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09/10/2001 | SUISSE | N°I.229/01

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 09 octobre 2001, I.229/01


«AZA 7»
I 229/01 Mh

IIIe Chambre

MM. les juges Schön, Président, Spira et Ursprung.
Greffier : M. Berthoud

Arrêt du 9 octobre 2001

dans la cause

Office de l'assurance-invalidité du canton du Jura, rue
Bel-Air 3, 2350 Saignelégier, recourant,

contre

A.________, intimée, représentée par Maître Alain Steullet,
avocat, rue des Moulins 12, 2800 Delémont,

et

Tribunal cantonal de la République et canton du Jura,
Porrentruy

A.- A.________ a travaillé en q

ualité d'assistante
sociale à l'Hôpital X.________, à plein temps dès l'année
1970, puis à 80 % à partir de 1987. Invoquant des doul...

«AZA 7»
I 229/01 Mh

IIIe Chambre

MM. les juges Schön, Président, Spira et Ursprung.
Greffier : M. Berthoud

Arrêt du 9 octobre 2001

dans la cause

Office de l'assurance-invalidité du canton du Jura, rue
Bel-Air 3, 2350 Saignelégier, recourant,

contre

A.________, intimée, représentée par Maître Alain Steullet,
avocat, rue des Moulins 12, 2800 Delémont,

et

Tribunal cantonal de la République et canton du Jura,
Porrentruy

A.- A.________ a travaillé en qualité d'assistante
sociale à l'Hôpital X.________, à plein temps dès l'année
1970, puis à 80 % à partir de 1987. Invoquant des douleurs
lombaires et cervicales, une fatigue excessive ainsi que
des crises de migraine fréquentes (rapport de la doctoresse
B.________, du 11 novembre 1997), elle a sollicité le
versement d'une rente de l'assurance-invalidité, le
7 octobre 1997.

L'Office de l'assurance-invalidité du canton du Jura
(l'office AI du Jura) a recueilli l'avis des docteurs
C.________ et D.________, médecins au Service de rhuma-
tologie, médecine physique et rééducation de l'Hôpital
Y.________. Dans leur rapport d'expertise du 29 juin 1998,
ces derniers ont diagnostiqué, parmi d'autres affections,
un syndrome douloureux chronique de l'appareil locomoteur
(fibromyalgie), des lombo-sciatalgies gauches et des mi-
graines chroniques. En raison de ces troubles, les docteurs
C.________ et D.________ ont estimé que la capacité de
travail de l'assurée dans son activité d'assistante sociale
s'élevait entre 50 et 60 %. L'administration en a déduit
que le taux d'invalidité de l'assurée dans son activité
lucrative était de 50 %.
L'office AI du Jura a appliqué la méthode mixte d'éva-
luation de l'invalidité et arrêté la part des activités
lucratives et ménagères de l'assurée respectivement à 80 %
et 20 %. Dans l'exercice des tâches ménagères, il a retenu
un taux d'invalidité de 30 % (cf. enquête économique sur le
ménage du 30 septembre 1998).
Par décision du 10 mars 2000, l'office AI du Jura a
alloué un quart de rente simple d'invalidité à l'assurée,
ainsi que deux rentes complémentaires simples pour enfant,
fondées sur un degré d'invalidité de 46 % (50 % de 80 %,
30 % de 20 %).
L'assurée s'est établie en Valais en décembre 1999. Le
27 mars 2000, l'Office de l'assurance-invalidité du canton
du Valais (l'office AI du Valais) a rendu une décision por-
tant sur les rentes complémentaires pour enfant. Ultérieu-
rement, par décision du 17 novembre 2000, il a adapté le
montant des rentes dès le 1er décembre 2000. Dans celles-
ci, il n'a pas remis en cause le taux d'invalidité retenu
par l'office AI du Jura.

