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15/10/2001 | SUISSE | N°1A.149/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 15 octobre 2001, 1A.149/2001


«/2»

1A.149/2001

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

15 octobre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Favre.
Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

la société F.________, représentée par MMes Dominique Poncet
et Vincent Solari, avocats à Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 27 juin 2001 par la Chambre d'

accusa-
tion du canton de Genève;

(entraide judiciaire avec le Pakistan)

Vu les pièces du dossier d'où ressorten...

«/2»

1A.149/2001

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

15 octobre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Favre.
Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

la société F.________, représentée par MMes Dominique Poncet
et Vincent Solari, avocats à Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 27 juin 2001 par la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève;

(entraide judiciaire avec le Pakistan)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 16 octobre 1997, le Juge d'instruction du
canton de Genève est entré en matière sur une demande d'en-
traide judiciaire formée par le Procureur général du
Pakistan, dans le cadre d'une enquête dirigée contre Benazir
Bhutto, ancien Premier ministre, son mari Asif Ali Zardari
et
sa mère Nusrat Bhutto, soupçonnés de s'être indûment
enrichis
dans l'exercice de leurs fonctions. Ayant précédemment
obtenu
le blocage des comptes bancaires dont pouvaient disposer les
personnes poursuivies, l'autorité requérante désirait
obtenir
la documentation bancaire complète, ainsi que la remise des
avoirs déposés. Le juge d'instruction a confirmé les mesures
de blocage, et a ordonné la saisie des documents bancaires,
dès 1992. Le 17 octobre 1997, il a ordonné une perquisition
dans une étude d'avocats genevois, et a saisi, le 22 octobre
suivant, divers documents.

Une procédure pénale pour blanchiment d'argent a par
ailleurs été ouverte à Genève.

B.- Le 27 novembre 1997, le juge d'instruction est
entré en matière sur une demande d'entraide complémentaire
précisant en quoi consistent les agissements poursuivis,
soit
la réception, par Zardari, avec l'accord de Benazir Bhutto,
de plusieurs centaines de millions d'US$ de commissions et
de
pots-de-vin, au moyen de sociétés "offshore" détenant des
comptes en Suisse, avec la participation d'un avocat gene-
vois. Des actes d'entraide complémentaires ont été admis et
exécutés.

C.- Par ordonnance du 23 février 2001, le juge
d'instruction a prononcé la clôture partielle de la
procédure
et la transmission au Pakistan de l'intégralité de la docu-
mentation relative au compte n° zzz détenu par la société

F.________ auprès de l'UBS de Genève, et dont Benazir Bhutto
et Zardari était les ayants droit économiques. S'agissant de
l'admissibilité de la demande d'entraide sous l'angle de
l'art. 2 let. a EIMP, le juge d'instruction a rappelé les
termes de deux ordonnances rendues par la Chambre d'accusa-
tion, l'une dans le cadre de la procédure d'entraide,
l'autre
dans le cadre de la procédure pénale: le Pakistan avait as-
suré non seulement la réciprocité, mais aussi la conformité
de ses procédures aux exigences du Pacte ONU II, et il n'y
avait pas lieu de douter de la sincérité de cet engagement.
Le principe de la spécialité était rappelé à l'intention de
l'autorité requérante.

D.- La société F.________ a saisi la Chambre d'accu-
sation genevoise en évoquant des défauts graves de la procé-
dure pénale au Pakistan: la procédure dirigée contre Benazir
Bhutto et ses proches n'avait d'autre but que d'évincer
cette
opposante au pouvoir alors en place. Les renseignements four-
nis par le juge d'instruction genevois à l'appui de sa deman-
de d'entraide adressée au Pakistan avaient été utilisés
comme
des moyens de preuve dans le procès qui s'était tenu le 15
avril 1999 et avait abouti à une condamnation de Benazir
Bhutto et de son mari à cinq ans de réclusion et à plusieurs
millions d'US$ d'amende. Ce jugement avait été annulé sur
appel. Un coup d'état avait eu lieu en octobre 1999 et le
Pakistan était soumis à un régime militaire contrôlant le
pouvoir judiciaire. Il était apparu que le procès avait été
dirigé par le Premier ministre Sharif, lequel avait été en-
suite renversé puis banni. Les assurances données en 1997 à
propos de la garantie du procès équitable et de l'indépendan-
ce des tribunaux étaient fallacieuses. La société
F.________,
ses organes et ses ayants droit étaient exposés aux consé-
quences de ces violations, ainsi qu'à une confiscation arbi-
traire de leurs actifs.

