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02/10/2001 | SUISSE | N°1A.135/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 02 octobre 2001, 1A.135/2001


«/2»
1A.135/2001

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
******************************************

2 octobre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Mme la Juge
suppléante Pont Veuthey. Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

E.________, représentée par Me Roland Kaufmann, avocat à
Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 10 mai 2001 par la Chambre d'accusa-
tion du

canton de Genève;

(entraide judiciaire avec la Belgique)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t...

«/2»
1A.135/2001

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
******************************************

2 octobre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Mme la Juge
suppléante Pont Veuthey. Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

E.________, représentée par Me Roland Kaufmann, avocat à
Genève,

contre

l'ordonnance rendue le 10 mai 2001 par la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève;

(entraide judiciaire avec la Belgique)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 18 janvier 1996, puis les 30 septembre 1996
et 17 janvier 1997, un Juge d'instruction près le Tribunal
de
première instance de Bruxelles a requis l'entraide
judiciaire
de la Suisse dans le cadre d'une enquête pénale dirigée con-
tre D.________ et autres, pour des délits de faux, de corrup-
tion, d'abus de confiance et d'escroquerie notamment, en
raison de diverses malversations commises dans le cadre du
groupe B.________, spécialisé dans la fabrication de tapis
et
dirigé par D.________. La demande fait notamment état
d'achats de machines de tapis effectués par des sociétés du
groupe B.________ et subventionnés par l'Etat belge.
L'intervention de sociétés suisses, notamment E.________
(ci-après: E.________) aurait permis d'augmenter artifi-
ciellement la valeur des marchandises. Dans un premier
temps,
le magistrat requérant demandait d'identifier l'adresse de
E.________ (avec photographie du bâtiment) et de produire
les
statuts de cette société. Il requit ensuite l'intégralité de
la facturation. La présence de fonctionnaires belges était
également requise lors de l'exécution des actes d'entraide.

B.- Chargé de l'exécution de ces demandes, le Juge
d'instruction du canton de Genève a rendu, le 21 janvier
1997, une ordonnance d'entrée en matière autorisant la pré-
sence d'enquêteurs étrangers puis, le 24 janvier suivant,
une
ordonnance de perquisition et de saisie tendant à obtenir
les
statuts, factures et photographies du siège de E.________.
Le
28 janvier 1997, il a procédé à une perquisition dans les
locaux de G.________, et à la saisie, sous scellés, de
divers
documents, en présence de deux officiers de police belges. A
cette occasion, un résumé des demandes d'entraide, établi
par

le juge d'instruction, a été remis au représentant de la so-
ciété. Par la suite, les scellés ont été levés, et les ori-
ginaux ont été restitués, une copie étant conservée par le
juge d'instruction.

E.________ a recouru en vain à la Chambre d'accusa-
tion genevoise contre ces décisions d'entrée en matière et
de
perquisition.

C.- Le 14 novembre 2000, le juge d'instruction a
prononcé la clôture de la procédure d'entraide et la trans-
mission à l'autorité requérante des documents suivants:

- le procès-verbal de perquisition du 28 janvier
1997 ainsi que les pièces saisies, numérotées de 9
à 12 soit: les relevés bancaires du compte n° XXX
de E.________ auprès de la SBS, du 1er juin 1991 au
31 octobre 1994; un ordre du 1er mars 1995 concer-
nant un transfert de 2'300'000 US$ et deux confir-
mations y relatives;

- le procès-verbal de la police cantonale zougoise
du 30 janvier 1997 avec sa traduction en français
(les renseignements ne concernant pas E.________
étant caviardés), ainsi que les photographies du
siège et des bureaux de la société.

Le juge d'instruction a considéré que les infrac-
tions décrites seraient notamment constitutives, en droit
suisse, de faux, de corruption, d'escroquerie, d'abus de con-
fiance et de recel. La règle de la spécialité était rappelée
à l'intention de l'autorité requérante. Par pli séparé, il a
délivré un exemplaire caviardé des commissions rogatoires.

D.- E.________ a recouru auprès de la Chambre
d'accusation genevoise contre cette décision de clôture
ainsi
que contre les décisions incidentes antérieures. Elle
demandait préalablement la consultation des commissions
rogatoires, les exemplaires remis ne permettant pas de com-

prendre son implication. Elle se plaignait de la présence
des
enquêteurs étrangers et invoquait par ailleurs les principes
de spécialité, de double incrimination et de proportionnali-
té.

