la procédure et décidé de transmettre à l'autorité espa-
gnole les documents saisis le 7 mars 2001 auprès de la
banque
F.________ concernant le compte no xxx détenu par

R._________, à partir duquel des montants avaient été versés
à la banque P.________.

F.- R._________ forme un recours de droit adminis-
tratif contre cette dernière décision. Il en demande l'annu-
lation, le refus de l'entraide et de toute transmission à
l'autorité requérante, subsidiairement l'obtention
préalable,
de la part de cette dernière, d'une garantie expresse de res-
pect de la règle de la spécialité.

La DGD et l'OFJ concluent au rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recours de droit administratif est formé en
temps utile contre une décision de clôture rendue par l'auto-
rité fédérale d'exécution (art. 80g de la loi fédérale sur
l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS
351.1). Le recourant a qualité pour recourir contre la trans-
mission de pièces relatives au compte bancaire dont il est
titulaire (art. 80h let. b EIMP, art. 9a let. a OEIMP).
S'agissant d'une décision de clôture complémentaire, le re-
courant ne saurait soulever que des objections qui n'ont pas
été déjà définitivement écartées antérieurement, en particu-
lier celles que le Tribunal fédéral a examinées dans son ar-
rêt du 4 septembre 2000. Le recourant se fonde d'une part
sur
le principe ne bis in idem, en raison d'un jugement
intervenu
au Portugal le 10 janvier 2001, et sur le principe de la spé-
cialité, en raison des transmissions à l'autorité fiscale es-
pagnole et d'une offre de transmission au Portugal. Tous ces
événements sont postérieurs aux précédentes décisions de clô-
ture et peuvent, par conséquent, être invoqués à ce stade de
la procédure.

2.- Le recourant invoque la règle "ne bis in idem"
(art. 5 EIMP). I1 estime que le jugement rendu le 10 janvier

2001 par le Tribunal de Setubal concerneraient les mêmes per-
sonnes que celles qui sont poursuivies en Espagne, en parti-
culier le recourant lui-même, qui fait l'objet d'un mandat
d'arrêt lancé par le juge espagnol. Les faits retenus se-
raient les mêmes, soit onze importations d'huile depuis la
Turquie et la Tunisie, la marchandise ayant été débarquée à
Setubal. Même s'il se rapporte aux seules infractions d'asso-
ciation criminelle et d'escroquerie, ce jugement retient que
l'huile a été déchargée en quantité déclarée, et que des
transports frauduleux n'ont pu être établis. Ce jugement
aurait fait l'objet d'un appel, limité à la question de l'im-
portation d'huile de noisette. Le jugement serait définitif
en ce qui concerne la question de l'huile d'olive, qui fait
l'objet de l'enquête en Espagne. S'agissant d'infractions à
caractère douanier, le jugement rendu dans un Etat de
l'Union
européenne lierait les autres Pays membres.

a) Selon l'art. 5 al. 1 let. a EIMP, la demande
d'entraide est irrecevable si, en Suisse ou dans l'Etat où
l'infraction a été commise, le juge a prononcé un non-lieu
ou un acquittement ou s'il a renoncé, provisoirement ou dé-
finitivement, à infliger une sanction. Le recourant omet tou-
tefois de se demander à quelles conditions le principe "ne
bis in idem" peut être pris en considération selon la Conven-
tion européenne d'entraide judiciaire en matière pénale
(CEEJ, RS 0.351.1). Selon la jurisprudence en effet, dans
les
relations avec les Etats parties à la CEEJ, le droit interne
ne saurait s'appliquer à la place du droit conventionnel que
lorsqu'il pose des conditions plus favorables à l'entraide
(ATF 123 II 134 consid. 1a et les arrêts cités).

b) Or, selon la réserve formulée par la Suisse à
propos de l'art. 2 CEEJ, le principe "ne bis in idem" ne sau-
rait faire échec à une demande d'entraide judiciaire que
dans
les cas où une procédure pénale est pendante en Suisse ou a
abouti, dans cet Etat, à un jugement pénal sur le fond.
Ainsi

défini de manière plus restrictive qu'à l'art. 5 al. 1 let.
a
EIMP, le principe "ne bis in idem" ne permet pas de refuser
l'entraide judiciaire au motif qu'une décision d'abandon de
poursuite a été rendue dans l'Etat requérant, voire dans un
Etat tiers. Par ailleurs, l'argumentation du recourant est
contredite par les indications apportées par le Magistrat re-
quérant, selon lequel, même si les faits sont identiques,
les
normes appliquées au Portugal seraient différentes de celles
qui fondent la poursuite en Espagne. Les personnes
concernées
par l'enquête au Portugal ne sont pas non plus les mêmes, à
l'exception de R._________, G.________ et N.________. Il n'y
a pas lieu, cela étant, de rechercher, compte tenu de la na-
ture des infractions, dans quelle mesure un jugement d'ac-
quittement rendu au Portugal lierait le juge espagnol.

