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20/09/2001 | SUISSE | N°1A.320/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 20 septembre 2001, 1A.320/2000


«AZA 1/2»

1A.320/2000
1P.786/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

20 septembre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Aeschlimann, Féraud,
Catenazzi et Favre. Greffier: M. Jomini.

Statuant sur le recours de droit administratif et sur le
recours de droit public formés par

Daniel Waeber, à Villaz-Saint-Pierre, représenté par Me
Albert Nussbaumer, avocat à Fribourg,


contre

l'arrêt rendu le 14 novembre 2000 par le Tribunal adminis-
tratif du canton de Fribourg, dans la ...

«AZA 1/2»

1A.320/2000
1P.786/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

20 septembre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Aeschlimann, Féraud,
Catenazzi et Favre. Greffier: M. Jomini.

Statuant sur le recours de droit administratif et sur le
recours de droit public formés par

Daniel Waeber, à Villaz-Saint-Pierre, représenté par Me
Albert Nussbaumer, avocat à Fribourg,

contre

l'arrêt rendu le 14 novembre 2000 par le Tribunal adminis-
tratif du canton de Fribourg, dans la cause qui oppose le
recourant à la Direction des travaux publics et à la Di-
rection de l'intérieur et de l'agriculture du canton de
Fribourg;

(protection des eaux, prélèvements d'eau existants,
assainissement)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Daniel Waeber est propriétaire, depuis 1972,
d'un moulin à Villaz-Saint-Pierre (le "moulin Waeber", par-
celle n° 832 du registre foncier), à proximité du cours de
la
rivière "La Glâne". Un canal, d'une longueur d'environ 500
m,
amène de l'eau de la Glâne au moulin, ce qui permet d'action-
ner une mélangeuse, une machine à floconnage et une généra-
trice d'électricité. L'eau est ensuite restituée à la riviè-
re. Un barrage a été créé dans le lit de la Glâne à
l'endroit
où le cours d'eau artificiel est détourné du cours d'eau
principal. Ce barrage a été remis en état en 1971, avec no-
tamment l'installation d'une nouvelle vanne; ces travaux ont
fait l'objet d'une autorisation délivrée le 27 avril 1971 à
l'exploitant d'alors, Max Waeber, par le Département des tra-
vaux publics du canton de Fribourg.

Le canal actuel d'alimentation du moulin existait
déjà à la fin du XIXe siècle (en 1881, le meunier avait été
autorisé par le Conseil d'Etat à créer cet ouvrage). Selon
certains documents de l'administration cantonale, le moulin
aurait été mis en exploitation en 1777, le meunier étant
alors au bénéfice d'un droit d'eau.

B.- A partir de 1984, les services de l'administra-
tion cantonale ont constaté à plusieurs reprises que le
débit
de la Glâne était insuffisant en aval du barrage du canal du
moulin Waeber. Les exploitants du moulin, Daniel Waeber et
son frère Max Waeber, ont été interpellés à ce sujet et ils
ont été invités par le Service cantonal de la chasse et de
la
pêche, notamment en janvier 1989 et en janvier 1990, à réta-
blir un débit suffisant dans la Glâne. Des pourparlers en
vue
d'une solution transactionnelle ont été menés en vain.

C.- Le 28 juin 1993, la Direction cantonale des
travaux publics a notifié à Daniel Waeber et Max Waeber une
décision dont le dispositif est le suivant:

Art. 1er: La dérivation et l'utilisation de l'eau
de la Glâne par le moulin "Waeber" à Villaz-Saint-
Pierre ne reposant sur aucun droit dont les pro-
priétaires exploitants sauraient se prévaloir, il
leur est désormais interdit de dériver l'eau de
cette rivière pour faire actionner leurs installa-
tions.

Art. 2: La dérivation doit être condamnée et le
barrage démoli aux frais des propriétaires de
l'installation, aux conditions définies dans les
considérants.

Art. 3: Si au terme d'un délai d'un mois à compter
de la communication de la présente décision, les
propriétaires exploitants du moulin n'ont pas exé-
cuté la mesure ordonnée, son exécution sera ordon-
née par voie de contrainte.

