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01/10/2001 | SUISSE | N°4C.299/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 01 octobre 2001, 4C.299/2000


«/2»

4C.299/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

1er octobre 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffier:
M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ S.A., défenderesse et recourante, représentée par
Me Baptiste Rusconi, avocat à Lausanne,

et

Y.________ S.A., demanderesse et intimée, représentée par
Me Jean-Pierre Gross, avocat à Lausanne;<

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(responsabilité du mandataire; dommage)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- L...

«/2»

4C.299/2000

Ie C O U R C I V I L E
****************************

1er octobre 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffier:
M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ S.A., défenderesse et recourante, représentée par
Me Baptiste Rusconi, avocat à Lausanne,

et

Y.________ S.A., demanderesse et intimée, représentée par
Me Jean-Pierre Gross, avocat à Lausanne;

(responsabilité du mandataire; dommage)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- L'hoirie O.________ et l'hoirie G.________
étaient propriétaires, en société simple, de domaines agrico-
les, viticoles et arboricoles situés sur le territoire de
trois districts vaudois, ainsi que des actions de Z.________
S.A., propriétaire d'un domaine en Valais.

Préoccupés d'assurer la continuité de l'exploita-
tion, les hoirs ont voulu adopter une structure juridique
qui
lie les générations futures et évite un morcellement de ce
patrimoine foncier.

Ils ont consulté la société B.________ S.A., qui
leur a suggéré de créer une ou plusieurs sociétés anonymes;
examinant les frais de l'opération, la société a indiqué,
sur
le plan fiscal, qu'il faudrait payer les droits cantonaux de
mutation pour les biens immobiliers transférés aux sociétés
anonymes et que ces droits seraient calculés au taux de 3,3%
sur le montant des estimations
fiscales.

Les hoirs ont également consulté A.________ S.A.,
devenue par la suite X.________ S.A. (ci-après: X.________).
Celle-ci, par l'entremise de son expert fiscal, a conseillé
de constituer une unique société anonyme et de lui
transférer
l'ensemble des biens immobiliers, les membres de la société
simple devenant actionnaires de la nouvelle société. S'agis-
sant des frais de l'opération, X.________ a indiqué ce qui
suit: "les conditions et coûts fiscaux à la constitution
sont
identiques à ceux indiqués dans le rapport "B.________",
pour
la création de quatre sociétés anonymes".

Les hoirs ont poursuivi le projet avec X.________
et ont constitué, le 14 décembre 1988, la société Y.________
S.A. (ci-après: Y.________).

Par convention du 29 juin 1989, les membres de la
société simple ont vendu les biens immobiliers, pour leur va-
leur comptable, à Y.________.

L'Administration cantonale des impôts a déterminé
les droits de mutation, conformément à la loi, sur la base
de
la valeur réelle des biens immobiliers, ne retenant ni la va-
leur d'estimation fiscale, ni la valeur comptable, ni la va-
leur de rendement. Après diverses discussions et démarches,
le montant de cet impôt a été arrêté en dernier lieu à
936'666 fr. 25.

Par ailleurs, l'Administration fédérale des contri-
butions, prenant en compte la reprise de biens, a perçu des
droits de timbre d'émission s'élevant à 359'149 fr. 50.

Un expert a fixé à 1'150'616 fr. 05 la différence
entre ce que les hoirs ont pu penser devoir à titre d'impôt
sur la base des renseignements donnés par X.________ et le
montant qui a dû être réellement versé.

Les hoirs ont cédé à Y.________ leur créance contre
X.________ en réparation du dommage causé par la mauvaise
exécution du mandat confié à cette société.

B.- Reprochant à X.________, en tant que mandatai-
re professionnel, d'avoir donné des renseignements fiscaux
inexacts et incomplets, Y.________, agissant en qualité de
cessionnaire, a déposé devant la Cour civile du Tribunal can-
tonal vaudois une demande en réparation datée du 27 décembre
1995, concluant à ce que sa partie adverse soit condamnée à
lui verser la somme de 1'151'616 fr. 10 avec intérêts.

Par jugement du 26 octobre 1999, la cour cantonale
a admis la demande et, en se fondant sur le chiffre articulé
par l'expert, a condamné la défenderesse à payer à la deman-
deresse 1'150'616 fr. 05 avec intérêts à 5% l'an dès le 1er
janvier 1997, ainsi que 427'582 fr. 25 à titre d'intérêts
compensatoires.

