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03/09/2001 | SUISSE | N°5C.86/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 03 septembre 2001, 5C.86/2001


«/2»
5C.86/2001

IIe C O U R C I V I L E
******************************

3 septembre 2001

Composition de la Cour: M. Reeb, président, Mme Nordmann et
M. Meyer, juges. Greffière: Mme Mairot.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

U.________ SA, demanderesse et recourante, représentée par
Me
Raphaël Biaggi, avocat à Genève,

et

les assureurs Y.________, défendeurs et intimés, tous repré-
sentés par leur mandataire général pour la Suisse, à Zurich,r> au nom de qui agit Me Michel Bergmann, avocat à Genève;

(contrat d'assurance; faute grave)

Vu les pièces du dossier d'où ...

«/2»
5C.86/2001

IIe C O U R C I V I L E
******************************

3 septembre 2001

Composition de la Cour: M. Reeb, président, Mme Nordmann et
M. Meyer, juges. Greffière: Mme Mairot.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

U.________ SA, demanderesse et recourante, représentée par
Me
Raphaël Biaggi, avocat à Genève,

et

les assureurs Y.________, défendeurs et intimés, tous repré-
sentés par leur mandataire général pour la Suisse, à Zurich,
au nom de qui agit Me Michel Bergmann, avocat à Genève;

(contrat d'assurance; faute grave)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- U.________ SA est une société domiciliée à Genè-
ve. Elle a pour but le commerce de pierres précieuses, d'ar-
ticles de joaillerie, de bijouterie et d'horlogerie.
A.________ en est l'actionnaire majoritaire et l'administra-
teur unique.

En février 1996, U.________ SA a fait reconduire,
pour la période du 20 février 1996 au 19 février 1997, le
contrat conclu auprès des assureurs Y.________, prévoyant la
couverture des risques liés à la perte ou à quelque autre
dommage pouvant affecter les marchandises dont elle fait le
commerce. La police d'assurance a été établie le 20 novembre
1996.

Le 25 juillet 1996, U.________ SA s'est vu confier
par une autre société une parure en platine, or blanc, or
jaune et diamants, évaluée à 1'000'000 USD. L'acte de consi-
gnation prévoyait que celle-ci était sous l'entière respon-
sabilité d'U.________ SA jusqu'à sa restitution.

Les bijoux ont été remis à deux reprises à
K.________, directeur de G.________ SA, pour être présentés
à
des acheteurs potentiels; ils ont ensuite été restitués à
U.________ SA. Aux environs du 20 septembre 1996, K.________
a repris contact avec A.________, lui expliquant qu'il avait
un client à Paris, dénommé "Giorgio", qui semblait intéressé
par la parure qu'il avait vue précédemment dans les locaux
de
G.________ SA.

Les bijoux ont été acheminés à Paris par la secré-
taire d'une connaissance. A.________ s'est ensuite rendu
dans
cette ville, le 28 septembre 1996, avec X.________, courtier

en pierres précieuses. Les deux hommes ont été rejoints à
leur hôtel par K.________. Un rendez-vous a été fixé pour le
lendemain en fin d'après-midi à l'hôtel Hilton de Roissy, où
la transaction devait avoir lieu.

B.- Le 29 septembre 1996, A._________ s'est rendu à
cet hôtel en compagnie de X.________ et de Z._______, agent
de change, qui devait participer à la vérification de l'ar-
gent remis par "Giorgio". Dans le lobby, ils ont retrouvé
K.________, qui leur a confié la clé d'une chambre réservée
à
son nom.

"Giorgio" est arrivé à l'hôtel en voiture de marque
Mercedes en début de soirée. K.________ s'est alors rendu
près du véhicule, au volant duquel se trouvait le patron de
"Giorgio". K.________ a vu, selon ses dires, une mallette
remplie de billets de 1'000 fr., qui devaient représenter le
montant de la transaction. Le patron de "Giorgio" ayant
exigé
que celle-ci soit effectuée dans la voiture, K.________ a ré-
pondu que la vente devait avoir lieu dans la chambre pour
des
raisons d'assurance; il a en outre demandé à pouvoir contrô-
ler la totalité de la somme.