Art. 4 à 7: (...).

Cette décision, fondée sur les dispositions des art.
80 ss de la loi fédérale sur la protection des eaux (LEaux;
RS 814.20) ainsi que sur celles de la loi cantonale sur
l'aménagement des eaux (LAE), retient en substance que les
propriétaires exploitants du moulin ne peuvent se prévaloir
ni d'une concession, ni d'un ancien droit d'eau pour dériver
et utiliser l'eau de la Glâne. Cela étant, même si l'existen-
ce d'un droit d'eau était reconnue, l'assainissement de la
Glâne en aval du prélèvement est qualifié d'impérieux. C'est
pourquoi, afin qu'un écoulement constant et naturel de la ri-
vière soit assuré, les propriétaires du moulin sont tenus de
condamner la dérivation des eaux, de démolir à leurs frais
le
barrage et de prendre toutes les mesures utiles pour assurer
la protection des berges du cours d'eau (consid. 8 de la dé-
cision).

D.- Le même jour (le 28 juin 1993), la Direction
cantonale de l'intérieur et de l'agriculture a également no-
tifié aux frères Waeber une décision, dont le dispositif est
le suivant:

Art. 1er: Il est interdit aux propriétaires exploi-
tants des installations du "moulin Waeber", à
Villaz-Saint-Pierre, de dériver l'eau de la Glâne.

Art. 2: La dérivation doit être condamnée et le
barrage démoli aux frais de ses propriétaires aux
conditions et dans le délai fixés par la Direction
des travaux publics.

Cette décision, fondée sur la législation fédérale
et cantonale sur la pêche, reprend en résumé la motivation
de
celle de la Direction des travaux publics.

E.- Daniel Waeber a recouru, auprès du Tribunal ad-
ministratif cantonal, d'une part contre la décision de la Di-
rection des travaux publics, et d'autre part contre celle de
la Direction de l'intérieur et de l'agriculture.

Le Tribunal administratif a statué sur ces recours
par un arrêt rendu le 14 novembre 2000. Il a rejeté, dans le
sens des considérants, le recours dirigé contre la décision
de la Direction des travaux publics et il a ordonné au recou-
rant de procéder à la démolition dans un délai d'un mois à
compter de l'entrée en force de l'arrêt (ch. 1 et 2 du dispo-
sitif). Le recours contre la décision de la Direction de
l'intérieur et de l'agriculture a été déclaré sans objet. Le
Tribunal administratif s'est fondé sur l'art. 80 LEaux. Il a
considéré qu'on pouvait admettre, sous certaines réserves,
que le recourant disposait d'un "droit d'utilisation exis-
tant" de la force hydraulique, au sens de cette norme, en
précisant toutefois que ce droit n'avait "au mieux qu'une
portée limitée à l'exploitation de quelques machines, actuel-
lement complètement désuètes". Il a ensuite exposé qu'en rai-

son des effets dommageables importants des installations li-
tigieuses sur les eaux et la faune - la sous-dotation de la
Glâne en aval du barrage conduisant à un "appauvrissement
sensible de l'état biologique, biocénique et piscicole du
secteur", voire à une "situation catastrophique" -, des mesu-
res d'assainissement supplémentaires, au sens de l'art. 80
al. 2 LEaux, devaient être ordonnées; seule la solution de
la
démolition du barrage permettrait de sauvegarder les
intérêts
publics menacés tout en restant proportionnée à l'importance
économique réelle de l'installation. Le Tribunal administra-
tif a enfin retenu que si le recourant estimait que la sup-
pression du droit d'eau justifiait le paiement d'une indemni-
té, il lui incombait de saisir l'autorité compétente en
vertu
des art. 57 ss de la loi fédérale sur l'expropriation (LEx;
RS 711), une indemnité pour expropriation matérielle entrant
éventuellement en considération.

En ce qui concerne le sort des frais et dépens, le
Tribunal administratif a mis un émolument de 3000 fr. à la
charge de Daniel Waeber et il n'a pas alloué d'indemnité de
partie (ch. 3 et 4 du dispositif).

