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03/09/2001 | SUISSE | N°1A.129/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 03 septembre 2001, 1A.129/2001


«AZA 1/2»
1A.129/2001
1A.130/2001/viz

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
****************************************

3 septembre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud, Catenazzi, Favre
et Mme le Juge suppléant Pont Veuthey.
Greffier: M. Zimmermann.

__________

Statuant sur les recours de droit administratif
formés par

Emmanuel R u k u n d o, actuellement détenu à la Prison de
Champ-Dollon, à Thônex, repr

ésenté par Me Nicolas Jeandin,
avocat à Genève,

contre

la décision d'arrestation et de transfèrement prise l...

«AZA 1/2»
1A.129/2001
1A.130/2001/viz

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
****************************************

3 septembre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud, Catenazzi, Favre
et Mme le Juge suppléant Pont Veuthey.
Greffier: M. Zimmermann.

__________

Statuant sur les recours de droit administratif
formés par

Emmanuel R u k u n d o, actuellement détenu à la Prison de
Champ-Dollon, à Thônex, représenté par Me Nicolas Jeandin,
avocat à Genève,

contre

la décision d'arrestation et de transfèrement prise le 11
juillet 2001 par l'Office fédéral de la justice;

(transfèrement au Tribunal pénal international
pour le Rwanda)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 11 juillet 2001, le Greffier du Tribunal pénal
international pour le Rwanda (ci-après: TPIR) a adressé au
Département fédéral des affaires étrangères une demande de
transfèrement, datée du 5 juillet 2001, visant le ressor-
tissant rwandais Emmanuel Rukundo, né le 1er décembre 1959,
résidant à Genève. A cette demande étaient joints: un mandat
d'arrêt; une ordonnance de transfèrement, de détention et de
saisie; un acte d'accusation établi par le Procureur du
TPIR; un extrait du Statut du TPIR indiquant les droits de
l'accusé devant cette juridiction; un accusé de réception.

Selon la demande et ses annexes, Rukundo, ancien au-
mônier militaire des Forces armées rwandaises (FAR) est
poursuivi pour des faits de génocide et de crimes contre
l'humanité, commis lors du génocide perpétré entre le 6
avril 1994 et juillet 1994 contre la population tutsie du
Rwanda. L'acte d'accusation indique que Rukundo, qui serait
un extrémiste hutu notoire, aurait traqué des Tutsis réfu-
giés dans les locaux du diocèse de Kabgayi et de la paroisse
de Gitarama, les dénonçant aux soldats et miliciens qui les
auraient ensuite massacrés. Il aurait également dénoncé des
prêtres tutsis, qui auraient été exécutés. La demande ten-
dait à l'arrestation du Rukundo et à son transfèrement au
TPIR, ainsi qu'à la saisie de tout élément de preuve.

Le 11 juillet 2001, l'Office fédéral de la justice
(ci-après: l'Office fédéral), autorité compétente selon
l'art. 4 de l'arrêté fédéral du 21 décembre 1995 relatif à
la coopération avec les tribunaux internationaux chargés de
poursuivre les violations graves du droit international hu-
manitaire (ci-après: l'arrêté fédéral; RS 351.20), a ordonné
l'arrestation de Rukundo en vue de son transfèrement au TPIR
(ch. 1 du dispositif); le transfèrement de Rukundo au TPIR

(ch. 2 du dispositif); la saisie des biens et objets appar-
tenant à Rukundo et qui pourraient servir de moyens de preu-
ve dans la procédure engagée contre lui (ch. 3 du disposi-
tif) et la remise de ces documents au TPIR (ch. 5 du dispo-
sitif). La décision mentionne la voie du recours de droit
administratif dans les dix jours s'agissant des ch. 1 et 3
(ch. 7 et 9 du dispositif) et celle du recours de droit
administratif dans les trente jours s'agissant des ch. 2 et
5 (ch. 8 et 10 du dispositif).

Le 12 juillet 2001, le Juge d'instruction du canton de
Genève a ordonné l'arrestation de Rukundo, vicaire de la
paroisse St-Paul à Genève. Il lui a notifié la demande de
transfèrement et ses annexes et l'a informé de ses droits.
Rukundo a admis être la personne visée par la demande.

Le 12 juillet 2001, la police cantonale a procédé à une
perquisition du logement de Rukundo. Elle a saisi des docu-
ments et des disquettes informatiques. Un inventaire a été
dressé, comportant vingt-trois objets.

