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16/10/2001 | SUISSE | N°4C.121/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 16 octobre 2001, 4C.121/2001


«/2»

4C.121/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

Séance du 16 octobre 2001

Présidence de M. Walter, président de la Cour.
Présents: M. Leu, M. Corboz, Mme Klett, M. Nyffeler, juges.
Greffière: Mme de Montmollin Hermann.
___________

Dans la cause civile pendante
entre

A.________, demanderesse et recourante, représentée par Me
Jean-Bernard Waeber, avocat à Genève,

et

X.________ S.A., défenderesse et intimée, représentée par Me
Jean-Paul

El Zayadi et Me Efstratios Sideris, avocats à
Genève;

(contrat de travail; licenciement abusif)

Vu les pièces du dossi...

«/2»

4C.121/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

Séance du 16 octobre 2001

Présidence de M. Walter, président de la Cour.
Présents: M. Leu, M. Corboz, Mme Klett, M. Nyffeler, juges.
Greffière: Mme de Montmollin Hermann.
___________

Dans la cause civile pendante
entre

A.________, demanderesse et recourante, représentée par Me
Jean-Bernard Waeber, avocat à Genève,

et

X.________ S.A., défenderesse et intimée, représentée par Me
Jean-Paul El Zayadi et Me Efstratios Sideris, avocats à
Genève;

(contrat de travail; licenciement abusif)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- A.________ est entrée au service de X.________
S.A. (ci-après: X.________) le 1er mars 1970. Elle a d'abord
occupé la fonction d'hôtesse d'accueil, puis de cheffe d'es-
cale à l'aéroport de Cointrin. Le 25 octobre 1999,
X.________, sous la signature du directeur de la compagnie
pour la Suisse, B.________, a résilié le contrat pour le 31
janvier 2000; la licenciée était libérée de l'obligation de
travailler à compter du 1er novembre 1999; son salaire men-
suel se montait alors à 6 143 fr. brut.

Par courrier du 18 novembre 1999, A.________ a
formé opposition à ce congé, qu'elle considérait comme
abusif, intervenant après trente années de service et quel-
ques jours avant le départ en retraite du directeur
B.________; selon elle, en la licenciant, ce dernier avait
pour but de préparer l'accession de son collègue C.________
au poste de directeur. D'après la travailleuse, B.________
avait déclaré, dès son arrivée en Suisse et devant témoins,
qu'il voulait casser "l'ambiance féminine" qui régnait à
Genève. Un congé donné dans ces conditions tombait donc sous
le coup de l'art. 336 al. 1 let. a CO. La salariée réclamait
aussi le paiement d'heures de travail effectuées le dimanche.

X.________ a répondu par courrier du 10 décembre
1999. La société réfutait catégoriquement les accusations de
la licenciée. Elle précisait: "Pour ce qui est des raisons
de
votre licenciement, nous portons votre attention sur les
faits suivants: depuis longtemps et à plusieurs reprises
vous
avez exécuté les tâches qui vous étaient confiées par votre
employeur sans y employer la diligence nécessaire. Le fait
que vous n'avez pas exécuté avec soin vos tâches de responsa-
bilité pour le "handling" de nos avions a causé un dommage

financier considérable à X.________. Pour ce qui est des pré-
tentions que vous faites valoir concernant les heures du di-
manche, nous sommes de l'avis que de telles prétentions ne
sont pas fondées et nous les rejetons, et même si de telles
prétentions devaient exister, nous les considérons comme com-
pensées par du temps libre, vu que vous êtes actuellement
dispensée de votre travail."

B.- Le 14 janvier 2000, A._______ a assigné
X.________ devant la juridiction des prud'hommes du canton
de
Genève en paiement de 54 039 fr., plus intérêts, notamment à
titre d'indemnité pour congé abusif et de salaire pour le
travail du dimanche. Par jugement du 26 mai 2000, le
Tribunal
des prud'hommes a condamné la défenderesse à verser à son an-
cienne employée 36 858 fr. net.

Sur appel de l'employeur et appel incident de la
travailleuse, la Cour d'appel de la juridiction des prud'hom-
mes, par arrêt du 9 janvier 2001, a annulé le jugement du 26
mai 2000 et débouté la demanderesse de toutes ses conclu-
sions.