C.- La défenderesse exerce un recours en réforme
au Tribunal fédéral. Soutenant qu'elle n'a pas violé fautive-
ment son devoir de diligence, qu'il n'y a pas de causalité
adéquate et que le dommage a été mal déterminé, elle conclut
à la réforme du jugement attaqué en ce sens que les conclu-
sions de la demanderesse sont entièrement rejetées.

Parallèlement à son recours en réforme, la défende-
resse a déposé un recours en nullité sur le plan cantonal,
qui a été rejeté par arrêt du 20 juin 2001 de la Chambre des
recours du Tribunal cantonal vaudois.

L'intimée propose le rejet du recours dans la mesu-
re où il est recevable.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Interjeté par la partie qui a succombé dans
ses conclusions libératoires et dirigé contre un jugement fi-
nal rendu en dernière instance cantonale par un tribunal su-
périeur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont
la valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. (art. 46
OJ), le recours en réforme est en principe recevable, puis-
qu'il a été formé en temps utile (art. 54 al. 1 et 34 al. 1
let. b OJ) dans les formes requises (art. 55 OJ).

b) Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Il ne permet en
revanche
pas d'invoquer la violation directe d'un droit de rang cons-
titutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la violation du
droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts ci-
tés).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus
dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédé-
rales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu à rectification de constatations reposant sur une inad-
vertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille complé-
ter les constatations de l'autorité cantonale parce que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 ibidem). Dans
la
mesure où un recourant présente un état de fait qui s'écarte
de celui contenu dans la décision attaquée, sans se
prévaloir
avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être
rappelées, il n'y a pas lieu d'en tenir compte. Il ne peut
être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni
de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let.
c OJ).

Si le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des
conclusions des parties, lesquelles ne peuvent en prendre de
nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ), il n'est lié ni
par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par
ceux de la décision cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 127 III
248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).

2.- a) Les hoirs ont chargé la recourante, qui a
accepté, d'effectuer une étude et de leur fournir des rensei-
gnements, notamment sur le coût fiscal de la nouvelle struc-
ture juridique qu'ils envisageaient de mettre en place.

Les parties ont donc conclu un contrat de mandat
(art. 394 al. 1 CO).

b) Le mandataire doit exécuter avec soin la mission
qui lui est confiée et sauvegarder fidèlement les intérêts
légitimes de son cocontractant (art. 321a al. 1 CO
applicable
par le renvoi de l'art. 398 al. 1 CO). Il est responsable en-
vers le mandant de la bonne et fidèle exécution de sa
mission
(art. 398 al. 2 CO).

Si le mandant ne peut obtenir l'exécution de
l'obligation ou ne peut l'obtenir qu'imparfaitement, le man-
dataire est tenu de réparer le dommage en résultant, à moins
qu'il ne prouve qu'aucune faute ne lui est imputable (art.
97
al. 1 CO).

c) Chargée notamment de déterminer le coût fiscal
de l'opération envisagée, la recourante, consultée en tant
que fiduciaire dotée d'un expert fiscal renommé, avait
l'obligation d'examiner la question posée avec la diligence
commandée par les circonstances. Par des recherches appro-
priées, que ce soit en consultant des documents ou en se ren-
seignant à bonne source, elle devait déterminer les règles
légales ou jurisprudentielles applicables et, le cas
échéant,
la pratique administrative.

Il a été constaté en fait - d'une manière qui lie
le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme (art. 63
al. 2 OJ) - que la recourante a confirmé le coût fiscal dé-
terminé préalablement par une société d'ingénieurs conseils.
Il n'apparaît pas qu'elle ait entrepris, alors même qu'elle
était mandatée en qualité de spécialiste, la moindre vérifi-
cation sérieuse pour en contrôler l'exactitude. Or, les ren-
seignements fournis se sont révélés gravement erronés.