B.- A.________ a recouru contre ces trois décisions
devant la Chambre des assurances du Tribunal cantonal
jurassien, en concluant à l'octroi d'une demi-rente d'inva-
lidité dès le 1er décembre 1997 pour elle-même, assorties
des rentes complémentaires correspondantes.
Par jugement du 8 mars 2001, la juridiction cantonale
a admis les recours et annulé les décisions des 10 mars et
17 novembre 2000. En bref, elle a considéré que l'assurée
avait réduit son activité professionnelle en 1997, soit un
peu plus de huit mois avant le dépôt de sa demande de pres-
tations. En conséquence, les premiers juges ont estimé que
l'administration aurait dû appliquer la méthode générale de
comparaison des revenus au lieu de la méthode mixte, si
bien que la cause devait être renvoyée à l'office AI pour
qu'il procède à l'évaluation de l'invalidité selon cette
méthode.

C.- L'office AI du Jura interjette recours de droit
administratif contre ce jugement dont il demande l'annula-
tion, en concluant au rétablissement de sa décision du
10 mars 2000, ce que l'Office fédéral des assurances socia-
les propose également. Quant à l'office AI du Valais, il
invite le Tribunal fédéral des assurances à admettre le
recours de l'office AI du Jura et à ordonner un complément
d'instruction, aux termes d'un préavis circonstancié qui
sera résumé ci-après.
L'intimée conclut au rejet du recours, avec suite de
dépens. Elle précise qu'elle avait saisi l'office AI du
Valais d'une nouvelle demande de prestations, le 13 février
2001; comme celle-ci porte sur des faits survenus en 1999,
soit antérieurement à la première décision litigieuse, elle
invite le Tribunal fédéral des assurances à statuer sur
ladite demande.

Considérant en droit :

1.- Le litige porte sur le degré d'invalidité de
l'intimée (cf. art. 4 et 28 LAI), que le recourant a fixé à
46 %, et par voie de conséquence sur le droit de celle-ci à
une rente d'invalidité.

2.- Dans la procédure de recours concernant l'octroi
ou le refus de prestations d'assurance, le pouvoir d'examen
du Tribunal fédéral des assurances n'est pas limité à la
violation du droit fédéral - y compris l'excès et l'abus du
pouvoir d'appréciation - mais s'étend également à l'oppor-
tunité de la décision attaquée. Le tribunal n'est alors pas
lié par l'état de fait constaté par la juridiction infé-
rieure, et il peut s'écarter des conclusions des parties à
l'avantage ou au détriment de celles-ci (art. 132 OJ).
Par ailleurs, le Tribunal fédéral des assurances
n'étant pas lié par les motifs que les parties invoquent
(art. 114 al. 1 en corrélation avec l'art. 132 OJ), il
examine d'office si le jugement attaqué viole des normes de
droit public fédéral ou si la juridiction de première
instance a commis un excès ou un abus de son pouvoir
d'appréciation (art. 104 let. a OJ). Il peut ainsi admettre
ou rejeter un recours sans égard aux griefs soulevés par le
recourant ou aux raisons retenues par le premier juge (ATF
124 V 340 consid. 1b et les références).

3.- a) Selon l'art. 4 al. 1 LAI, l'invalidité est la
diminution de la capacité de gain, présumée permanente ou
de longue durée, qui résulte d'une atteinte à la santé
physique ou mentale provenant d'une infirmité congénitale,
d'une maladie ou d'un accident.

