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12/09/2001 | SUISSE | N°4C.77/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 septembre 2001, 4C.77/2001


«/2»

4C.77/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

12 septembre 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges.
Greffier: M. Carruzzo.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________, demandeur et recourant principal, représenté par
Me Alain-Valéry Poitry, avocat à Nyon,

et

Y.________, défenderesse et recourante par voie de jonction;

(actes illicites)r>
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) X.________, né en 1951, et Y.________, née
...

«/2»

4C.77/2001

Ie C O U R C I V I L E
****************************

12 septembre 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges.
Greffier: M. Carruzzo.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________, demandeur et recourant principal, représenté par
Me Alain-Valéry Poitry, avocat à Nyon,

et

Y.________, défenderesse et recourante par voie de jonction;

(actes illicites)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) X.________, né en 1951, et Y.________, née
en 1955, se sont mariés le 12 décembre 1986. Aucun enfant
n'est issu de leur union. Les époux ont acquis en
copropriété
une villa et un appartement.

Le 22 février 1995, X.________ a ouvert action en
divorce devant le Tribunal civil du district de Z.________.
L'épouse s'est opposée à la demande.

Par ordonnance de mesures provisionnelles du 17 mai
1995, le Président du Tribunal civil du district de
Z.________ a astreint X.________ à verser à sa femme une pen-
sion mensuelle de 4000 fr. et à assumer l'intégralité des
charges financières des immeubles.

Statuant le 22 juillet 1997, le Tribunal civil du
district de Z.________ a prononcé le divorce des époux et
astreint le mari à payer à sa femme, en application de
l'art.
152 aCC, une pension alimentaire de 4000 fr. par mois
pendant
deux ans dès l'entrée en force du jugement de divorce. Il a
retenu, en substance, que l'épouse n'exerçait aucune
activité
lucrative et n'avait aucun revenu.

b) Le 31 juillet 1997, Y.________ a déclaré recou-
rir contre ce jugement, puis elle a exposé ses moyens dans
un
mémoire du 26 septembre 1997.

Dans l'intervalle, soit le 19 août 1997, l'épouse
avait déposé une requête de mesures provisionnelles.
Retenant
que Y.________ était sans emploi, sans allocation de chômage
et sans revenu personnel, le Président de la Chambre des re-
cours du Tribunal cantonal vaudois, par ordonnance de
mesures

provisionnelles du 11 septembre 1997, a donné l'ordre à l'em-
ployeur du mari de verser directement en mains de l'épouse
la
pension mensuelle de 4000 fr. et astreint l'intimé au paie-
ment d'une provision ad litem de 2000 fr.

Suite à la séance tenue le 21 novembre 1997, la
Chambre des recours, par arrêt dont le dispositif a été com-
muniqué aux parties le 25 novembre 1997 et les motifs le 15
avril 1998, a partiellement admis le recours de Y.________
et
augmenté la pension mensuelle à 5000 fr.

Entre-temps, X.________ avait adressé, le 2 février
1998, une requête de mesures provisionnelles au Président de
la Chambre des recours, dans laquelle il alléguait que
Y.________ travaillait à Bâle et n'occupait pratiquement ja-
mais la villa. Ladite requête a été rejetée, le 2 avril
1998,
sur la foi des déclarations de l'intimée qui avait affirmé
se
rendre environ trois jours par semaine à Bâle pour soigner
sa
mère malade, tout en contestant y avoir déménagé ou y tra-
vailler.

c) Le 18 mai 1998, Y.________ a déposé un recours
de droit public et un recours en réforme au Tribunal fédéral
contre l'arrêt de la Chambre des recours du 15 avril 1998.
X.________ a interjeté un recours joint.

X.________ a déposé, le 27 juillet 1998, une nou-
velle requête de mesures provisionnelles devant le Président
de la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois, le-
quel a décidé, en date du 4 septembre 1998, après avoir en-
tendu les parties en séance du 20 août 1998, de diminuer de
4000 fr. à 3000 fr., dès le 1er septembre 1998, la pension
mensuelle versée par le requérant à l'intimée. L'ordonnance
de mesures provisionnelles contient notamment le passage sui-
vant:

"qu'en effet, contrairement à ses précédentes
affirmations, mensongères, selon lesquelles el-
le était sans emploi, Y.________ a réalisé
auprès de la maison C.________ un revenu de
60'124 fr. brut en 1997, soit 53'586 fr. net,
ce qui représente un salaire de 4465 fr. par
mois,

que, pour les six premiers mois de l'année
1998, ses revenus se sont élevés à 35'814 fr.85
brut, soit 31'555 fr.90 net, ce qui représente
un salaire de 5259 fr. par mois."

Par arrêts du 4 janvier 1999, le Tribunal fédéral a
déclaré le recours de droit public et le recours joint irre-
cevables, rejeté le recours principal, dans la mesure où il
était recevable, et confirmé l'arrêt attaqué. S'agissant du
recours joint, la IIe Cour civile a jugé irrecevable, parce
que nouvelle, l'allégation de X.________ selon laquelle son
épouse ne se trouvait pas dans le dénuement, la procédure de
mesures provisionnelles ayant révélé qu'elle avait un
emploi,
contrairement à ses dires.

d) Du fait des affirmations de Y.________,
X.________ a multiplié les requêtes de mesures provisionnel-
les, pris un avocat et engagé un détective privé dont les
frais d'intervention se sont élevés à 3000 fr.

Y.________ a, en outre, déposé plainte pénale à
l'encontre de son mari et réclamé que sa pension fût directe-
ment prélevée auprès de l'employeur de celui-ci. Elle a éga-
lement sollicité l'intervention du Bureau de recouvrement et
d'avances de pensions alimentaires (BRAPA).