F.- Agissant par la voie du recours de droit admi-
nistratif (cause 1A.320/2000), Daniel Waeber demande au Tri-
bunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal administratif
ainsi que les décisions des Directions cantonales des
travaux
public et de l'intérieur et de l'agriculture. Il prend égale-
ment, à titre principal, des conclusions en constatation, au
sujet de l'existence d'un "droit ancien" au bénéfice du pro-
priétaire de la parcelle n° 832 de Villaz-Saint-Pierre,
droit
permettant à son titulaire de maintenir la dérivation de la
Glâne par le canal du Moulin, selon la situation existante
et
inscrite au plan cadastral. A titre subsidiaire, il demande
le renvoi de l'affaire à l'autorité de première instance
pour
nouvelle décision selon les règles des art. 81 et 82 LEaux.
Le recourant se plaint d'une constatation manifestement

inexacte ou incomplète des faits pertinents ainsi que d'une
violation des art. 80, 81 et 82 LEaux.

Répondant conjointement au recours de droit adminis-
tratif, les Directions cantonales des travaux publics et de
l'intérieur et de l'agriculture concluent à son rejet. Elles
demandent au Tribunal fédéral de fixer au recourant un délai
d'un mois, à compter de la communication de son arrêt, pour
condamner la dérivation et démolir le barrage.

Le Tribunal administratif conclut au rejet du re-
cours.

Invité à répondre au recours, l'Office fédéral de
l'environnement, des forêts et du paysage a communiqué ses
observations.

Par ordonnance du 31 janvier 2001, le Président de
la Ie Cour de droit public a accordé l'effet suspensif au re-
cours de droit administratif.

G.- Agissant en outre par la voie du recours de
droit public (cause 1P.786/2000) - un mémoire séparé ayant
été déposé -, Daniel Waeber demande au Tribunal fédéral d'an-
nuler les ch. 3 et 4 du dispositif de l'arrêt du Tribunal ad-
ministratif, concernant les frais et dépens de la procédure
cantonale de recours. Il est selon lui arbitraire de le
condamner à la totalité des frais et de ne pas lui allouer
d'indemnité de partie.

La Direction des travaux publics, la Direction de
l'intérieur et de l'agriculture et le Tribunal administratif
concluent au rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Il se justifie, pour le jugement, de joindre
les causes 1A.320/2000 et 1P.786/2000, les deux recours
étant
dirigés contre la même décision (cf. ATF 123 II 16 consid. 1
p. 20; 122 II 367 consid. 1a p. 368).

Le recours de droit public ayant un caractère subsi-
diaire (art. 84 al. 2 OJ), il y a lieu de traiter d'abord le
recours de droit administratif.

2.- La voie du recours de droit administratif (art.
97 ss OJ) est ouverte contre une décision, prise en dernière
instance cantonale (cf. art. 98 let. g OJ), fondée sur des
dispositions de la loi fédérale sur la protection des eaux
(LEaux; cf. ATF 125 II 29 consid. 1a p. 32). Destinataire de
la décision qui l'oblige à prendre des mesures en vue d'un
assainissement au sens des art. 80 ss LEaux, Daniel Waeber a
qualité pour recourir (art. 103 let. a OJ). Les autres condi-
tions de recevabilité du recours de droit administratif
étant
manifestement réunies, il y a lieu d'entrer en matière.

3.- Le recourant, qui se prévaut d'un "droit an-
cien" d'utilisation de l'eau de la Glâne, soutient qu'il ne
peut pas en être privé sur la base de l'art. 80 LEaux. Invo-
quant notamment le principe de la proportionnalité, il pré-
tend que l'intérêt public à ce que le cours de la Glâne soit
libre de toute entrave ne saurait avoir un caractère prépon-
dérant, la décision attaquée le privant non seulement de
l'usage du droit d'eau, permettant d'actionner des machines
nécessaires à son exploitation, mais le contraignant au sur-
plus à engager des frais importants pour les travaux de démo-
lition du barrage. En invoquant l'art. 80 al. 2 in fine
LEaux, le recourant reproche au Tribunal administratif de
n'avoir pas obligé la Direction des travaux publics à ouvrir
une procédure d'expropriation formelle. Il fait encore
valoir

que les art. 81 et 82 LEaux fixent, pour l'assainissement
des
prélèvements d'eau existants, une procédure et des critères
qui n'ont pas été respectés par les autorités cantonales
dans
le cas particulier.