La société d'ingénieurs conseils avait soutenu
qu'il serait possible, en négociant avec l'administration fé-
dérale, d'échapper aux droits de timbre. La recourante n'a
pas vérifié cette opinion en se renseignant auprès de l'admi-
nistration fiscale et n'a entrepris aucune négociation avec
elle. Les faits retenus par la cour cantonale montrent qu'il
est bien connu dans le milieu professionnel que l'administra-
tion fédérale est stricte dans l'application de la loi. Il
n'y avait donc aucun espoir sérieux d'échapper à cet impôt.
En confortant les hoirs dans l'idée que cet impôt ne serait
pas perçu, la recourante leur a donné avec légèreté un ren-
seignement dépourvu de tout fondement.

La société d'ingénieurs conseils avait affirmé que
les droits de mutation cantonaux seraient calculés sur la ba-
se de la valeur fiscale. La recourante ne devait pas confir-
mer ce renseignement sans le vérifier avec l'attention com-
mandée par les circonstances. Il a été retenu, sans que cela
ne soit remis en cause, que le renseignement ne
correspondait
pas à la loi. Pour remplir soigneusement son mandat, la dé-
fenderesse devait rechercher les dispositions applicables et
les examiner attentivement. Elle ne pouvait pas partir de
l'idée que la loi ne serait pas appliquée sans des éléments
sérieux qui puissent fonder cette conviction. La recourante
affirme certes qu'elle s'est fiée à une pratique constante
de
l'administration, mais la cour cantonale n'a pas constaté
l'existence d'une pratique dans ce sens. Déterminer s'il
existe ou non un usage est une question de fait qui ne peut
être remise en cause dans un recours en réforme (ATF 113 II
25 consid. 1a). Sur ce point également, il faut constater
que
la défenderesse a donné sans fondement sérieux un renseigne-
ment erroné et qu'elle n'a ainsi pas rempli avec soin la mis-
sion qui lui était confiée.

La recourante n'est pas parvenue à prouver que cet-
te violation de son devoir de diligence serait intervenue

sans faute de sa part. On ne voit pas en effet ce qui l'empê-
chait d'effectuer les recherches nécessaires, notamment en
se
renseignant auprès de l'administration fiscale. Si le person-
nel de la recourante n'avait pas les connaissances requises
pour traiter cette affaire, elle devait refuser le mandat ou
faire appel à une personne qualifiée.

d) L'autorité cantonale a retenu que les hoirs
n'auraient pas créé la société anonyme s'ils en avaient
connu
le coût fiscal réel. Ainsi, la cour cantonale n'a pas
méconnu
l'exigence et la notion de causalité naturelle (cf. ATF 122
IV 17 consid. 2c/aa; 121 IV 207 consid. 2a). Quant au
constat
de la causalité naturelle, il s'agit d'une question de fait
qui ne peut être revue dans un recours en réforme (ATF 123
III 110 consid. 2; 116 II 305 consid. 2c/ee; 115 II 440 con-
sid. 5b). Dès lors que la cour cantonale est parvenue à une
conviction sur ce point, il n'y a pas de place pour la vio-
lation de l'art. 8 CC invoquée par la recourante; en effet,
cette disposition ne dicte pas sur quelles bases et comment
le juge peut forger sa conviction (ATF 127 III 248 consid.
3a; 122 III 219 consid. 3c; 119 III 60 consid. 2c; 118 II
142
consid. 3a, 365 consid. 1).

Si les hoirs, après avoir recueilli l'opinion d'une
société d'ingénieurs conseils, ont consulté une société fidu-
ciaire sur le coût fiscal de l'opération, c'est assurément
qu'ils y attachaient de l'importance et que cette question
était de nature à influencer leur décision de créer ou non
une nouvelle structure juridique. Un expert a d'ailleurs re-
levé que ce changement était relativement peu intéressant
sur
le plan fiscal, ce qui confirme l'importance d'une
évaluation
correcte des coûts. Dès lors qu'il a été constaté que les in-
formations fournies étaient gravement erronées, on peut ad-
mettre, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience
de la vie, qu'une sous-estimation massive du coût fiscal
était de nature à déterminer les hoirs à créer une société

anonyme, alors qu'ils auraient pris une décision inverse
s'ils avaient été correctement renseignés; admettre en pa-
reille circonstance l'existence d'un rapport de causalité
adéquate ne viole pas le droit fédéral (sur la notion de
causalité adéquate: cf. ATF 123 III 110 consid. 3a et les
arrêts cités; sur le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral:
cf. ATF 116 II 519 consid. 4a et les arrêts cités).

e) La recourante soutient que la cour cantonale a
méconnu la notion juridique du dommage.