Il ressort d'un extrait de son compte individuel
AVS que Y.________ a perçu la somme de 31'310 fr. du 5 mai
au
31 décembre 1996.

B.- Le 3 novembre 1998, X.________ a assigné
Y.________ en paiement de 88'100 fr. à titre de dommages-
intérêts (28 000 fr. pour les 1000 fr. de pension mensuelle
payés en trop du 1er mai 1996 au 31 août 1998, 2600 fr. pour
la provision ad litem et les dépens, 4500 fr. pour les hono-
raires d'avocat relatifs aux mesures provisionnelles,
3000 fr. pour les honoraires du détective privé et 50'000
fr.
représentant les loyers qui auraient pu être perçus pendant
deux ans si la villa conjugale avait été louée) et de
50'000 fr. en réparation du tort moral subi, le tout avec
intérêts.

La défenderesse n'ayant pas procédé selon les for-
mes idoines, elle a été traitée comme une partie défaillante.

Le 14 juillet 1999, le Juge instructeur de la Cour
civile du Tribunal cantonal vaudois a rendu un jugement par
défaut au terme duquel il a rejeté la demande.

Statuant le 21 juin 2000, sur recours du demandeur,
la Chambre des recours a confirmé le jugement attaqué. Son
arrêt repose, entre autres motifs, sur les considérations
suivantes:

"Comme l'a exposé à juste titre le premier juge,
le préjudice subi par le recourant, c'est-à-dire les
paiements de contributions qui ont diminué son patrimoi-
ne, ne résulte pas des mensonges de l'intimée, mais des
jugements entrés en force (jugement de divorce, ordon-
nances de mesures provisionnelles, arrêts sur recours),
qui sont présumés conformes à la loi, donc licites. Le
dommage subi ne découle donc pas d'un acte illicite. Ce
motif confirme l'argument de l'absence de lien de causa-
lité développé par le premier juge. Il confirme égale-
ment que le recourant devait agir par la voie de la ré-
vision (art. 476 ss CPC)."

Pour le surplus, la Chambre des recours s'est bor-
née à confirmer les considérants du premier jugement. Selon

ceux-ci, les conséquences d'un jugement matériellement faux,
mais entré en force, ne peuvent pas être écartées par le
droit de l'enrichissement illégitime (art. 62 ss CO). Il au-
rait fallu, pour cela, une révision dudit jugement. Quant au
tort moral, le premier juge a constaté que le demandeur
n'avait pas rendu vraisemblable que la plainte pénale
déposée
par la défenderesse et l'intervention de cette dernière au-
près du BRAPA lui auraient causé un grave préjudice moral.

C.- Le demandeur interjette un recours en réforme
au Tribunal fédéral. Il conclut principalement à la réforme
de l'arrêt déféré dans le sens de l'admission des
conclusions
en paiement soumises à la Chambre des recours et, subsidiai-
rement, au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nou-
veau jugement.

La défenderesse a déposé un mémoire intitulé "Ré-
ponse et recours joint". Elle conclut au rejet du recours du
demandeur.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et libre-
ment la recevabilité des recours dont il est saisi (ATF 126
III 274 consid. 1 et les arrêts cités).

a) L'acte de recours doit contenir l'indication
exacte des points attaqués de la décision et des modifica-
tions demandées (art. 55 al. 1 let. b OJ), ainsi que les mo-
tifs à l'appui des conclusions (art. 55 al. 1 let. c OJ),
lesquels ne peuvent pas consister dans le simple renvoi aux
mémoires présentés en instance cantonale (ATF 110 II 74 con-
sid. 1 et les arrêts cités). Au demeurant, lorsqu'il statue
sur un recours en réforme, le Tribunal fédéral fonde son ar-

rêt sur les faits tels qu'ils ont été constatés par la der-
nière autorité cantonale, à moins que des dispositions fédé-
rales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu de rectifier des constatations reposant sur une inadver-
tance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter
les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci
n'a pas tenu compte de faits pertinents et régulièrement al-
légués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a p. 65; 119 II
353 consid. 5c/aa et les arrêts cités). Il ne peut donc pas
être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni
de faits nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).

L'intimé peut former un recours joint pour demander
la réforme du jugement au détriment du recourant; il prend
les conclusions nécessaires dans son mémoire de réponse
(art.
59 al. 2 OJ). Les prescriptions de forme applicables à
l'acte
de recours s'appliquent par analogie à la réponse et au re-
cours joint (art. 59 al. 3 OJ).

b) Le demandeur a satisfait, pour l'essentiel, aux
exigences qui viennent d'être rappelées. Toutefois, en ce
qui
concerne les différents postes du dommage qu'il prétend
avoir
subi, le simple renvoi, fait par lui à la page 11 de son
acte
de recours, aux allégués de la demande soumise au premier ju-
ge n'est pas admissible. Cela ne porte cependant pas à consé-
quence, car le Tribunal fédéral, s'il devait admettre le re-
cours sur le principe de la responsabilité imputée à la dé-
fenderesse, ne serait de toute façon pas en mesure d'effec-
tuer lui-même le calcul du dommage allégué, faute de données
factuelles suffisantes, et devrait renvoyer la cause aux ju-
ges cantonaux pour qu'ils procèdent aux constatations néces-
saires, ainsi que le requiert le demandeur dans sa
conclusion
subsidiaire.