a) aa) La loi fédérale sur la protection des eaux
(LEaux), du 24 janvier 1991 (entrée en vigueur le 1er novem-
bre 1992), soumet à différentes conditions les prélèvements
dans les cours d'eau à débit permanent (art. 29 ss LEaux).
Pour autoriser un nouveau prélèvement, il faut en
particulier
garantir le maintien d'un débit résiduel minimal dans le
cours d'eau (art. 31 LEaux; cf. à ce propos ATF 126 II 283
consid. 3 p. 289 ss; 120 Ib 233 consid. 5-6 p. 240 ss).

bb) Les dispositions transitoires de cette loi pré-
voient par ailleurs un régime d'assainissement pour les pré-
lèvements d'eau existants (art. 80 à 82 LEaux). L'art. 80
al.
1 LEaux pose la règle selon laquelle, lorsqu'un cours d'eau
est sensiblement influencé par un prélèvement existant, il y
a lieu d'assainir son cours aval sans que les droits d'utili-
sation existants soient atteints d'une manière qui justifie-
rait un dédommagement (dans le texte allemand: le cours
d'eau
"muss [...] so weit saniert werden, als dies ohne entschädi-
gungsbegründende Eingriffe in bestehende
Wassernutzungsrechte
möglich ist").

Les "droits d'utilisation existants" (ou "droits
acquis" - cf. Message relatif à la LEaux, FF 1997 II p.
1193)
mentionnés à l'art. 80 al. 1 LEaux sont généralement les
droits des concessionnaires de force hydraulique (cf. art.
43
al. 1 de la loi fédérale sur l'utilisation des forces hydrau-
liques, LFH - RS 721.80). Ces concessionnaires ne peuvent en
principe pas, d'après la jurisprudence relative à la législa-
tion sur la pêche et à la protection de la nature, s'opposer
à des mesures découlant de nouvelles normes qui, même si
elles modifient l'étendue des droits d'utilisation concédés,

ne portent pas atteinte à la substance des droits acquis. En
d'autres termes, ces mesures sont admissibles si elles per-
mettent de maintenir une utilisation de la force hydraulique
dans des conditions économiquement supportables. Sinon, à sa-
voir en cas d'atteinte à la substance des droits
acquis, les
droits d'utilisation ne peuvent être restreints que
moyennant
indemnité, conformément à l'art. 43 al. 2 LFH (cf. ATF 127
II
69 consid. 5a p. 75; 126 II 171 consid. 3c p. 179; 119 Ib
254
consid. 5a p. 268; 107 Ib 140 consid. 4 p. 146 et 6b p.
150).
L'art. 80 al. 1 LEaux consacre également ces principes: il
prévoit donc que l'autorité compétente doit les respecter
lorsqu'elle envisage de restreindre un droit d'utilisation
concédé afin de garantir, en aval du prélèvement d'eau exis-
tant, un débit résiduel minimal correspondant aux exigences
des art. 31 ss LEaux (cf. Office fédéral de l'environnement,
des forêts et du paysage [OFEFP]/Bernhard Frei, Die
Sanierung
nach Art. 80ff Gewässerschutzgesetz vom 24.1.1991 bei der
Wasserkraftnutzung - rechtliche Probleme, Berne 1991, p. 34
ss).

