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28/09/2001 | SUISSE | N°5C.71/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 28 septembre 2001, 5C.71/2001


«/2»
5C.71/2001

IIe C O U R C I V I L E
******************************

28 septembre 2001

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Raselli et
Mme Nordmann, juges. Greffière: Mme Mairot.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________, demandeur et recourant, représenté par Me Chris-
tophe Piguet, avocat à Lausanne,

et

Y.________, défendeur et intimé, représenté par Me François
Chaudet, avocat à Lausanne;

(pacte successoral, donations)



Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- P.________, citoyenne suisse née le 21 mai 1906
...

«/2»
5C.71/2001

IIe C O U R C I V I L E
******************************

28 septembre 2001

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Raselli et
Mme Nordmann, juges. Greffière: Mme Mairot.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________, demandeur et recourant, représenté par Me Chris-
tophe Piguet, avocat à Lausanne,

et

Y.________, défendeur et intimé, représenté par Me François
Chaudet, avocat à Lausanne;

(pacte successoral, donations)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- P.________, citoyenne suisse née le 21 mai 1906
et domiciliée à Z.________, était propriétaire des parcelles
nos 353, 378, 383, 444 et 446 sises sur le territoire de
cette commune. Elle y est décédée le 20 mai 1996.

M.________, père de X.________, était un ami de jeu-
nesse de P.________. Lui et, après son décès en 1982, son
fils, l'ont souvent conseillée quant à ses affaires person-
nelles et surtout financières. X.________ venait la voir en
Suisse à tout le moins deux fois par an. Lorsqu'elle se ren-
dait en Allemagne, elle passait plusieurs jours chez lui. A
partir du décès de son père, X.________ a commencé à payer
les primes d'assurance maladie de P.________.

Depuis 1973, Y.________, sa mère Marizza et son père
Tranquillo, voisins de P.________, se sont occupés d'elle,
d'abord de façon hebdomadaire puis, durant les dix dernières
années de sa vie, quotidiennement, même durant les périodes
de vacances. Ils lui faisaient ses achats, sa lessive, s'oc-
cupaient de son jardin et, pendant de nombreuses années, ils
lui ont préparé et apporté chaque jour un repas chaud.
P.________ était invitée dans la famille Y.________ pour man-
ger chaque dimanche à midi et régulièrement durant les pério-
des de fêtes.

Par acte du 29 septembre 1977, P.________ a fait do-
nation à Y.________, ainsi qu'au père et à la mère de celui-
ci, de la parcelle no 383 de la commune de Z.________, d'une
surface de 7'032 m2 en pré-champ. Cet acte contenait la clau-
se suivante:

"9. En compensation de la donation qui leur est fai-
te, les donataires s'engagent à prendre soin de
la donatrice jusqu'au jour de son décès et à
lui
porter toute l'aide nécessaire au fur et à mesu-
re qu'elle avancera en âge ou qu'elle serait ma-
lade."

En 1996, cette parcelle a été estimée fiscalement à
800'000 fr.

Par testament du 12 juillet 1985, P.________ a ins-
titué X.________ héritier en utilisant les termes suivants:
"als Erben von Z.________ setze ich ein: Dr. X.________".
Dans cet acte, elle a également légué à Y.________ sa maison
située sur la parcelle no 446 de la commune de Z.________,
d'une valeur fiscale de 200'000 fr. à ce moment-là et de
800'000 fr. depuis 1996. Le 14 janvier 1987, elle lui en a
fait donation.

Le 24 mai 1987, P.________ a passé avec X.________,
à Hochheim am Main, en Allemagne, devant le notaire
Friedrich
Christoph von Bismark, un pacte successoral par lequel elle
annulait toutes ses dispositions de dernière volonté anté-
rieures et qui contenait les clauses suivantes:
"...
I.

J'institue comme mon héritier Monsieur le docteur
X.________ à Hochheim/Main. Les héritiers substi-
tués sont ses héritiers légaux.