Force est, en revanche, de constater d'emblée l'ir-
recevabilité du recours joint dès lors que la défenderesse

n'y prend aucune conclusion visant à modifier l'arrêt canto-
nal au détriment du demandeur.

Quant à la réponse de la défenderesse, l'argumenta-
tion qu'elle comporte repose en grande partie sur des faits
qui n'ont pas été constatés par les juges cantonaux ou qui
vont au-delà des constatations souveraines de ceux-ci. Dans
cette mesure, cette argumentation ne pourra pas être prise
en
considération.

2.- Le demandeur invoque principalement la viola-
tion de l'art. 41 CO, reprochant à la Chambre des recours
d'avoir exclu à tort la responsabilité aquilienne de la dé-
fenderesse.

La responsabilité délictuelle, au sens de cette
disposition, suppose la réalisation des quatre conditions cu-
mulatives suivantes: un acte illicite, une faute, un dommage
et un rapport de causalité (naturelle et adéquate) entre
l'acte illicite et le dommage (cf., parmi d'autres, Desche-
naux/Tercier, La responsabilité civile, 2e éd., p. 66 ss).
En
l'occurrence, seule la question de la relation de causalité
adéquate fait véritablement problème. Avant de l'examiner de
manière approfondie, il convient de passer brièvement en re-
vue les trois autres conditions, étant précisé que le Tribu-
nal fédéral doit appliquer le droit d'office aux faits cons-
tatés ("jura novit curia"), sans être lié par
l'argumentation
juridique des parties, ni par les motifs indiqués dans la dé-
cision entreprise (cf. art. 63 al. 1 et 3 OJ; ATF 117 II 494
consid. 3 p. 495).

a) aa) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral,
un acte est illicite s'il enfreint un devoir général en por-
tant atteinte soit à un droit absolu du lésé (Erfolgsun-
recht), soit à son patrimoine; dans ce dernier cas, la norme
violée doit avoir pour but de protéger le lésé dans les

droits atteints par l'acte incriminé (Verhaltensunrecht; ATF
123 III 306 consid. 4a et les arrêts cités).

En l'espèce, le demandeur se plaint d'une atteinte,
non pas à un droit absolu (sur cette notion, cf. Engel, Trai-
té des obligations en droit suisse, 2e éd., p. 16 s.), tel
que la propriété, mais à des droits purement patrimoniaux.
Le
comportement critiqué - à savoir le fait, pour la défenderes-
se, d'avoir menti systématiquement à toutes les autorités ju-
diciaires saisies au sujet de son activité professionnelle -
constituait à n'en pas douter une transgression du droit, en
tant qu'il contrevenait à diverses normes ou principes desti-
nés à protéger les parties durant une procédure de divorce.

D'une manière générale, si le dommage causé dans
l'exercice d'un droit n'oblige pas à réparation, commet, en
revanche, un acte illicite le plaideur qui adopte, au cours
du procès, une attitude malveillante ou contraire aux règles
de la bonne foi (ATF 117 II 394 consid. 4 in fine), en parti-
culier celui qui viole consciemment son devoir de dire la vé-
rité (Casanova, Die Haftung der Parteien für prozessuales
Verhalten,
thèse Fribourg 1982, p. 121 ss). Peu importe que
ce comportement tombe ou non sous le coup de la loi pénale
(art. 306 CP; Casanova, op. cit., p. 131 in limine). S'agis-
sant, comme en l'espèce, de personnes mariées, il convient
de
souligner, de surcroît, que la loi permet à chaque époux de
demander à son conjoint qu'il le renseigne sur ses revenus,
ses biens et ses dettes (art. 170 al. 1 CC); ce devoir de
renseigner ne cesse pas durant la procédure de divorce (cf.
ATF 117 II 218 consid. 6a) et l'époux qui le viole engage sa
responsabilité envers son conjoint (cf. Schwander, Commentai-
re bâlois, Schweizerisches Zivilgesetzbuch I, n. 21 ad art.
170, qui propose d'appliquer par analogie l'art. 581 al. 2
CC
relatif au devoir d'information dans le cadre de la
procédure
du bénéfice d'inventaire). Il n'est pas douteux qu'il faille

assimiler, de ce point de vue, le faux renseignement au
refus
de renseigner.

Il ressort de l'arrêt attaqué que la défenderesse a
sciemment induit en erreur, à réitérées reprises, les autori-
tés judiciaires vaudoises sur le fait qu'elle exerçait une
activité professionnelle à Bâle et en tirait des revenus
alors que le procès en divorce était pendant. Semblable com-
portement était assurément contraire aux normes et principes
sus-indiqués au point de mériter le qualificatif d'illicite.

bb) Exceptionnellement, un acte dommageable peut
être licite. Ainsi, dans certains cas, la justice propre est
admissible, notamment dans une situation de légitime défense
au sens de l'art. 52 al. 1 CO.

La défenderesse se prévaut de cette disposition
dans sa réponse au recours. A l'en croire, comme son mari
l'avait brisée financièrement et moralement en introduisant
une procédure en divorce, il n'existait pas d'autre moyen
pour elle que de taire l'existence du travail temporaire
qu'elle s'était vu confier, pour éviter que son droit ne fût
perdu ou que l'exercice de celui-ci ne fût rendu beaucoup
plus difficile, sans compter que tout contact avec son em-
ployeur se serait soldé par un licenciement rapide.

