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26/09/2001 | SUISSE | N°4P.52/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 septembre 2001, 4P.52/2001


«/2»

4P.52/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 septembre 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu, juge, et
Aubert, juge suppléant. Greffier: M. Carruzzo.

___________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

L.________, représenté par Me Reynald P. Bruttin, avocat à
Genève,

contre

l'arrêt rendu le 12 octobre 2000 par la Cour d'appel de la
juridiction des prud'hommes du canton de Genève dans la
cause

qui oppose le recourant à X.________ S.A., représentée par
Me
Olivier Wasmer, avocat à Genève;

(art. 9 Cst., contrat de tra...

«/2»

4P.52/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 septembre 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu, juge, et
Aubert, juge suppléant. Greffier: M. Carruzzo.

___________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

L.________, représenté par Me Reynald P. Bruttin, avocat à
Genève,

contre

l'arrêt rendu le 12 octobre 2000 par la Cour d'appel de la
juridiction des prud'hommes du canton de Genève dans la
cause
qui oppose le recourant à X.________ S.A., représentée par
Me
Olivier Wasmer, avocat à Genève;

(art. 9 Cst., contrat de travail; prohibition de concurrence)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Par contrat du 7 décembre 1995, X.________,
entreprise générale d'électricité, de téléphones et de vente
d'appareils ménagers (ci-après: X.________ S.A.), a engagé
L.________, avec effet au 8 janvier 1996, le chargeant
d'établir des devis, des soumissions, des projets et des
factures, ainsi que d'assurer la surveillance des chantiers.
Le dernier salaire mensuel de L.________ s'élevait à 7500
fr.
versés treize fois l'an.

Le contrat contient une clause d'interdiction de
concurrence, qui se lit comme suit:

"Si les rapports de travail permettent à l'em-
ployé d'avoir connaissance de la clientèle ou de secrets
de fabrication ou d'affaires de l'employeur et si l'uti-
lisation de ces renseignements est de nature à causer à
l'employeur un préjudice sensible, l'employé s'engage à
s'abstenir, à la fin du contrat, de faire concurrence à
l'employeur de quelque manière que ce soit, notamment
d'exploiter pour son propre compte une entreprise con-
currente, d'y travailler ou de s'y intéresser.

Cette prohibition de concurrence est limitée en
principe au canton de Genève.

Elle porte ses effets pendant une période de
deux ans dès la fin du présent contrat de travail. Elle
concerne uniquement l'activité exercée par l'entreprise.

L'employeur pourra exiger, outre la peine con-
ventionnelle fixée au chiffre 20.6 ci-après et les dom-
mages et intérêts supplémentaires éventuels, la cessa-
tion de la contravention de faire concurrence, lorsque
cette mesure est justifiée par l'importance des intérêts
lésés ou menacés de l'employeur et par le comportement
de l'employé.

La prohibition de concurrence cesse si l'em-
ployeur résilie le contrat sans que l'employé lui ait
donné un motif justifié ou si l'employé résilie le con-
trat pour un motif justifié, imputable à l'employeur."

b) Dans le courant de 1997, L.________ a proposé
aux actionnaires de X.________ S.A. de prendre une partici-
pation dans l'entreprise, voire d'acquérir la totalité du
capital-actions. Cette offre a été rejetée par les intéres-
sés, sans que ce refus ait mis en cause l'emploi de
L.________.

En juillet 1998, J.________ a informé L.________ du
fait que le capital-actions de la société avait été repris
par C.________, pour le montant de 960 000 fr. A cette occa-
sion, l'emploi de L.________ n'a pas été mis en cause.

Le 20 août 1998, L.________ a donné sa démission
avec effet au 31 octobre 1998.

c) Le 4 septembre 1998, les actifs de la masse en
faillite de l'entreprise d'électricité D.________ ont été
vendus de gré à gré, pour le prix de 10 000 fr., à une socié-
té L.________ S.à r.l., qui a été inscrite au registre du
commerce le 7 septembre 1998. Détenant la quasi-totalité des
parts de cette société, L.________ en est l'associé-gérant.