E.- Par ordonnance du 27 juin 2001, la Chambre d'ac-
cusation a déclaré le recours irrecevable: l'art. 2 EIMP,
destiné à protéger l'accusé dans la procédure étrangère, ne
pouvait être invoqué par une personne morale non concernée
par la situation des droits de l'homme dans l'Etat
requérant.
La seule transmission de documents bancaires ne menaçait pas
son existence, et elle n'était pas admise à intervenir pour
la défense de ses ayants droit ou des personnes poursuivies.

F.- La société F.________ forme un recours de droit
administratif contre cette dernière décision. Elle en
demande
l'annulation, ainsi que le refus de l'entraide judiciaire.

La Chambre d'accusation se réfère aux considérants
de son ordonnance. Le juge d'instruction conclut au rejet du
recours, l'Office fédéral de la justice à son irrecevabilité
et subsidiairement à son rejet.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Selon les art. 80e let. b et 80f al. 2 de la loi
fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale
(EIMP, RS 351.1), le recours de droit administratif est rece-
vable à l'encontre des décisions de clôture de l'autorité
cantonale d'exécution confirmées par l'autorité cantonale de
dernière instance. Indépendamment de sa légitimation sur le
fond, la recourante a qualité pour contester le prononcé
d'irrecevabilité de la cour cantonale (ATF 122 II 130
consid.
1 p. 132).

2.- La recourante se plaint d'un déni de justice
formel. Le recours cantonal n'était pas fondé uniquement sur
l'art. 2 EIMP, mais faisait également état de la mauvaise
foi
de l'Etat requérant. Le Pakistan n'avait, selon la recouran-
te, pas respecté les assurances données dans la lettre du 20
septembre 1997: le procès, qui s'est tenu le 15 avril 1999,

s'était déroulé selon les directives du pouvoir exécutif; le
tribunal s'était fondé sur des pièces transmises par la
Suisse en annexe à une commission rogatoire du juge d'ins-
truction genevois, sans que la valeur de ces pièces ne soit
discutée, sans que les témoins de la défense ne soient enten-
dus et en l'absence de tout débat; le jugement aurait été ré-
digé la veille de son prononcé. L'existence de tribunaux
d'exception chargés de juger les affaires de corruption ne
serait pas non plus en accord avec les garanties données. La
cour cantonale aurait omis de statuer sur ces arguments.

a) Composante du droit d'être entendu garanti par
l'art. 29 al. 2 Cst., l'obligation de motiver impose à l'au-
torité d'examiner les arguments qui lui sont soumis, et dont
dépend l'issue de la procédure. Le justiciable doit ainsi sa-
voir pourquoi l'autorité ne l'a pas suivi dans son argumenta-
tion. L'autorité doit exposer les raisons qui ont conduit au
prononcé, afin notamment de permettre à l'intéressé de recou-
rir en connaissance de cause (ATF 126 I 97 consid. 2b p.
102).

b) En l'espèce, la cour cantonale a considéré que la
recourante n'avait pas qualité pour invoquer l'art. 2 EIMP
et
les défauts de la procédure pénale au Pakistan,
argumentation
dont le bien-fondé est examiné ci-dessous. En revanche, elle
ne s'est effectivement pas prononcée sur les arguments rela-
tifs à la mauvaise foi alléguée de l'Etat requérant. Elle
n'avait toutefois pas à le faire car les arguments de la re-
courante consistaient à contester l'aptitude ou la volonté
de
l'Etat requérant de respecter les assurances qu'il avait
déjà
données sur ce point. Or, si la qualité pour agir était dé-
niée à la recourante s'agissant des défauts de la procédure,
elle devait logiquement l'être également s'agissant des assu-
rances données à ce sujet. La Chambre d'accusation pouvait
donc se dispenser d'une motivation spécifique.