La légitime défense suppose, entre autres condi-
tions, une attaque injuste (Engel, op. cit., p. 494). Or, en
l'espèce, le demandeur n'a fait qu'exercer son droit, stric-
tement personnel (ATF 78 II 99 consid. 2), de requérir le di-
vorce et la défenderesse s'est opposée sans succès à l'exer-
cice de ce droit. Il ne saurait donc être question ici d'une
attaque injuste. L'eût-elle été, du reste, que la défenderes-
se disposait d'autres moyens, pour la repousser, que d'indui-
re la justice en erreur. Les conditions de la légitime défen-

se faisaient, dès lors, manifestement défaut dans la
présente
espèce.

b) La défenderesse savait qu'elle agissait contrai-
rement au droit en faisant des déclarations mensongères et
elle avait bien entendu la possibilité de rester dans la lé-
galité en s'abstenant de le faire. Elle a donc commis inten-
tionnellement les actes illicites qui lui sont reprochés.
Par
conséquent, la condition de la faute (sur cette notion, cf.
Engel, op. cit., p. 461 ss) est, elle aussi, réalisée in ca-
su.

c) Pour ce qui est du dommage, le premier juge a
considéré que son existence avait été "rendue très vraisem-
blable", du moins relativement au montant de la pension ali-
mentaire et à la provision ad litem, mais il n'a pas estimé
nécessaire d'examiner plus avant ses éléments constitutifs
et
son ampleur puisque, selon lui, l'action du demandeur devait
de toute façon être rejetée.

Il apparaît ainsi que, dans son principe en tout
cas, la réalité du dommage allégué ne saurait être raisonna-
blement niée, ne fût-ce que parce que le demandeur a été con-
traint de payer à la défenderesse une pension plus élevée
que
celle qu'il aurait dû lui verser si elle avait révélé l'exis-
tence des revenus tirés de son activité professionnelle.

d) aa) Le dommage doit être la conséquence de l'ac-
te illicite. Il doit exister une relation de cause à effet,
appelée causalité naturelle, entre celui-ci et celui-là. La
causalité naturelle relevant des constatations de fait (ATF
123 III 110 consid. 2; 116 II 305 consid. 2c/ee; 115 II 440
consid. 5b), elle ne peut plus être discutée en instance de
réforme (art. 55 al. 1 let. c OJ).

En l'occurrence, les juges cantonaux ont constaté
souverainement l'existence d'une relation de causalité natu-
relle entre les affirmations fallacieuses de la
défenderesse,
constitutives d'actes illicites, et l'appauvrissement du de-
mandeur consécutif aux décisions de justice fondées sur les
déclarations mensongères de la défenderesse. Ils ont admis
implicitement que le juge des mesures provisionnelles
s'était
fondé de manière déterminante sur ces déclarations, écartant
par là même l'hypothèse dans laquelle les décisions de mesu-
res provisionnelles rendues sur la base d'un état de fait
supposé conforme à la réalité eussent été identiques (pour
un
cas d'application de cette dernière hypothèse, cf., mutatis
mutandis, ATF 123 IV 184 consid. 1c).

Il y a lieu de prendre acte des constatations défi-
nitives de la cour cantonale quant au rapport de causalité
naturelle entre les actes ou omissions intentionnels de la
défenderesse et le dommage subi par le demandeur.

bb) Lorsque la relation de causalité naturelle en-
tre un comportement donné et un certain résultat est
retenue,
il faut encore se demander si le rapport de causalité peut
être qualifié d'adéquat, c'est-à-dire si le comportement en
question était propre, d'après le cours ordinaire des choses
et l'expérience de la vie, à entraîner un résultat du genre
de celui qui s'est produit (ATF 123 III 110 consid. 3a et
les
références). Dire s'il y a causalité adéquate est une ques-
tion de droit (ATF 123 III 110 consid. 2; 116 II 519 consid.
4a p. 524). La causalité adéquate peut être exclue, l'enchaî-
nement des faits perdant alors sa portée juridique, si une
autre cause concomitante, par exemple une force naturelle,
le
comportement de la victime ou d'un tiers, constitue une cir-
constance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraor-
dinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre; l'imprévisibi-
lité d'un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre
le rapport de causalité adéquate; il faut encore que cet
acte

ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la
plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré,
reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont
contribué à l'amener, et notamment le comportement de l'au-
teur (ATF 122 IV 17 consid. 2c/bb et les arrêts cités). En
d'autres termes, pour déterminer si la relation de causalité
entre l'acte de l'auteur et le résultat dommageable est adé-
quate, il y a lieu de se demander non pas si le fait imputé
à
l'auteur aurait éventuellement pu causer à lui seul le résul-
tat, mais si les autres circonstances qui ont concouru à la
réalisation du résultat ne présentent pas, par rapport au
fait de l'auteur, un caractère trop exceptionnel. Ce n'est
donc que s'il est hautement improbable, d'après le cours or-
dinaire des choses et l'expérience de la vie, que le second
événement qui a concouru à la survenance du résultat se pro-
duise par suite de l'acte de l'auteur et de ses
conséquences,
que le rapport de causalité adéquate pourrait être nié
(Giovannoni, La causalité dans la responsabilité civile ex-
tracontractuelle, in RJB 98/1962 p. 249 ss, 264).