II.

Je me réserve d'accorder, par actes séparés, des
legs sur ma fortune mobilière et sur mes comptes,
dans la mesure où ceux-ci se trouvent en Suisse.
Avant la délivrance des legs en argent, tous les
frais, taxes, et impôts de la succession et de sa
liquidation doivent être garantis.
Si, après cela, les montants sur les comptes ne de-
vaient plus suffire à payer tous les legs dont
j'aurais décidé, ceux-ci seraient réduits propor-
tionnellement.

III.

Je souhaite être incinérée. L'inhumation
officielle
n'est pas nécessaire.

IV.

Mes biens situés en République fédérale d'Allema-
gne, y compris à Berlin, ne seront pas touchés par
les legs et reviendront au seul héritier.

Une procuration était conférée à l'héritier institué
sur les biens situés en République fédérale d'Allemagne (V).
Le chiffre VI comprenait une déclaration d'engagement réci-
proque, aux termes de laquelle les comparants déclaraient
convenir de ce qui précédait "à titre de pacte successoral
[les] liant de manière réciproque". Enfin, le chiffre VII
contenait des indications sur le dépôt de l'acte.

Le 1er juillet 1987, soit moins de deux mois après
la signature du pacte successoral, P.________ a fait
donation
à Y.________ de la parcelle no 378 de la commune de
Z.________, d'une surface de 6'801 m2 en pré-champ. Alors
estimé fiscalement à 72'000 fr., ce terrain, une fois cons-
truit, l'a été à 345'000 fr. en 1995.

Par acte du 31 mai 1989, P.________ a donné à
Y.________ la parcelle no 444 de la commune de Z.________,
d'une surface de 3'000 m2 en pré-champ. La valeur fiscale,
de
15'000 fr. au moment de l'acte de disposition, est passée à
167'000 fr. en 1995.

Le 26 juillet 1994, P.________ a établi un nouveau
testament olographe, par lequel elle instituait X.________
seul héritier de tous ses biens.

Le même jour, elle a fait don à Y.________ de la
parcelle no 353 de la commune de Z.________, d'une surface
de
2'673 m2 en pré-champ, dont l'estimation fiscale est passée

de 28'000 fr. lors de l'acte de donation à 176'000 fr. en
1996.

B.- Par demande du 24 février 1997, X.________ a ou-
vert action contre Y.________ en prenant notamment les con-
clusions suivantes:

"I.- Les actes de donation entre P.________ et
Y.________ du 1er juillet 1987, portant sur
la
parcelle no 378 de la Commune de Z.________,
du 31 mai 1989, sur la parcelle no 444 de la
même Commune et du 26 juillet 1994 sur la par-
celle no 353 également de la même Commune,
sont annulés, le propriétaire de ces
parcelles
étant X.________.

II.- Pour le cas où le défendeur aurait disposé de
tout ou partie des parcelles susmentionnées,
il est débiteur du demandeur de la valeur
pour
laquelle il a vendu les terrains en question,
avec intérêt à 5% l'an dès la date de la ven-
te."

Dans sa réponse du 2 mai 1997, le défendeur a conclu
à libération.

Par jugement du 30 janvier 2001, la Cour civile du
Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté les conclusions
prises par le demandeur.

C.- X.________ demande au Tribunal fédéral de réfor-
mer ce jugement, en reprenant ses conclusions I et II de pre-
mière instance.

L'intimé propose le rejet du recours, dans la mesure
où il est recevable.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Interjeté en temps utile contre une décision fi-
nale rendue par le tribunal suprême du canton dans une con-

testation civile de nature pécuniaire, le recours est receva-
ble au regard des art. 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ. Comme les
droits contestés dans la dernière instance cantonale dépas-
sent 8'000 fr., il l'est aussi selon l'art. 46 OJ.