B.- Par arrêt du 10 août 2001, la Chambre d'accusation
du Tribunal fédéral a rejeté le recours formé par Rukundo
contre son arrestation en vue de transfèrement (procédure
8G.42/2001). La Chambre d'accusation a rejeté le 14 août
2001 le recours formé par Rukundo contre la saisie de docu-
ments (procédure 8G.43/2001).

C.- Agissant par la voie du recours de droit adminis-
tratif, Emmanuel Rukundo demande au Tribunal fédéral d'annu-
ler la décision d'arrestation et de transfèrement, d'une
part (procédure 1A.129/2001), et la décision de remise au
TPIR des objets et documents saisis, d'autre part (procédure
1A.130/2001). Il invoque le Pacte ONU II et la CEDH.

L'Office fédéral propose le rejet des recours.

Invité à se déterminer, le recourant a maintenu ses
conclusions.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Les recours sont formés par la même personne contre
deux aspects de la même décision le concernant, rendue par
la même autorité dans le même complexe de fait. Il se justi-
fie de joindre les causes et de statuer par un seul arrêt
(ATF 123 II 16 consid. 1 p. 20).

2.- a) La procédure de transfèrement au TPIR est régie
par l'arrêté fédéral. La loi fédérale sur l'entraide inter-
nationale en matière pénale du 20 mars 1981 (EIMP; RS 351.1)
et son ordonnance d'application du 24 février 1982 (OEIMP;
RS 351.11) s'appliquent par analogie, sauf dispositions con-
traires de l'arrêté (art. 2 de l'arrêté).

b) Si les décisions relatives à l'arrestation et à la
saisie doivent être entreprises devant la Chambre d'accusa-
tion, c'est la Ie Cour de droit public qui est compétente
pour examiner les recours formés contre le transfèrement
(ATF 123 II 175) et contre la remise de documents ou de
pièces à conviction (cf. art. 24 al. 1 de l'arrêté). Dans le
cadre du recours formé contre le transfèrement, la personne
arrêtée peut contester les motifs de sa détention (ATF 123
II 175 consid. 8 p. 189-191).

1. Procédure 1A.129/2001

3.- Le recourant se plaint uniquement de ce que, selon
lui, la procédure devant le TPIR ne respecterait pas les ga-
ranties du procès équitable offertes par le Pacte ONU II et

la CEDH, en raison des dysfonctionnements graves affectant
la gestion et le fonctionnement de cette juridiction.

a) La Suisse ne prête pas son concours à des procédures
qui ne garantiraient pas à la personne poursuivie un stan-
dard de protection minimal correspondant à celui offert par
le droit des Etats démocratiques, défini en particulier par
la CEDH ou le Pacte ONU II, ou qui heurteraient des normes
reconnues comme appartenant à l'ordre public international
(cf. art. 2 EIMP: ATF 125 II 356 consid. 8a p. 364; 123 II
161 consid. 6a p. 166/167, 511 consid. 5a p. 517, 595 con-
sid. 5c p. 608; 122 II 140 consid. 5a p. 142).

b) Comme tel, le moyen tiré de l'art. 2 EIMP ne peut
cependant pas être soulevé dans le cadre de la procédure
relative au transfèrement à un tribunal pénal international
(art. 3 al. 2 de l'arrêté fédéral). En outre, la conformité
de la procédure devant le TPIR aux standards internationaux
est présumée (ATF 123 II 175 consid. 7 p. 185-189). Les dé-
fauts de gestion et de fonctionnement du TPIR, constatés en
1996, ne sont pas de nature à renverser cette présomption
(ATF 123 II 175 consid. 7b/cc p. 187/188).

Sans méconnaître cette jurisprudence, le recourant fait
valoir que l'ONU n'aurait pas remédié aux défauts de gestion
et de fonctionnement du TPIR, dont les structures seraient
inadaptées au but assigné à cette juridiction.