La cour cantonale a méconnu ces principes en niant
l'existence d'un lien de causalité adéquate au motif que le
dommage allégué par le demandeur ne résultait pas immédiate-
ment des mensonges de la défenderesse, mais des jugements en-
trés en force. En effet, il n'était pas hautement
improbable,
d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la
vie, que le second événement qui a concouru à la survenance
du résultat (i.e. les décisions de mesures provisionnelles
défavorables au demandeur) se produise par suite de l'acte
de
l'auteur (i.e. les déclarations mensongères de la défenderes-
se) et de ses conséquences (i.e. un état de fait ne corres-
pondant pas à la réalité). Au contraire, il était dans l'or-
dre des choses que l'autorité judiciaire, induite en erreur
par la défenderesse, rendît des décisions fondées sur des
prémisses erronées (cf. Corboz, Les principales infractions,
vol. II, p. 325 ch. 1). Pour nier l'existence d'un rapport
de

causalité adéquate dans une telle situation, il eût fallu un
comportement extraordinaire du juge (cf. Casanova, op. cit.,
p. 83 s.), comme c'eût été le cas si celui-ci, après s'être
avisé que la défenderesse lui avait menti, avait malgré tout
fondé ses décisions sur les déclarations mensongères de
cette
dernière.

En raisonnant par l'absurde, à suivre la thèse sou-
tenue par les juges précédents, l'auteur médiat (cf. ATF 120
IV 17 consid. 2d et les arrêts cités) devrait toujours échap-
per à une condamnation du seul fait qu'il s'est servi d'un
tiers "innocent" pour lui faire exécuter l'infraction proje-
tée. De même, la personne qui a requis des mesures provision-
nelles injustifiées ne devrait pas pouvoir être condamnée ci-
vilement au motif que le dommage subséquent aurait été causé
par la décision de mesures provisionnelles et non par la re-
quête ad hoc (voir pourtant: ATF 93 II 183 consid. 9; 88 II
278 consid. 3a), ni celle qui a fait un usage abusif des
droits de procédure, parce que le dommage subi par l'autre
partie résulterait prétendument des ordonnances prises par
le
juge et non des requêtes l'ayant amené à les rendre (voir
pourtant: ATF 123 III 101 consid. 2a; 117 II 394 consid. 3b
p. 396 et consid. 4 p. 398; 112 II 32 consid. 2a).

Force est, par conséquent, d'admettre, à l'inverse
des juges cantonaux, que le comportement incriminé était
bien
la cause adéquate du dommage résultant directement des mesu-
res provisionnelles fondées sur un état de fait erroné, dom-
mage consistant dans l'obligation de payer une pension ali-
mentaire supérieure à ce qu'elle aurait dû être ainsi qu'une
provision ad litem et des dépens. Il suit de là que toutes
les conditions de la responsabilité aquilienne sont
réalisées
dans la personne de la défenderesse relativement à ces élé-
ments du dommage.

cc) Les juges précédents ont exclu en bloc l'exis-
tence d'un lien de causalité adéquate entre l'acte illicite
commis par la défenderesse et le dommage subi par le deman-
deur, sans faire de distinction quant aux différents postes
du dommage allégué.

Dans son recours en réforme, le demandeur ne criti-
que l'arrêt attaqué - à juste titre, comme on vient de le dé-
montrer - que dans la mesure où il a exclu un lien de causa-
lité adéquate entre le comportement fautif de la
défenderesse
et le dommage découlant directement du dispositif des déci-
sions de mesures provisionnelles (i.e. la condamnation du de-
mandeur au paiement d'une pension alimentaire surfaite ainsi
qu'au versement d'une provision ad litem et de dépens). En
revanche, il ne s'en prend pas à l'exclusion - implicite -
d'un tel lien en ce qui concerne les autres postes du
dommage
allégué par lui (i.e. les honoraires de son avocat pour les
procédures de mesures provisionnelles, les honoraires du dé-
tective privé et le manque à gagner du fait de la non-loca-
tion de la villa conjugale pendant deux ans) ou, du moins,
ne
reproche-t-il pas aux juges précédents leur silence à cet
égard. Faute de tout grief motivé sur ce point, la juridic-
tion fédérale de réforme n'a pas à examiner d'office s'il
existait ou non une relation de causalité adéquate entre les
actes illicites reprochés à la défenderesse et ces autres
postes du dommage (art. 55 al. 1 let. c OJ).

3.- a) Si les mensonges de la défenderesse ont in-
duit le juge des mesures provisionnelles à rendre des déci-
sions dommageables au demandeur, revêtant ainsi un caractère
adéquatement causal, il n'en demeure pas moins que les pres-
tations qui ont appauvri le lésé ont été faites en exécution
de décisions judiciaires en force. C'est le lieu de rappeler
que les décisions de mesures provisoires, au sens de l'art.
145 aCC, jouissent d'une autorité de la chose jugée
relative,
en ce sens qu'elles déploient leurs effets pour la durée du

procès tant et aussi longtemps qu'elles n'ont pas été modi-
fiées, le jugement de divorce ne pouvant du reste pas
revenir
rétroactivement sur ces mesures (cf. ATF 111 II 103 consid.
4
p. 107; voir aussi les arrêts cantonaux publiés in RSJ
85/1989 p. 265 s. n. 47 et RVJ 1995 p. 217 ss, ainsi que
Bühler/Spühler, Commentaire bernois et Supplément, n. 437 ss
ad art. 145 aCC). Se pose, dès lors, la question de savoir
si
la condamnation de la défenderesse au remboursement du
trop-perçu n'impliquerait pas une remise en cause indirecte
inadmissible de l'autorité de la chose jugée de ces déci-
sions, contrairement au principe "res judicata pro veritate
habetur", lequel veut qu'une décision cantonale entrée en
force ne puisse pas être réexaminée ("ne bis in idem"), si
ce
n'est dans le cadre étroit de la procédure de révision (cf.
ATF 119 II 297 consid. 2b).