Tandis que l'art. 80 al. 1 LEaux régit les cas d'as-
sainissement ordinaires (sans indemnité), l'art. 80 al. 2
LEaux prévoit la possibilité pour l'autorité compétente de
prendre des mesures d'assainissement supplémentaires dans
des
situations particulières, à savoir "lorsqu'il s'agit de
cours
d'eau qui traversent des paysages ou des biotopes
répertoriés
dans un inventaire national ou cantonal ou que des intérêts
publics prépondérants l'exigent". Ces mesures
supplémentaires
équivalent à une atteinte à la substance des droits d'utili-
sation existants (ou droits acquis); l'indemnisation des ti-
tulaires de ces droits doit en principe être assurée, confor-
mément aux règles rappelées plus haut. C'est pourquoi l'art.
80 al. 2 in fine LEaux mentionne une obligation
d'indemniser,
en disposant que "la procédure de constat et, le cas
échéant,
la détermination du montant de l'indemnité sont régis par la
loi fédérale sur l'expropriation" (dans le texte allemand:

"Das Verfahren für die Feststellung der
Entschädigungspflicht
und die Festsetzung der Entschädigung richtet sich nach dem
Enteignungsgesetz").

cc) Les droits d'utilisation existants auxquels
l'art. 80 LEaux fait référence sont non seulement les droits
d'eau accordés par concession de force hydraulique (cf. art.
38 ss LFH), mais également les anciens droits d'eau dits pri-
vés - car à l'époque de leur constitution, ils étaient régis
par le droit privé -, ou droits immémoriaux ("ehehafte
Wasserrechte"). Ces droits sont généralement qualifiés, eux
aussi, de "droits acquis" (cf. notamment Dominik Strub,
Wohlerworbene Rechte - Insbesondere im Bereich des Elektrizi-
tätsrechts, thèse Fribourg 2001, p. 201 ss; Kathrin Klett,
Verfassungsrechtlicher Schutz "wohlerworbener Rechte" bei
Rechtsänderungen, thèse Berne 1984, p. 92 ss; André Grisel,
Traité de droit administratif, Neuchâtel 1984, vol. II p.
591; Arthur Meier-Hayoz, Berner Kommentar, vol. IV/1/2,
Berne
1964, n. 50 ad art. 655 CC).

Dans le canton de Fribourg, conformément à l'art. 4
let. b de la loi cantonale du 4 février 1972 sur le domaine
public (LDP), les cours d'eau font partie du domaine public,
dès la limite du fonds où ils ont pris leur source. En ré-
glant le statut des eaux publiques, le droit cantonal n'a
toutefois pas supprimé les anciens droits d'eau. L'art. 8
al.
1 LDP, sous le titre "Réserve des droits acquis («droits an-
ciens»)", dispose en effet que "les droits acquis sur les
choses du domaine public, notamment les droits d'eau généra-
lement appelés «droits anciens» (Ehehafte Rechte), existant
à
l'entrée en vigueur de la présente loi, sont maintenus".

dd) L'assainissement du cours aval d'un cours d'eau
sensiblement influencé par un prélèvement existant (cf. art.
80 al. 1 LEaux) doit intervenir dans un délai fixé par l'au-
torité compétente (mais en principe avant le 1er novembre

2007 - art. 81 LEaux) et selon les "critères d'assainisse-
ment" fixés à l'art. 82 LEaux. Cette règle prévoit l'établis-
sement d'un inventaire cantonal des prélèvements d'eau exis-
tants, indiquant pour chaque prélèvement la quantité d'eau
prélevée, le débit résiduel, le débit de dotation et la si-
tuation juridique (art. 82 al. 1 LEaux). L'autorité compéten-
te, au niveau cantonal, doit ensuite décider de l'étendue
des
mesures d'assainissement nécessaires, en fonction de l'in-
fluence de chaque prélèvement sur le cours d'eau, et établir
un rapport, indiquant si possible l'ordre dans lequel les
opérations doivent se dérouler (art. 82 al. 2 LEaux). Les
règles du droit fédéral exigent ainsi de l'autorité
cantonale
compétente pour déterminer l'étendue et le déroulement de
l'assainissement, le cas échéant, qu'elle effectue une pesée
des intérêts, en appréciant les intérêts publics et privés
en
faveur du maintien du prélèvement (cf. art. 33 al. 2 LEaux,
norme qui s'applique aux nouveaux prélèvements et, mutatis
mutandis, aux prélèvements existants en cas
d'assainissement)
et les intérêts qui s'y opposent, notamment en matière de
protection du paysage, des biotopes ou de la faune (cf. art.
33 al. 3 LEaux). Puisque les intérêts économiques du bénéfi-
ciaire du prélèvement doivent être pris en considération
dans
la procédure d'assainissement selon l'art. 80 LEaux (cf.
art.
33 al. 2 let. c LEaux), il importe de résoudre en premier
lieu la question de la nature du droit d'utilisation dont il
se prévaut, afin de déterminer s'il s'agit d'un "droit ac-
quis" (cf. OFEFP, Prélèvements d'eau - Rapport d'assainisse-
ment, Berne 1998, p. 13).