Le patron de "Giorgio" a fini par rejoindre
A.________ et K.________ dans le lobby de l'hôtel,
X.________
restant placé un peu à l'écart. A.________ a sorti la
parure.
Auparavant, ou à ce moment-là, celle-ci s'est cassée, mais
le
patron de "Giorgio" a déclaré qu'il était prêt à l'acheter
en
l'état pourvu que la transaction ait lieu dans la voiture.
Après avoir d'abord refusé, A.________ et K.________ ont fi-
nalement accepté cette requête et se sont dirigés vers la
Mercedes.

Le contenu de la mallette a été rapidement montré à
A.________ afin qu'il constate qu'elle contenait des liasses
de billets de 1'000 fr. Prenant la mallette, il s'est dirigé

vers l'hôtel avec "Giorgio", pour vérifier la somme. Pendant
ce temps, K.________ est resté sur le siège passager de la
voiture, avec les bijoux en sa possession.

En arrivant à la porte de l'hôtel, "Giorgio" a sou-
dainement prétexté qu'il avait oublié son téléphone portable
et il est retourné vers le véhicule. A.________ a continué
en
direction du lobby en tenant toujours la mallette. Lorsqu'il
s'est retourné, il a vu la Mercedes démarrer en trombe, avec
à son bord "Giorgio" et son patron. K.________ a expliqué
qu'il avait pris peur lorsqu'il avait vu le conducteur se
baisser pour mettre la main sous son siège; il était alors
sorti de la voiture avec le sac qui contenait les bijoux,
mais "Giorgio" le lui avait arraché des mains et s'était en-
gouffré dans la Mercedes.

Lorsqu'ils ont ouvert la mallette, A.________,
K.________ et X.________ ont constaté qu'elle était remplie
de liasses de papier coupées aux dimensions de billets de
banque et que seul un authentique billet de 1'000 fr. se
trouvait posé sur le dessus et le dessous de chaque liasse,
pour un total de 12'000 fr.

C.- Les assureurs Y.________ ayant refusé de couvrir
le sinistre, U.________ SA a déposé, le 2 juillet 1997, une
demande tendant à ce qu'ils soient condamnés à lui verser la
somme de 1'472'600 fr., avec intérêts à 5% dès le 3 avril
1997.

Par jugement du 17 avril 2000, le Tribunal de pre-
mière instance de Genève a admis la prétention d'U.________
SA à concurrence de 868'600 fr., plus intérêts à 5% dès le 3
avril 1997. Cette juridiction a estimé que la prestation
d'assurance devait être réduite de 40% pour tenir compte de
la négligence grave commise par A.________.

Statuant le 16 février 2001 sur l'appel des défen-
deurs et l'appel incident de la demanderesse, la Chambre ci-
vile de la Cour de justice du canton de Genève a annulé le
jugement de première instance. Considérant que la réduction
de la prestation d'assurance devait être portée à 60%, elle
a
fixé à 584'240 fr., plus intérêts à 5% dès le 3 avril 1997,
le montant de la prestation due à l'assurée.

D.- U.________ SA exerce un recours en réforme au
Tribunal fédéral, concluant à ce que les assureurs
Y.________
soient condamnés à lui verser la somme de 1'472'600 fr. avec
intérêts à 5% dès le 3 avril 1997, ceux-ci étant déboutés de
toutes autres ou contraires conclusions.

Les intimés n'ont pas été invités à se déterminer.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Interjeté en temps utile contre une décision fi-
nale rendue par le tribunal suprême du canton dans une con-
testation civile de nature pécuniaire, le recours est receva-
ble au regard des art. 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ. Comme les
droits contestés dans la dernière instance cantonale dépas-
sent 8'000 fr., il l'est aussi selon l'art. 46 OJ.

