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26/09/2001 | SUISSE | N°4C.88/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 septembre 2001, 4C.88/2001


«/2»

4C.88/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 septembre 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu, juge, et
Aubert, juge suppléant. Greffier: M. Carruzzo.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

L.________, défendeur et recourant, représenté par Me
Reynald
P. Bruttin, avocat à Genève,

et

X.________ S.A., demanderesse et intimée, représentée par Me
Olivier Wasmer, avocat à Genève;

(prohibitio

n de concurrence)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Par contrat du 7 décembre 1995, X._...

«/2»

4C.88/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

26 septembre 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu, juge, et
Aubert, juge suppléant. Greffier: M. Carruzzo.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

L.________, défendeur et recourant, représenté par Me
Reynald
P. Bruttin, avocat à Genève,

et

X.________ S.A., demanderesse et intimée, représentée par Me
Olivier Wasmer, avocat à Genève;

(prohibition de concurrence)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Par contrat du 7 décembre 1995, X.________
S.A. , entreprise générale d'électricité, de téléphones et
de
vente d'appareils ménagers (ci-après: X.________ S.A.), a en-
gagé L.________, avec effet au 8 janvier 1996, le chargeant
d'établir des devis, des soumissions, des projets et des fac-
tures, ainsi que d'assurer la surveillance des chantiers. Le
dernier salaire mensuel de L.________ s'élevait à 7500 fr.
versés treize fois l'an.

Le contrat contient une clause d'interdiction de
concurrence, qui se lit comme suit:

"Si les rapports de travail permettent à l'em-
ployé d'avoir connaissance de la clientèle ou de secrets
de fabrication ou d'affaires de l'employeur et si l'uti-
lisation de ces renseignements est de nature à causer à
l'employeur un préjudice sensible, l'employé s'engage à
s'abstenir, à la fin du contrat, de faire concurrence à
l'employeur de quelque manière que ce soit, notamment
d'exploiter pour son propre compte une entreprise con-
currente, d'y travailler ou de s'y intéresser.

Cette prohibition de concurrence est limitée en
principe au canton de Genève.

Elle porte ses effets pendant une période de
deux ans dès la fin du présent contrat de travail. Elle
concerne uniquement l'activité exercée par l'entreprise.

L'employeur pourra exiger, outre la peine con-
ventionnelle fixée au chiffre 20.6 ci-après et les dom-
mages et intérêts supplémentaires éventuels, la cessa-
tion de la contravention de faire concurrence, lorsque
cette mesure est justifiée par l'importance des intérêts
lésés ou menacés de l'employeur et par le comportement
de l'employé.

La prohibition de concurrence cesse si l'em-
ployeur résilie le contrat sans que l'employé lui ait
donné un motif justifié ou si l'employé résilie le con-
trat pour un motif justifié, imputable à l'employeur."

b) Dans le courant de 1997, L.________ a proposé
aux actionnaires de X.________ S.A. de prendre une participa-
tion dans l'entreprise, voire d'acquérir la totalité du
capital-actions. Cette offre a été rejetée par les intéres-
sés, sans que ce refus ait mis en cause l'emploi de
L.________.

En juillet 1998, J.________ a informé L.________ du
fait que le capital-actions de la société avait été repris
par C.________, pour le montant de 960 000 fr. A cette occa-
sion, l'emploi de L.________ n'a pas été mis en cause.

Le 20 août 1998, L.________ a donné sa démission
avec effet au 31 octobre 1998.

c) Le 4 septembre 1998, les actifs de la masse en
faillite de l'entreprise d'électricité D.________ ont été
vendus de gré à gré, pour le prix de 10 000 fr., à une so-
ciété L.________ S.à r.l., qui a été inscrite au registre du
commerce le 7 septembre 1998. Détenant la quasi-totalité des
parts de cette société, L.________ en est l'associé-gérant.

Après le 31 octobre 1998, L.________ a engagé pro-
gressivement sept des dix collaborateurs de l'entreprise
X.________ S.A. Il s'est vu adjuger des travaux par différen-
tes entreprises qui étaient jusqu'alors clientes de
X.________ S.A.