E.- Par ordonnance du 10 mai 2001, la Chambre d'ac-
cusation a rejeté le recours. La recourante s'était vu re-
mettre un résumé des faits établi par le juge d'instruction,
puis, dans le cadre de la procédure de recours, le texte des
commissions rogatoires, caviardé mais comportant encore
toutes les indications pertinentes pour la recourante. La
présence d'enquêteurs étrangers n'était pas critiquable:
dans
une affaire connexe (arrêt du 12 février 2001 dans la cause
C.), le Tribunal fédéral avait admis cette présence, et con-
sidéré qu'une utilisation prématurée des renseignements,
dans
l'Etat requérant, n'était ni démontrée, ni à craindre. Les
vices invoqués étaient de toute façon sans incidence sur
l'octroi de l'entraide et la présence d'enquêteurs étrangers
avait permis d'exécuter la mission en respectant le principe
de la proportionnalité. L'exposé de la demande était touffu
mais compréhensible. Rien ne permettait de penser que la pro-
cédure pénale suivie en Belgique soit de nature purement fis-
cale, et que le principe de la spécialité ne soit pas res-
pecté. La remise de factures et de pièces bancaires corres-
pondait à l'entraide requise, et le principe de la double in-
crimination était respecté, s'agissant de délits de faux et
d'escroquerie, sans qu'il soit besoin d'en déterminer les au-
teurs.

F.- E.________ forme un recours de droit adminis-
tratif. Elle demande principalement l'annulation de l'or-
donnance attaquée ainsi que des décisions du juge d'ins-
truction, et l'obtention d'assurances complémentaires quant
au respect du principe de la spécialité.

La Chambre d'accusation se réfère à son ordonnance.
Le juge d'instruction et l'Office fédéral de la justice con-
cluent au rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recours est formé dans le délai et les formes
utiles contre une décision de clôture, ainsi que contre les
décisions incidentes qui l'ont précédée, confirmées en der-
nière instance cantonale (art. 80e let. a de la loi fédérale
sur l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS
351.1). La recourante est touchée par les mesures
d'entraide,
notamment la perquisition opérée en ses locaux et la saisie
de documents bancaires et de factures. Elle a en principe
qualité pour agir, sous réserve des considérants qui suivent.

2.- La recourante reprend une partie des griefs sou-
mis à la cour cantonale. Elle se prévaut de son droit d'être
entendue, en particulier de son droit d'accès au dossier.
Quatre ans après la perquisition, elle serait toujours dans
l'ignorance des faits de la demande qui la concernent. Son
nom ne figure pas dans le résumé du juge d'instruction, ni
dans la demande du 30 septembre 1996; la demande du 17 jan-
vier 1997 indique seulement qu'elle aurait été "utilisée",
sans préciser comment et à quelles fins.

a) Le droit d'être entendu, garanti de manière géné-
rale par l'art. 29 al. 2 Cst. et, en matière d'entraide judi-
ciaire, par les art. 26 à 30 PA (par renvoi de l'art. 12
EIMP), permet notamment au justiciable de s'expliquer avant
qu'une décision ne soit prise à son détriment, de fournir
des
preuves pertinentes, d'avoir accès au dossier et de partici-
per à la procédure probatoire (ATF 124 I 49 consid. 3a; V
180
consid. 1a et les arrêts cités). L'art. 80b EIMP permet en
outre à l'ayant droit, à moins que certains intérêts ne s'y

opposent (art. 80b al. 2 EIMP), de consulter le dossier de
la
procédure, la demande d'entraide et les pièces annexées. La
consultation ne s'étend en tout cas qu'aux pièces
pertinentes
(art. 26 al. 1 let. a, b et c PA; ATF 119 Ia 139 consid. 2d,
118 Ib 438 consid. 3).

b) La demande d'entraide fait assurément partie des
documents essentiels de la procédure, dont la consultation
ne
saurait être refusée que pour des motifs impérieux tenant en
particulier à l'existence d'un risque de collusion, ou à la
protection du domaine privé de tierces personnes. C'est mani-
festement ce dernier motif qui a conduit le juge d'instruc-
tion à ne fournir, dans un premier temps, qu'un résumé des
demandes d'entraide, puis à ne remettre qu'une version ca-
viardée de ces dernières. Il ressort de ces documents, en
particulier de la demande du 17 janvier 1997, que la recou-
rante serait impliquée dans les opérations de surfacturation
de machines destinées au groupe B.________. Résumant les
faits qui justifiaient les investigations menées à
l'encontre
de la recourante, le juge d'instruction a exposé, dans son
ordonnance de perquisition et de saisie, que E.________
aurait succédé à une autre société, utilisée pour doubler ou
tripler le montant des factures de machines - subventionnées
par l'Etat - adressées au groupe B.________. La Chambre
d'accusation a elle aussi explicité dans ce même sens la
démarche de l'autorité requérante. Les textes caviardés
remis
à la recourante permettent ainsi de comprendre l'objet de la
demande. La Chambre d'accusation a également pu s'assurer
qu'aucune donnée concernant la recourante ne lui avait été
cachée, ce que la cour de céans peut confirmer après avoir
pris connaissance des exemplaires originaux. Les caviardages
opérés par le juge d'instruction apparaissent justifiés, les
demandes faisant état de très nombreuses personnes physiques
et morales sans rapport apparent avec la recourante.
Celle-ci
a pu s'assurer

que les investigations dont elle a fait l'objet
correspondent
bien à la mission confiée par l'autorité requérante, de
sorte
que son droit d'être entendue a été respecté.