C.- A.________ recourt en réforme au Tribunal fé-
déral. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt de la Cour
d'appel, et à la condamnation de X.________ à lui verser les
sommes nettes suivantes : 30 929 fr., 6 000 fr. et
7 600 fr., intérêts en sus. Subsidiairement, elle conclut au
renvoi de l'affaire à l'autorité cantonale pour qu'elle sta-
tue dans le sens des considérants.

X.________ propose la confirmation de l'arrêt atta-
qué.

La Cour d'appel se réfère à ses considérants.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- La Cour d'appel a examiné les allégués récipro-
ques des parties à propos des motifs du congé.

L'autorité cantonale a retenu tout d'abord que les
griefs invoqués par la défenderesse à l'appui du
licenciement
n'avaient pas été rendus vraisemblables. Les motifs invoqués
par l'employeur faisaient figure de prétextes, plutôt que de
véritables griefs, étant encore observé que plusieurs
témoins
avaient décrit la demanderesse comme une employée modèle. Se-
lon la cour, la travailleuse était ainsi parvenue à
présenter
des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel
le motif avancé par l'employeur et comme plus plausible, pri-
ma facie, le motif abusif dont elle se prévalait.

Cependant, cette conclusion ne devait pas nécessai-
rement entraîner l'admission des prétentions de
l'intéressée.
Pour cela, il fallait que la procédure contienne
suffisamment
d'éléments permettant de considérer que le motif sous-jacent
du licenciement possédait un caractère abusif, en l'occurren-
ce parce qu'il aurait trouvé son fondement dans des
exigences
inadmissibles, liées à la personnalité de l'employée, en par-
ticulier à son sexe ou/et à sa nationalité. La cour a jugé
que tel n'était pas le cas. Ses considérants à ce sujet se
lisent comme suit: "De l'ensemble des pièces et témoignages
recueillis il appert que l'arrivée du nouveau directeur
B.________ a été mal vécue par une partie du personnel et
que
la volonté de celui-ci - sinon de restructurer, en tout cas
de modifier l'organisation de la compagnie - n'a peut-être
pas toujours été exprimée et concrétisée de manière
adéquate.
Cette volonté de modification, vécue par certains comme au-
tant de tracasseries, paraît avoir conduit à la formation de
"clans" et à la détérioration de l'ambiance sur le lieu de
travail." Selon la Cour, "c'est dans ce contexte qu'est in-

tervenu le licenciement litigieux, vraisemblablement dicté
par le souci du directeur de désigner un nouveau chef d'es-
cale, en la personne de C.________. Pour inélégante que soit
la formule, dès lors qu'elle allait toucher une employée
ancienne et compétente, elle n'en revêt pas pour autant un
caractère abusif. D'autre part, le souhait prêté au nouveau
directeur de privilégier, à l'avenir, l'engagement de per-
sonnel parlant le grec était en soi légitime, s'agissant
d'une compagnie grecque. Il pouvait se comprendre comme une
exigence de compétence, et non comme une atteinte à la per-
sonnalité. Encore faudrait-il - en outre - que cette
exigence
ait été démontrée, ce qui n'est pas le cas (...). Ainsi, la
procédure ne comporte pas d'éléments suffisants pour démon-
trer que le licenciement (de la demanderesse) aurait été
dicté par sa personnalité, son sexe ou sa nationalité." Le
congé avait donc un caractère non abusif.

Pour la cour cantonale, les mêmes raisons devaient
entraîner le rejet des conclusions de la demanderesse
tendant
à l'octroi d'une indemnité pour tort moral.

Enfin, les indemnités réclamées par la travailleuse
pour son activité dominicale avaient pour fondement une pré-
tendue promesse verbale qui n'avait été confirmée par aucune
pièce ni par aucun témoignage. Elles devaient donc être éga-
lement refusées.