Après le 31 octobre 1998, L.________ a engagé pro-
gressivement sept des dix collaborateurs de l'entreprise
X.________ S.A. Il s'est vu adjuger des travaux par différen-
tes entreprises qui étaient jusqu'alors clientes de
X.________ S.A.

En octobre 1998, alors que le contrat de travail de
L.________ n'avait pas encore pris fin, l'entreprise
Y.________ a adjugé à la société de ce dernier le chantier
du Club ..., ainsi qu'un projet de seize villas.

L.________ S.à r.l. s'est aussi fait adjuger, après
le 31 octobre 1998, des travaux par l'architecte indépendant

A.________, qui travaillait avec l'entreprise X.________
S.A., chez un nommé B.________.

L'entreprise de L.________ s'est aussi fait adjuger
des travaux pour la société Z.________ dans la zone ...

B.- Par demande déposée le 4 janvier 1999,
X.________ S.A. a assigné L.________ et L.________ S.à r.l.,
pris conjointement et solidairement, devant le Tribunal des
prud'hommes du canton de Genève, en concluant, notamment, à
ce qu'il soit fait interdiction aux défendeurs de faire con-
currence à la demanderesse et à ce que les défendeurs soient
condamnés à lui verser 300 000 fr. à titre de dommages-inté-
rêts, sous réserve d'amplification.

Par jugement du 6 janvier 2000, le Tribunal des
prud'hommes a condamné L.________ à payer 50 000 fr. à
X.________ S.A., intérêts en sus.

Saisie par la demanderesse, la Cour d'appel de la
juridiction des prud'hommes, par arrêt du 12 octobre 2000, a
annulé ce jugement et condamné L.________ à payer à la deman-
deresse 163 500 fr., intérêts en sus.

C.- Parallèlement à un recours en réforme, le dé-
fendeur exerce un recours de droit public en concluant à
l'annulation de l'arrêt cantonal.

L'intimée propose le rejet du recours.

La Chambre d'appel se réfère aux motifs énoncés
dans son arrêt.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé
par l'art. 9 Cst., ne résulte pas du seul fait qu'une autre
solution que celle retenue par l'autorité cantonale pourrait
entrer en considération ou même qu'elle serait préférable;
le
Tribunal fédéral ne s'écarte de la décision attaquée que
lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se
trouve en contradiction claire avec la situation de fait,
qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique
indiscuté ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante
le sentiment de la justice et de l'équité; pour qu'une déci-
sion soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas
que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore
que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF
125 I 166 consid. 2a; 125 II 10 consid. 3a p. 15, 129
consid.
5b p. 134; 124 I 247 consid. 5 p. 250).

S'agissant plus précisément de l'appréciation des
preuves et des constatations de fait, il y a arbitraire lors-
que l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sé-
rieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision,
lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa por-
tée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments re-
cueillis, elle en tire des constatations insoutenables. Il
appartient au recourant d'établir la réalisation de ces con-
ditions en tentant de démontrer, par une argumentation préci-
se, que la décision incriminée est insoutenable (art. 90 al.
1 let. b OJ; ATF 122 I 70 consid. 1c; 119 Ia 197 consid. 1d;
117 Ia 393 consid. 1c; 110 Ia 3 consid. 2a).

2.- Le recourant soutient que la cour cantonale est
tombée dans l'arbitraire en admettant que, du fait de l'acti-
vité concurrente qu'il a développée, l'intimée a subi un dom-
mage correspondant à 15% du chiffre d'affaires réalisé en

rapport avec divers chantiers. A le suivre, en effet, l'on
ne
saurait soutenir que l'intimée se serait vu attribuer ces
chantiers s'il n'avait pas exploité une entreprise concurren-
te.

a) S'agissant du Club ..., le témoin V.________,
directeur de Y.________ S.A., en charge de ce chantier, a in-
diqué qu'il ne connaissait pas l'entreprise X.________ S.A.
Le recourant en conclut que la cour cantonale ne pouvait,
sans tomber dans l'arbitraire, admettre que Y.________ S.A.
aurait, en fait, attribué à l'intimée le contrat qu'il a
exécuté.