En octobre 1998, alors que le contrat de travail de
L.________ n'avait pas encore pris fin, l'entreprise
Y.________ a adjugé à la société de ce dernier le chantier
du Club ..., ainsi qu'un projet de seize villas.

L.________ S.à r.l. s'est aussi fait adjuger, après
le 31 octobre 1998, des travaux par l'architecte indépendant

A.________, qui travaillait avec l'entreprise X.________
S.A., chez un nommé B.________.

L'entreprise de L.________ s'est aussi fait adjuger
des travaux pour la société Z.________ dans la zone ...

B.- Par demande déposée le 4 janvier 1999,
X.________ S.A. a assigné L.________ et L.________ S.à r.l.,
pris conjointement et solidairement, devant le Tribunal des
prud'hommes du canton de Genève, en concluant, notamment, à
ce qu'il soit fait interdiction aux défendeurs de faire con-
currence à la demanderesse et à ce que les défendeurs soient
condamnés à lui verser 300 000 fr. à titre de dommages-inté-
rêts, sous réserve d'amplification.

Par jugement du 6 janvier 2000, le Tribunal des
prud'hommes a condamné L.________ à payer 50 000 fr. à
X.________ S.A., intérêts en sus.

Saisie par la demanderesse, la Cour d'appel de la
juridiction des prud'hommes, par arrêt du 12 octobre 2000, a
annulé ce jugement et condamné L.________ à payer à la deman-
deresse 163 500 fr., intérêts en sus.

C.- Parallèlement à un recours de droit public, qui
a été rejeté, dans la mesure où il était recevable, par
arrêt
séparé de ce jour, le défendeur interjette un recours en ré-
forme en vue d'obtenir sa libération des fins de la demande.

La demanderesse propose le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Le défendeur soutient que la clause d'inter-
diction de concurrence, préimprimée, viole l'art. 8 LCD, car
il n'a pas compris que cette clause pouvait le contraindre à
purement et simplement cesser son activité pendant deux ans.

Selon cette disposition, agit de façon déloyale ce-
lui qui, notamment, utilise des conditions générales préala-
blement formulées, qui sont de nature à provoquer une erreur
au détriment d'une partie contractante et qui dérogent nota-
blement au régime légal applicable directement ou par analo-
gie (let. a) ou prévoient une répartition des droits et des
obligations s'écartant notablement de celle qui découle de
la
nature du contrat (let. b). La jurisprudence a précisé que
l'exigence selon laquelle, pour être abusives au sens de cet-
te disposition, les conditions générales doivent être de na-
ture à provoquer une erreur doit être satisfaite tant dans
l'hypothèse prévue à la lettre a que dans celle visée à la
lettre b (ATF 117 II 332 consid. 5a p. 333; pour un exemple
d'ambiguïté, cf. ATF 119 II 443 consid. 1c).

Il n'est pas nécessaire d'examiner si, en l'occur-
rence, la clause d'interdiction de concurrence figure dans
des conditions générales au sens de l'art. 8 LCD. Il suffit
de constater que son texte n'est pas de nature à provoquer
une erreur quant à sa portée, puisque le salarié s'est inter-
dit de faire concurrence à l'employeur dans le canton de Ge-
nève, de quelque manière que ce soit, notamment d'exploiter
pour son propre compte une entreprise concurrente, d'y tra-
vailler ou de s'y intéresser, et cela pendant deux ans dès
la
fin du contrat de travail. Ce libellé reprend d'ailleurs
presque textuellement l'art. 340 al. 1 CO, en précisant la
durée de l'interdiction.

b) Pour motiver la nullité de la prohibition de
concurrence, le défendeur se fonde sur l'avis de Brunner/
Bühler/Waeber (Commentaire du contrat de travail, 2e éd., n.
1 ad art. 340 CO).

Cette référence ne lui est d'aucun secours, car les
auteurs, dans le passage cité, se bornent à critiquer les
choix du législateur, sans remettre en cause - à juste titre
- l'obligation dans laquelle se trouve le juge d'appliquer
la
loi telle qu'elle est.

Le grief doit être rejeté.