b) Parmi les atteintes à la santé psychique, qui peu-
vent, comme les atteintes physiques, provoquer une invali-
dité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI, on doit mentionner - à
part les maladies mentales proprement dites - les anomalies

psychiques qui équivalent à des maladies. On ne considère
pas comme des conséquences d'un état psychique maladif,
donc pas comme des affections à prendre en charge par
l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de
gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de
bonne volonté; la mesure de ce qui est exigible doit être
déterminée aussi objectivement que possible. Il faut donc
établir si et dans quelle mesure un assuré peut, malgré son
infirmité mentale, exercer une activité que le marché du
travail lui offre, compte tenu de ses aptitudes. Le point
déterminant est ici de savoir quelle activité peut raison-
nablement être exigée dans son cas. Pour admettre l'exis-
tence d'une incapacité de gain causée par une atteinte à la
santé mentale, il n'est donc pas décisif que l'assuré
exerce une activité lucrative insuffisante; il faut bien
plutôt se demander s'il y a lieu d'admettre que la mise à
profit de sa capacité de travail ne peut, pratiquement,
plus être raisonnablement exigée de lui, ou qu'elle serait
même insupportable pour la société (ATF 102 V 165; VSI 2000
p. 153 consid. 2a et les références).

c) Selon la jurisprudence, des troubles somatoformes
douloureux peuvent, dans certaines circonstances, provoquer
une incapacité de travail (ATF 120 V 119 consid. 2c/cc;
RSAS 1997 p. 75; RAMA 1996 n° U 256 pp. 217 ss consid. 5
et 6). De tels troubles entrent dans la catégorie des
affections psychiques, pour lesquelles une expertise
psychiatrique est en principe nécessaire quand il s'agit de
se prononcer sur l'incapacité de travail qu'ils sont
susceptibles d'entraîner (VSI 2000 p. 160 consid. 4b).
A cet égard, la doctrine a décrit en détail la tâche
de l'expert médical, lorsque celui-ci doit se prononcer sur
le caractère invalidant de troubles somatoformes. Selon
Mosimann, sur le plan psychiatrique, l'expert doit poser un
diagnostic dans le cadre d'une classification reconnue et
se prononcer sur le degré de gravité de l'affection. Il

doit évaluer le caractère exigible de la reprise par l'as-
suré d'une activité lucrative. Ce pronostic tiendra compte
de divers critères, tels une structure de la personnalité
présentant des traits prémorbides, une comorbidité psychia-
trique, des affections corporelles chroniques, une perte
d'intégration sociale, un éventuel profit tiré de la mala-
die, le caractère chronique de celle-ci sans rémission
durable, une durée de plusieurs années de la maladie avec
des symptôme stables ou en évolution, l'échec de traite-
ments conformes aux règles de l'art. Le cumul des critères
précités fonde un pronostic défavorable. Enfin, l'expert
doit s'exprimer sur le cadre psychosocial de la personne
examinée. Au demeurant, la recommandation de refus d'une
rente doit également reposer sur différents critères. Au
nombre de ceux-ci figurent la divergence entre les douleurs
décrites et le comportement observé, l'allégation d'inten-
ses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues,
l'absence de demande de soins, les grandes divergences
entre les informations fournies par le patient et celles
ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très
démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que
l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement
psychosocial intact (Mosimann, Somatoforme Störungen :
Gerichte und [psychiatrische] Gutachten, RSAS 1999, p. 1 ss
et 105 ss; VSI 2000 p. 155 consid. 2c).

4.- a) Dans ses déterminations sur le recours, l'of-
fice AI du Valais fait observer que l'intimée souffre de
fibromyalgie, ainsi que les docteurs C.________ et
D.________ l'ont attesté (rapport du 29 juin 1998). A ce
sujet, l'office se réfère à l'opinion du docteur
E.________, médecin-chef du Service ambulatoire de la
Clinique Z.________, qui estime que la fibromyalgie peut
être assimilée à un trouble somatoforme, plus particulière-
ment au syndrome douloureux somatoforme persistant (Revue
médicale de la Suisse romande, n° 6/2001, pp. 443 ss,
spécialement p. 446).

