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10/09/2001 | SUISSE | N°5P.227/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 10 septembre 2001, 5P.227/2001


«/2»
5P.227/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

10 septembre 2001

Composition de la Cour: MM. les juges Reeb, président,
Bianchi et Raselli. Greffier: M. Abrecht.

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Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ SA, représentée par Mes Marc Bonnant et Frédéric
Marti, avocats à Genève,

contre

l'ordonnance de refus de séquestre rendue le 20 juin 2001
par
la Présidente du Tribunal de première instance du canton de

Genève dans la cause qui oppose la recourante à la
Fédération
de Russie, représentée par le Ministère des Finances de la
Fédér...

«/2»
5P.227/2001

IIe C O U R C I V I L E
**************************

10 septembre 2001

Composition de la Cour: MM. les juges Reeb, président,
Bianchi et Raselli. Greffier: M. Abrecht.

________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ SA, représentée par Mes Marc Bonnant et Frédéric
Marti, avocats à Genève,

contre

l'ordonnance de refus de séquestre rendue le 20 juin 2001
par
la Présidente du Tribunal de première instance du canton de
Genève dans la cause qui oppose la recourante à la
Fédération
de Russie, représentée par le Ministère des Finances de la
Fédération de Russie, à Moscou, intimée;

(art. 9 Cst.; refus de séquestre)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 19 juin 2001, X.________ SA, dont le siège
est à Genève, a requis la Présidente du Tribunal de première
instance du canton de Genève d'ordonner le séquestre, sur la
base de l'art. 271 al. 1 ch. 4 LP, de la somme de 5'000'000
USD, respectivement de la créance en restitution de ce mon-
tant, qui correspond à la caution payée en vue d'obtenir la
mise en liberté provisoire de Pavel Borodine, citoyen russe.

A l'appui de sa requête, X.________ SA a allégué que
les fonds constituant ladite caution avaient été fournis par
la Fédération de Russie, ce qui résulterait de divers arti-
cles de journaux et des déclarations faites au Téléjournal
par le conseil de Pavel Borodine, selon lequel ce n'était
pas
son client qui avait fourni la caution, mais la Fédération
de
Russie.

B.- Par ordonnance du 20 juin 2001, la Présidente du
Tribunal de première instance a rejeté la réquisition de
séquestre. Elle a exposé que les déclarations faites par le
conseil de Pavel Borodine au Téléjournal n'étaient pas corro-
borées par des pièces et avaient été formulées dans des cir-
constances telles qu'elles n'engageaient ni leur auteur, ni
Pavel Borodine et encore moins la Fédération de Russie. Elle
a au surplus relevé que tant Pavel Borodine que son conseil
avaient le plus grand intérêt à se montrer discrets sur la
provenance réelle des fonds constituant la caution.

C.- Agissant par la voie du recours de droit public
au Tribunal fédéral pour violation de l'art. 9 Cst.,
X.________ SA conclut avec suite de dépens à l'annulation de
cette ordonnance. Il n'a pas été ordonné d'échange
d'écritures.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Les décisions refusant une demande de séquestre
en dernière instance cantonale ne peuvent être attaquées que
par la voie du recours de droit public (Stoffel, Kommentar
zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, SchkG
III, 1998, n. 53 ad art. 272 LP). Le canton de Genève
n'ayant
pas instauré de voie de recours cantonale à l'encontre de
l'ordonnance refusant le séquestre (Stoffel, op. cit., n. 53
ad art. 272 LP; SJ 1987 p. 141, 142; cf. ATF 91 III 27 con-
sid. 1), l'ordonnance attaquée a été rendue en unique et
dernière instance cantonale, de sorte que le recours de
droit
public est recevable au regard de l'art. 86 al. 1 OJ.

2.- a) Dans le cadre du séquestre, l'autorité statue
uniquement sous l'angle de la vraisemblance de la
réalisation
des conditions du séquestre (cf. art. 272 al. 1 LP). Savoir
si le degré de vraisemblance exigé par le droit fédéral est
atteint dans le cas particulier est une question relevant de
l'appréciation des preuves (SJ 1996 p. 687/688). Or dans ce
domaine, le Tribunal fédéral reconnaît au juge du fait un
large pouvoir d'appréciation et n'intervient, pour violation
de l'art. 9 Cst., que si l'autorité cantonale abuse de ce
pouvoir en se mettant en contradiction flagrante avec les
pièces du dossier ou en interprétant celles-ci d'une manière
insoutenable (ATF 120 Ia 31 consid. 4b; 118 Ia 28 consid. 1b
et les références citées).

b) Selon l'art. 272 al. 1 ch. 3 LP, qui codifie la
jurisprudence antérieure (cf. FF 1991 III 192), le créancier
doit rendre vraisemblable qu'il existe des biens appartenant
au débiteur. Le requérant doit, dès lors, rendre plausible
la
propriété du débiteur sur les biens à appréhender lorsqu'ils
paraissent appartenir à des tiers en raison, notamment, de
la
possession, de l'inscription au registre foncier, du contenu

du titre ou de l'intitulé du compte ou du dépôt bancaire, et
ainsi ébranler la présomption contraire que les
circonstances
extérieures peuvent susciter (ATF 107 III 33 consid. 2 et 3
p. 36). Il n'incombe toutefois pas au juge de l'opposition
(art. 278 LP) - et encore moins au juge du séquestre - de
trancher de manière définitive la question de la titularité
des biens dont est demandé le séquestre, laquelle ressortit
exclusivement à la procédure de revendication (art. 106 ss
LP; Reeb, Les mesures provisoires dans la procédure de pour-
suite, in RDS 1997 II 421 ss, 489/490 et les références
citées).