2.- Le défendeur soutient que la clause d'interdic-
tion de concurrence viole l'art. 2 CC, car elle restreint de
façon inadmissible la liberté de l'employé.

Les limites de la validité de l'interdiction de
concurrence quant au lieu, au temps et au genre d'affaires
sont fixées à l'art. 340a al. 1 CO. Dès lors que le juge
peut
réduire les prohibitions excessives selon sa libre apprécia-
tion, en tenant compte de toutes les circonstances (art.
340a
al. 2 CO), la mise en oeuvre de l'art. 2 al. 2 CC ne présen-
te, en l'occurrence, aucune utilité. Le défendeur ne tente
d'ailleurs pas de démontrer en quoi la protection qu'il invo-
que, sous l'angle de l'art. 2 CC, dépasserait celle à laquel-
le il peut prétendre selon l'art. 340a al. 2 CO.

Le grief doit donc être rejeté.

3.- Selon le défendeur, l'interdiction de concur-
rence aurait cessé parce qu'il aurait fait opposition au
transfert des rapports de travail, au sens de l'art. 333 al.
1 CO.

Selon la jurisprudence, la vente de tout ou partie
du capital-actions d'une société anonyme n'entraîne pas un
transfert d'entreprise au sens de l'art. 333 CO (arrêt du 6
avril 1994, publié in SJ 1995 p. 792, consid. 1a et les au-
teurs cités).

En l'occurrence, C.________ a pris une participa-
tion dans le capital de la demanderesse, qui est une société
à responsabilité limitée. Cette opération n'a entraîné aucun
transfert d'entreprise. Le défendeur ne saurait donc préten-
dre s'être opposé à un tel transfert.

Comme le défendeur invoque en vain l'art. 333 CO,
le grief est mal fondé.

4.- Selon le défendeur, la clause d'interdiction de
concurrence serait devenue caduque, car il aurait résilié le
contrat de travail pour un motif imputable à l'employeur
(art. 340c al. 2 in fine CO), à savoir que, depuis la
reprise
du capital-actions de la société par C.________, il faisait
"double emploi" avec ce dernier.

La cour cantonale a constaté que la prise de parti-
cipation de C.________ dans l'entreprise n'a pas entraîné
une
mise en cause de l'emploi du défendeur. Invoquant le témoi-
gnage D.________, en sens contraire, le défendeur s'en
prend,
en réalité, aux constatations de fait de la cour cantonale.
Le grief est irrecevable (art. 55 al. 1 let. c OJ).

5.- Selon le défendeur, la clause d'interdiction de
concurrence était excessive, car elle l'empêchait, pendant
deux ans, de travailler de manière dépendante ou
indépendante
dans la profession. Vu son âge (50 ans), il aurait été
réduit
au chômage. A le suivre, la clause aurait dû être "réduite
en
intégralité", ce d'autant que l'employeur n'avait promis au-
cune contre-prestation.

Selon l'art. 340a CO, la prohibition doit être li-
mitée convenablement quant au lieu, au temps et au genre
d'affaires, de façon à ne pas compromettre l'avenir économi-
que du travailleur contrairement à l'équité; elle ne peut
excéder trois ans qu'en cas de circonstances particulières
(al. 1). Le juge peut réduire selon sa propre appréciation
une prohibition excessive, en tenant compte de toutes les
circonstances; il aura égard, d'une manière équitable, à une
éventuelle contre-prestation de l'employeur (al. 2).

Au cas particulier, la prohibition interdisait au
défendeur de faire concurrence à la demanderesse de quelque
manière que ce soit, pendant deux ans, dans le canton de Ge-
nève. Elle compromettait donc notablement son avenir économi-
que, encore que le défendeur, domicilié en France, restât li-
bre d'exercer son activité dans la zone frontalière, où il
n'est pas allégué que la profession manque de travail.

