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1A.131/2001
Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
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2 octobre 2001
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Mme la Juge
suppléante Pont Veuthey. Greffier: M. Kurz.
Statuant sur le recours de droit administratif
formé par
D.________, représentée par Me Vincent Jeanneret, avocat à
Genève,
contre
l'ordonnance rendue le 10 mai 2001 par la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève;
(entraide judiciaire avec la Belgique)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:
A.- Le 18 janvier 1996, puis les 30 septembre 1996
et 17 janvier 1997, un Juge d'instruction près le Tribunal
de
première instance de Bruxelles a requis l'entraide
judiciaire
de la Suisse dans le cadre d'une enquête pénale dirigée con-
tre R.________ et autres, pour des délits de faux, de corrup-
tion, d'abus de confiance et d'escroquerie notamment, en rai-
son de diverses malversations commises dans le cadre du grou-
pe B.________, spécialisé dans la fabrication de tapis et di-
rigé par R.________. La demande fait notamment état d'achats
de machines de tapis effectués par des sociétés du groupe
B.________ et subventionnés par l'Etat belge. L'intervention
de plusieurs sociétés aurait permis d'augmenter artificiel-
lement la valeur des marchandises. Dans la demande du 30
septembre 1996, il est exposé que la société londonienne
Y.________, gérée par M.________, de la société E.________,
et liquidée en 1993, serait impliquée comme intermédiaire;
l'interrogatoire de M.________ est requis, ainsi que la sai-
sie de la comptabilité entre 1989 et 1993. La demande du 17
janvier 1997 fait état d'une falsification de la signature
de
M.________; l'ensemble des documents comptables est requis,
ainsi que les statuts et une photograpie du bâtiment où
siège
la société. La présence de fonctionnaires belges était égale-
ment requise lors de l'exécution des actes d'entraide.
B.- Chargé d'exécuter ces demandes, le Juge d'ins-
truction du canton de Genève a rendu, le 14 puis le 21 jan-
vier 1997, deux ordonnances d'entrée en matière notifiées à
E.________, et autorisant la présence d'enquêteurs
étrangers.
A cette occasion, un résumé des demandes d'entraide, établi
par le juge d'instruction, a été fourni. Il a par la suite
été renoncé à la présence des enquêteurs étrangers.
E.________ et les personnes appelées à témoigner ont
recouru, en vain, à la Chambre d'accusation genevoise contre
ces décisions d'entrée en matière et de perquisition.
M.________ a été entendu les 16 et 23 juin 1998 par
le juge d'instruction, notamment au sujet de Y.________,
dont
il était l'administrateur unique, et des relations de cette
société avec le groupe B.________.
C.- Le 31 octobre 2000, le juge d'instruction a pro-
noncé la clôture de la procédure d'entraide et la transmis-
sion à l'autorité requérante des pièces remises le 23 juin
1998 par E.________, et des procès-verbaux d'auditions des
16
et 23 juin 1998. Il a considéré que les infractions décrites
seraient notamment constitutives, en droit suisse, de faux,
de corruption, d'escroquerie, d'abus de confiance et de re-
cel. La règle de la spécialité était rappelée à l'intention
de l'autorité requérante. Par pli séparé, il a délivré un
exemplaire caviardé des commissions rogatoires.
D.- E.________, devenue D.________ (ci-après:
D.________), a recouru auprès de la Chambre d'accusation ge-
nevoise contre cette décision de clôture. Elle soutenait
essentiellement que la demande d'entraide était insuffisam-
ment motivée, et qu'elle poursuivait un but fiscal.
E.- Par ordonnance du 10 mai 2001, la Chambre d'ac-
cusation a rejeté le recours. La recourante s'était vu remet-
tre un résumé des faits établi par le juge d'instruction,
puis, dans le cadre de la procédure de recours, le texte des
commissions rogatoires, caviardé mais comportant encore tou-
tes les indications pertinentes pour la recourante. Elle
avait pu également consulter les procès-verbaux d'audition
de
M.________. L'exposé de la demande était touffu mais compré-
hensible. Rien ne permettait de penser que la procédure pé-
nale suivie en Belgique soit de nature purement fiscale, et
le principe de la spécialité ne soit pas respecté. La remise
de factures et de pièces bancaires correspondait à
l'entraide
requise, et le principe de la double incrimination était
respecté, s'agissant de délits de faux et d'escroquerie,
sans
qu'il soit besoin d'en déterminer les auteurs.
F.- D.________ forme un recours de droit adminis-
tratif contre cette dernière ordonnance. Elle demande pré-
alablement la consultation du dossier, et la remise de
copies
non caviardées des demandes d'entraide et de la correspondan-
ce échangée entre les autorités suisses et belges. Princi-
palement, elle requiert l'annulation de l'ordonnance
attaquée
et le refus de toute transmission.
La Chambre d'accusation se réfère à son ordonnance.
Le juge d'instruction et l'Office fédéral de la justice con
cluent au rejet du recours.