2.- La recourante reproche à l'autorité cantonale
d'avoir violé les art. 14 al. 2 LCA et 4 CC. Elle ne
conteste
pas avoir commis une faute en acceptant d'effectuer la tran-
saction à l'extérieur de l'hôtel, mais estime que cette
faute
ne peut être qualifiée de grave. De plus, il n'y aurait pas
de relation de causalité entre la faute commise et la réali-
sation du sinistre.

a) L'art. 14 LCA règle les conséquences sur les
prestations de l'assureur d'un sinistre causé par la faute
du

preneur d'assurance ou de l'ayant droit. Si cette faute est
grave, l'assureur est autorisé à réduire sa prestation dans
la mesure répondant au degré de la faute (al. 2). Commet une
faute grave celui qui viole un devoir élémentaire de
prudence
qui, dans les mêmes circonstances, se serait imposé à toute
personne raisonnable (ATF 119 II 443 consid. 2a p. 448 et
les
arrêts cités); pour en juger, il ne faut pas se fonder sur
un
critère individuel mais sur un critère objectif, qui tienne
compte des circonstances concrètes (Hans Roelli/Max Keller,
Kommentar zum Schweizerischen Bundesgesetz über den Versi-
cherungsvertrag, vol. I, 2e éd., Berne 1968, p. 255). La fau-
te grave au sens de l'art. 14 al. 2 LCA ne doit pas être in-
terprétée de manière plus restrictive que dans les autres do-
maines du droit civil. Elle doit qualifier un comportement
inexplicable à l'évidence et provoquer une réaction de sur-
prise chez autrui. Elle ne s'oppose pas seulement à la faute
légère, mais aussi à la faute intermédiaire ou moyenne. Une
absence involontaire et momentanée de l'attention peut être
constitutive d'une faute grave, mais il se justifie de se
montrer plus sévère quand l'auteur a eu le temps de
réfléchir
aux conséquences de son acte et n'a pas été placé dans une
situation d'urgence (arrêt du Tribunal fédéral 5C.127/1988
du
29 septembre 1988, consid. 3 publié in SJ 1989, p. 105 ss).
Savoir ce qu'il faut considérer comme une faute grave doit
être précisé dans chaque cas particulier, selon l'apprécia-
tion du juge; la réponse à cette question repose sur un juge-
ment de valeur (Willy Koenig, Der Versicherungsvertrag, SPR
VII/2, p. 652; Roland Brehm, Quelques considérations à
propos
de la faute grave dans l'assurance privée, in SJ 1978 p. 530
et 53; ATF 103 Ia 501 consid. 7 p. 502/503; 123 III 110 con-
sid. 3a p. 112, concernant la causalité adéquate; arrêt du
Tribunal fédéral du 6 juin 1930, in Publication FSA VI 1927-
1930 n° 76 p. 150, pour l'art. 14 al. 2 LCA; cf. Oftinger/
Stark, vol. I, § 5 n. 95 p. 214 et § 14 n. 13-16 p. 703 ss).