2.- La demanderesse se plaint en premier lieu d'une
violation de l'art. 336a CO. Elle soutient que la question
fondamentale pour déterminer le caractère abusif ou non du
licenciement est de savoir si son remplacement par
C.________
répondait vraiment à un objectif de gestion de l'entreprise
ou à la seule sanction par l'employeur des "qualités" absen-
tes chez la demanderesse mais présentes chez son successeur,
soit la nationalité grecque et le sexe masculin. Dès lors
que, d'une part, aucune critique fondée ne lui a été
adressée

et que, d'autre part, il n'a été ni prouvé ni même allégué
qu'il était nécessaire ou utile d'avoir un chef d'escale à
Cointrin parlant grec, ayant cette nationalité ou étant de
sexe masculin, la travailleuse reproche à la cour cantonale
de ne pas avoir tranché pourquoi la défenderesse l'a rempla-
cée, après 29 ans de service et alors qu'elle occupait le
poste, par un homme qui ne travaillait à l'aéroport que de-
puis août 1997. Les juges ne pourraient se contenter d'hy-
pothèses quant aux raisons qui ont fondé la décision de ré-
siliation. En l'absence de toute autre motivation, la cour
ne
pouvait écarter les motifs qu'elle a elle-même qualifiés com-
me étant les plus plausibles, à savoir les motifs abusifs.

La demanderesse invoque aussi la violation de
l'art. 3 de la loi sur l'égalité (LEg), qui prohibe les dis-
criminations fondées sur le sexe. Elle expose qu'en décidant
de la licencier pour la remplacer par un collègue, sans
aucun
motif établi, l'employeur a, prima facie, commis une viola-
tion de la loi sur l'égalité. La travailleuse pourrait donc
se prévaloir du caractère vraisemblable de la discrimination
au sens de l'art. 6 LEg.

La demanderesse invoque encore la violation des
art. 328 et 49 CO. Au vu des circonstances de son renvoi,
elle aurait droit à une indemnité pour tort moral.

Enfin, la demanderesse reprend sa conclusion en
rémunération du travail du dimanche, en invoquant la viola-
tion des art. 19 aLT et 60 aOLT2.

3.- a) En principe un contrat de travail de durée
indéterminée peut être résilié librement moyennant respect
du
délai de congé contractuel ou légal. Ce droit fondamental de
chaque cocontractant de mettre fin unilatéralement au
contrat
est cependant limité par les dispositions sur le congé
abusif
(art. 336 ss CO). L'art. 336 CO énumère, de façon non exhaus-

tive, les cas dans lesquels un congé apparaîtra abusif. En
particulier, l'art. 336 al. 1 let. a CO qualifie d'abusif le
congé donné par une partie pour une raison inhérente à la
personnalité de l'autre partie, à moins que cette raison
n'ait un lien avec le rapport de travail ou ne porte sur un
point essentiel un préjudice grave au travail dans l'entre-
prise. La disposition vise le congé discriminatoire, fondé
par exemple sur la race, la nationalité, l'âge, l'homosexua-
lité, les antécédents judiciaires ou encore la maladie, la
séropositivité (ATF 127 III 86 consid. 2a). La sanction
d'une
résiliation abusive est l'allocation d'une indemnité selon
l'art. 336a CO (ATF 121 III 60 consid. 3b).

Les motifs du congé relèvent du fait et, partant,
lient le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme
(art.
63 al. 2 OJ; ATF 127 III 86 consid. 2a). Le fardeau de la
preuve du caractère abusif de la résiliation incombe à la
partie qui s'est vu signifier le congé (ATF 123 III 246 con-
sid. 4b).

Aux termes de l'art. 335 al. 2 CO, la partie qui
donne le congé doit motiver sa décision par écrit si l'autre
partie le demande. Selon la jurisprudence, la résiliation
déploie cependant ses effets indépendamment du respect de
cette exigence. Le congé est donc valable en cas de motiva-
tion manquante, fausse ou incomplète. Une violation de
l'obligation de motivation ne devrait mener qu'à des sanc-
tions indirectes dans le procès portant sur la protection
contre le congé que ce soit au niveau de l'appréciation des
preuves ou de la répartition des frais et dépens. Le légis-
lateur n'a pas prévu d'autres sanctions, qui auraient été
imaginables, pour la violation de l'obligation de
motivation,
telles que la nullité de la résiliation, un droit propre à
indemnisation analogue à l'art. 336a CO ou la présomption
légale du caractère abusif de la résiliation (ATF 121 III 60
consid. 3b).