C o n s i d é r a n t e n d r o i t :
1.- Le recours est formé dans le délai et les formes
utiles contre une décision de clôture confirmée en dernière
instance cantonale (art. 80e let. a de la loi fédérale sur
l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS
351.1). La recourante est touchée par les mesures
d'entraide,
notamment l'audition de son ancien employé et la saisie de
pièces en ses mains. Elle a en principe qualité pour agir,
sous réserve des considérants qui suivent.
2.- La recourante reprend une partie des griefs sou-
mis à la cour cantonale. Elle se prévaut de son droit d'être
entendue, en particulier de son droit d'accès au dossier.
Les
documents qui lui ont été remis, soit le résumé établi par
le
juge d'instruction et les copies caviardées des demandes
d'entraide, ne lui permettraient pas de comprendre l'objet
de
la demande. On ne verrait pas quels motifs s'opposeraient à
une consultation intégrale du dossier. Le texte des disposi-
tions légales belges applicables ne lui aurait pas non plus
été remis.
a) Le droit d'être entendu, garanti de manière géné-
rale par l'art. 29 al. 2 Cst. et, en matière d'entraide judi-
ciaire, par les art. 26 à 30 PA (par renvoi de l'art. 12
EIMP), permet notamment au justiciable de s'expliquer avant
qu'une décision ne soit prise à son détriment, de fournir
des
preuves pertinentes, d'avoir accès au dossier et de partici-
per à la procédure probatoire (ATF 124 I 49 consid. 3a; V
180
consid. 1a et les arrêts cités). L'art. 80b EIMP permet en
outre à l'ayant droit, à moins que certains intérêts ne s'y
opposent (art. 80b al. 2 EIMP), de consulter le dossier de
la
procédure, la demande d'entraide et les pièces annexées. La
consultation ne s'étend en tout cas qu'aux pièces
pertinentes
(art. 26 al. 1 let. a, b et c PA; ATF 119 Ia 139 consid. 2d,
118 Ib 438 consid. 3).
b) La demande d'entraide fait assurément partie des
documents essentiels de la procédure, dont la consultation
ne
saurait être refusée que pour des motifs impérieux tenant en
particulier à l'existence d'un risque de collusion, ou à la
protection du domaine privé de tierces personnes. C'est mani-
festement ce dernier motif qui a conduit le juge d'instruc-
tion à ne fournir, dans un premier temps, qu'un résumé des
demandes d'entraide, puis à ne remettre qu'une version ca-
viardée de ces dernières. Il ressort de ces documents, en
particulier de la demande du 17 janvier 1997, que la société
Y.________ serait impliquée dans les opérations de surfactu-
ration de machines destinées au groupe B.________. Elle se-
rait en effet intervenue comme intermédiaire entre les socié-
tés du groupe pour les achats de machines, et son interven-
tion aurait eu pour seul but d'augmenter artificiellement la
valeur des marchandises. Quant à la société C.________, elle
intéresse l'autorité requérante car elle aurait été créée
par
R.________ et gérée elle aussi par M.________, de sorte
qu'elle pourrait avoir été utilisée à des fins semblables.
La
Chambre d'accusation a explicité dans ce même sens la démar-
che de l'autorité requérante. Les textes caviardés remis à
la
recourante permettent ainsi de comprendre l'objet de la de-
mande. La Chambre d'accusation a également pu s'assurer
qu'aucune donnée concernant Y.________ n'avait été cachée à
la recourante, ce que la cour de céans peut confirmer après
avoir pris connaissance des exemplaires originaux. Les ca-
viardages opérés par le juge d'instruction apparaissent jus-
tifiés, les demandes faisant état de très nombreuses person-
nes physiques et morales sans rapport apparent avec la recou-
rante. Celle-ci a pu s'assurer que les investigations dont
elle a fait l'objet correspondent bien à la mission confiée
par l'autorité requérante, de sorte que son droit d'être en-
tendue a été respecté. Cela entraîne le rejet du grief,
ainsi
que des conclusions préalables de la recourante.
En définitive, la recourante ne se plaint pas d'une
violation de ses droits formels, mais d'une motivation insuf-
fisante de la demande d'entraide à son égard. Or, contraire-
ment à ce qu'elle soutient, l'autorité requérante n'a pas à
se montrer plus précise, en imputant par exemple à toutes
les
entités visées un comportement spécifique et pénalement ré-
préhensible et en indiquant sur quoi reposent ses soupçons.
Il suffit que l'on puisse comprendre en quoi peut consister
le rattachement de l'intéressée avec les faits décrits, ce
qui est le cas en l'espèce.
3.- L'argument relatif à la motivation insuffisante
de la demande doit lui aussi être écarté. Les demandes d'en-
traide évoquent de nombreuses opérations différentes qui se-
raient constitutives de malversations commises dans le cadre
du groupe B.________. Si la plupart de ces opérations ne con-
cernent pas la société Y.________, les faits concernant
cette
dernière sont suffisamment clairs pour comprendre les
raisons
des investigations requises. La recourante fait état de l'an-
cienneté des faits, et de décisions mettant fin, en
Belgique,
à l'action pénale. Elle ne saurait toutefois prétendre que
l'affaire B.________ serait aujourd'hui terminée dans son en-
semble.