3.- La recourante critique ensuite l'ordonnance
d'irrecevabilité prise à son encontre. Elle relève que son
recours cantonal visait également les ordonnances d'admissi-
bilité et de blocage de son propre compte, et que l'autorité
requérante envisageait de confisquer ses actifs, voire de
lui
infliger une amende. La recourante s'estime ainsi touchée
par
la transmission de documents bancaires, et elle agirait dans
son propre intérêt. Faute de lui reconnaître la qualité pour
recourir, personne ne pourrait dénoncer les défauts enta-
chant, selon elle, la procédure étrangère, alors que la
Suisse doit en tenir compte en vertu du Pacte ONU II et de
la
CEDH. Une personne morale serait habilitée à invoquer les ga-
ranties découlant de ces instruments internationaux.

a) La jurisprudence rappelée par la Chambre d'accu-
sation considère que les personnes morales n'ont en principe
pas qualité pour invoquer des défauts pouvant entacher la
procédure pénale dans l'Etat requérant (ATF 126 II 258 con-
sid. 2b p. 260 et les arrêts cités). La qualité pour agir
par
la voie du recours de droit administratif n'est en effet re-
connue qu'à la personne qui est "personnellement et directe-
ment touchée" par la mesure d'entraide et dispose d'un inté-
rêt digne de protection à ce que cette mesure soit annulée
ou
modifiée. La règle de l'art. 80h let. b EIMP ne fait que re-
prendre celle, générale, de l'art. 103 let. a OJ.

aa) Cette réglementation, applicable au recours de
droit administratif dans son ensemble, régit également la re-
cevabilité des différents griefs soulevés. Ainsi, même si la
qualité pour agir est reconnue de manière générale à la per-
sonne qui est, comme en l'espèce, personnellement touchée
par
les actes d'entraide (saisie de documents relatifs à un
compte bancaire dont elle est titulaire - cf. art. 9a let. a
OEIMP), il se peut que la recevabilité de certains griefs dé-
terminés soit niée, car leur admission ne serait pas suscep-
tible de procurer un avantage, de fait ou de droit, à celui

qui les soulève. Ainsi en va-t-il du niveau de protection
des
droits de l'homme dans l'Etat requérant, ou de la conformité
de la procédure avec les garanties découlant de la CEDH ou
du
Pacte ONU II: seules les personnes susceptibles de pâtir des
défauts invoqués ont qualité pour en faire des motifs d'oppo-
sition à l'entraide judiciaire, car l'art. 2 EIMP tend essen-
tiellement à la protection de la personne poursuivie. La ju-
risprudence raisonne de même avec le principe de la spéciali-
té: seules les personnes potentiellement touchées par une
violation de ce principe (notamment par des procédures fisca-
les alimentées par les renseignements remis par la Suisse)
ont qualité pour s'en plaindre. Le recours de droit adminis-
tratif n'est pas ouvert pour la défense de tiers, voire dans
l'intérêt de la loi ou de l'Etat (ATF 125 II 356 consid.
3b/bb p. 362/363).

bb) Selon la pratique actuelle, fondée sur une col-
laboration judiciaire la plus large possible, les défauts
éventuels de la procédure pénale ne conduisent guère au
refus
pur et simple de l'entraide judiciaire, mais tout au plus à
la formulation de réserves et de conditions. Celles-ci peu-
vent faire l'objet de la procédure spéciale prévue à l'art.
80p EIMP, visant à obtenir un engagement formel de la part
de
l'Etat requérant. Dès lors, si elle a un intérêt au refus de
l'entraide judiciaire, la personne qui n'est touchée qu'en
Suisse sans être poursuivie ou inquiétée à l'étranger, n'a
aucun intérêt, juridique ou pratique, à l'octroi d'une en-
traide conditionnelle et à l'obtention d'un engagement de la
part de l'Etat étranger dès lors que, pour ce qui la concer-
ne, les renseignements demandés sont transmis à l'autorité
requérante.