En cas de réponse affirmative à cette question, les
conclusions du demandeur ne pourront qu'être rejetées. En ef-
fet, il ressort de l'arrêt attaqué - qui lie sur ce point la
juridiction fédérale de réforme, s'agissant d'un problème re-
levant du droit cantonal (art. 55 al. 1 let. c OJ) - que les
décisions de mesures provisoires prises dans le cadre d'un
procès en divorce peuvent faire l'objet d'une demande de ré-
vision au sens des art. 476 ss du Code de procédure civile
vaudois (cf. Poudret/Wurzburger/Haldy, Procédure civile vau-
doise, 2e éd., n. 2 ad art. 476 CPC, qui se réfèrent à un

arrêt rendu le 19 mai 1992 par la Chambre des révisions
civiles et pénales, publié in JdT 1993 III p. 41 ss; d'un
autre avis: Tappy, Quelques aspects de la procédure de
mesures provisionnelles, spécialement en matière matri-
moniale, in JdT 1994 III p. 34 ss, 61), comme c'est aussi
le cas dans d'autres cantons (p. ex. Zurich; cf. ZR 89/1990
p. 67 ss n. 38), mais pas dans tous (p. ex. Neuchâtel; cf.
RJN 1984 p. 35 ss). Or, il est établi que le demandeur n'a
pas requis la révision des décisions de mesures provision-
nelles en vertu desquelles il a été amené à verser une
pension alimentaire trop élevée à la défenderesse pendant
la procédure de divorce, bien que cette voie de droit lui
fût ouverte et qu'elle lui eût sans doute permis d'obtenir
l'annulation rétroactive de ces décisions.

b) aa) C'est une question fort débattue en droit
allemand que celle des rapports entre l'autorité matérielle
de la chose jugée ("materielle Rechtskraft") et la justice
matérielle ("materielle Gerechtigkeit"). Il s'agit notamment
de savoir si la première doit céder le pas à la seconde et,
plus concrètement, si une demande d'indemnisation pour le
dommage résultant d'un jugement en force faussé par les ma-
noeuvres dolosives d'une partie au procès suppose ou non
l'annulation préalable dudit jugement par la voie de la pro-
cédure de révision. Dans une jurisprudence établie de longue
date, le Bundesgerichtshof fait passer les exigences de jus-
tice matérielle avant les considérations tirées de la sécuri-
té du droit ("von dem zu Unrecht Verurteilten zu verlangen,
er solle sich im Interesse des Rechtsfriedens damit
abfinden,
ist unvertretbar, wenn der Gegner die Rechtskraft als justiz-
förmiges Unrecht herbeigeführt hat, um dem, was nicht recht
ist, den Stempel des Rechts zu geben") et en déduit que l'ac-
tion en dommages-intérêts fondée sur le § 826 BGB n'est pas
subsidiaire à la demande de révision ("Restitutionsklage")
prévue à l'art. 580 du Code de procédure civile allemand
(BGHZ 50/1969 n. 20 p. 115 ss; 101/1988 n. 42 p. 380 ss).
Telle n'est pas l'opinion de la doctrine majoritaire pour
qui
la procédure de révision réservée par cette dernière disposi-
tion est la seule possibilité de remettre en cause un juge-
ment revêtu de l'autorité de la chose jugée, à l'exclusion
de
l'action en dommages-intérêts fondée sur le § 826 BGB, la ju-
risprudence critiquée, qui entraîne une multiplication et un
renchérissement des procédures, étant de nature à augmenter
l'insécurité juridique (cf., parmi d'autres, Staudinger/
Oechsler, Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch, 13e éd.,
n. 479 ad § 826 et les auteurs cités).

En Suisse, cette controverse ne paraît pas avoir
fait couler beaucoup d'encre. Autant que l'on puisse en ju-
ger, les auteurs qui se sont exprimés sur la question profes-
sent tous une opinion qui va à l'encontre de la
jurisprudence
allemande. Ainsi, pour Guldener (Treu und Glauben im Zivil-
prozess, in RSJ 39/1943 p. 405 ss, 407 et Schweizerisches
Zivilprozessrecht, 3e éd., p. 387), un jugement revêtu de
l'autorité de la chose jugée ne peut pas être remis en cause
dans un procès en dommages-intérêts subséquent par la partie
qui allègue que les manoeuvres dolosives de son adversaire
ont conditionné ce jugement. Oftinger/Stark (Schweizerisches
Haftpflichtrecht, vol. II/1, p. 57 n. 177 s. ad § 16) sont
du
même avis. Autoriser une partie à ouvrir action en dommages-
intérêts sans égard à la force de chose jugée de la décision
incriminée reviendrait, selon eux, à instituer en quelque
sorte un moyen de droit ordinaire supplémentaire, ce qui se-
rait incompatible avec le droit de procédure cantonal et met-
trait sérieusement en péril la sécurité du droit. En revan-
che, une fois la demande de révision admise et le jugement
qui en faisait l'objet annulé, rien ne s'oppose à
l'ouverture
d'une action en dommages-intérêts aux conditions de l'art.
41
CO pour la réparation du préjudice subi par le demandeur de-
puis l'entrée en force du jugement faussé jusqu'à son annula-
tion au terme de la procédure de révision. Quant à Casanova
(op. cit., p. 167 ss), qui traite de manière plus détaillée
la question litigieuse, il partage le point de vue des au-
teurs précités. Pour lui aussi, le juge de l'action en domma-
ges-intérêts ne saurait examiner, à titre préjudiciel, si la
solution retenue dans le jugement en force a été
conditionnée
par le comportement procédural illicite du défendeur à cette
action. Au contraire, la partie qui s'estime lésée par ce ju-
gement ne peut introduire une action en réparation que si el-
le a réussi préalablement à contourner l'obstacle de la
chose
jugée du jugement dommageable par le moyen de droit extraor-
dinaire que constitue la révision. L'auteur déplore
toutefois
que la plupart des codes de procédure n'admettent la possibi-
lité d'une révision que dans l'hypothèse où le jugement en
force a été faussé par une infraction pénale. A son avis, la
révision devrait être possible chaque fois qu'il est établi
que l'attitude déloyale d'une partie au procès a influé sur
la solution retenue dans le jugement à réviser. On peut
d'ailleurs se demander, toujours selon le même auteur, si
une
réglementation cantonale trop étroite en matière de
révision,
qui aurait pour effet d'exclure la possibilité d'une action
en dommages-intérêts dans une telle situation, ne paralyse-
rait pas de manière inadmissible l'application du droit
privé
fédéral.

