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04/09/2001 | SUISSE | N°1P.806/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 04 septembre 2001, 1P.806/2000


«/2»
1P.806/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

4 septembre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Mme la Juge
suppléante Pont Veuthey. Greffier: M. Jomini.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

C.________, représenté par Me André Gossin, avocat à
Moutier,

contre

l'arrêt rendu le 20 novembre 2000 par la Chambre
d'accusation> du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura,
dans
la cause qui oppose le recourant au Substitut du Procureur...

«/2»
1P.806/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

4 septembre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Mme la Juge
suppléante Pont Veuthey. Greffier: M. Jomini.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

C.________, représenté par Me André Gossin, avocat à
Moutier,

contre

l'arrêt rendu le 20 novembre 2000 par la Chambre
d'accusation
du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura,
dans
la cause qui oppose le recourant au Substitut du Procureur
général de la République et canton du Jura, à Porrentruy;

(droit d'être entendu)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 26 juillet 2000, le Procureur général de la
République et canton du Jura a ordonné une perquisition dans
le magasin "X.________", aux fins de saisir "tous objets en
relation avec un trafic (vente) de produits consommables
comme stupéfiants, y compris les plants cultivés et mis en
vente". Ce commerce appartient à C.________. La police
cantonale a procédé à la perquisition le 27 juillet 2000;
elle a notamment saisi vingt-cinq plants de chanvre, en les
coupant.

Le 23 août 2000, C.________ a déposé une plainte
pénale contre inconnu, pour dommages à la propriété (art.
144
CP). Il reprochait aux policiers d'avoir coupé les plants de
chanvre, au lieu de les emmener dans leurs pots.

B.- Le 20 septembre 2000, le Substitut du Procureur
général a décidé de ne pas donner suite à la plainte pénale.

C.________ a recouru contre ce classement auprès de
la Chambre d'accusation du Tribunal cantonal de la
République
et canton du Jura, en demandant la mise en oeuvre de
poursuites pénales après sa plainte. Le Président de cette
Chambre a fixé un délai de réponse au Substitut du Procureur
général et à l'inspecteur de police ayant effectué la perqui-
sition. Le Substitut du Procureur général a déposé ses dé-
terminations le 26 octobre 2000, en indiquant à titre préli-
minaire qu'il avait requis de la Cheffe de la police de sûre-
té ainsi que de l'inspecteur compétent toutes les explica-
tions nécessaires quant aux conditions d'exécution de la per-
quisition; aussi ces fonctionnaires de police n'ont-ils pas
déposé de réponse au recours.

La Chambre d'accusation, qui n'a pas ordonné de
nouvelles mesures d'instruction - et qui n'a en particulier
pas communiqué au recourant la réponse déposée par le Minis-
tère public -, a rejeté le recours par un arrêt rendu le 20
novembre 2000. Elle a considéré en substance qu'en coupant
les plants de chanvre lors de la perquisition, les policiers
n'avaient pas agi dans le dessein de causer un dommage, la
saisie ordonnée par le Procureur général devant de toute ma-
nière entraîner la destruction de ces plants, conformément à
la pratique habituelle; c'est pourquoi l'infraction de domma-
ges à la propriété (art. 144 CP) n'était pas réalisée. Les
policiers pouvaient en outre se prévaloir de l'art. 32 CP
(devoir de fonction) et, vu la faible valeur vénale des
plants, ils pouvaient penser que leur action était "propor-
tionnée aux circonstances". L'arrêt se réfère sur ces diffé-
rents points aux indications données dans sa réponse par le
Substitut du Procureur général.

C.- Agissant par la voie du recours de droit pu-
blic, C.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler
l'arrêt de la Chambre d'accusation. Il se plaint d'une appli-
cation arbitraire (cf. art. 9 Cst.) des dispositions du code
de procédure pénale (CPP/JU) relatif aux perquisitions et
saisies, d'une violation du droit d'être entendu ainsi que
des garanties générales de procédure (art. 29 Cst., en rela-
tion avec l'art. 6 par. 1 CEDH), et d'une violation de la
garantie de la propriété (art. 26 Cst.).