3.- a) La recourante fait grief à l'autorité canto-
nale d'avoir appliqué de manière arbitraire l'art. 272 al. 1
ch. 3 LP en estimant que la recourante n'avait pas rendu
vraisemblable l'existence de biens appartenant à la Fédéra-
tion de Russie. En effet, le conseil de Pavel Borodine a
très
clairement déclaré au journaliste du Téléjournal qui l'inter-
viewait après la mise en liberté de son client: "Ce n'est
pas
lui [Pavel Borodine] qui paie, c'est la Fédération de
Russie.
Elle est je crois suffisamment solvable pour payer un
montant
substantiel". Ces propos sont largement corroborés, selon la
recourante, par le commentaire d'un journaliste au Téléjour-
nal selon lequel les diplomates du Consulat Général de
Russie
à Genève sont venus eux-mêmes déposer la caution en espèces
au Palais de Justice. Ces déclarations trouveraient enfin
écho dans les nombreux articles de la presse locale. Cela
étant, ce serait de manière arbitraire, selon la recourante,
que la Présidente du Tribunal de première instance a considé-
ré que X.________ SA n'avait pas rendu vraisemblable l'exis-
tence de biens appartenant à la Fédération de Russie.

b) Le juge du séquestre n'a pas considéré suffisam-
ment vraisemblable que les fonds constituant la caution ap-
partiennent en réalité à la Fédération de Russie, car les
déclarations faites par le conseil de Pavel Borodine au Télé-

journal n'étaient pas corroborées par des pièces et avaient
été formulées dans des circonstances telles qu'elles n'en-
gageaient ni leur auteur, ni Pavel Borodine et encore moins
la Fédération de Russie. Le juge du séquestre a en outre
manifestement estimé que la déclaration du conseil de Pavel
Borodine était intéressée, attendu que son client, suspecté
d'avoir touché et blanchi plusieurs dizaines de millions de
dollars, avait le plus grand intérêt à se montrer discret
sur
la provenance réelle des fonds constituant la caution.

L'argumentation du juge du séquestre part à juste
titre de la présomption que la caution, fixée aussi en
tenant
compte des ressources de l'intéressé, avait été fournie par
Pavel Borodine, présumé titulaire de l'argent. Toute spécula-
tion des journaux, et même du conseil de Pavel Borodine, sur
la possible intervention de la Fédération de Russie, sans
une
confirmation quelconque dans les pièces du dossier, pouvait
sans arbitraire être jugée insuffisante pour rendre vraisem-
blable que la somme d'argent déposée comme caution appartien-
ne à la Fédération de Russie.

c) La recourante insiste en outre sur le commentaire
du journaliste du Téléjournal, selon lequel l'argent de la
caution "a sans doute été amené dans cette voiture, celle du
Consulat Général de Russie à Genève. Cet après-midi, ces
diplomates sont venus eux-mêmes déposer la somme au Palais
de
Justice".

Le juge du séquestre pouvait toutefois bien, sans
tomber dans l'arbitraire, exiger des sources plus vraisembla-
bles, pour étayer l'allégation de la recourante selon laquel-
le les fonds versés à titre de caution appartenaient à la
Fédération de Russie que de simples affirmations de journa-
listes, au demeurant loin d'être univoques. Il convient en
effet de relever que la Tribune de Genève, dans un article
paru dans son édition du 14/15/16 avril 2001 et versée au

dossier, affirmait au contraire que l'argent avait été reti-
ré à l'UBS Genève par les avocats de Pavel Borodine et dis-
posé dans un sac. Ce même article poursuivait ainsi: "Cinq
millions, ça tient dans un volume pas plus grand qu'un sac
Migros, s'étonne Me Assaël. Qui a ensuite placé le sac dans
le coffre de sa voiture. Les quatre défenseurs, sans autres
convoyeurs de fonds, ont apporté le précieux chargement à
une
autre banque où le caissier du Palais de justice a officiel-
lement pris possession du pactole".

Au surplus, outre qu'il est bien connu que même les
avocats qui fonctionnent comme défenseurs dans les
procédures
pénales utilisent souvent la presse pour leurs besoins, qui
ne correspondent pas nécessairement avec les intérêts du
public à être renseigné objectivement, le fait qu'un tiers
se
charge de payer une somme d'argent en vue de la mise en li-
berté d'une personne se trouvant en détention préventive ne
permet pas encore de dire que l'argent constituant la
caution
appartient au tiers. Or selon la loi, le séquestre ne peut
porter que sur les biens du débiteur; doivent en particulier
être considérés comme biens de tiers tous ceux qui, en vertu
des règles du droit civil, sont la propriété d'une personne
-
physique ou morale - autre que le poursuivi. En l'espèce,
faute d'éléments suffisants, le juge du séquestre était
fondé
à retenir que Pavel Borodine était titulaire de l'argent
payé
à titre de caution pour sa remise en liberté. A tout le
moins, la décision de ne pas tenir pour suffisantes les af-
firmations des journaux et les déclarations du conseil de
Pavel Borodine ne peut pas, dans les circonstances qui vien-
nent d'être rappelées, être considérée comme arbitraire, à
savoir comme manifestement insoutenable ou en contradiction
flagrante avec le dossier (cf. consid. 2a supra).

4.- Il résulte de ce qui précède que le recours doit
être rejeté, avec suite de frais pour son auteur (art. 156
al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours.

2. Met un émolument judiciaire de 20'000 fr. à la
charge de la recourante.

3. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Présidente du Tribunal de première instance du
canton
de Genève.

__________

Lausanne, le 10 septembre 2001
ABR/frs

Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5P.227/2001
Date de la décision : 10/09/2001
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-09-10;5p.227.2001 ?
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