b) aa) Dans le cas particulier, les décisions pri-
ses le 28 juin 1993 par les deux Directions cantonales se
bornent à traiter une question particulière concernant l'as-
sainissement du cours de la Glâne, celle du sort du prélève-
ment d'eau existant approvisionnant le moulin du recourant.
En interdisant l'utilisation de l'eau de la Glâne par le re-
courant, ces autorités ont ordonné la démolition ou la
remise

en état des ouvrages nécessaires au prélèvement, à savoir un
barrage et un canal. En prenant cette décision, ces
autorités
ont constaté que le recourant ne pouvait se prévaloir
d'aucun
droit d'utilisation existant (cf. en particulier l'art. 1er
du dispositif de la décision de la Direction des travaux pu-
blics).

Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal administratif a
confirmé l'ordre donné au recourant de supprimer le prélève-
ment d'eau ainsi que les ouvrages qui y sont liés. Cela
étant, au sujet du droit d'utilisation existant, l'arrêt at-
taqué est équivoque. Il rappelle qu'en vertu du droit canto-
nal, la preuve de l'existence d'un droit ancien sur une
chose
du domaine publique incombe à celui qui y prétend (art. 8
al.
2 LDP); or, le recourant n'est pas parvenu à apporter la
preuve directe de l'existence d'un tel droit. La Cour canto-
nale retient toutefois de "nombreux indices convergents"
d'une utilisation, pendant plusieurs siècles, de l'eau de la
Glâne par les exploitants successifs du moulin de Villaz-
Saint-Pierre, ce qui laisse supposer l'existence d'un droit
d'eau. Ce droit ancien est donc "plausible", mais sa portée
est "largement indéterminée". Le Tribunal administratif a
dès
lors considéré que le droit ancien invoqué par le recourant
n'avait "au mieux qu'une portée limitée à l'exploitation de
quelques machines, actuellement complètement désuètes, mues
par la force hydraulique" et qu'il ne "concern[ait] pas la
production d'électricité" car cette utilisation, plus récen-
te, aurait nécessité une concession. Il a ajouté que le re-
courant "[pouvait] vraisemblablement bénéficier d'un droit
d'eau ancien de portée limitée qui a subsisté en application
de l'art. 8 LDP"; ainsi, on "[pouvait] admettre qu'il dispo-
s[ait] de «droits d'utilisation existants» au sens de l'art.
80 LEaux". Lors de la pesée des intérêts prescrite par
l'art.
80 al. 2 LEaux pour ordonner des mesures d'assainissement
supplémentaires, le Tribunal administratif a mentionné que
le
droit d'eau ancien - "droit éventuellement en cause" - ne

portait pas sur une exploitation hydroélectrique de l'eau de
la Glâne mais, "au mieux, uniquement sur l'usage de l'eau né-
cessaire pour faire tourner quelques machines par la force
hydraulique". Enfin, en se prononçant sur la question de
l'indemnisation du recourant, lequel a été renvoyé à
demander
une indemnité pour expropriation matérielle et à introduire
lui-même la procédure, le Tribunal administratif s'est
référé
au "droit d'eau ancien allégué".