Il n'est toutefois pas nécessaire d'examiner si et
dans quelle mesure la prohibition devrait être réduite, car
la prohibition est en tout cas valable en tant qu'elle inter-
dit au défendeur de faire concurrence à la demanderesse en
travaillant pour des clients de cette dernière ou pour des
entreprises avec lesquelles celle-ci collabore. Or, c'est
précisément ce qui s'est produit en l'espèce, puisque le dé-
fendeur a accepté des chantiers confiés par les entreprises
Y.________ et Z.________. ainsi que par l'architecte
A.________, tous trois figurant parmi les relations d'affai-
res de la demanderesse. A cela s'ajoute que, notamment pour
exécuter ces travaux, le défendeur a engagé sept des dix ou-
vriers de la demanderesse, ce qui ne pouvait que placer
cette
dernière dans une situation particulièrement difficile. En-
fin, le défendeur a commencé une partie de ses activités con-
currentes alors qu'il se trouvait encore au service de la de-
manderesse, de sorte que la cour cantonale pouvait à juste
titre stigmatiser sa déloyauté.

Ainsi, en reprochant au défendeur d'avoir violé la
prohibition de concurrence, la cour cantonale n'a nullement
conféré à cette clause une portée excédant les limites
posées
par l'art. 340a CO.

6.- Le défendeur reproche à la cour cantonale
d'avoir violé l'art. 8 CC en admettant que la demanderesse a
subi un dommage et que ce dommage est en rapport de
causalité
avec la violation de la clause d'interdiction de concurrence.

En tant qu'il se plaint de ce que la cour cantonale
aurait, à tort, considéré comme établi le montant du dommage
subi par la demanderesse et le lien de causalité naturelle
entre ce dommage et la violation de l'interdiction de concur-
rence, alors que ces faits, selon lui, ne seraient que vrai-
semblables ou que, à tout le moins, ils n'auraient pas été
prouvés, le défendeur critique, en réalité, l'appréciation
des preuves par l'autorité cantonale. Ces griefs sont irrece-
vables (art. 55 al. 1 let. c OJ).

De même, selon une jurisprudence constante, lorsque
l'appréciation des preuves convainc le juge qu'une
allégation
de fait a été prouvée ou réfutée, la question de la réparti-
tion du fardeau de la preuve ne se pose plus et le grief
tiré
d'une violation de l'art. 8 CC devient sans objet (ATF 122
III 219 consid. 3c; 119 II 114 consid. 4c p. 117; 118 II 142
consid. 3a p. 147). En l'occurrence, la cour cantonale a
tenu
pour établi que la demanderesse
a subi un dommage. Le défen-
deur se plaint donc en vain d'une fausse répartition du far-
deau de la preuve par la cour cantonale.

Le défendeur reproche à la cour cantonale de s'être
fondée sur une fausse notion du dommage. Son grief à cet
égard est mêlé de critiques sur les constatations de fait et
de références à des pièces nouvelles, qui sont irrecevables
(art. 55 al. 1 let. c OJ). En réalité, la cour cantonale a
retenu, comme préjudice, le bénéfice perdu par la demanderes-
se; on ne voit pas en quoi cette notion serait erronée, de
sorte que le grief doit être rejeté.

Le défendeur reproche à la cour cantonale d'avoir
considéré que le préjudice subi par la demanderesse était en
rapport de causalité adéquate avec la violation de la clause
d'interdiction de concurrence. Il ne motive pas davantage ce
grief, de sorte que sa recevabilité est douteuse. De toute
façon, il est parfaitement évident que, selon le cours ordi-
naire des choses et l'expérience de la vie, le défendeur ne
pouvait que causer un dommage à son ancien employeur en dé-
tournant une partie de sa clientèle. Le grief est mal fondé.

7.- La procédure n'étant pas gratuite (art. 343 al.
3 CO a contrario), le défendeur, qui succombe, devra suppor-
ter les frais et dépens de la procédure fédérale (art. 156
al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 5500 fr. à la
charge du recourant;

3. Dit que le recourant versera à l'intimée une in-
demnité de 7000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux man-
dataires des parties et à la Cour d'appel de la juridiction
des prud'hommes du canton de Genève (Cause n° C/131/199-9).

___________

Lausanne, le 26 septembre 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.88/2001
Date de la décision : 26/09/2001
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-09-26;4c.88.2001 ?
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