Dans le même ordre d'idées, il est admis que le
droit de l'enrichissement illégitime (art. 62 ss CO, art. 86
LP) ne peut être utilisé pour remettre indirectement en
cause
un jugement revêtu de l'autorité de la chose jugée (von Tuhr/
Peter, Allgemeiner Teil des Schweizerischen Obligationen-
rechts, vol. I, p. 499 ch. 4; Gauch/Schluep/Schmid/Rey,
Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, vol. I,
7e éd., n. 1476 in fine; voir aussi l'arrêt lucernois publié
in RJB 133/1997 p. 790 ss).

bb) La solution préconisée par la doctrine suisse
et la majorité des auteurs allemands doit être retenue. Elle
correspond d'ailleurs à l'opinion émise de longue date par
le
Tribunal fédéral (dans un autre contexte), qui la motive en
ces termes: "toute loi de procédure prévoit un moment à par-
tir duquel les jugements sont définitifs. Dès cet instant,
ils ne peuvent plus être remis en question, sinon par la
voie
exceptionnelle de la révision. Il serait dangereux pour la
sécurité du droit de permettre que les jugements définitifs
soient précisément remis en question par le moyen indirect
d'une action en responsabilité contre l'Etat ou contre le ju-
ge." (ATF 79 II 424 consid. 4). Effectivement, il arrive tou-
jours un moment où la vérité matérielle, si tant est qu'elle
puisse être établie, doit s'effacer devant la vérité judi-

ciaire, quelque imparfaite qu'elle soit, sous peine de
mettre
en péril la mission pacificatrice du jugement et de porter
atteinte, ce faisant, au développement harmonieux des rela-
tions sociales. Comme toute oeuvre humaine, un jugement ne
saurait prétendre à la perfection. Il a cependant le mérite
d'exister et contribue, en règle générale, à ramener la paix
dans des rapports humains troublés dont le réaménagement ne
peut pas être abandonné aux seuls intéressés, sauf à vouloir
tolérer des actes de justice propre. Il est cependant des si-
tuations extrêmes, telles que la tromperie du juge, où le
sentiment de la justice et de l'équité requiert impérative-
ment qu'une décision en force ne puisse pas prévaloir, parce
qu'elle est fondée sur des prémisses viciées. C'est précisé-
ment le rôle de la révision que de permettre d'y remédier.
Aussi n'est-ce pas trop exiger de la partie lésée par une dé-
cision entachée d'un défaut qui est de nature à en justifier
la révision qu'elle emprunte d'abord cette voie de droit,
pour mettre à néant le jugement en force, avant d'ouvrir une
action en dommages-intérêts contre son adversaire à qui ce
jugement a profité. A défaut d'une telle démarche préalable,
cette partie est censée s'accommoder du jugement rendu à son
détriment, à l'instar de celle qui n'a pas recouru contre un
jugement arbitraire.

Quid juris si les motifs de révision retenus par le
droit de procédure cantonal considéré ne permettent pas d'ob-
tenir la révision d'un jugement en force dont le résultat a
été faussé par les manoeuvres frauduleuses d'une partie?
Faut-il y voir une obstruction intolérable à la mise en oeu-
vre du droit fédéral, plus précisément de l'art. 41 CO, cons-
titutive d'une violation de la force dérogatoire de ce droit
(art. 49 Cst.)? Et, dans l'affirmative, convient-il d'autori-
ser le juge de l'action en dommages-intérêts à examiner à ti-
tre préjudiciel si le jugement en force a été faussé par le
comportement déloyal d'une partie? Ne doit-on pas plutôt res-
pecter en toute hypothèse l'autorité de la chose jugée du ju-

gement définitif et obliger le canton concerné à entrer en
matière sur une demande de révision visant à l'annulation du
jugement vicié, quand bien même son code de procédure ne pré-
voirait pas de motif idoine (cf., mutatis mutandis, l'ATF
119
II 183 consid. 5a)? Point n'est besoin de trancher ici ces
questions délicates dès lors que la voie de la révision
était
ouverte au demandeur en l'espèce, comme on l'a relevé plus
haut (même consid., let. a).