Ce grief est mal fondé. En effet, c'est avant l'ex-
piration de son contrat de travail que le recourant a accep-
té, pour son propre compte ou pour celui de la société qu'il
venait de créer, d'exécuter des travaux au Club ... Ce fai-
sant, il a violé son devoir de fidélité, qui lui commandait
de traiter cette affaire au nom de son employeur, sans faire
concurrence à ce dernier (art. 321 a al. 1 et 3 CO). Ce
n'est
que si l'intimée avait refusé d'effectuer les travaux en cau-
se au Club ... que le recourant ou sa société pouvait accep-
ter de s'en charger. Or, le recourant ne tente même pas de
démontrer que l'intimée aurait refusé ce chantier. En outre,
aucun élément du dossier ne fait apparaître que l'entreprise
Y.________ S.A., à conditions égales, aurait refusé de con-
fier les travaux à l'intimée si le recourant l'y avait invi-
tée, comme il en avait le devoir. Dans ces circonstances, la
cour cantonale pouvait, sans tomber dans l'arbitraire, admet-
tre que l'intimée aurait effectué ces travaux si le
recourant
avait respecté ses obligations contractuelles.

b) S'agissant des seize villas, le recourant se
réfère seulement à un témoignage selon lequel il n'apparaît
pas que l'entreprise X.________ S.A. ait travaillé sur ce
dossier. Le recourant veut en déduire que Y.________ S.A.

n'aurait jamais confié ce chantier à l'intimée et que, en
admettant le contraire, la cour cantonale est tombée dans
l'arbitraire.

Le grief est mal fondé. Si l'entreprise X.________
S.A. n'a jamais travaillé sur ce dossier, c'est que le recou-
rant a décidé de le traiter à son profit ou à celui de sa so-
ciété. Cette seule circonstance ne permet nullement de taxer
d'arbitraire l'arrêt cantonal en tant qu'il admet que l'inti-
mée aurait reçu la commande si le recourant avait respecté
ses obligations.

c) S'agissant des travaux effectués à la villa
B.________, l'architecte A.________ a déclaré qu'il avait
choisi l'entreprise L.________, à une date non déterminée,
parce qu'il avait déjà confié des travaux à l'intimée et
qu'il ne souhaitait pas n'avoir qu'une entreprise comme
interlocutrice. A suivre le recourant, la cour cantonale est
tombée dans l'arbitraire en admettant que ces travaux au-
raient été exécutés par l'entreprise X.________ S.A. s'il
n'avait pas exercé une activité concurrente.

Il ressort toutefois du dossier que, selon le té-
moignage de M. E.________, un employé du bureau A.________
avait souhaité que le travail soit effectué, à la villa
B.________ par M. F.________. Or, comme l'admet le
recourant,
M. F.________ fait partie des ouvriers qui ont quitté
l'intimée pour entrer au service de l'entreprise du recou-
rant.

Dans ces circonstances, la cour cantonale, qui
jouit d'un large pouvoir d'appréciation des preuves,
pouvait,
sans tomber dans l'arbitraire, considérer que le chantier de
la villa B.________ a été attribué à l'entreprise du recou-
rant parce que ce dernier avait engagé le monteur
F.________,

même si M. A.________ a donné une explication différente à
ce
sujet.

d) S'agissant du chantier Z.________, le recourant
fait valoir que rien, dans la procédure, ne montre que cette
société aurait continué à travailler avec l'intimée s'il
n'avait pas exercé une activité concurrente. En admettant
néanmoins que tel était le cas, la cour cantonale serait tom-
bée dans l'arbitraire.

Toutefois, le témoin R.________, employé de l'en-
treprise du recourant, a déclaré qu'il ne savait pas que
l'entreprise Z.________ le suivrait. De plus, selon le
témoin
G.________, le recourant avait déclaré qu'il conservait
comme
cliente la maison Z.________. Dans ces circonstances, la
cour
cantonale pouvait, sans tomber dans l'arbitraire, admettre
que cette entreprise quittait X.________ S.A. parce que le
recourant avait ouvert sa propre entreprise, où sont venus
travailler la plupart des ouvriers de X.________ S.A., dont
M. R.________.