Le Substitut du Procureur général et la Chambre
d'accusation concluent au rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et libre-
ment la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF
127
III 41 consid. 2a p. 42; 126 I 207 consid. 1 p. 209 et les
arrêts cités).

a) La qualité pour agir par la voie du recours de
droit public est définie à l'art. 88 OJ. Ce recours est ou-
vert uniquement à celui qui est atteint par l'acte attaqué
dans ses intérêts personnels et juridiquement protégés. Le
recours formé pour sauvegarder l'intérêt général ou ne
visant
qu'à préserver des intérêts de fait est en revanche irrece-
vable (ATF 126 I 43 consid. 1a p. 44, 81 consid. 3b p. 85 et
les arrêts cités). Selon une jurisprudence constante, le
plaignant ou lésé - sous réserve des cas d'application de la
loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infraction (LAVI; RS
312.5), qui n'entre manifestement pas en considération en
l'espèce (cf. art. 2 LAVI et ATF 125 II 265 consid. 2a p.
268) - n'a en principe pas qualité pour recourir contre un
non-lieu ou un refus d'ouvrir une procédure pénale; il n'est
pas atteint dans ses intérêts juridiquement protégés par la
décision de ne pas poursuivre ou punir l'auteur d'une préten-
due infraction, car l'action pénale appartient exclusivement
à l'Etat et ne profite qu'indirectement au lésé (ATF 126 I
97
consid. 1a p. 99; 125 I 253 consid. 1b p. 255; 121 IV 317
consid. 3b p. 324 et les arrêts cités).

Celui qui n'a pas qualité pour recourir sur le fond
peut cependant, s'il avait qualité de partie dans la procédu-
re cantonale, se plaindre d'un déni de justice formel, ou en
d'autres termes de la violation des garanties formelles of-
fertes aux parties par le droit cantonal de procédure ou par
le droit constitutionnel, notamment le droit d'être entendu
(art. 29 al. 2 Cst., art. 4 aCst). L'intérêt juridiquement

protégé exigé par l'art. 88 OJ découle alors du droit de
participer, comme plaignant ou partie civile, à la procédure
cantonale. La partie recourante ne saurait toutefois, par ce
biais, remettre en cause la décision attaquée sur le fond,
en
critiquant l'appréciation des preuves ou en faisant valoir
que la motivation retenue serait matériellement fausse (ATF
126 I 81 consid. 3b p. 86; 125 II 86 consid. 3b p. 94; 121
IV
317 consid. 3b p. 324 et les arrêts cités).

b) Il en résulte que le recours de droit public est
irrecevable en tant qu'il critique les motifs qui ont
conduit
la Chambre d'accusation à confirmer le classement de la
plainte et qu'il dénonce, à ce propos, une application arbi-
traire des dispositions cantonales sur les saisies et perqui-
sitions (art. 95 et 189 CPP/JU) ainsi qu'une violation de la
garantie de la propriété. En revanche, le recourant peut se
plaindre d'une violation du droit d'être entendu (art. 29
al.
2 Cst.). Il y a donc lieu, dans cette mesure, d'entrer en ma-
tière, les autres conditions de recevabilité du recours de
droit public étant manifestement remplies (cf. art. 86, 89
et
90 OJ).

2.- Invoquant le droit d'être entendu, le recourant
se plaint de n'avoir pas eu connaissance, avant la notifica-
tion de la décision attaquée, du contenu de la réponse du
Ministère public à son recours à la Chambre d'accusation, ni
d'autres déterminations éventuelles de la police cantonale.
Il n'a pas pu faire valoir ses arguments à ce propos, alors
que la décision attaquée est fondée principalement sur des
éléments communiqués par le Substitut du Procureur général.