4.- La recourante se plaint aussi du caractère fis-
cal de la demande d'entraide, et d'une violation du principe
de la spécialité par la Belgique. Le paiement de certaines
commissions par le groupe B.________ aurait fait l'objet de
décisions de non-lieu au pénal, ainsi que d'une procédure
fiscale relative à la déduction de ces commissions, dans la-
quelle il aurait été constaté qu'il s'agissait d'opérations
réelles et honnêtes. L'augmentation artificielle de la
valeur
des machines serait une accusation purement fiscale, les
autres faits décrits étant pénalement indifférents. Les ques-
tions posées à M.________ seraient essentiellement de nature
fiscale. Par ailleurs, les autorités fiscales auraient un
accès total à la procédure pénale, en vertu de l'art. 327 §
1
du code belge des impôts sur le revenu. Cet accès aurait été
continuellement accordé depuis le 11 janvier 1992, alors
même
que l'instruction serait maintenant close.
a) Le principe de la spécialité, consacré en matière
d'entraide judiciaire à l'art. 67 EIMP, empêche l'Etat requé-
rant d'utiliser les renseignements et documents remis à d'au-
tres fins que la répression des infractions pour lesquelles
la Suisse a accordé sa collaboration, en particulier pour
les
besoins de procédures fiscales. Toutefois, de même que seule
la personne poursuivie peut se prévaloir des vices de procé-
dure mentionnés à l'art. 2 EIMP (pour autant qu'elle en su-
bisse concrètement les conséquences - ATF 125 II 356 consid.
3b/bb p. 362-363), seule la personne susceptible de subir
les
conséquences d'une violation de ce principe a qualité pour
s'en prévaloir. Elle n'est donc pas habilitée à soulever cet
argument au bénéfice de tiers, faute de disposer d'un
intérêt
suffisant (arrêts non publiés du 1er septembre 2000 dans la
cause L. et du 2 avril 1992 dans la cause J.). Le principe
de
la spécialité tend également à protéger la souveraineté de
l'Etat requis, mais le particulier n'a pas non plus qualité
pour agir dans ce sens.
En l'espèce, la recourante, établissement ayant son
siège en Suisse, ne prétend pas qu'elle serait au nombre des
personnes concernées par les démarches d'ordre fiscal entre-
prises dans l'Etat requérant. L'argument relatif à la nature
fiscale de l'enquête et au principe de la spécialité est dès
lors irrecevable.
b) Il devrait, de toute façon, être écarté sur le
fond car, comme l'a déjà constaté le Tribunal fédéral dans
son arrêt C. du 12 février 2001, et comme cela est relevé
dans l'ordonnance attaquée, à laquelle il peut être renvoyé
sur ce point, il n'est pas démontré que le fisc de l'Etat re-
quérant ait disposé de renseignements remis par la Suisse et
couverts par le principe de la spécialité. Or, en tant que
partie à la CEEJ, la Belgique bénéficie d'une présomption de
respect des conditions posées par la Suisse en matière d'en-
traide judiciaire, et une telle présomption ne saurait être
renversée que sur la base d'éléments de preuve incontesta-
bles, inexistants en l'espèce.
5.- La recourante invoque également le principe de
la proportionnalité mais l'argument se confond avec le pré-
cédent, car il consiste uniquement à prétendre que les ren-
seignements pourraient être utilisés à des fins fiscales et
non pénales.
6.- Invoquant enfin
le principe de la double incri-
mination, la recourante soutient que les faits se rapportant
à Y.________ (l'augmentation du prix des marchandises) et à
C.________ (la réception d'un montant très important) ne se-
raient pas pénalement répréhensibles. Elle perd toutefois de
vue que l'autorité suisse d'entraide n'a pas à s'interroger
dans le détail sur l'activité réelle ou alléguée de chacune
des entités visée par les actes d'entraide, mais doit se
livrer à un simple examen d'ensemble des faits décrits. Or,
comme l'a relevé à juste titre la Chambre d'accusation, les
malversations commises dans le cadre du groupe B.________
constitueraient en droit suisse des délits contre le patri-
moine, notamment des escroqueries, ainsi que des délits de
faux dans les titres. Cela est suffisant, sous l'angle de la
double incrimination.
7.- Sur le vu de ce qui précède, les conclusions de
la recourante sont écartées et le recours de droit adminis-
tratif doit être rejeté. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ,
un émolument judiciaire est mis à la charge de la
recourante,
qui succombe.
Par ces motifs,
l e T r i b u n a l f é d é r a l :
1. Rejette le recours.
2. Met à la charge de la recourante un émolument ju-
diciaire de 5000 fr.
3. Communique le présent arrêt en copie au mandatai-
re de la recourante, au Juge d'instruction et à la Chambre
d'accusation canton de Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral
de
la justice.
Lausanne, le 2 octobre 2001
KUR/dxc
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,