Dans sa réponse au recours de droit administratif,
le Tribunal administratif évoque le "droit allégué par le
recourant". Dans sa réponse au recours de droit public, ce
Tribunal affirme qu'il n'a pas définitivement tranché la
question de l'existence du droit allégué, puisqu'elle
n'était
pas décisive; en d'autres termes, l'existence du droit d'eau
a été "envisagée comme hypothèse de raisonnement".

bb) La décision attaquée ordonne, à titre de mesure
d'assainissement du cours de la Glâne, la suppression d'un
prélèvement d'eau existant. Cette mesure ne permet à l'évi-
dence pas de maintenir, au moulin du recourant, une utilisa-
tion de la force hydraulique dans des conditions économique-
ment supportables (cf. supra, consid. 3a/bb), puisqu'elle
empêche toute utilisation de l'eau de la Glâne. Si l'on re-
tient l'hypothèse de l'existence d'un droit acquis - en l'oc-
currence d'un "droit ancien" et non pas d'un droit déduit
d'une concession -, l'atteinte à ce droit est,
manifestement,
telle qu'elle justifierait un dédommagement, ou qu'elle ne
pourrait intervenir sans indemnité; en pareil cas, l'art. 80
al. 2 LEaux serait donc applicable. Cette disposition pré-
voit, dans ces conditions, que l'indemnisation est régie par
la loi fédérale sur l'expropriation, en distinguant deux
phases: la procédure de constat ("das Verfahren für die Fest-
stellung der Entschädigungspflicht") et la procédure de dé-
termination du montant de l'indemnité. Elle se réfère ainsi
implicitement, pour la première phase, aux art. 27 ss LEx,

qui prévoient en particulier le dépôt public des plans éta-
blis par l'expropriant - voire un avis personnel lorsque la
personne atteinte par l'expropriation est déterminée exacte-
ment -, une possibilité de s'opposer à l'expropriation et
une
procédure de conciliation; il appartient donc, dans ce ré-
gime, à l'expropriant d'introduire la procédure. Quant à la
seconde phase, celle de l'estimation, elle est réglée aux
art. 57 ss LEx.

Les anciens droits d'eau ("ehehafte Wasserrechte")
pour l'exploitation d'un moulin, d'une scierie, etc., sont
généralement considérés actuellement comme des servitudes
foncières (cf. ATF 88 II 498 consid. 3 p. 503; Peter Liver,
Die ehehaften Wasserrechte in der Schweiz, in: Festschrift
für Paul Gieseke, Karlsruhe 1958, p. 244 ss; idem, Die
Entwicklung des Wasserrechts in der Schweiz seit hundert
Jahren, RDS 71/1952 I p. 340). Les servitudes font, préci-
sément, partie des droits réels immobiliers pouvant faire
l'objet d'une expropriation (formelle) en vertu de l'art. 5
LEx (ATF 121 II 436 consid. 3c p. 440). En résumé, si l'as-
sainissement d'un cours d'eau exige la suppression totale
d'un droit d'utilisation existant ayant les caractéristiques
d'une servitude foncière, la collectivité chargée de l'assai-
nissement doit exercer le droit d'expropriation conformément
aux règles générales de la loi fédérale sur l'expropriation;
il ne s'agit manifestement pas d'un cas d'expropriation ma-
térielle. Dans cette situation particulière, le texte de
l'art. 80 al. 2 in fine LEaux prévoit clairement l'applica-
tion de la loi fédérale sur l'expropriation. Cette disposi-
tion - considérée comme une lex specialis - ne laisse pas
aux
cantons le choix entre l'application du droit cantonal de
l'expropriation et celle du droit fédéral, contrairement à
l'art. 68 LEaux - lex generalis -, qui vise les autres cas
d'expropriation pour l'exécution de la loi fédérale sur la
protection des eaux (d'autres lois fédérales contiennent du
reste une disposition analogue à l'art. 68 LEaux: cf. notam-

ment l'art. 58 de la loi fédérale sur la protection de l'en-
vironnement [LPE; RS 814.01], ou l'art. 48 de la loi
fédérale
sur les forêts [LFo; RS 921.0], ou encore l'art. 17 de la
loi
fédérale sur l'aménagement des cours d'eau [LACE; RS
721.100]). On ne saurait, au demeurant, se fonder sur le
seul
texte allemand de l'art. 80 al. 2 LEaux et sur le verbe
employé ("Das Verfahren [...] richtet sich nach dem Ent-
eignungsgesetz") pour considérer que la loi fédérale sur
l'expropriation ne s'applique que partiellement ou par analo-
gie (cf. OFEFP/Frei, op. cit., p. 47); l'analyse des trois
textes officiels de l'art. 80 al. 2 LEaux (dans le texte
français: "sont régis par la loi fédérale sur l'expropria-
tion"; dans le texte italien: "sono disciplinati dalla legge
federale sull'espropriazione") exclut pareille interpréta-
tion.