a) Le droit d'être entendu, selon l'art. 29 al. 2
Cst. (qui reprend les garanties déduites de l'art. 4 aCst.),
inclut le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit
prise à son détriment, de fournir des preuves quant aux
faits
de nature à influer sur la décision, d'avoir accès au dos-

sier, de participer à l'administration des preuves, d'en
prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF
126 I 15 consid. 2a/aa p. 16; 126 V 130 consid. 2 p.
131/132;
124 I 49 consid. 3a p. 51 et les arrêts cités). De façon gé-
nérale, la notion de procès équitable (cf. art. 29 al. 1
Cst., art. 6 par. 1 CEDH) implique en principe le droit pour
les parties de prendre connaissance de toute pièce ou obser-
vation présentée aux juges et de la discuter (arrêt de la
Cour européenne des droits de l'homme du 28 juin 2001 dans
l'affaire F.R. c. Suisse, § 36). Le recourant se prévaut des
garanties générales de procédure et du droit au procès équi-
table, mais ce moyen se confond en l'occurrence avec celui
tiré du droit d'être entendu.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, on ne
saurait déduire de l'art. 29 al. 2 Cst. une obligation géné-
rale de transmettre dans tous les cas au recourant la
réponse
de l'autorité dont la décision est attaquée. Cependant, lors-
que cette autorité n'a pas - ou pas suffisamment - motivé sa
décision et n'a indiqué en détail les motifs de cette déci-
sion que dans sa réponse, l'autorité de recours viole le
droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par la Constitu-
tion fédérale, en refusant de transmettre au recourant cette
réponse pour qu'il puisse répliquer (ATF 111 Ia 3). Plus
généralement, l'autorité a l'obligation de communiquer au
recourant les écritures de l'intimé, quand ces
déterminations
contiennent des éléments nouveaux et importants, au sujet
desquels le recourant n'a pas pu prendre position (ATF 114
Ia
84 consid. 3 p. 87, 307 consid. 4b p. 314; 101 Ia 298
consid.
4a p. 304).

b) La motivation de l'ordonnance de classement est
sommaire: le Substitut du Procureur général s'est borné à
considérer "qu'il n'y a[vait] pas lieu de donner suite à la
plainte contre inconnu pour dommages à la propriété, faute
d'acte punissable et de dommages". La réponse de ce
magistrat

au recours cantonal contient en revanche de nombreux
éléments
censés justifier l'absence d'acte punissable et de dommage
pour le plaignant: il y est fait référence notamment à la
pratique de la police lorsqu'elle doit saisir des plants de
chanvre - pratique selon laquelle la saisie de plants impli-
querait nécessairement leur coupe - et à la valeur
économique
de ces plants. L'argumentation proposée par le Ministère pu-
blic dans ses déterminations a été reprise dans l'arrêt at-
taqué; ces éléments ont donc été considérés comme
pertinents.
Cette réponse est au reste la seule écriture sur laquelle la
Chambre d'accusation s'est fondée, la police cantonale ayant
renoncé à déposer directement des observations.

Dans ces conditions, il appartenait au Président de
la Chambre d'accusation de communiquer préalablement au re-
courant la réponse du Substitut du Procureur général. Cette
communication, destinée à permettre l'exercice du droit
d'être entendu, n'était au demeurant pas exclue par les rè-
gles de procédure cantonale (cf. art. 223 al. 1 CPP/JU, par
renvoi de l'art. 97 al. 3 CPP/JU). Comme la Chambre d'accusa-
tion a statué sur le fond sans permettre au recourant d'exer-
cer, le cas échéant, son droit de réplique, elle a violé
l'art. 29 al. 2 Cst.

3.- Il s'ensuit que le recours de droit public doit
être admis, dans la mesure où il est recevable, et que la dé-
cision attaquée doit être annulée.

Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire (art. 156
al. 2 OJ). La République et canton du Jura aura toutefois à
payer au recourant, assisté d'un avocat, une indemnité à ti-
tre de dépens (art. 159 al. 1 et 2 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours de droit public, dans la mesure
où il est recevable, et annule la décision attaquée;

2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciai-
re;

3. Met à la charge de la République et canton du
Jura une indemnité de 1'500 fr. à payer au recourant à titre
de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, au Substitut du Procureur général et au
Tribunal cantonal de la République et canton du Jura.

Lausanne, le 4 septembre 2001
JIA/dxc

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.806/2000
Date de la décision : 04/09/2001
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-09-04;1p.806.2000 ?
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