Certes, en introduisant l'obligation de motivation,
le législateur voulait faciliter, à l'égard de la partie à
laquelle le congé a été notifié, la preuve - difficile à
rapporter - du caractère abusif; mais il ne voulait pourtant
pas l'en libérer. C'est la raison pour laquelle le Tribunal
fédéral a posé, toujours dans le même arrêt, que le travail-
leur congédié ne pouvait - comme il l'avait fait dans le cas
d'espèce - se contenter d'affirmer que les motifs de résilia-
tion invoqués par l'employeur étaient inexacts sans, de son
côté, indiquer le véritable motif abusif de la résiliation.
A
défaut de présomption légale quant au caractère abusif de la
résiliation en cas de motivation manquante, fausse ou incom-
plète, il fallait s'en tenir, également dans des hypothèses
de ce genre, aux fardeaux de l'allégation et de la preuve
(ATF 121 III 60 consid. 3c).

b) Dans un arrêt un peu plus ancien (4C.27/1992 du
30 juin 1992 reproduit in SJ 1993 360 consid. 3a), le Tribu-
nal fédéral s'est montré plus nuancé sur le sujet. S'il a
aussi posé que, sur le motif du congé, le fardeau de la preu-
ve incombe à la partie demanderesse, il a reconnu que la
preuve ayant pour objet des éléments subjectifs - à savoir
le
motif réel de l'employeur - est difficile à apporter. Aussi,
a-t-il précisé, le juge peut présumer en fait l'existence
d'un congé abusif lorsque l'employé parvient à présenter des
indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le
motif avancé par l'employeur. Si elle facilite la preuve,
cette présomption de fait n'a cependant pas pour effet d'en
renverser le fardeau. Elle constitue, en définitive, une
forme de "preuve par indices". Et, de son côté, l'employeur
ne peut plus rester inactif; il n'a pas d'autre issue que
d'apporter les preuves à l'appui de ses propres allégations
quant au motif du congé.

Cette manière de voir rencontre l'approbation d'une
grande partie de la doctrine; certains auteurs préconisent

même, de lege ferenda, l'introduction d'une présomption - de
droit - de l'abus de la résiliation dans certaines circons-
tances (Rehbinder, Commentaire bernois, n° 11 ad art.
336
CO;
Denis Humbert, Der neue Kündigungsschutz im Arbeitsrecht,
thèse, Zurich, 1991, p. 61 et 126; Dieter M. Troxler, Der
sachliche Kündigungsschutz nach Schweizer Arbeitsvertrags-
recht, p. 149; cf. Marie-Gisèle Zoss, La résiliation abusive
du contrat de travail, thèse Lausanne 1997, p. 274). Les
avantages de l'admission d'une présomption de fait (tatsäch-
liche ou natürliche Vermutung) du caractère abusif du congé
dans des circonstances de vacuité de motifs ont été présen-
tés, en particulier, par Philippe Nordmann (Die missbräuchli-
che Kündigung im schweizerischen Arbeitsvertragsrecht unter
besonderer Berücksichtigung des Gleichstellungsgesetzes, thè-
se publiée en 1998 par les Basler Studien zur Rechtswissen-
schaft, Band 41, p. 37-41, et 282-284). D'autres auteurs
s'étaient d'ailleurs déjà référés auparavant à la
présomption
de fait (Staehelin/Vischer, Commentaire zurichois, n° 36 ad
art. 336 CO; Andrea Tarnutzer-Münch, in Stellenwechsel und
Entlassung, Geiser/Münch (Hrsg.) p. 70 n° 2.30).

c) Une telle présomption de fait est fondée sur
l'expérience générale de la vie (Staehelin/Sutter, Zivil-
prozessrecht, p. 181 n° 106). Elle consiste à tenir pour
établis, en l'absence de preuves, des faits qui sont confor-
mes au cours ordinaire des choses, à l'expérience générale
de
la vie et que le juge n'a pas de raison de mettre en doute
sauf preuve contraire (Poudret, COJ II, n° 4.3.3 ad art. 43
OJ et auteurs cités). Savoir si une présomption de fait est
admissible ou non dans certaines circonstances et qu'elles
en
sont les conséquences pour l'application du droit dépend,
dans son domaine d'application, du droit fédéral (cf. ATF
117
II 256 consid. 3b et 3c). Le point de savoir si une telle
présomption est réalisée ou non relève néanmoins de l'appré-
ciation des preuves et non de l'application du droit
fédéral,
appréciation des preuves qui lie le Tribunal fédéral en ins-