b) En l'espèce, la Cour de justice a retenu perti-
nemment que A.________, comme K.________, avaient fait fi
des
règles de prudence les plus élémentaires. Bien qu'ignorant
tout de l'identité de l'acheteur potentiel et de son
acolyte,
ils ont accepté de quitter la protection de l'hôtel et de se
rendre, les bijoux à la main, dans une voiture puissante
dont
le chauffeur se tenait prêt à démarrer. Il apparaît à l'évi-
dence qu'une personne raisonnable n'aurait jamais pris ce
risque, dès lors que lesdits acheteurs n'avaient aucun motif
valable de refuser que la vente se passât à l'intérieur de
l'hôtel. Tant A.________ que K.________ ont du reste refusé,
dans un premier temps, les exigences de "Giorgio" et de son
patron, arguant des raisons d'assurance, ce qui montre bien
qu'ils avaient conscience des risques qu'ils encouraient.
L'insistance des deux acquéreurs ne pouvait d'ailleurs
qu'éveiller leur méfiance; en particulier, le fait qu'ils se
soient déclarés prêts à acheter le collier bien que celui-ci
soit cassé, à condition que la vente ait lieu dans la voitu-
re, aurait dû leur paraître suspect. De plus, malgré l'im-
portance considérable de la transaction, le contenu de la
mallette n'a pas été vérifié immédiatement. Comme le relève
l'autorité cantonale, se contenter d'un regard rapide lors
de
l'ouverture de celle-ci confinait à la naïveté. Il est égale-
ment inexplicable que K.________ ne soit pas retourné dans
l'hôtel avec les bijoux, le temps que l'argent puisse être
contrôlé. Un tel manque de prudence de la part de bijoutiers
professionnels ne laisse pas d'étonner. S'il est vrai qu'un
risque de vol n'est pas non plus exclu dans une chambre
d'hôtel, les deux commerçants ont cependant pris des risques
inhabituels en sortant du bâtiment les bijoux à la main, au
risque de se les faire voler facilement, même par des indivi-
dus moins organisés et moins déterminés que ceux auxquels
ils
ont été confrontés.

La Cour de justice n'a donc pas violé l'art. 14 al.
2 LCA en qualifiant de grave la faute de la recourante. Que

son administrateur se soit montré diligent en se faisant ac-
compagner d'un courtier en pierres précieuses en guise de
garde du corps ou d'un agent de change qui devait vérifier
l'authenticité des billets importe peu. Il est également
sans
pertinence qu'il ait fait entièrement confiance à
K.________:
en tant que responsable de la parure qui lui avait été
remise
en consignation, et au vu de la valeur considérable de celle-
ci, il lui appartenait de prendre lui-même un minimum de ren-
seignements ou, du moins, de s'assurer auprès de K.________
que celui-ci détenait les informations nécessaires
concernant
le potentiel acquéreur.

3.- Dès lors qu'une faute grave est imputable à la
recourante, l'art. 14 al. 2 LCA s'applique. Il reste donc à
examiner si, comme le soutient la recourante, le taux de ré-
duction de 60% retenu par la Cour de justice est excessif.

L'art. 14 al. 2 LCA prévoit que la mesure de la ré-
duction doit correspondre au degré de la faute. Le juge ne
viole donc pas la loi lorsqu'il sanctionne une faute lourde
par une réduction importante (cf. Brehm, op. cit., p. 541
ss). Dans le cas particulier, l'autorité cantonale a estimé
qu'une réduction de 60% se justifiait au regard du comporte-
ment gravement fautif de A.________. S'agissant d'une ques-
tion d'appréciation, cette diminution, si elle est certes
conséquente, paraît toutefois adéquate eu égard à la viola-
tion inexcusable de principes élémentaires de prudence par
A.________. En effet, celui-ci avait dès le début conscience
d'un danger pour les bijoux puisqu'il a pris soin de s'entou-
rer de plusieurs personnes et qu'il a, dans un premier
temps,
refusé les exigences des deux acquéreurs. Il lui appartenait
donc de limiter au maximum les circonstances favorisant un
éventuel vol en ne s'éloignant pas de l'hôtel ni de son
garde
de corps, ce qui aurait certainement rendu la tâche des deux
malfrats plus difficile. Or, c'est précisément ce qu'il n'a

pas fait en laissant la parure à portée de mains de ceux-ci,
alors que de surcroît leur voiture se trouvait prête à démar-
rer, sans avoir d'abord réellement vérifié le contenu de la
mallette. Le grief se révèle dès lors infondé.

4.- Vu ce qui
précède, le recours doit être rejeté,
aux frais de son auteur (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas
lieu d'allouer des dépens, une réponse n'ayant pas été requi-
se.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme l'arrêt entrepris.

2. Met à la charge de la recourante un émolument ju-
diciaire de 10'000 fr.

3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

__________

Lausanne, le 3 septembre 2001
MDO/frs
Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président, La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.86/2001
Date de la décision : 03/09/2001
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-09-03;5c.86.2001 ?
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