cc) Il est vrai que, dans le cas particulier,
l'existence d'un ancien droit d'eau en faveur du recourant
peut encore être contestée. Ce droit a toutefois été
qualifié
de plausible ou vraisemblable par le Tribunal administratif.
L'autorité compétente pour l'assainissement du cours d'eau
ne
saurait donc partir du principe qu'il est inexistant et re-
noncer d'emblée à ouvrir une procédure d'expropriation paral-
lèlement à la procédure d'assainissement selon les art. 80 à
82 LEaux (cf. supra, consid. 3a/dd). Si celui qui se prétend
titulaire d'un ancien droit d'eau s'oppose à sa suppression
et fait valoir des prétentions, dans le délai fixé après le
dépôt des plans ou l'avis personnel (cf. art. 35 et 36 LEx),
et que l'existence du droit faisant l'objet de la demande
d'indemnité est contestée par l'expropriant, l'art. 69 LEx
prévoit la compétence soit du juge civil (al. 1), soit de la
commission fédérale d'estimation
(al. 2) pour statuer à ce
sujet, et cette disposition fixe la procédure à suivre (cf.
notamment ATF 108 Ib 492 consid. 2 p. 494: 101 Ib 56 consid.
2 p. 58; cf. également ATF 109 Ib 276 p. 277, concernant une
procédure dans laquelle la commission fédérale d'estimation

avait été invitée à statuer sur l'existence d'un ancien
droit
d'eau).

c) Il résulte de ce qui précède que le Tribunal
administratif a violé l'art. 80 LEaux en confirmant directe-
ment l'ordre donné au recourant de supprimer la dérivation
alimentant son moulin, alors qu'une procédure
d'expropriation
formelle, selon les dispositions de la loi fédérale sur l'ex-
propriation, aurait dû être ouverte. A ce propos, le recours
de droit administratif doit être admis et la décision atta-
quée doit être annulée.

L'affaire doit être renvoyée au Tribunal administra-
tif pour nouvelle décision (cf. art. 114 al. 2 OJ) d'une
part
sur les frais et dépens de la procédure cantonale de
recours,
et d'autre part sur la suite à donner à la procédure d'assai-
nissement du cours d'eau, à l'endroit litigieux, après les
décisions des Directions cantonales des travaux publics et
de
l'intérieur et de l'agriculture.

4.- L'admission du recours de droit administratif,
entraînant l'annulation de l'arrêt attaqué, rend sans objet
le recours de droit public. La cause 1P.786/2000 doit dès
lors être rayée du rôle (cf. art. 72 PCF par renvoi de
l'art.
40 OJ).

5.- Il n'y a pas lieu de percevoir un émolument ju-
diciaire (art. 156 al. 2 OJ). L'Etat de Fribourg aura cepen-
dant à payer des dépens au recourant, assisté d'un avocat
(art. 159 al. 1 et 2 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours de droit administratif, annule
l'arrêt attaqué et renvoie l'affaire au Tribunal administra-
tif du canton de Fribourg pour nouvelle décision, au sens
des
considérants.

2. Raye du rôle le recours de droit public, devenu
sans objet.

3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4. Met une indemnité de 3'000 fr., à payer au recou-
rant à titre de dépens, à la charge de l'Etat de Fribourg.

5. Communique le présent arrêt en copie au mandatai-
re du recourant, à la Direction des travaux publics, à la Di-
rection de l'intérieur et de l'agriculture et au Tribunal ad-
ministratif du canton de Fribourg, ainsi qu'à l'Office fédé-
ral de l'environnement, des forêts et du paysage.

Lausanne, le 20 septembre 2001
JIA/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.320/2000
Date de la décision : 20/09/2001
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-09-20;1a.320.2000 ?
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