tance de réforme (art. 63 al. 2 OJ, arrêt cité in SJ 1993
360
consid. 3a). Les conclusions tirées de l'expérience générale
de la vie ne sont contrôlées, dans ce cadre, que dans la me-
sure où elles ont une importance qui dépasse l'état de fait
concret et où elles adoptent une fonction de norme. Cette
fonction normative n'est cependant donnée au critère d'expé-
rience que si le jugement hypothétique qu'il contient, fondé
sur des expériences faites dans d'autres cas, prétend s'ap-
pliquer de manière générale dans le futur aux cas
semblables,
c'est-à-dire lorsque la règle tirée de l'expérience a
atteint
un tel degré d'abstraction qu'elle acquiert un caractère nor-
matif. Lorsque par contre, comme en l'espèce, le juge de
l'affaire se fonde uniquement sur l'expérience générale de
la
vie pour déduire un état de fait précis de l'ensemble des
circonstances du cas concret ou des indices établis, on est
en présence d'une appréciation des preuves qui n'est pas
susceptible de contrôle (ATF 126 III 10 consid. 2b; 125 III
461 consid. 2b; 123 III 241 consid. 3a; 117 II 256 consid.
2b; cf. Spühler, Wann sind Grundsätze der Lebenserfahrung
allgemeine Rechtssätze?, in SJZ 93 (1997) p. 392 ss).

d) En l'occurrence, les constatations de la cour
cantonale quant aux motifs de congé prêtent à confusion.

aa) La cour cantonale a retenu que les griefs invo-
qués par l'employeur n'avaient pas été rendus
vraisemblables,
qu'ils faisaient figure de prétextes plutôt que de
véritables
griefs et que la demanderesse était parvenue à présenter des
indices suffisants pour faire apparaître comme non réels les
motifs avancés par l'employeur, et comme plus plausible, pri-
ma facie, le motif abusif dont elle se prévalait.

A ce stade, il apparaît que les deux parties n'ont
pas pu satisfaire à leur devoir d'apporter la preuve de
leurs
allégués. Dans ces conditions, les juges précédents auraient

pu présumer en fait l'existence d'un congé abusif, donné
pour
une raison inhérente à la personnalité de la demanderesse.

bb) La cour cantonale semble toutefois avoir fait
un pas de plus.

La cour s'est demandée si le motif sous-jacent du
licenciement trouvait son fondement dans des exigences inad-
missibles liées à la personnalité de l'employée, en particu-
lier son sexe ou sa nationalité.

La cour répond que "tel n'est pas le cas". Elle
justifie sa position en relevant d'abord que l'arrivée d'un
nouveau directeur a été mal vécue par une partie du person-
nel, qu'elle "paraît" avoir donné lieu à la formation de
clans et à la détérioration de l'ambiance sur le lieu de
travail. Le licenciement litigieux est intervenu dans ce
contexte. La cour indique donc que le congé aurait été "vrai-
semblablement" dicté par le souci de nommer un nouveau chef
d'escale.

Dominé, on l'a vu, par la liberté contractuelle, le
Code des obligations garantit en principe à chaque partie le
droit de mettre fin unilatéralement au contrat, sous réserve
d'abus. Rien n'empêche par conséquent un employeur,
confronté
à une situation de travail tendue, de chercher à rétablir la
situation en licenciant l'un de ses employés, pour autant
qu'il ne se laisse pas guider dans son choix par des
critères
qui n'ont pas lieu, comme le sexe, l'âge ou la nationalité,
ce qui précisément constitue l'hypothèse visée par l'art.
336
al. 1 let. a CO - étant encore réservé son devoir de respec-
ter les droits de la personnalité du travailleur selon
l'art.
328 al. 1 CO, lequel impose à l'employeur, lorsqu'il se trou-
ve face à un important conflit relationnel opposant deux per-
sonnes qui ne sont pas faites pour s'entendre, de prendre
les

mesures adéquates pour désamorcer le conflit (ATF 127 III 86
consid. 2b; 125 III consid. 2c p. 74.).

En l'occurrence toutefois, les considérants de la
décision attaquée laissent apparaître la présence de
quelques
doutes dans l'esprit des juges cantonaux quant à la réalité
de la détérioration du climat à laquelle ils font allusion.
On ignore en outre la gravité de cette mauvaise ambiance, ou
dans quelle mesure la responsabilité de cette situation pour-
rait éventuellement incomber à la demanderesse, et sur quoi
le choix de renvoyer celle-ci plutôt qu'un autre se fonde-
rait.

cc) Sur ce, la cour ajoute que la volonté de privi-
légier, à l'avenir, l'engagement de personnel parlant le
grec
était en soi légitime, s'agissant d'une compagnie grecque;
elle pouvait se comprendre comme une exigence de compétence,
et non comme une atteinte à la personnalité. De toute façon,
cette exigence n'avait pas été démontrée, puisque les témoi-
gnages recueillis - opérant une confusion entre les préten-
dues exigences de la direction d'avoir du personnel parlant
grec ou de sexe masculin -, de même que la comparaison des
personnes en fonction du temps du directeur B.________ et de
celles engagées depuis lors, conduisaient à écarter l'argu-
mentation de la demanderesse.