La situation du TPIR est très préoccupante. Formé de
neuf juges répartis en trois chambres, le TPIR a, depuis sa
création en 1995, rendu neuf jugements en tout et pour tout.
Cinquante-et-un prévenus sont actuellement détenus à titre
préventif. Quinze accusés ont été renvoyés en jugement;
leurs procès sont en cours. Le greffier Adama Dieng, en
fonction depuis le mois de mars 2001, a indiqué que des
mesures énergiques ont été prises pour remédier aux diffi-

cultés de fonctionnement du TPIR, lequel a notamment demandé
à l'ONU de créer dix-huit postes de juges "ad litem"
(c'est-à-dire prêts à intervenir en cas de besoin). Il
convient en outre de signaler que le règlement de procédure
et de preuve, adopté le 29 juin 1995, a été modifié à neuf
reprises, en vue de simplifier et d'accélérer le traitement
des causes. S'ajoutent à cela les mesures organisationnel-
les, relatives aux membres et au personnel du TPIR, ainsi
qu'au Bureau du Procureur, prises depuis 1997, en vue de
corriger les lacunes constatées dans le fonctionnement et la
gestion de cette juridiction. Sur le vu des développements
récents, rien ne permet de dire que le TPIR ne serait pas en
mesure de s'acquitter de sa mission, dans des conditions
conformes aux exigences du Pacte ONU II.

Pour autant qu'il puisse être pris en compte, le grief
doit être écarté.

c) Dans un second moyen, le recourant allègue que la
crédibilité du TPIR aurait été ruinée depuis que quatre en-
quêteurs de la défense ont été suspendus en raison de leur
implication dans le génocide.

Le 26 juillet 2001, le Greffier Dieng a annoncé qu'il
avait résilié ou suspendu les contrats relatifs à l'engage-
ment de quatre enquêteurs de la défense, suspectés de géno-
cide. Il convient de relever toutefois que ces décisions ont
été contestées par la défense et les personnes visées. Le
Greffier Dieng a ordonné une enquête pour clarifier les
faits, s'engageant, pour le cas où des erreurs auraient été
commises sur les personnes, à s'en excuser auprès d'elles.

Les éléments sur lesquels se fonde le recourant ne sont
ainsi pas confirmés. De surcroît, que des complices éven-
tuels du génocide soient démasqués parmi le personnel de la

défense est plutôt de nature à démontrer la capacité du TPIR
à maîtriser la tâche extrêmement difficile (et délicate) qui
lui a été confiée.

d) Enfin, le recourant ne démontre pas en quoi les dé-
fauts et irrégularités qu'il dénonce auraient pour effet
concret de restreindre ses droits de prévenu (cf. ATF 123 II
175 consid. 7b/cc p. 187). En particulier, il n'indique pas
le rapport qui existerait entre les quatre enquêteurs sus-
pendus et sa propre cause.

Pour autant qu'il puisse être pris en compte, le grief
est mal fondé. Le transfèrement devant être accordé, le re-
cours doit également être rejeté pour ce qui concerne la dé-
tention, laquelle doit être maintenue conformément à l'arrêt
du 10 août 2001.

2. Procédure 1A 130/2001

4.- Le recourant conclut principalement à ce que les
pièces répertoriées à l'inventaire de saisie sous les nos 1,
16 à 18 et 20 à 23, ne soient pas remises au TPIR. A titre
subsidiaire, il demande à ce que les pièces nos 1, 20 à 22,
ne soient remises que sous la forme de copies. Selon le
recourant, ces pièces ne présenteraient aucun intérêt pour
la procédure devant le TPIR. Il invoque les art. 59 et 74
EIMP.

a) La remise complétant le transfèrement s'apparente à
la remise extraditionnelle au sens de l'art. 59 EIMP. L'art.
74 de la même loi, concernant la remise de moyens de preuve
pour le besoin de l'entraide, ne trouve pas à s'appliquer
pour le surplus.

b) Aux termes de l'art. 59 al. 1 let. a EIMP, si les
conditions de l'extradition sont remplies, doivent également

être remis les objets ou valeurs trouvés en possession de la
personne poursuivie, pouvant servir de moyens de preuve. En
l'espèce, les conditions du transfèrement sont réunies (con-
sid. 3 ci-dessus).

c) Il convient de prendre acte de ce que le recourant
ne conteste pas la remise des pièces répertoriées sous les
nos 2 à 15 et 19. En outre, l'Office fédéral a restitué au
recourant la pièce nos 17, le 8 août 2001, ainsi que la
pièce nos 22, le 12 juillet 2001. Seule reste ainsi en
discussion la remise des pièces nos 1, 16, 18, 20, 21 et 23.

aa) La pièce nos 1 se rapporte à un sachet contenant
des photographies, ainsi que du courrier personnel.