2.- Au moment de son décès, P.________ était domi-
ciliée à Z.________. La cour cantonale a donc considéré à
juste titre qu'elle était compétente, en application de
l'art. 86 al. 1er LDIP. Elle a également estimé avec raison
que le droit suisse était applicable au litige (art. 90 al.
1, 92 al. 1 et 95 al. 1 LDIP). Comme il n'est pas constaté
que la de cujus fût aussi de nationalité allemande, il n'y a
pas lieu d'examiner l'existence d'une éventuelle professio
juris au sens de l'art. 90 al. 2 LDIP (cf. ATF 125 III 35).
Les parties ne formulent du reste aucun grief à ce sujet.

3.- Le recourant reproche à l'autorité cantonale
d'avoir violé l'art. 494 al. 3 CC, en considérant que les do-
nations immobilières des 1er juillet 1987, 31 mai 1989 et 26
juillet 1994 étaient conciliables avec le pacte successoral
conclu le 24 mai 1987. Il se plaint en outre d'une fausse ap-
plication de l'art. 2 CC.

a) Celui qui s'oblige par un pacte successoral à
laisser sa succession ou un legs à l'autre partie contractan-
te ou à un tiers ne perd en principe pas le droit de
disposer
librement de son patrimoine et, en particulier, de le consom-
mer (art. 494 al. 2 CC). Il lui est seulement interdit de
faire des donations entre vifs ou de prendre des
dispositions
à cause de mort inconciliables avec les engagements
résultant
du pacte successoral (art. 494 al. 3 CC). Toutes les dona-
tions ne sont cependant pas attaquables. Selon la jurispru-
dence du Tribunal fédéral (ATF 70 II 255 consid. 2 p. 161;
arrêt non publié 5C.79/1998 du 29 mai 1998 et les
citations),
dans la mesure où le pacte successoral ne prévoit pas le con-

traire, d'éventuelles donations demeurent en principe compa-
tibles avec un tel pacte. La validité des donations
constitue
ainsi la règle, et la possibilité de les attaquer en vertu
de
l'art. 494 al. 3 CC l'exception (Peter Tuor, Commentaire ber-
nois, 2e éd., n. 15 ss, 18 ad art. 494 CC). Reste aussi ré-
servé le cas où la donation est destinée à éluder les engage-
ments qui résultent du pacte successoral; dans cette hypothè-
se, l'intention du donateur de nuire aux héritiers institués
doit cependant être prouvée (arrêt non publié précité; Paul
Piotet, Traité de droit privé suisse, vol. IV, p. 165; Tuor,
op. cit., n. 30 ad art. 494 CC).

b) Dans le cas particulier, le chiffre I du pacte
successoral institue le recourant comme héritier de la de cu-
jus. Contrairement à l'opinion de l'autorité cantonale, le
caractère contractuel de cette clause paraît devoir être ad-
mis, dès lors qu'il s'agit d'une disposition en faveur du co-
contractant et que celui-ci y a donc un intérêt (Charles
Knapp, Les clauses conventionnelles et les clauses unilatéra-
les des pactes successoraux, in Mélanges Peter Tuor, Zurich
1946, p. 216 ss; Piotet, op. cit., p. 163). Les parties ont
en outre déclaré qu'elles entendaient se lier de manière ré-
ciproque: si l'institué ne peut être obligé d'accepter la
succession, la disposante semble avoir voulu s'engager de ma-
nière irrévocable sur le plan successoral, comme le confirme
le témoignage du notaire qui a instrumenté l'acte, mentionné
dans le jugement entrepris. La question n'est cependant pas
décisive. Le pacte ne contient en effet aucune limitation ex-
presse, pour la de cujus, de disposer de son patrimoine
entre
vifs; il ne prévoit pas non plus l'octroi de biens
déterminés
à l'héritier institué, du moins parmi ceux situés en Suisse.
Quelle que soit la méthode utilisée - règles
d'interprétation
du testament (ATF 124 III 414; 120 II 182) ou du contrat
(ATF
126 III 25, 59), il n'apparaît pas non plus que la
disposante
se soit implicitement engagée à conserver ses immeubles sis