Ce faisant, la cour réfute seulement une argumen-
tation liée à la politique générale de gestion du personnel
de l'entreprise défenderesse; ceci ne signifie pas encore
que, dans le cas particulier, le sexe ou la nationalité de
la
travailleuse licenciée n'ait pas motivé le choix de la rem-
placer au poste de cheffe d'escale. En tous les cas, la déci-
sion attaquée, là encore, souffre d'ambiguïté.

dd) S'agissant du sexe, on précisera un point. Dans
la mesure où la cour cantonale devait considérer - ce qui

n'apparaît pas de manière tout à fait claire dans l'arrêt at-
taqué lorsqu'on y lit que la demanderesse est "parvenue à
présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme
non réel le motif avancé par l'employeur, et comme plus plau-
sible, prima facie, le motif abusif dont elle se prévaut" (à
savoir son sexe et/ou sa nationalité) - que la demanderesse
aurait réussi à rendre vraisemblable (ATF 125 III 368
consid.
4 p. 372 et l'arrêt cité) l'existence d'une discrimination,
il conviendrait de faire application de l'art. 6 LEg insti-
tuant un renversement du fardeau de la preuve (cf. ATF 127
III 207 consid. 3b; Sabine Steiger-Sackmann, Commentaire de
la loi sur l'égalité, n° 49 ss p. 176 ss). C'est dire que,
sous cet angle, le résultat du litige dépendrait du point de
savoir dans quelle mesure la défenderesse aurait réussi à
établir, dans le cas concret (cf. Sabine Steiger-Sackmann,
op. cit., n° 46 p. 176), que le sexe de la demanderesse n'a
pas été un facteur déterminant dans la décision de mettre un
terme à son contrat.

ee) Au vu de ce qui précède, on doit constater que
l'arrêt attaqué, contradictoire à maints égards, ne permet
pas de comprendre quels sont, de l'avis de la cour
cantonale,
les motifs qui ont conduit au licenciement litigieux. Dans
ces circonstances, il convient de l'annuler et de renvoyer
l'affaire à la cour cantonale pour qu'elle éclaircisse, con-
formément à l'art. 51 al. 1 let. c OJ, le résultat de l'ap-
préciation des preuves, qu'elle indique sans ambiguïté
quelle
est sa conviction sur la base des preuves apportées, qu'elle
précise là où sont ses doutes, voire qu'elle complète si né-
cessaire certaines constatations de fait sur la base de
l'art. 64 al. 1 OJ, et en tire les conséquences juridiques
selon les principes rappelés plus haut.

4.- En dehors du congé abusif lui-même, aucun élé-
ment de l'arrêt ne fait ressortir que la recourante a subi
un
préjudice particulier, pouvant justifier l'octroi d'une in-

demnité supplémentaire, pour tort moral. Le recours apparaît
donc mal fondé sur sur ce point.

5.- La conclusion en rémunération du travail du di-
manche paraît également devoir être rejetée. Il a été tenu
pour constant qu'elle a été fondée sur une promesse verbale
qui n'a pu être prouvée. Le Tribunal fédéral est lié par cet-
te constatation de fait (art. 63 al. 2 OJ)

6.- Vu l'issue de la cause, les frais seront répar-
tis par moitié entre les parties et les dépens compensés.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet partiellement le recours, annule l'arrêt
attaqué, et renvoie le dossier à l'autorité cantonale pour
nouvelle décision au sens des considérants;

2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. pour
moitié à la charge de la recourante et pour moitié à la
charge de l'intimée;

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour d'appel de la juridiction
des
prud'hommes du canton de Genève (cause n° C/549/2000-3).

________

Lausanne, le 16 octobre 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,

La greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.121/2001
Date de la décision : 16/10/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-10-16;4c.121.2001 ?
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