Les photographies ont été prises soit à Genève, soit
lors d'un séjour à Rome. On peut admettre que celles repré-
sentant le recourant en compagnie d'amis rwandais peuvent
être transmises au TPIR, car elles pourraient permettre
d'attester les liens entre ces personnes et le recourant.

En revanche, la remise d'autres photographies que
celles-là, représentant soit des monuments, soit des lieux,
ou encore des personnes (notamment des membres de la parois-
se St-Paul) n'ayant manifestement rien à voir avec l'affai-
re, ne présente aucun intérêt pour TPIR. Il sera ainsi con-
stitué deux lots de photographies, l'un à transmettre et
l'autre à ne pas transmettre. Le premier lot sera joint au
dossier de l'Office fédéral, à l'intention du TPIR. Le
deuxième lot, placé dans une enveloppe fermée, sera restitué
directement au recourant. Le recours doit être admis par-
tiellement sur ce point.

Quant au courrier saisi, il s'agit de correspondances
avec des compatriotes du recourant. Ces documents, rédigés
en kinyarwanda, peuvent présenter un intérêt pour TPIR, au-

quel ils seront remis, le recourant n'indiquant pas, de ma-
nière précise et détaillée, en quoi ces lettres seraient
inutiles pour la procédure.

bb) Les pièces nos 16, 18 et 23 sont des agendas con-
tenant les adresses de personnes d'origine africaine ou
rwandaise. Cela justifie la transmission de ces documents,
en raison de leur utilité pour la procédure ouverte devant
le TPIR, et cela quand bien même ces agendas contiennent
aussi quelques adresses de tiers (dont celles d'ecclésia-
stiques suisses), avec lesquels le recourant se trouvait en
rapport dans le cadre de ses activités paroissiales.

cc) Les pièces nos 20 et 21 sont des valises contenant
en tout vingt classeurs. La plupart de ceux-ci rassemblent
des coupures de presse, des copies de documents officiels et
des textes divers, ainsi que des listes d'adresses; toutes
ces pièces se trouvent en rapport étroit avec le génocide
perpétré contre les Tutsis du Rwanda en 1994 et les
événements
qui ont suivi. Elles doivent dès lors être
transmises au TPIR. En revanche, ne doivent pas être remis
les classeurs contenant des documents sans aucun rapport
avec l'affaire, qu'il s'agisse de directives en matière
fiscale, de notes recueillies en vue de la rédaction de
sermons ou de la célébration de baptêmes, ainsi que des
procès-verbaux de réunions tenues par des organes
paroissiaux. Ces documents seront restitués directement au
recourant. Sur ce point aussi, le recours doit être admis
partiellement.

d) L'arrêté fédéral, pas davantage que l'EIMP ou
l'OEIMP, ne prévoient, à l'instar de l'art. 3 al. 3 CEEJ par
exemple, que les documents demandés ne sont remis que sous
la forme de copies. Cela exclut d'adjuger la conclusion sub-
sidiaire formulée par le recourant, qui n'indique pas, au
demeurant, pour quels motifs les pièces nos 1, 20 et 23 ne

devraient être remises que sous la forme de copies. Il con-
vient de prendre acte de l'engagement donné par l'Office fé-
déral dans sa réponse du 14 août 2001, selon lequel le re-
courant pourra demander une copie des pièces remises au
TPIR, requête d'ores et déjà formée par le recourant.

5.- Le recours dirigé contre la décision de transfère-
ment doit être rejeté. Celui dirigé contre la décision de
remise doit être admis partiellement au sens du considérant
4c/aa et cc, et rejeté pour le surplus. Les arguments du re-
courant étant écartés pour l'essentiel, il se justifie de
mettre les frais à sa charge (art. 156 OJ). Il n'y a pas
lieu d'allouer des dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Joint les causes 1A.129/2001 et 1A.130/2001.

2. Rejette le recours formé contre le transfèrement
(procédure 1A.129/2001).

3. Admet partiellement le recours formé contre la
remise (procédure 1A.130/2001), au sens du considérant 4c/aa
et cc. Rejette le recours pour le surplus.

4. Met à la charge du recourant un émolument global de
3'000 fr. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

5. Communique le présent arrêt en copie au mandataire
du recourant ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice.

______________

Lausanne, le 3 septembre 2001
ZIR

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.129/2001
Date de la décision : 03/09/2001
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2001-09-03;1a.129.2001 ?
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