Le grief est mal fondé.

3.- Le recourant soutient que la cour cantonale est
tombée dans l'arbitraire en admettant que, du fait de l'acti-
vité concurrente qu'il a développée, l'intimée a subi un dom-
mage correspondant à 15% du chiffre d'affaires réalisé en
rapport avec les chantiers susmentionnés, car le bénéfice de
15%, retenu par la cour cantonale ne correspondrait
nullement
à la réalité.

Devant la cour cantonale, les parties ont fourni
des indications contradictoires quant au taux du bénéfice
par
rapport au chiffre d'affaires. L'intimée a exposé que la mar-
ge brute s'élevait entre 25 et 30%. Le recourant, pour sa
part, a indiqué qu'une affaire qui tourne bien dégage un ma-

ximum de 10%; toutefois, il a expliqué plus tard que la
marge
de son entreprise est de 15 à 16%.

Le recourant a lui-même indiqué que la marge de son
entreprise était de 15 à 16%. II est donc malvenu de préten-
dre que la cour cantonale est tombée dans l'arbitraire en re-
tenant ses allégations. D'ailleurs, devant les juges précé-
dents, le recourant n'a formulé aucune explication sur la
différence entre les taux qu'il a allégués successivement;
il
n'a pas distingué entre la marge brute et la marge nette. Le
grief est mal fondé.

En outre, à suivre le recourant, le chantier des
villas était déficitaire. Toutefois, il ne prétend pas
avoir,
sur ce point, fourni des preuves devant la cour cantonale,
que cette dernière aurait arbitrairement écartées. Insuffi-
samment motivé, le grief est irrecevable (art. 90 al. 1 let.
b OJ).

En troisième lieu, le recourant reproche à la cour
cantonale de n'avoir pas pris en considération les comptes
de
bilan et de pertes et profits de l'intimée. Il est vrai que
la cour cantonale aurait pu établir la marge moyenne de l'in-
timée, par rapport au chiffre d'affaires, en se fondant sur

ces comptes. Toutefois, ces documents n'ont pas été
produits.
La cour cantonale a estimé qu'elle pouvait s'écarter des
chiffres allégués par l'intimée (marge moyenne de 25 à 30%)
et retenir ceux allégués en deuxième lieu par le recourant
lui-même (marge moyenne de 15 à 16%). Cette manière de déter-
miner le bénéfice n'apparaît pas comme arbitraire, ce d'au-
tant moins qu'aucun élément du dossier ne fait apparaître
que
les charges du recourant seraient inférieures à celle de
l'intimée. Du reste, le recourant ne tente pas d'établir
qu'il aurait demandé la production de ces comptes devant la
cour cantonale et que sa requête aurait été rejetée par
suite

d'une application arbitraire du droit cantonal. Le grief
doit
être rejeté.

Enfin, le recourant produit devant le Tribunal fé-
déral de nouvelles pièces concernant sa société (bilan au 31
décembre 1999, comptes d'exploitation du 1er octobre 1998 au
31 décembre 1999). Ces pièces nouvelles - et les moyens y re-
latifs - sont irrecevables dans le cadre du recours de droit
public (ATF 118 Ia 20 consid. 5a; Messmer/Imboden, Die eidge-
nössischen Rechtsmittel in Zivilsachen, p. 227 s.).

4.- La procédure n'étant pas gratuite (art. 343 al.
3 CO a contrario), le défendeur, qui succombe, devra suppor-
ter les frais et dépens de la procédure fédérale (art. 156
al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable;

2. Met un émolument judiciaire de 5500 fr. à la
charge du recourant;

3. Dit que le recourant versera à l'intimée une in-
demnité de 7000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Cour d'appel de la juridiction
des
prud'hommes du canton de Genève (Cause n° C/131/199-9).

___________

Lausanne, le 26 septembre 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.52/2001
Date de la décision : 26/09/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-09-26;4p.52.2001 ?
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