Cela exposé, l'office AI du Valais remarque qu'on
ignore la mesure dans laquelle le syndrome douloureux in-
fluencerait en l'espèce le degré de la capacité de travail
attesté par les experts C.________ et D.________. Néan-
moins, comme ces derniers ont mentionné en premier lieu
ledit syndrome dans la liste des affections qu'ils ont
diagnostiquées chez l'intimée, l'office estime que ce point
a occupé une place prépondérante dans leur appréciation du
cas.

b) Ainsi que l'office AI du Valais l'admet à juste
titre au terme de son préavis, la gravité du syndrome dou-
loureux et son éventuel caractère invalidant n'a pas été
instruite à satisfaction. En effet, en l'absence d'une
expertise psychiatrique répondant aux exigences posées par
la jurisprudence (cf. VSI 2000 p. 155 consid. 2c), il est
impossible de se prononcer sur l'incapacité de travail que
ledit syndrome douloureux est éventuellement susceptible
d'entraîner chez l'intimée (VSI 2000 p. 160 consid. 4b). En
conséquence, il était prématuré de statuer sur le droit à
la rente en l'état du dossier, si bien que les premiers
juges ont annulé à bon droit les décisions des 10 mars et
17 novembre 2000.
La juridiction cantonale de recours a omis de se pro-
noncer sur la décision du 27 mars 2000 dont l'intimée avait
pourtant également requis l'annulation (cf. écriture du
20 avril 2000). Le sort de cette décision est toutefois lié
à celui de la décision du 10 mars 2000, dès lors qu'elle
porte sur des rentes complémentaires pour enfant. Pour les
motifs exposés ci-dessus et par économie de procédure, il
convient aussi de l'annuler.

c) En conséquence, la cause sera renvoyée à l'office
AI du Jura (art. 55 LAI, 40 al. 3 RAI) afin qu'il reprenne
l'instruction de la cause et statue à nouveau. S'il devait
s'avérer que les faits invoqués dans un échange de lettres
des 22 et 28 juin 2001 entre l'intimée et l'office AI du
Valais sont survenus avant le 10 mars 2000, jour où la

première décision litigieuse a été rendue, le recourant en
tiendra également compte (cf. ATF 121 V 366 consid. 1b et
les arrêts cités). Par ailleurs, les circonstances qui
avaient amené l'intimée à réduire son activité lucrative en
1987 n'ont pas été suffisamment éclaircies, de sorte qu'il
n'est pas non plus possible, en l'état, de se prononcer sur
la méthode d'évaluation de l'invalidité qui est applicable
au cas d'espèce (cf. ATF 117 V 194).

5.- La juridiction cantonale a admis le recours et
renvoyé la cause à l'administration afin qu'elle procède
selon les considérants de son jugement. A teneur de ceux-
ci, qui font partie intégrante du dispositif (cf. ATF
113 V 159, SVR 1995 ALV n° 27 p. 68 consid. 1a), il incombe
au recourant d'évaluer l'invalidité de l'intimée selon la
méthode générale de comparaison des revenus et de statuer à
nouveau.
Toutefois, en lieu et place de cette évaluation de
l'invalidité, le recourant devra procéder conformément au
consid. 4 du présent arrêt. Il s'ensuit que le jugement
attaqué sera confirmé dans son dispositif, par substitution
de motifs.
Comme le recourant succombe, il est redevable d'une
indemnité de dépens à l'intimé (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

p r o n o n c e :

I. Le recours est rejeté au sens des considérants.

II. La décision de l'Office de l'assurance-invalidité du
canton du Valais du 27 mars 2000 est annulée.

III. Il n'est pas perçu de frais de justice.

IV. Le recourant versera à l'intimée la somme de 2500 fr.
à titre de dépens (y compris la taxe
à la valeur ajou-
tée) pour l'instance fédérale.

V. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à
l'Office de l'assurance-invalidité du canton du
Valais, à la Chambre des assurances du Tribunal
cantonal jurassien, ainsi qu'à l'Office fédéral des
assurances sociales.

Lucerne, le 9 octobre 2001

Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la IIIe Chambre :

Le Greffier :


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.229/01
Date de la décision : 09/10/2001
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-10-09;i.229.01 ?
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