En définitive, la recourante ne se plaint pas d'une
violation de ses droits formels, mais d'une motivation insuf-
fisante de la demande d'entraide à son égard. Or, contraire-
ment à ce qu'elle soutient, l'autorité requérante n'a pas à
se montrer plus précise, en imputant par exemple à toutes
les
entités visées un comportement spécifique et pénalement ré-
préhensible. Il suffit que l'on puisse comprendre en quoi
peut consister le rattachement de l'intéressée avec les
faits
décrits, ce qui est le cas en l'espèce.

3.- Pour le surplus, la recourante se plaint du ca-
ractère fiscal de la demande d'entraide, et d'une violation
du principe de la spécialité par la Belgique. L'autorité re-
quérante se serait abstenue d'évoquer une fraude fiscale
pour
n'avoir pas à détailler sa démarche. Selon un représentant
officiel du Parquet de Bruxelles, la procédure se rapporte-
rait bien à de telles fraudes. Le paiement de certaines com-
missions par le groupe B.________ aurait fait l'objet de
décisions de non-lieu au pénal - notamment en raison de la
prescription -, ainsi que d'une procédure fiscale relative à
la déduction de ces commissions, dans laquelle il aurait été
constaté qu'il s'agissait d'opérations réelles et honnêtes.
Par ailleurs, les autorités fiscales auraient un accès total
à la procédure pénale, en vertu de l'art. 327 § 1 du code
belge des impôts sur le revenu. Cet accès aurait été conti-
nuellement accordé dès le 11 janvier 1992. Les notifications
fiscales adressées au groupe B.________ se référeraient
expressément aux pièces du dossier pénal.

a) Le principe de la spécialité, consacré en matière
d'entraide judiciaire à l'art. 67 EIMP, empêche l'Etat requé-
rant d'utiliser les renseignements et documents remis à d'au-

tres fins que la répression des infractions pour lesquelles
la Suisse a accordé sa collaboration, en particulier pour
les
besoins de procédures fiscales. Toutefois, de même que seule
la personne poursuivie peut se prévaloir des vices de procé-
dure mentionnés à l'art. 2 EIMP (pour autant qu'elle en su-
bisse concrètement les conséquences - ATF 125 II 356 consid.
3b/bb p. 362-363), seule la personne susceptible de subir
les
conséquences d'une violation de ce principe a qualité pour
s'en prévaloir. Elle n'est donc pas habilitée à soulever cet
argument au bénéfice de tiers, faute de disposer d'un
intérêt
suffisant (arrêts non publiés du 1er septembre 2000 dans la
cause L. et du 2 avril 1992 dans la cause J.). Le principe
de
la spécialité tend également à protéger la souveraineté de
l'Etat requis, mais le particulier n'a pas non plus qualité
pour agir dans ce sens.

En l'espèce, la recourante, ne prétend pas qu'elle
serait au nombre des personnes concernées par les démarches
d'ordre fiscal entreprises dans l'Etat requérant. L'argument
relatif à la nature fiscale de l'enquête et au principe de
la
spécialité est dès lors irrecevable.

b) Il devrait, de toute façon, être écarté sur le
fond car, comme l'a déjà constaté le Tribunal fédéral dans
ses arrêts du 12 février 2001, et comme cela est relevé dans
l'ordonnance attaquée, à laquelle il peut être renvoyé sur
ce
point, il n'est pas démontré que le fisc de l'Etat requérant
ait disposé de renseignements remis par la Suisse et
couverts
par le principe de la spécialité. Or, en tant que partie à
la
CEEJ, la Belgique bénéficie d'une présomption de respect des
conditions posées par la Suisse en matière d'entraide judi-
ciaire, et une telle présomption ne saurait être renversée
que sur la base d'éléments de preuve incontestables. Contrai-
rement à ce que désire la recourante, il n'y a pas lieu de
revenir sur cette pratique constante, fondée sur
l'obligation
de coopérer telle qu'elle découle du droit conventionnel.


4.- Sur le vu de ce qui précède, les conclusions de
la recourante sont écartées et le recours de droit adminis-
tratif doit être rejeté. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ,
un émolument judiciaire est mis à la charge de la
recourante,
qui succombe.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours.

2. Met à la charge de la recourante un émolument ju-
diciaire de 5000 fr.

3. Communique le présent arrêt en copie au mandatai-
re de la recourante, au Juge d'instruction et à la Chambre
d'accusation du canton de Genève, ainsi qu'à l'Office
fédéral
de la justice.

Lausanne, le 2 octobre 2001
KUR/dxc

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.135/2001
Date de la décision : 02/10/2001
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-10-02;1a.135.2001 ?
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