Dire qu'il y a eu un dommage et quelle en est la
quotité est une question de fait qui ne peut être revue dans
un recours en réforme (ATF 127 III 73 consid. 3c; 126 III
388
consid. 8a; 123 III 241 consid. 3a); en revanche, le
Tribunal
fédéral peut examiner si la notion juridique de dommage a
été
méconnue, parce qu'il s'agit d'une question de droit fédéral
(ATF 127 III 73 consid. 3c; 120 II 296 consid. 3b).

aa) Le dommage juridiquement reconnu réside dans la
diminution involontaire de la fortune
nette; il correspond à
la différence entre le montant actuel du patrimoine du lésé
et le montant qu'aurait ce même patrimoine si l'événement
dommageable ne s'était pas produit (ATF 127 III 73 consid.
4a; 126 III 388 consid. 11a et les arrêts cités). Le dommage
peut se présenter sous la forme d'une diminution de l'actif,
d'une augmentation du passif, d'une non-augmentation de l'ac-
tif ou d'une non-diminution du passif (cf. ATF 122 IV 279
consid. 2a; 121 IV 104 consid. 2c).

bb) La recourante semble vouloir poser préalable-
ment une question de légitimation active.

Il est constant que la société intimée agit en tant
que cessionnaire de la créance des hoirs. Ces derniers, en
tant que cocontractants, sont légitimés pour réclamer à la

recourante la réparation du dommage qu'ils ont subi en
raison
de la mauvaise exécution du mandat.

La créance invoquée en justice est fondée sur
l'exécution défectueuse du mandat de conseils conclu entre
les hoirs et la recourante. Il ne s'agit donc pas d'un pro-
blème de responsabilité dans la fondation d'une société ano-
nyme (art. 752 s. CO), de sorte que toute distinction entre
le dommage direct ou indirect subi par l'actionnaire n'a pas
sa place ici.

La recourante semble soutenir que l'intimée n'est
pas en droit de se plaindre des impôts qu'elle a dû payer,
parce qu'elle n'est pas la mandante, alors que les hoirs ne
peuvent pas s'en plaindre non plus, parce que ce ne sont pas
eux mais la société qui est débitrice de l'impôt.

Cette construction ne saurait être suivie.

La société intimée a agi en tant que cessionnaire
de la créance des hoirs. Ces derniers, qui étaient membres
d'une société simple, ont demandé à la recourante de les ren-
seigner notamment sur le coût fiscal de la création d'une so-
ciété anonyme qui modifierait la structure juridique par la-
quelle ils exercent la maîtrise économique des biens-fonds;
il s'agissait, en veillant aux intérêts patrimoniaux des man-
dants, d'étudier les conséquences pour eux d'un changement
de
situation, en ce sens qu'ils devaient cesser d'être membres
d'une société simple pour devenir membres (actionnaires)
d'une société anonyme. La société anonyme envisagée n'était
pas un tiers déjà existant, mais bien plutôt l'objet de
l'étude. Il est évident que tout impôt qui devrait être sup-
porté par la société anonyme envisagée aurait une incidence
sur ses résultats et, par voie de conséquence, sur la valeur
intrinsèque des actions détenues par les hoirs. Le mandat
portant sur la détermination des impôts n'aurait eu d'ail-

leurs aucun sens si l'on devait admettre que cette question
ne concernait pas les hoirs, parce qu'ils n'étaient pas per-
sonnellement débiteurs des impôts. S'agissant de créer une
société anonyme à caractère familial, il est patent que tous
les frais de fondation (y compris les impôts) affectent d'un
point de vue économique le patrimoine des actionnaires fon-
dateurs.

cc) Il a été retenu que les hoirs n'auraient pas
fondé la société anonyme si la recourante ne leur avait pas
donné, en violation du mandat, des renseignements fiscaux er-
ronés.

Pour déterminer le dommage résultant de la mauvaise
exécution du mandat, il faut donc comparer l'état actuel du
patrimoine des hoirs avec l'état qu'il aurait eu si la socié-
té anonyme n'avait pas été fondée.

Comme l'a relevé la cour cantonale, les hoirs n'au-
raient pas eu à supporter économiquement les frais de consti-
tution et l'ensemble des impôts liés à la création de la so-
ciété anonyme.