Il importe en outre de préciser que les considéra-
tions émises ci-dessus, en tant qu'elles s'appliquent aux me-
sures provisionnelles, ne valent que pour les mesures de ré-
glementation (ou mesures pacificatrices, selon l'expression
de Schweizer, Le recours en revision, thèse Neuchâtel 1985,
p. 162; "Regelungsmassnahmen") et non pour les mesures de
protection (aussi appelées mesures de sûreté ou mesures con-
servatoires; "Sicherungsmassnahmen"). La particularité des
premières, au nombre desquelles figurent les mesures provi-
soires pendant la procédure de divorce (art. 137 CC; art.
145
aCC), réside dans le fait qu'elles modifient les rapports en-
tre parties en définissant à nouveau leurs droits et devoirs
respectifs, s'apparentant ainsi à un acte juridictionnel or-
dinaire (cf. Pelet, Réglementation des mesures provisionnel-
les et procédure civile cantonale contentieuse, thèse Lausan-
ne 1986, p. 3; Schweizer, op. cit., p. 162 s.); le jugement
au fond ne peut du reste pas revenir rétroactivement sur ces
mesures. Les secondes interviennent surtout lorsqu'il y a
lieu de craindre une modification portée à l'état de l'objet
litigieux, pour éviter que le débiteur de l'obligation invo-
quée ne rende plus difficile, voire impossible, une
exécution
ultérieure (cf. Pelet, ibid.). Par conséquent, lorsqu'une me-
sure de protection est révoquée ou infirmée par le jugement
final, le rétablissement - fictif - de l'état antérieur peut
être obtenu au moyen d'une action en dommages-intérêts, qui,
en cas de succès, est garantie, dans la règle, par le dépôt
d'une caution (Schweizer, op. cit., p. 161). Il n'est pas né-

cessaire, pour cela, que la mesure conservatoire ordonnée
ait
été formellement annulée au préalable à la suite d'une deman-
de de révision émanant de la partie qui s'était opposée en
vain à cette mesure (cf. ATF 93 II 171 consid. 9 p. 183; 88
II 276).

Il va sans dire, enfin, que la question de la sub-
sidiarité de l'action en dommages-intérêts par rapport à la
demande de révision ne se pose pas lorsqu'une partie agit de
manière illicite par son comportement en procédure, indépen-
damment du problème de fond (ATF 117 II 394 consid. 3b p.
396), en particulier lorsqu'elle abuse de la procédure, à
dessein ou contrairement aux règles de la bonne foi, dans le
cadre d'une procédure civile ou administrative (ATF 113 Ia
104 consid. 2e; 112 II 32 consid. 2a et les arrêts cités).

c) Dès lors qu'elles tendent au remboursement de
prestations qui ont été effectuées en exécution de décisions
de mesures provisoires en force et que ces décisions n'ont
pas été annulées rétroactivement, bien qu'elles eussent pu
l'être au moyen d'une demande de révision, les conclusions
du
demandeur sont vouées à l'échec pour les motifs susmention-
nés.

4.- Le demandeur entendait obtenir une indemnité de
50'000 fr. en raison du tort moral que lui aurait causé la
défenderesse en déposant plainte pénale contre lui, en inter-
venant auprès du BRAPA et en réclamant le paiement direct de
sa pension par l'employeur du débiteur. Les circonstances al-
léguées étant étrangères aux décisions de mesures provision-
nelles, la force de chose jugée (relative) de ces dernières
ne fait pas obstacle à l'admission de la demande sur ce
point.

Toutefois, selon le premier juge, à l'avis duquel
la Chambre des recours s'est ralliée, le demandeur n'a pas

rendu vraisemblable que les faits reprochés à la
défenderesse
lui auraient causé un grave préjudice moral, condition dont
l'art. 49 al. 1 CO fait dépendre l'octroi d'une indemnité de
ce chef à la victime de l'acte illicite. Les constatations
du
juge cantonal qui ont trait aux répercussions psychiques de
l'atteinte illicite relèvent du fait et lient le Tribunal fé-
déral lorsqu'il statue comme juridiction de réforme (ATF 118
II 410 consid. 2a in fine). Or, pour tout argument, le deman-
deur se borne à les remettre en cause, dans son recours, en
invoquant le cours ordinaire des choses et l'expérience de
la
vie. Son grief, qui s'épuise dans cette critique inadmissi-
ble, est en conséquence irrecevable (art. 63 al. 2 OJ).

5.- En définitive, le recours en réforme du deman-
deur doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.

S'agissant de la charge des frais, le Tribunal fé-
déral ne tiendra pas compte de l'irrecevabilité du recours
joint, étant donné que, sur le vu des
conclusions prises par
la défenderesse dans son écriture ad hoc, il n'est même pas
sûr que l'intéressée ait entendu véritablement exercer un
tel
recours. Dans ces conditions, le demandeur, qui succombe,
supportera seul l'émolument judiciaire à percevoir pour la
procédure fédérale (art. 156 al. 1 OJ). Il n'aura, en revan-
che, pas à indemniser la défenderesse puisque celle-ci agit
sans l'assistance d'un avocat et ne démontre pas avoir con-
senti des dépenses spéciales pour la défense de ses droits
(ATF 110 V 132 consid. 4).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Déclare le recours joint irrecevable;

2. Rejette le recours principal dans la mesure où
il est recevable et confirme l'arrêt attaqué;

3. Met un émolument judiciaire de 5000 fr. à la
charge du recourant;

4. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton
de
Vaud.

___________

Lausanne, le 12 septembre 2001
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.77/2001
Date de la décision : 12/09/2001
1re cour civile

Analyses

Responsabilité de la personne qui obtient des mesures provisionnelles dommageables par des déclarations mensongères; rapports entre l'autorité matérielle de la chose jugée et la justice matérielle. Un jugement revêtu de l'autorité de la chose jugée ne peut pas être remis en cause dans un procès en dommages-intérêts subséquent; la partie lésée par ce jugement doit obtenir, au préalable, sa mise à néant au moyen d'une demande de révision. Ce principe s'applique aussi aux mesures provisionnelles dites de réglementation, telles que les mesures provisoires pendant la procédure de divorce, qui jouissent d'une autorité de la chose jugée relative (consid. 3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-09-12;4c.77.2001 ?
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