3.- Le recourant invoque ensuite le principe de la
spécialité. Il relève que selon la réglementation espagnole,
l'autorité judiciaire aurait l'obligation de communiquer à
l'autorité fiscale toute information utile à cette dernière.
Le juge espagnol aurait d'ailleurs agi dans ce sens le 21
février 2001, en transmettant les pièces d'exécution de sa
commission rogatoire à un service de l'administration fis-
cale. Par ailleurs, le juge d'instruction requérant avait
déjà sollicité, dans sa demande initiale du 4 mai 1998, la
possibilité de transmettre les documents aux autorités portu-
gaises ou italiennes. Le 5 décembre 2000, il avait claire-
ment offert au Tribunal de Setubal de lui transmettre le
procès-verbal d'interrogatoire de O.________; après le refus
du Tribunal portugais, il serait à craindre qu'une démarche
semblable soit entreprise auprès des autorités italiennes.
Des garanties précises devraient en tout cas être exigées
sur
ces points.

a) Interpellé au sujet de son offre de transmission
aux autorités portugaises, le magistrat requérant a précisé
que ses communications du 5 décembre 2000 et du 16 février

2001 ne tendaient pas à remettre inconditionnellement les do-
cuments transmis par la Suisse, mais à savoir si l'autorité
portugaise y était toujours intéressée. Le message du 5 dé-
cembre 2000 pourrait certes être interprété différemment;
car
le juge espagnol y indique que la déclaration de O.________
serait "remise dès réception". Le message suivant est toute-
fois moins catégorique, les autorités portugaises étant invi-
tées à faire savoir leur intérêt à consulter le document et,
le cas échéant, à prélever des pièces. En définitive, il y a
lieu de s'en tenir à l'interprétation du juge requérant, se-
lon laquelle une transmission directe des pièces remises par
la Suisse n'était pas envisagée. Ces éclaircissements, appor-
tés après que l'OFJ avait spécialement attiré l'attention de
l'autorité requérante sur les exigences découlant du
principe
de la spécialité, sont également valables quant à une éven-
tuelle transmission à l'Italie, le Portugal y ayant pour sa
part définitivement renoncé.

b) Le recourant évoque aussi l'obligation, qui exis-
terait en droit espagnol, de communiquer au fisc tous rensei-
gnements susceptibles de l'intéresser. Cette obligation n'im-
plique toutefois pas que le principe de la spécialité ne
pourra pas être respecté lorsque l'ordonnance de clôture
sera
communiquée, avec les réserves habituelles relatives à ce
principe. Cette réserve, et en particulier l'interdiction de
toute utilisation des renseignements transmis à des fins fis-
cales, a d'ailleurs déjà été communiquée à l'autorité requé-
rante par l'OFJ, le 19 décembre 2000. L'autorité requérante
se trouve ainsi liée par les conditions posées par la
Suisse,
et il n'y a aucune raison de penser que l'Etat requérant se
soustraira à ses obligations. L'existence d'une disposition
de droit interne instaurant une obligation d'informer le
fisc

ne change rien à cette conclusion: il peut raisonnablement
être présumé que les organes de l'Etat requérant feront pri-
mer une obligation internationale vis-à-vis d'un Etat cocon-
tractant sur une disposition de leur droit interne.

4.- Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit
administratif doit être rejeté. Un émolument judiciaire est
mis à la charge du recourant qui succombe, conformément à
l'art. 156 al. 1 OJ.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours.

2. Met à la charge du recourant un émolument judi-
ciaire de 5'000 fr.

3. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, à la Direction générale des douanes et à
l'Office fédéral de la justice (B 110785).

Lausanne, le 22 octobre 2001
KUR/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.136/2001
Date de la décision : 22/10/2001
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-10-22;1a.136.2001 ?
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