Il faut cependant déduire de ces chiffres les avan-
tages patrimoniaux que les hoirs retirent de l'existence de
la société anonyme qui a été créée. Il s'agit ici d'opérer
la
compensatio lucri cum damno (Engel, Traité des obligations
en
droit suisse, 2e éd., p. 505; Deschenaux/Tercier, La respon-
sabilité civile, p. 219 s.; Brehm, Commentaire bernois, n.
27
ad art. 42 CO; Schnyder, Commentaire bâlois, n. 7 ad art. 42
CO; Honsell, Schweizerisches Haftpflichtrecht, 3e éd., p.
81).

L'existence de la société anonyme permet à l'hoir
qui souhaiterait aliéner son bien d'échapper à l'impôt spé-
cial sur les gains immobiliers. Cet avantage ne se réalise

cependant que si l'un des hoirs vend son bien. D'après
l'état
de fait souverain, aucun des hoirs n'a ce projet. On ignore
d'ailleurs totalement si l'un des hoirs vendra un jour son
bien. Il ne s'agit donc que d'un avantage futur et
incertain,
qu'il est pratiquement impossible de chiffrer.

L'existence de la société anonyme permet aussi
d'éviter à l'avenir un morcellement des biens-fonds et d'en
maintenir la valeur en tant qu'exploitation d'ensemble. Cet
avantage ne se manifeste à nouveau que si l'un des hoirs
veut
vendre son bien. Selon les constatations cantonales, il
n'existe aucun projet dans ce sens et il est incertain qu'un
hoir veuille jamais vendre son bien. Il s'agit donc à
nouveau
d'un avantage futur hypothétique qu'il est quasiment impossi-
ble de calculer.

L'art. 42 al. 2 CO est applicable par analogie
lorsqu'il faut déterminer le montant d'un avantage à imputer
(Deschenaux/Tercier, op. cit., p. 220, n. 27).

Comme les hoirs ont décidé de fonder la société
anonyme, on doit en déduire qu'ils évaluaient eux-mêmes les
avantages non chiffrables à un montant correspondant au coût
de constitution et aux impôts qu'ils ont accepté de payer.
En
déduisant ces sommes, la cour cantonale a fait une saine ap-
plication de l'art. 42 al. 2 CO.

On peut certes se demander si l'avantage patrimo-
nial n'était pas encore supérieur. Il n'y a cependant aucune
constatation cantonale qui permette de le déduire. Il faut
ici rappeler que la détermination de la quotité du dommage
relève du fait (ATF 127 III 73 consid. 3c; 126 III 388 con-
sid. 8a) et que, dans le cas d'une compensatio lucri cum
damno, il appartenait à la recourante d'alléguer et de prou-
ver les faits permettant de constater l'existence d'un avan-
tage dont elle puisse exiger l'imputation sur le montant du

dommage (art. 8 CC). Il ne ressort pas de l'état de fait dé-
finitif que la recourante aurait apporté la preuve qui lui
incombait et cette question ne peut être revue dans un re-
cours en réforme (cf. ATF 126 III 189 consid. 2a; 125 III 78
consid. 3a).

Etant rappelé que le Tribunal fédéral n'est pas lié
par l'argumentation juridique cantonale (ATF 127 III 248 con-
sid. 2c; 126 III 59 consid. 2a), il en résulte que le juge-
ment attaqué, au moins dans son résultat, ne viole pas le
droit fédéral.

3.- En définitive, le recours doit être rejeté, le
jugement critiqué étant confirmé. Vu l'issue de la querelle,
les frais et dépens doivent être mis à la charge de la recou-
rante qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme le jugement at-
taqué;

2. Met un émolument judiciaire de 15'000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimée une
indemnité de 18 000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois.

___________

Lausanne, le 1er octobre 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.299/2000
Date de la décision : 01/10/2001
1re cour civile

Analyses

Responsabilité du mandataire (art. 398 al. 2 CO). Pour déterminer le dommage résultant de la mauvaise exécution du mandat, les avantages patrimoniaux qui ont été procurés aux mandants par la violation contractuelle doivent être imputés du préjudice pris en considération (compensatio lucri cum damno). Il appartient au mandataire d'alléguer et de prouver l'existence de l'avantage (consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-10-01;4c.299.2000 ?
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