en Suisse en faveur du bénéficiaire du contrat. Comme le re-
lève l'autorité cantonale, une telle volonté ne résulte pas
du pacte successoral; en particulier, la clause II, en rela-
tion avec la clause I, ne permet de tirer aucune déduction
concernant d'éventuels actes entre vifs. La Cour civile a no-
tamment considéré sur ce point que, selon les témoignages
des
notaires concernés, la disposante entendait certes se lier
s'agissant de ses terrains; toutefois, on ne pouvait retenir
qu'elle se fût obligée à s'abstenir de faire des libéralités
entre vifs, car les discussions avaient uniquement porté sur
une éventuelle aliénation à cause de mort. Ces constatations
portent sur la volonté réelle de la de cujus et lient par
conséquent la cour de céans; dans la mesure où le recourant
tente de les remettre en cause en alléguant d'autres
éléments
de fait, son recours est irrecevable (art. 55 al. 1 let. c,
63 al. 2 OJ).

Dès lors que la disposante ne s'est pas engagée à
conserver son patrimoine situé en Suisse en faveur de l'héri-
tier institué par le contrat successoral, elle pouvait en
disposer de son vivant. La seule limite à cette liberté rési-
de dans l'interdiction de l'abus de droit (Peter
Breitschmid,
Commentaire bâlois, n. 11 ad art. 494 CC) ou dans
l'intention
de porter préjudice à l'héritier institué par le contrat (ar-
rêt non publié précité; Piotet, op. cit., p. 165). Dans le
cas particulier, rien ne laisse présumer que la disposante
ait commis un abus de droit ou qu'elle ait cherché à nuire
aux intérêts du recourant. Contrairement à ce que celui-ci
soutient, le fait que l'essentiel de la succession soit cons-
titué des immeubles situés en Suisse n'est pas déterminant.
Pour juger si une donation est conciliable avec le pacte
successoral, il convient en effet de recourir à un critère
subjectif et non pas objectif, comme le préconise au demeu-
rant l'auteur cité par le recourant (Jean Gauthier, Le pacte
successoral, thèse Lausanne 1955, p. 40 ss). Sera ainsi abu-
sif l'acte juridique entre vifs conclu uniquement dans l'in-

tention de porter préjudice au cocontractant. Par analogie
avec l'art. 527 ch. 4 CC, le dessein de nuire devra en outre
être manifeste; mais l'intention d'éluder le pacte successo-
ral sera plus facilement admise s'il est onéreux que s'il
est, comme en l'espèce, gratuit (Piotet, op. cit., p. 165).
Or les constatations du jugement déféré ne permettent pas
d'affirmer sans aucun doute que la de cujus aurait
uniquement
cherché à porter préjudice au recourant. D'après l'ensemble
des circonstances, elle a avant tout obéi au souci de récom-
penser l'intimé, qui s'était occupé d'elle durant de nombreu-
ses années; le fait que celui-ci ait déjà reçu d'importantes
libéralités dans ce but n'y change rien. Les donations posté-
rieures au pacte ne sont donc pas attaquables.

4.- En conclusion, le recours se révèle infondé et
doit être rejeté. Les frais judiciaires seront supportés
par
le recourant, qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). Celui-ci ver-
sera en outre des dépens à l'intimé (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable et confirme le jugement entrepris.

2. Met à la charge du recourant:
a) un émolument judiciaire de 10'000 fr.
b) une indemnité de 10'000 fr. à payer à
l'intimé
à titre de dépens.

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal
du canton de Vaud.

__________

Lausanne, le 28 septembre 2001
MDO/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.71/2001
Date de la décision : 28/09/2001
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-09-28;5c.71.2001 ?
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