cc) La recourante soutient que si la personne
concernée par les actes d'entraide n'est pas habilitée à dé-
noncer les défauts de la procédure étrangère, la Suisse pour-
rait accorder sa collaboration en ignorant purement et sim-

plement ces motifs d'irrecevabilité. Elle perd toutefois de
vue que le respect des standards minimaux de procédure fait,
par le biais de l'art. 2 EIMP, partie des conditions préala-
bles à l'octroi de l'entraide judiciaire, au même titre que
la nature de l'infraction poursuivie (art. 3 EIMP), l'impor-
tance du cas (art. 5 EIMP) et l'absence d'une cause d'extinc-
tion de l'action pénale (art. 5 EIMP). Ces conditions sont
examinées, sommairement mais d'office, par l'OFJ (art. 78
EIMP), puis par l'autorité chargée de l'exécution (art. 80a
et 80d EIMP). La jurisprudence a relevé à plusieurs reprises
que la Suisse contreviendrait elle-même à ses obligations in-
ternationales en prêtant son concours, par le biais de l'ex-
tradition ou de l'entraide judiciaire, à des procédures im-
pliquant des risques de traitements contraires à la CEDH ou
au Pacte ONU II; les motifs d'exclusion visés à l'art. 2
let.
a, b et c EIMP relèvent de l'ordre public national, au res-
pect duquel toute autorité doit veiller spontanément. L'ab-
sence de qualité pour recourir ne signifie donc pas pour au-
tant absence de contrôle.

En l'occurrence, un tel contrôle a été effectué par
le juge d'instruction, dans ses ordonnances d'entrée en ma-
tière puis de clôture, ainsi que par la Chambre
d'accusation,
dans ses ordonnances rendues dans le cadre de la procédure
pénale et d'entraide judiciaire; la recourante elle-même en
conteste d'ailleurs le résultat.

dd) Il n'y a dès lors pas lieu de se départir du
principe selon lequel la recourante n'a qualité pour se pré-
valoir de l'art. 2 EIMP que dans la mesure où elle est, au
moins potentiellement, touchée par les défauts dont elle se
plaint.


b) La recourante a son siège dans les Iles Vierges
Britanniques et on ne voit pas, a priori, en quoi elle pour-
rait être concernée par la situation des droits de l'homme
ou

les vices de procédure dans l'Etat requérant. Elle relève
que
son nom figure dans la demande d'entraide, et que celle-ci
tendrait à la saisie de ses avoirs en vue de leur confisca-
tion. Une telle décision de confiscation pourrait être prise
dès réception de la documentation recueillie en Suisse et
une
amende serait en outre susceptible d'être prononcée à son en-
contre. Toutefois, la recourante ne prétend pas qu'elle dis-
poserait de bureaux ou d'avoirs d'aucune sorte au Pakistan,
susceptibles de faire directement l'objet de mesures d'inves-
tigation ou de confiscation. Dès lors, si une mesure de con-
fiscation devait être prononcée dans l'Etat requérant, celui-
ci devrait encore demander à la Suisse la remise des avoirs,
selon la procédure prévue à l'art. 74a EIMP, et l'autorité
suisse requise devra examiner, dans ce contexte, si la pro-
cédure étrangère présente des garanties suffisantes (ATF 123
II 595 consid. 7c p. 616 ss; 123 II 134 consid. 7b p. 143;
SJ
2000 I 501).

Au stade de la transmission de simples renseigne-
ments, les arguments de la recourante sont donc irrecevables.

4.- Le recours de droit administratif doit par
conséquent être rejeté. Un émolument judiciaire est mis à la
charge de la recourante, qui succombe (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours.

2. Met à la charge de la recourante un émolument
judiciaire de 5000 fr.

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires de la recourante, au Juge d'instruction et à la Cham-
bre d'accusation du canton de Genève, ainsi qu'à l'Office fé-
déral de la justice (B 107 700).

Lausanne, le 15 octobre 2001
KUR/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.149/2001
Date de la décision : 15/10/2001
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-10-15;1a.149.2001 ?
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